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mercredi 21 mars 2018

Pourquoi les véganes sont dans le vrai - 2ème partie




Pourquoi les véganes sont dans le vrai

(2ème partie)



       Ce 18 mars 2018 paraissait dans le journal « Libération » une tribune très agressive à l'encontre des véganes, intitulé « Pourquoi les véganes ont tout faux », rédigé par Paul Ariès, Jocelyne Porcher et Frédéric Denhez. Je voudrais ici apporter une réponse argumentée à ce texte.







- 5°) Les véganes ne sauveront pas l'écologie

    Alors là, on rentre dans une dimension étrange et tortueuse de l'argumentaire des trois auteurs de cette tribune : « Car ayant expulsé les animaux domestiques, il n’y a plus rien pour maintenir les paysages ouverts, ceux des prairies, des zones humides, des montagnes et des bocages. Sauf à obliger chômeurs, prisonniers et clochards à faucher et à couper les herbes, ou à produire des robots brouteurs. Les vaches et moutons sont les garants de l’extraordinaire diversité paysagère qui fait la France ». Confondre écologie et aménagement du territoire est assez gros. Il est effectif que l'élevage influe sur les paysages : les herbivores broutant les vertes prairies de la douce France contribue à ces vallées verdoyantes. Certes. Mais d'un point de vue écologique, pourquoi faudrait-il absolument maintenir des pâturages aux herbes rases ? Pourquoi ne pas laisser repousser ces zones naturelles ? Pourquoi ne pas laisser revenir les herbes hautes ? Pourquoi ne pas laisser revenir les forêts qui sont des puits à CO2 beaucoup plus efficaces que les prairies ? Et les forêts contribuent de manière beaucoup plus considérable à la biodiversité que des prairies.


       Par ailleurs, dans « l’extraordinaire diversité paysagère qui fait la France », il y a aussi les bâtiments lugubres des élevages industriels qui défigurent quelque peu nos vertes collines. Pour nourrir le bétail français avec du tourteau de soja importé du Brésil, il faut brûler des hectares et des hectares de la forêt amazonienne afin d'y faire pousser des champs de soja à perte de vue. J'imagine que dans la tête de nos trois auteurs, c'est pour contribuer à « l’extraordinaire diversité paysagère qui fait le Brésil ».


     Je ne vais pas revenir ici sur tous les problèmes écologiques dus à la viande et à l'élevage : émission de quantités phénoménales de gaz à effet de serre que ce soit le CO2, le méthane ou le protoxyde d'azote, la pollution de l'eau et des sols, l'eutrophisation des eaux des rivières et des mers, le fait que l'on racle les sols marins dans la pêche industrielle, la destruction de la biodiversité du fait de la chasse et de la pêche, etc.... Je renvoie à des articles plus détaillés en bas de cette page.





- 6°) Le véganisme n'est pas une position politique émancipatrice

     Tout d'abord, le véganisme en tant que tel n'est pas une position politique, mais une attitude morale : refuser de consommer des produits à base d'animaux, refuser d'exploiter les animaux pour l'une ou l'autre activité. Cela devient une position politique quand vous manifestez avec certains mouvements antispécistes pour « l'abolition de la viande ». Mais est-ce que cet engagement antispéciste en faveur des animaux est une position politique émancipatrice ? J'aurais tendance à répondre « oui ». Au moins pour les animaux, vraisemblablement aussi pour les êtres humains.


     Mais pour Paul Ariès, Jocelyne Porcher et Frédéric Denhez, pas du tout. Ce n'est pas émancipateur pour les humains, et même pas non plus pour les animaux : « Au contraire, en défendant une agriculture sans élevage et un monde sans animaux domestiques, c’est-à-dire sans vaches, ni chevaux, ni chiens, ce mouvement nous met encore plus dans les serres des multinationales et accroît notre dépendance alimentaire et notre aliénation. Les théoriciens et militants végans ne sont pas des révolutionnaires, ils sont, au contraire, clairement les idiots utiles du capitalisme ».


