Pendant longtemps j’ai cru que l’absence est manque.
Et je déplorais, ignorant, ce manque.
Aujourd’hui je ne le déplore plus.
Il n’y a pas de manque dans l’absence.
L’absence est une présence en moi.
Et je la sens, blanche, si bien prise, blottie dans mes bras,
que je ris et danse et invente des exclamations joyeuses,
parce que l’absence, cette absence incorporée,
personne ne peut plus me la dérober.
Carlos
Drummond de Andrade, « La
machine du monde : Et autres poèmes ».
Carlos Drummond de Andrade |
La
plupart des gens fuient la solitude pour ne pas affronter ce
sentiment d'absence qui peut les tarauder des jours et des nuits
durant. L'absence est ce manque cruel de ceux qu'on aime, de ceux ou
celles qu'on désire, de ceux ou celles qui nous font rêver, de ceux
ou celles qui nous compléteraient dans notre inachèvement
existentiel, qui auraient ce pouvoir de nous octroyer ce sentiment de
plénitude. C'est pourquoi, le plus souvent, on déplore souvent ce
manque, cette absence. Malédiction et traversée cruelle du désert,
voilà comment on voit généralement ce manque, cette absence.
Pourtant,
il y a une autre façon de vivre l'absence, une autre façon de
l'habiter. Si on ne cherche pas désespérément à fuir cette
absence, si on laisse ce vide en nous se déployer calmement, si on
laisse cette douce mélancolie des personnes seules en ce monde se
répandre comme les volutes de fumées dans l'air, alors on peut
changer de regard sur cette absence. On sent qu'il y a une présence
dans l'absence, présence des personnes qu'on aime et qui habitent
notre cœur. En ce sens, l'absence représente plus que la simple
présence, parce que quand on est en compagnie de quelqu'un, on est
seulement en présence de cette personne, tandis que dans la
solitude, il y a l'absence, mais aussi la présence de ceux qui nous
hantent. Et cette absence-là, pleine de présences, de lieux, de
moments et de gens, pleine d'un sentiment joyeux et bienveillant,
personne ne peut vous l'enlever, ni vous la dérober. Voilà un
cheminement poétique de l'absence, du manque à la joie.
Henri Cartier-Bresson, Paris, 1953 |
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