Été :
Être
pour quelques jours
le
contemporain des roses ;
respirer
ce qui flotte autour
de
leurs âmes écloses.
Faire de chacune qui se meurt
une
confidente,
et
survivre à cette sœur
en
d'autres roses absente.
Rainer
Maria Rilke, Les Roses, XIV, 1924.
Christian Natschläger |
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ce poème tiré du recueil « Les Roses » de Rainer Maria
Rilke qu'il a écrit directement en français en 1924. Il y a là la
conscience aiguë du caractère fugace de la présence des choses
plaisantes et belles, et de la nécessité de ne pas rater par sa
négligence ce moment fugace de la présence. « Été :
être pour quelques jours le
contemporain des roses ».
Souvent, nous avons l'esprit préoccupé par tant de choses, par tant
de bruits, par tant d'agitation, par tant de vanités que l'on oublie
de se rendre présent à la beauté, à la sérénité d'un instant,
la grâce d'une lumière, la sensation du vent chaud contre sa peau,
des oiseaux qui traversent le ciel, des nuages qui sculptent le ciel,
le branchage qui communique les secrets de la vie dans sa langue
cachée, le clapotis de l'eau au fond de la vallée. Tout cela, nous
le manquons, l'esprit étant ailleurs, dans d'autres préoccupations,
stressantes la plupart du temps. Nous perdons tout ce que ce moment
présent, cet instant suspendu, peut avoir d'apaisant et de
revigorant.
Cela
est vrai pour les êtres humains de tout temps, mais de nos jours,
toutes les nouvelles technologies modernes et hyper-modernes
renforcent ce sentiment de coupure d'avec le monde naturel. Coupez
donc la télévision, débranchez vos smartphones et vos tablettes,
déconnectez-vous des toiles numériques, mettez-vous en mode avion
même si vous avez les pieds bien sur terre et la tête à contempler
les beaux nuages dans le ciel.
Soyez
le contemporain des roses et respirez le monde qui frémit tout
autour de vous ici et maintenant. Voyez les choses naître et
apparaître, voyez-les durer et se manifester, et voyez-les
disparaître comme la rose finit toujours par faner. La splendeur de
la jeunesse ne dure qu'un temps. Tout ce qui vit, tout ce qui existe
est sujet à l'impermanence : à la jeunesse succède la
vieillesse, à la santé succède la maladie, à la vie succède la
mort. Mais dans la nature, tout est appelé à renaître :
d'autres roses, d'autres éclosions, d'autres chants, d'autres
souffles de vie...
Christian Natschläger |
Voir également :
- Fleur des montagnes (du yogi tibétain Shabkar avec un thème assez semblable sur le sentiment d'impermanence que nous inspire les fleurs)
- telle la génération des feuilles (Homère)
- Choses qui ne font que passer (Sei Shōnagon)
- Sans savoir pourquoi (Natsume Sōseki)
- Méditer longuement l'impermanence (Bouddha)
- nonchalant de la mort comme de son jardin (Montaigne)
- l'homme, l’Éternité et son passage dans le temps (Simon Leys / Pierre Ryckmans)
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