(...) Je sais pas, tu
vois. Prends les poètes. Certains démarrent très fort. Il y a un
éclair, une brûlure, un pari dans leur façon de coucher les mots
sur le papier. Un bon premier livre ou un second, ensuite ils
semblent se d i s s o u d r e. Tu jettes un œil alentour et tu
découvres qu'ils enseignent l'ÉCRITURE CRÉATIVE à l'université.
Maintenant ils s'imaginent qu'ils savent comment ÉCRIRE et qu'ils
vont dire aux autres comment s'y prendre. Ceci est une maladie :
ils se sont épris d'eux-mêmes. C'est incroyable qu'ils puissent
faire ça. C'est comme si un type venait me voir et essayait de me
dire comment on baise sous prétexte qu'il pense baiser décemment.
S'il existe de bons
écrivains, je ne pense pas que ces écrivains triment, marchent,
discutent et s'accouplent en pensant, « Je suis un écrivain. »
Ils vivent parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. Ça s'empile :
les abominations, les réjouissances, les pneus crevés, les
cauchemars, les hurlements, les rires, les morts, les longues
enfilades de zéros et tout le reste, ça commence à peser alors ils
voient la machine à écrire et ils se posent devant et ça leur sort
par les doigts, il n'y a pas de planning, ça leur tombe dessus :
s'ils sont toujours en veine. (...)
Charles Bukowski,
extrait d'une lettre adressée à Loss Pequeño Glazier, le 16
février 1983.
Charles Bukowski |
J'aime ce regard de
Bukowski sur l'écriture. Ce n'est pas une technique, un savoir,
en-dehors de la connaissance élémentaire de l'alphabet, de
l'orthographe et de la grammaire, mais quelque chose qui vient des
tripes. Quelque chose qui vient après la vie et tous les événements
plaisants ou douloureux qui composent cette vie. Quelque chose qui
s'adresse à l'existence, tout cela : « les
abominations, les réjouissances, les pneus crevés, les cauchemars,
les hurlements, les rires, les morts, les longues enfilades de zéros
et tout le reste ».
Bien sûr, on peut bien
faire des commentaires savants sur le style, ma manière d'écrire de
tel ou tel écrivain, tel ou tel auteur. On peut discourir sur la
césure, le rythme et la rime de tel ou tel poète. Les
universitaires s'en chargent très bien. Mais cet exercice aride
n'est pas l'écriture, et il n'est pas non plus la lecture.
L'écriture consiste à transmettre une part de vie au lecteur. Cela
doit « sortir des doigts » comme dit Bukowski. Cela doit
sortir spontanément. Non pas qu'il faille pratiquer l'écriture
automatique comme le préconisait André Breton et les surréalistes,
influencés par la doctrine psychanalytique ; mais les phrases
doivent arriver d'elles-mêmes et s'incarner comme traces graphiques
sur la papier ou au moyen des touches du clavier d'ordinateur.
L'écrivain n'est pas écrivain dans tous les aspects de sa vie :
il est essentiellement homme qui vit, qui dort, qui mange, bouge,
s'active, fait du sport ou fait l'amour, qui se promène dans
l'existence ou qui médite. Et puis un des aspects de cette vie,
c'est l'écriture. L'acte d'écriture. L'acte de transmettre quelque
chose, une histoire ou des pensées, des considérations, sans savoir
comment cela sera reçu ou compris.
Charles Bukowski |
Voir aussi :
- Ecriture et pensée (Fernando Pessoa)
- Si j'étais (Nazım Hikmet)
- La vie d'un homme est une allégorie continuelle (John Keats)
- Nanti d'un seul oeil (Jim Harrison)
« Savoir bien écrire, c’est savoir bien penser. » disait Pascal
RépondreSupprimerEcrire c'est donc avant tout penser.
Mais penser n'est-ce pas déjà un peu écrire ?
Alors comment bien penser, pour bien écrire ?
Nietzsche, dans « Le Gai Savoir » nous dévoile ici avec humour, un peu de son secret.
- Écrire avec le pied -
« Je n’écris pas qu’avec la main ;
Mon pied veut toujours être aussi de la partie.
Il tient son rôle bravement, libre et solide,
Tantôt à travers champs, tantôt sur le papier. »