J'ai
regardé cette semaine la série Narcos réalisée par José
Padhilha. La série se propose de montrer la vie du plus célèbre
des narco-trafiquants colombiens, Pablo Escobar, le chef du Cartel de
Medellin. La série met donc en scène des personnages réels et
recèle ainsi un aspect de film documentaire : plusieurs scènes
sont entrecoupées de photos et de vidéos d'époque. De manière
plus large, la série montre la guerre à mort que les Américains
ont livré contre les cartels de la drogue en Colombie, the War on
Drugs. J'ai trouvé la série bien faite, plaisante à regarder
et addictive (sans mauvais jeu de mot). L'acteur principal, Wagner
Moura, qui incarne Pablo Escobar, est très impressionnant dans sa
façon de jouer la multiplicité du baron de la drogue, dévoilant un
père aimant et sensible doublé d'un tueur implacable prêt à tout
pour parvenir à ses fins, un narco-terroriste sanguinaire sans foi,
ni loi, mais aussi un stratège qui joue avec le système en place et
un homme proche du peuple qui a investi dans des logements et des
installations pour les pauvres et les démunis.
J'éprouve
néanmoins un certain malaise après regardé la série. Le premier
est l'ambiguïté autour de la personne de Pablo Escobar. Comme il
est présenté à la fois comme salaud et un héros, on peut penser
que cette série contribue à faire d'Escobar un modèle pour les
caïds des banlieues. En fait, si j'ai regardé la série, c'est
parce que certains de mes élèves (ceux justement qui jouent aux
caïds) l'ont regardée et m'en ont parlé comme d'une référence
majeure pour eux. La série peut à l'avenir avoir le même rôle que
le film des années '80 « Scarface » qui est
toujours à l'heure actuelle une référence incontournable pour les
gamins des banlieues. Mais là où Scarface est une fiction qui
montre l'ascension fulgurante et la chute d'une petite frappe partie
de nulle part et immigré en provenance de Cuba, Tony Montana, Narcos
parle d'un personnage réel et d'une situation réelle.
Le
deuxième malaise est le peu d'objectivité dans la présentation de
la guerre anti-drogue menée aux États-Unis en Colombie. En fait, la
série adopte complètement le point de vue américain : c'est
Steve Murphy, agent réel de la DEA (l'agence anti-drogue américaine)
qui est le narrateur de l'histoire et un des acteurs principaux dans
la traque opiniâtre de Pablo Escobar. En fait, tout est vu à partir
du point de vue américain, non sans une certaine condescendance des
États-uniens qui viennent apporter la civilisation aux Colombiens
démunis en proie à la barbarie des narco-trafiquants. Steve Murphy
qui a vécu en Colombie pendant des années ne parle d'ailleurs pas
l'espagnol ! Ce qui est un peu bizarre pour un enquêteur chargé
de confondre des criminels dont la langue est justement l'espagnol...
En
outre, la faute de la consommation de cocaïne aux États-Unis est
systématiquement reportée sur les producteurs colombiens quelque
part dans des laboratoires perdus au milieu de la jungle. Mais ce
qui n'est jamais dit, c'est que s'il y a une consommation, c'est
précisément du fait des désirs et des consommateurs américains.
Ce ne sont pas les narcotrafiquants qui ont mis de la poudre dans le
nez des traders et stars du show-biz américains ! Le chaos
colombien (que la série Narcos montre fort bien) est d'abord une
conséquence de la demande américaine de cocaïne. Par ailleurs, si
la DEA a poursuivi effectivement les trafiquants de drogue dans le
monde entier, la CIA elle s'est régulièrement accommodé de
l'action des cartels pour mener et financer des opérations douteuses
contre des groupements un peu trop gauchistes ou qui remettaient un
peu trop en question les intérêts économiques et impérialistes
des USA.
Or
les Américains ont systématiquement privilégié des méthodes
violentes pour traquer Escobar et les membres du cartel. Ce qui a eu
pour conséquence d'entraîner des ripostes sanglantes de la part
d'Escobar et des autres trafiquants. Dans la saison 2, l'autre agent
américain de la DEA, Javier Peña,
décide de s'acoquiner avec des membres dissidents du cartel de
Medellin, les chefs du cartel de Cali et des membres des forces
paramilitaires. Les forces paramilitaires sont des groupements
fascistes qui combattaient dans la jungle les factions de la guérilla
communiste comme les FARC. Très vite, ils en sont venus à massacrer
des villageois innocents, femmes et enfants compris, qu'ils
estimaient complices à tort ou à raison des communistes. S'allier
avec ce genre de personnages juste pour se payer le trophée de la
tête d'Escobar est excessivement douteux comme méthode, mais cela
n'a pas l'air de poser trop de problèmes de conscience à l'agent
Javier Peña, valeureux défenseur
des valeurs américaines sur le sol colombien.
Favoriser
des narco-trafiquants et des terroristes fascistes pour abattre un
autre narco-trafiquant... Je ne vois pas en quoi l'équation est
favorable à la lutte contre la drogue et pas non plus en quoi elle
est favorable au peuple colombien qui a souffert des exactions de ces
crapules que le gouvernement américain soutenait. Certes Escobar
était arrogant et dangereux, mais les paramilitaires et les membres
du cartel de Cali l'étaient tout autant, voir en fait beaucoup plus.
Plus de 80% des assassinats politiques, des enlèvements et des cas
de torture ont été le fait des paramilitaires. Ceux-ci n'ont pas
hésité à financer leurs actions en vendant aussi de la cocaïne.
On estime les exactions de ces paramilitaires à plus de 150 000
morts.
Voilà
essentiellement pourquoi la série américaine Narcos me pose
question et me laisse perplexe.
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