C'est un grand bien à
notre avis que de se suffire à soi-même, non qu'il faille toujours
vivre de peu, mais afin que si l'abondance nous manque, nous sachions
nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là
jouissent le plus vivement de l'opulence qui ont le moins besoin
d'elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer,
tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à
se procurer.
En effet, des mets simples
donnent un plaisir égal à celui d'un régime somptueux si toute la
douleur causée par le besoin est supprimée, et, d'autre part, du
pain d'orge et de l'eau procurent le plus vif plaisir à celui qui
les porte à sa bouche après en avoir senti la privation. L'habitude
d'une nourriture simple et non pas celle d'une nourriture luxueuse,
convient donc pour donner la pleine santé, pour laisser à l'homme
toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie,
pour nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous
les faisons après des intervalles de vie frugale, enfin pour nous
mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune.
Épicure, Lettre à
Ménécée.
Photographie : Un jour, une photo |
Pour Épicure, une vie
heureuse réside dans les plaisirs que l'on peut expérimenter tout
au long de sa vie. Pour autant, il ne s'agit pas de prôner une vie
dissolue qui serait une orgie permanente. En fait, pour le Sage, les
plaisirs les plus précieux sont le fruit d'une vie simple et
paisible. Cela va à l'encontre d'une idée reçue : quand on
dit de quelqu'un qu'il est épicurien, on imagine quelqu'un qui aime
bien manger, bien boire, avoir le plus de maîtresses possibles,
jouir du luxe et du confort. Mais les plaisirs les plus puissants et
les plus profonds ne sont pas nécessairement là où on les imagine.
Une vie inspirée par la sagesse et la raison procure plus de
plaisirs et de bien-être qu'une vie guidée par notre avidité et
notre agitation. Les plaisirs que l'on tire du luxe et de la
richesse, des propriétés et des biens matériels, du pouvoir et de
la gloire, tous ces plaisirs sont difficiles à se procurer, sont
instables et se révèlent en général très décevant.
Un Sage, par contre, tirera
le plus grand plaisir d'une promenade en forêt, du clapotis du
ruisseau en contrebas, du paysage qui s'ouvre à lui, de l'air et du
vent. Les plaisirs naturels sont les plus faciles à obtenir. Ils
s'offrent à nous ou, en tous cas, demandent moins d'effort et de
travail que les plaisirs plus sophistiqués. Par ailleurs, celui qui
contente de peu craint moins les épisodes de pauvreté et de disette
où la richesse et les biens viennent à manquer. Celui qui est
habitué à la surabondance par contre sera excessivement malheureux
quand viendra ces heures sombres où la roue tourne. En outre, celui
qui est habitué à vivre de peu de choses appréciera d'autant plus
les fastes et le luxe qu'il lui est donné de vivre de temps en
temps, tandis que la personne qui baigne constamment dans l'opulence
se trouve blasée de celles-ci.
Toute la philosophie
d’Épicure est un appel à simplifier sa vie. Si on sait modérer
ces besoins en nourriture, on goûtera d'autant mieux une nourriture
très frugale, voire rudimentaire. Celui qui a été privé de
nourriture et de boisson est celui qui apprécie le mieux même du
pain sec et de l'eau ! C'est ainsi les épicuriens
accomplissaient souvent des jeûnes, non pas pour mortifier le corps
dans certaines religions, mais au contraire par volonté d'apprécier
les plaisirs de la vie !
Épicure dit aussi qu'une
nourriture très simple est meilleure pour entretenir la santé. La
science semble lui donner raison aujourd'hui, puisqu'on se rend
compte que les gens qui ont une alimentation très peu calorique,
avec très peu de viande, de graisse et de sucre qui ont une
espérance bien supérieure à la moyenne. Les habitants des îles
d'Okinawa sont réputés ainsi au Japon pour leur très longue
espérance de vie et le nombre important de centenaires qui peuplent
l'île. Or leur alimentation est précisément une alimentation très
sobre et légère.
Tout cela va à l'encontre
de la société de consommation qui nous incite à consommer,
consommer, consommer sans cesse et toujours plus. Il en résulte une
gigantesque insatisfaction ainsi qu'une frustration tout aussi
énorme. Le bonheur n'est pas au rendez-vous malgré l'aisance
incroyable dont nous bénéficions par rapport aux personnes qui
vivaient dans l'Antiquité à l'époque d'Épicure. En ce sens,
Épicure est un précurseur des mouvements de simplicité volontaire
qui veulent quitter ce train fou de la société de consommation et
l'idéologie de la croissance à tout prix pour renouer avec une vie
plus simple, plus naturelle et des valeurs plus humaines.
Épicure |
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