À
l'heure où j'écris ces lignes, la communauté Rohingyas est en
train de subir de nouvelles violences perpétrées par l'armée
birmane dans l’État birman de l'Arakan. Meurtres, pillages et
viols ensanglantent la région. Il est temps, me semble-t-il de
demander l'arrêt des violences. Et de faire pression sur les
bouddhistes de Birmanie pour leur demander d'arrêter cette haine,
ces discours de haine et ces actions de haine qui ont libre cours
dans leur pays.
Le
Bouddha a dit :
« En
vérité,
La
haine ne s'apaise jamais par la haine.
La
haine s'apaise par l'amour.
Ceci
est une loi éternelle ».
Cela
doit être rappelé. Le Dharma est un appel à la paix.
Malheureusement aujourd'hui, de trop nombreux moines bouddhistes
mettent de l'huile sur le feu et incite à la haine contre la
communauté rohingya qui subit une véritable nettoyage ethnique sur
le sol birman.
Quelques
mots pour expliquer la situation. Il ne me semble pas inutile de
résumer la situation à un public occidental qui n'est pas
nécessairement au fait de ce qui peut se passer dans un pays
exotique et méconnu comme peut l'être la Birmanie (ou Myanmar1).
Les Rohingyas sont donc une communauté qui provient du Bangladesh
voisin et qui s'est installé en Birmanie durant la colonisation
britannique. À ce titre, la population birmane a toujours été
méfiante à leur égard. Et la situation a pourri après
l'indépendance en 1948 jusqu'en 1982. Cette année, la junte birmane
au pouvoir rend les Rohingyas apatride et cesse de les mentionner
comme étant une des 135 minorités ethniques que compte le pays.
Suite à cela, les Rohingyas se sont vus privés de très nombreux
droits :
- privation des droits politiques : exercer un quelconque mandat politique, et maintenant que la démocratie commence à s'imposer au Myanmar, il leur est interdit de voter ou de se présenter à une élection ;
- privation de droits économiques (comme tenir un magasin et commercer avec des bouddhistes)
- privation de droits sociaux (comme avoir accès aux soins, se marier et avoir plusieurs enfants).
En
conséquence, les Rohingyas dépendent principalement de l'aide
internationale pour leur survie. En 2012, les Rohingyas ont subi de
très graves violences ethniques dans l’État de l'Arakan. Au
départ, le problème était surtout le fait d'un racisme qui
s'exerçait à l'encontre d'une communauté qui n'est pas considérée
comme véritablement birmane ; mais les Rohingyas ne sont pas
seulement critiqués parce qu'originaire du Bangladesh voisin, on
leur reproche de plus en plus d'être musulman. C'est qu'un moine
bouddhiste multiplie les prêches haineux à l'égard de l'islam et
des musulmans et fait entendre de plus en plus sa voix en Birmanie.
C'est le moine Wirathu et son mouvement politique 969. Ce moine prône
la haine à l'encontre des musulmans de façon extrêmement
virulente. Pour lui, il faut préserver « la race et la
religion birmane » de ces envahisseurs. Lui-même ne prend pas
part aux émeutes, mais il instille la haine, la malveillance et des
pensées racistes dans le cœur des Birmans. Il se prétend ne faire
que se défendre face aux exactions des musulmans, mais ce ne sont là
que des prétextes pour justifier des carnages. Par exemple, les
émeutes de 2012 ont commencé parce qu'une jeune femme birmane avait
été violée. C'est effectivement regrettable, et la police aurait
du enquêter sur ce crime (ce que la police fait dans un État
civilisé) ; mais le moine Wirathu a exploité ce fait divers
pour exciter les populations birmanes à passer à l'acte et à
provoquer des massacres une cinquantaine de personnes, à brûler des
mosquées et des quartiers entiers, et enfin à déplacer des
milliers de personnes.
Time, juillet 2013. |
La
situation est complexe ; et il se produit dans un pays qui
connaît lui-même une situation extrêmement complexe. Il y a 135
minorités ethniques en Birmanie ; et certaines sont en guerre
contre le gouvernement central, notamment les Karens et les Kachins.
Le pays sort lentement de la domination et de la dictature sanglante
exercée par la junte militaire pendant des décennies. Les
militaires ont encore un pouvoir énorme sur ce pays. Et on soupçonne
certains militaires de favoriser en sous-main le mouvement 969 pour
déstabiliser les velléités démocratiques de la Ligue Nationale
pour la Démocratie d'Aug San Suu Kii.
