Est-il
possible que toutes les consciences et toutes les vies proviennent de
la même conscience universelle ? C'est la question qu'on m'a
posé récemment. Pour certains penseurs, la conscience universelle
se diffracte dans les consciences individuelles qui, elles-mêmes, se
diffusent en énergie vitale partout dans le monde et crée les
animaux, les plantes, les champignons et les humains, tout ce qui vit
sur Terre et ailleurs.
Faisons
remarquer d'emblée que cela va à rebours du « sens commun » :
nous sommes souvent amenés à considérer qu'il y a d'abord des
êtres vivants sur Terre, et que certains de ces êtres vivants se
voient dotés d'une sensibilité et d'une conscience. Le débat se
déplace alors sur la question de la nature de la conscience :
est-elle due du fait de l'apparition d'un système nerveux (pour ceux
qui adhèrent à une conception matérialiste du monde) ou cette
conscience transcende-t-elle la matérialité (pour ceux qui se
reconnaissent dans une approche plus spiritualiste) ? La
conscience est-elle une production de la Nature ou est-elle un don de
Dieu ? D'autres dont je ne suis pas, opèrent une disjonction
entre les humains et les animaux. Aristote, par exemple, pensait que
l'Homme avait trois âmes : l'âme végétative qui influe sur
notre forme physique et nous fait croître, l'âme animale qui nous
bouger et réagir aux stimuli, et l'âme proprement humaine qui nous
permet d'employer la raison et le langage qui véhicule les idées de
la raison. Les plantes n'ont que la première âme, et les animaux
seulement les deux premières. En tant qu'antispéciste, il va sans
dire que je ne partage pas cette conception qui crée une différence
de nature entre l'homme et l'animal : l'homme a bien entendu des
capacités supérieures de raisonner, mais sans pour autant qu'il y
ait une frontière infranchissable entre hommes et animaux. Des
chimpanzés sont capables d'apprendre des centaines de pictogrammes
ou de signes pour dialoguer avec les humains. Par contre, je
maintiens la différence de nature d'avec les plantes qui sont des
êtres vivants comme nous, mais sans conscience pour autant.
Donc
selon ce « sens commun », on part de la matière inerte,
tous ces atomes dans l'univers qui s'assemblent en molécules plus
complexes. Et à un moment émerge la vie, la métaphysique, la
religion ou la science auront la tâche d'expliquer pourquoi et
comment. Ensuite, de cette vie, émergera les consciences, et là
encore la métaphysique, la religion ou la science seront sommés
d'expliquer pourquoi et comment.
Envisager
une conscience universelle retourne la problématique. Cette âme du
monde va se faire le terreau d'une toute une série de jeunes pousses
qui auront l'illusion de se croire séparées les unes des autres :
une infinité de consciences qui se croiront individuelles, mais si
elles procèdent de cette conscience première à laquelle toute
pensée, tout esprit se rattache et n'en est qu'une part infime, même
si elle ne voit qu'elle-même. Et ces consciences individuelles sont
autant de puissances créatrices qui insufflent la vie dans ce monde
inerte et froid de la matière. La conscience personnelle comme
semence de vie.
*****
Alors,
qu'est-ce que j'en pense, moi ? Personnellement, j'évite de me
prononcer dogmatiquement sur les questions de métaphysique qui sont
au-delà de notre entendement humain. Je pense qu'en cette matière,
aucun savoir n'est véritablement possible, on ne peut qu'avoir foi
en telle ou telle possibilité. J'avoue avoir de mal à croire en
cette possibilité d'une conscience universelle qui façonne le monde
et les êtres. C'est très probablement que j'ai du mal à concevoir
que ma conscience ne soit qu'une partie d'une conscience beaucoup
plus grande, infiniment plus vaste. J'aurai tendance à souscrire à
l'idée d'une infinité de consciences qui ont besoin du monde
matériel pour coexister ensemble. Dans sa singularité, la
conscience me semble infiniment seule, renfermée sur elle-même,
dans un espace paradoxalement infini et lumineux, mais vide de la
présence d'un autre. Et encore... Il est fort possible que cette
conscience dans sa nature fondamentale ne soit pas la réalité
ultime.... Il est possible qu'il y ait un au-delà de ce spectateur
du monde...
Je
pense aussi que, s'il y a conscience universelle et que nous sommes
des petits fragments de cette conscience englobante, cette conscience
universelle ne peut pas être une conscience parfaite, elle ne peut
pas être la conscience d'un Dieu tout puissant puisque cette
conscience contient des zones d'ombres du fait de nos propres zones
d'ombres, de nos défauts, de notre inconscient, de notre aveuglement
et de notre ignorance. Cette conscience universelle doit encore
s'éveiller à la véritable nature des choses puisque notre esprit
individuel est sous l'emprise des émotions et de l'illusion (ainsi
qu'une infinité de consciences dans ce monde d'ailleurs qui ont
encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre la perfection).
C'est comme si nous étions un neurone du cerveau du monde, mais que
ce neurone avait encore un peu tendance à dysfonctionner comme la
plupart des neurones de ce cerveau par ailleurs.
Ce
qui est intéressant dans cette vision, c'est que notre Éveil
intérieur a tout de suite des répercussions sur l'ensemble des
êtres. La quête individuelle de la libération contribue dans sa
modeste mesure à la libération de toute la conscience individuelle.
La lumière apportée au monde contribue à éclairer tous les
esprits de ce monde. Cela est un développement intéressant, mais il
me semble que la réalité est plus du côté d'une interdépendance
de toutes les consciences de ce monde plutôt qu'une intégration de
toutes les consciences dans une conscience unique, une âme du monde
qui serait le grand réservoir de toutes les consciences.
Sur la nature de la conscience, voir aussi :
- Les notes sur « Cerveau et méditation » de Matthieu Ricard et Wolf Singer :
- 3ème partie: Nano-bonhomme et baleine cosmique
- 4ème partie : Libre-arbitre et déterminisme
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la Lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
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