La formule
grecque ΜΗΔΕΝ
ΑΓΑΝ (Méden Agan) figurait sur le fronton de
l'oracle de Delphes. Elle signifie littéralement « rien de
trop ». C'était une formule très célèbre durant
l'Antiquité, et c'était pour les Grecs de l'époque une parole de
sagesse, comme l'autre formule figurant sur le fronton de l'oracle de
Delphes : « Connais-toi toi-même ». « Rien
de trop » est pour moi aussi un adage important qui compte dans
ma vie et que j'essaye de mettre en pratique dans la vie de tous les
jours. J'avais d'ailleurs consacré un article
à cette antique sentence, mais pas plus tard que hier, on m'a
reproché d'être trop compliqué dans mes explications :
« Quelqu'un peut expliquer plus simplement, SVP ?... »
C'est que
je vais tenter d'éclairer maintenant. Tout d'abord, « rien de
trop » est une invitation à éviter les excès en tout genre :
boire du vin peut être un plaisir, mais boire trop de vin va vous
causer de nombreux problèmes. Vous risquez de commettre des actes
indésirables sous l'effet de l'ivresse, vous risquez d'être malade
et de vomir toutes vos tripes, et le lendemain, vous aurez la gueule
de bois. La sagesse invite donc à consommer la vin avec modération.
En toutes choses, l'excès peut être un problème, et la sagesse
grecque veut que vous évitiez tous les excès : excès
d'agressivité, excès de paresse, excès de gourmandise, excès de
zèle, excès de dépense, excès d'avarice, excès de vitesse, excès
de prises de risque, excès de chauvinisme, excès de crédulité,
excès de confiance, excès d'orgueil, excès de jalousie... La liste
est trop longue pour mentionner tous les excès dont les humains
peuvent faire preuve... Le tout est de garder le sens de la mesure,
ne pas tomber dans ce que les Grecs appellent l'hybris, la démesure,
la folie qui emportent loin de ce qui est raisonnable.
C'est le
premier sens de la formule Méden Agan « Rien de
trop » : l'invitation à changer son comportement afin
d'être moins dans l'exagération et l'excès , l'invitation à
rester dans le juste milieu, dans le sens de la mesure. Mais les
philosophes grecs de l'école sceptique comprenait aussi cette
formule dans un sens plus épistémologique. L'épistémologie est la
discipline philosophique qui porte sur la connaissance : que
puis-je savoir ? Comment est-ce que je peux savoir certaines
choses ? Comment est-ce que je peux établir une science ainsi
que des connaissances scientifiques ? Comment est-ce que je peux
certain des choses dont je suis convaincu ?
Les
sceptiques s'opposent aux dogmatiques. Les dogmatiques ont des
certitudes sur le monde et les grandes questions de l'existence. Les
sceptiques sont dans le doute quant à ces certitudes. Il y a bien
des choses sur lesquelles on peut s'entendre : par exemple, la
pièce dans laquelle on se trouve, nous la voyons, nous la touchons,
nous la sentons. Les sceptiques ne nient pas que nous sommes dans
cette pièce. Mais au-delà de cette apparence, on ne peut pas fonder
de certitudes absolues : peut-être sommes-nous en train de
rêver que nous sommes dans cette pièce et que la pièce n'est pas
réelle, mais seulement le produit de mon imagination onirique... Les
sceptiques s'en tiennent aux apparences de ce monde, mais demeurent
dans le « rien de trop » concernant sur l’Être de ce
monde, la nature véritable de ce monde.
Pareillement,
les sceptiques admettent les arbres, les vallées et les collines,
les rivières et les fleuves, mais ils sont dans le « rien de
trop » par rapport aux connaissances scientifiques que l'on
peut avoir sur le monde. Ils « suspendent leur jugement ».
En tous cas, il leur faut des confirmations beaucoup plus fortes que
de simples opinions ou des croyances sans fondement rationnel. Dans
le domaine de la métaphysique aussi, les sceptiques s'en tiennent
dans le « rien de trop » : toutes les convictions
sur Dieu, l'âme ou l'univers à laquelle on adhère sans preuves
solides sont de trop. Il faudrait être libre de ces dogmes,
ne pas être enfermé dans des croyances aveugles. La croyance est,
pour les sceptiques, comme un excès dans l'ordre de la
raison. Une exagération de notre esprit à toujours vouloir avoir
raison au mépris des incertitudes et des doutes qui sont toujours
présents et qui résistent à nos convictions les plus fortes.
Colonnes doriques du Temple d’Apollon à Delphes |
Voir l'article d'août 2014 : Meden Agan.
Voir également concernant le scepticisme et le sens de la mesure :
- Rien de certain (Pline l'Ancien & Montaigne)
- Les deux extrémités de la connaissance (Blaise Pascal)
- Les deux extrémités de la connaissance (Blaise Pascal)
- La vie est un songe un peu moins inconstant (Blaise Pascal)
Trois colonnes restantes du temple nommé "Tholos" à Delphes |
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Merci pour l'explication de la nuance entre scepticisme et dogmatisme. Votre blog semble peu visité mais très intéressant ! Je vous serez reconnaissant de le laisser en ligne encore quelques temps, il faudra que je revienne lire quelques articles.
RépondreSupprimerΜανθάνων μὴ κάμνε
Hadrianus Crocus.