Je
suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes, de lourdes chaînes
Pour toi
Mon amour
Et puis, je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
Mon amour
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes, de lourdes chaînes
Pour toi
Mon amour
Et puis, je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
Mon amour
Jacques
Prévert, Paroles, 1946.
Zsar Chankian |
J'aime
ce petit poème grinçant de Jacques Prévert. Cela commence comme
une petite poésie pleine de mièvreries et certainement une bonne
dose de niaiseries, et puis cela expose crûment un visage sombre de
l'amour, ce visage qu'on préfère taire puisqu'il est aussi
sympathique qu'une porte de prison, mais qui est une dimension
souvent persistante de l'amour dans notre culture : notre
propension à enfermer l'autre dans notre relation, à l'envahir, à
le manipuler, à l'enchaîner à notre ego. Tout ce qu'on fait au nom
de l'amour et qui n'a rien à voir avec l'amour...
L'amour
se trouve dans la liberté : autant dans sa propre liberté
qu'on assume que dans la liberté que l'on octroie à l'autre ;
pourtant tant par peur de perdre l'autre que par envie de pouvoir sur
cet autre, on tente d'exercer sur lui ou sur elle une coercition
physique, morale et sociale. Dans l'amour, il y a le fait d'aimer et
il y a aussi notre faiblesse. On sait ou on a la sensation
souterraine qu'offrir des fleurs, donner des baisers, raconter des
mots doux ou mettre un diamant au doigt de la personne aimée ne
suffira pas toujours et tout le temps à garder cette personne auprès
de nous. Déjà le mot « garder »... Alors on va acheter
des chaînes et on utilise tous les moyens de pression que la société
a mis à disposition pour « garder » l'autre à notre
côté, la morale, la religion, le qu'en-dira-t-on, la rumeur, les
on-dit, les jugements et les préjugés, les crises, les pleurs ou
les éclats de colère.... Mais tout cela n'est pas du côté de
l'amour, même si cela est humain, terriblement humain, trop humain
certainement...
Pour
moi, la meilleure façon, si pas la seule, de dépasser cet éternel
retour du problème de l'amour est de transformer notre amour lié au
désir et à notre besoin de réconfort en amour bienveillant
inconditionnel et illimité. Vouloir le bien de l'autre sans attendre
quoi que ce soit. Même si l'autre s'en va, nous en veut ou nous
trahit. Lui souhaiter tout le bonheur du monde avec ou sans nous.
C'est pour moi la signification profonde du tantra : transformer
l'énergie du désir en une énergie d'amour infini et libéré de
l'ego. En Occident, on réduit souvent le tantra à l'idée de faire
l'amour avec des huiles de massages, des bougies, des postures de
yoga et de la musique de Ravi Shankar. C'est super, je ne critique
pas. Mais c'est très loin d'exprimer l'idée abrupte du tantra,
notamment de transformer abruptement nos activités profanes en
activités sacrées. Et de transmuter une émotion perturbatrice, le
désir notamment, en énergie sacrée pour l’Éveil.
Le
tantra est une voie abrupte, parce qu'il s'agit de traiter avec le
désir et le sentiment amoureux, ce qui est sympa, mais en n'écartant
rien de tout ce qui va avec ce sentiment heureux et ce désir :
autant ce qui est positif que ce qui est négatif, nos faiblesses,
nos fragilités, nos blessures. Le tantra est non-duel : il
prend avec lui tant le plaisir que la douleur. Une image bouddhiste
récurrente compare le plaisir des sens à du miel sur une lame de
rasoir : le tantra ne renonce pas au miel, mais il ne renonce
pas à la coupure. C'est peut-être la leçon de liberté du tantra :
accepter l'amour dans la joie, mais aussi dans le malheur, et faire
de l'amour sentimental ou de l'amour charnel une occasion de s'ouvrir
de manière inconditionnelle à une dimension infinie. Je ne suis pas
sûr que ce soit une Voie pour tout le monde ; mais même si on
n'assume pas cette radicalité du tantra, au moins cela peut nous
inspirer : savoir que derrière nos attachements, nos crises de
jalousie, notre rancœur ou notre orgueil brisé, il y a une
dimension plus profonde et illimitée de l'amour.
André Villers, Prévert & Picasso, Beaucourt, 1930. |
- La visite au musée
À propos de l'amour :
- Il n'y a pas d'amour heureux (Aragon)
- Pas de remède à l'amour (selon Henri David Thoreau)
Sur la méditation de l'amour bienveillant et des Quatre Qualités Incommensurables :
Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.
- Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée
- Faire rayonner les quatre qualités
- Méditation des Quatre Incommensurables
- Esprit d’Éveil
Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicitta? L'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle).
- Empathie et altruisme
Développer l'empathie et l'altruisme selon la philosophie bouddhiste
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- Liberté
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