Par
ailleurs, on résume souvent la tragédie des Rohingyas à un
affrontement entre musulmans et bouddhistes. C'est une erreur. Il
faut faire la part des choses : au départ, le problème est
d'ordre ethnique et raciste. Il y a en Birmanie beaucoup de musulmans
qui ne sont pas Rohingyas, mais Bamar (l'ethnie majoritaire) ou
appartenant à d'autres ethnies. Ceux-là, personne ne demande à ce
qu'ils quittent la Birmanie. De nombreux Birmans veulent exclure une
communauté qui est taxée d'être étrangère, bien que vivant
depuis au moins deux siècles sur le sol birman. C'est un problème
de xénophobie et de racisme. La dimension islamique ne vient que
dans un second temps, et uniquement parce qu'Ashin Wirathu et son
mouvement 969 a attisé les braises de l'islamophobie depuis une
quinzaine d'années. Il faut faire attention à ce point, parce que
certaines organisations islamiques réduisent ce conflit à sa seule
dimension religieuse. Ce qui permet à ces islamistes de se
victimiser et d'appeler à la guerre sainte « pour défendre
les frères Rohingyas maltraités et massacrés par les mécréants ».
C'est comme en Palestine où les Palestiniens subissent d'évidentes
injustices émanant du gouvernement israélien ; mais certains
extrémistes islamistes en profitent pour instrumentaliser la cause
pro-palestinienne pour en faire un appel au jihad et pour susciter la
haine antisémite et accuser les Juifs de tous les maux de la Terre.
Finalement, les extrémistes d'un côté excitent les extrémistes de
l'autre côté et se renforcent mutuellement dans le culte de la
violence et de la guerre. C'est le peuple qui fait les frais de cette
haine dévorante qui ravage tout.
Il
faut donc appeler à un sursaut de conscience dans la population
birmane. De nombreux bouddhistes au Myanmar ne soutiennent pas U
Wirathu et ses diatribes haineuses et nationalistes. Des moines ont
accueilli et protégé des Rohingyas durant les émeutes de 2013 à
Meikhtila dans le centre du pays. Le Bouddha a dit qu'il fallait
répandre l'amour bienveillant de manière universelle. Il n'y a pas
à faire de distinction entre bouddhistes et non-bouddhistes quand on
répand l'amour bienveillant illimité et incommensurable, comme il
n'y a pas à faire de distinction entre son ethnie ou sa nationalité
et ceux qui appartiendraient à une autre ethnie ou une autre
nationalité. Il faudra tôt ou tard intégrer la population des 800
000 Rohingyas au grand ensemble des 50 millions de Birmans. Le moine
Wirathu a dit et répété que ce n'était pas l'heure pour trouver
le calme. Il me semble au contraire qu'il est plus que temps de
retrouver le chemin de la paix au Myanmar.
Frédéric Leblanc, le 27 novembre 2016.
1L'étymologie
de « Birmanie » renvoie à Bamar qui est l'ethnie
majoritaire dans le pays, mais loin d'être la seule puisqu'on
compte pas moins de 135 ethnies en Birmanie (136 si on compte les
Rohingyas comme faisant partie intégrante de la mosaïque
birmanie). « Myanmar » est l'appellation officielle du
pays, voulue par la junte militaire en 1989. Cette appellation ayant
été contestée tant par l'opposition que par des pays comme la
Thaïlande, on continue à utiliser le vocable « Myanmar »
parallèlement à celui de « Birmanie ».
Personnellement, j'emploie indifféremment les deux. Aujourd'hui,
l'appellation complète du pays est « République de l'Union
du Myanmar ».
Mosquée en feu suite aux émeutes de Meikhtila, le 21 mars 2013 |
Voir notamment sur le site d'Arte : « La malédiction des Rohingyas »
Voir le site Info-Birmanie et sa page Facebook
"En Birmanie, la répression contre les rohingyas s’accentue" (23 novembre 2016)
"Les violences à l’égard des Rohingyas perdurent dans l’État d’Arakan" (30 octobre 2016)
"Focus sur la situation des Rohingyas" (11 février 2014)
"Focus sur la situation des Rohingyas" (11 février 2014)
Matthieu Ricard sur son blog, le 12 avril 2016 : "Une conduite inhumaine et inexcusable : les ex-moines birmans qui persécutent les musulmans Rohingas"
Note de mars 2017: la situation a évolué en ce qui concerne le moine Wirathu.
Voir l'article "Wirathu réduit au silence"
Voir l'article "Wirathu réduit au silence"
Birmanie ou Myanmar |
Régions et Etats de la Birmanie/Myanmar |
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
Enfant rohingya dans le camp de réfugiés de Thet Kal Pyin à Sittwe, Arakan, 7-9 -2016. |
Un article qui fait vraiment bien le point, bravo, c'est tellement du n'importe quoi ce qu'on peut lire à droite à gauche sur le sujet ou des sujets similaires où chacun règle irrationnellement ses comptes avec tout le monde en matière religieuse notamment (particulièrement en France), toute religion confondue, réifiant les religions, les personnifiant, comme s'il n'y avait pas d'humains derrière, comme si les humains n'étaient pas responsables de leurs actes.
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