     Alors, si effectivement les véganes sont favorables à une agriculture libérée de l'élevage, ils ne prônent pas obligatoirement un monde sans animaux domestiques. Il y a bien un courant végane et antispéciste, incarné par la figure du philosophe américain Gary Francione, qui prône la fin de la domesticité. Mais tous les véganes ne partagent les positions radicales de Francione. À commencer par moi. J'avais écrit un texte contre cet idée absurde d'en finir avec la domesticité : « Les animaux et la société des hommes ».


      Mais avec ou sans animaux domestiques à nos côtés, cela n'explique pas pourquoi le véganisme nous mettrait dans « ce mouvement qui nous met encore plus dans les serres des multinationales ». Les auteurs de la tribune passent d'un fin à l'autre sans expliquer les liens logiques entre l'un et l'autre (très probablement parce qu'il n'y en a aucun!). Pas plus d'explication non plus sur le fait que le passage à une alimentation végane accroîtrait « notre dépendance alimentaire et notre aliénation ». À qui ? À quoi ? On ne le saura pas ! C'est gratuit ! Des calomnies, en veux-tu ? En voilà ! Au passage, on ajoute une injure tout aussi gratuite à l'encontre des véganes qu'ils taxent de : « idiots utiles du capitalisme ». Comme s'il n'y avait pas de capitalisme dans le monde merveilleux de l'élevage et de la production de la viande, alors que le monde du tofu est vraiment cet univers impitoyable, cet eldorado de tous les capitalistes. Cela n'a aucun sens...






- 7°) Le véganisme serait l'ambassadeur de l'industrie 4.0

     Paul Ariès, Jocelyne Porcher et Frédéric Denhez évoquent dans ce passage ce qu'ils considèrent à juste titre comme une menace : la viande cultivée in vitro en laboratoire. Personnellement, je suis végane, mais je n'ai aucune envie de consommer cette viande en laboratoire. La viande me dégoûte complètement, et je ne ressens aucune attirance pour son goût. Mais la question se pose, et je comprends qu'elle se pose de manière particulièrement critique pour les éleveurs. Car la menace est là, bien réelle, pour les éleveurs : beaucoup plus que les véganes, c'est cette viande artificielle qui risque de mettre fin à leur industrie. Aujourd'hui, cette viande cultivée in vitro est hors de prix, mais il est très possible que ce coût diminue rapidement au fil des années à venir et qu'elle concurrence la viande issue de l'exploitation animale. Si, en outre, cette viande cultivée en laboratoire émet moins de gaz à effet de serre et de pollution que la viande d'élevage, elle aura d'autant plus de raison de s'imposer sur le marché. Et quand une majorité de citoyens se tourneront vers la viande artificielle, les arguments végane en faveur de la sensibilité animale auront encore plus de poids et renforceront l'idée de l'élevage comme étant cette absurdité cruelle. Le monde de l'élevage risque de ne pas survivre à l'expansion de cette viande cultivé in vitro.


       On peut donc comprendre la nervosité de ces acteurs et défenseurs de l'élevage à propos de ce qui est la menace la plus réelle pour eux. Ceci étant dit, cela ne justifie les raisonnements absurdes auxquels ils se livrent dans ce passage. Notamment quand ils affirment : « Des amas de protéines qui auront poussé à grands jets d’hormones pour favoriser la croissance et d’antibiotiques pour éviter les contaminations ». Ils ne décrivent pas là la viande cultivée en laboratoire, mais bien le monde actuel de l'élevage industriel où les animaux sont entassés misérablement les uns sur les autres, et qu'on doit gaver d'antibiotiques pour ne pas que les maladies se propagent comme un feu de paille !






- 8°) « En vérité, le véganisme ne nous sauvera pas » (sic)

       Tout d'abord, le but premier du véganisme est de sauver le plus grand nombre possible d'animaux d'une vie et d'une mort horrible. Ensuite, se pose la question de savoir si cela peut nous sauver, nous les êtres humains. Les trois auteurs se livrent ici dans ce dernier paragraphe de leur tribune à une apothéose de justifications délirantes : « (Le véganisme) menace paradoxalement de nous faire perdre notre humanité incarnée et notre animalité en nous coupant des réalités naturelles par des zoos virtuels, des paysages transformés en sanctuaires, avec des chiens et chats remplacés par des robots ». Perdre notre humanité incarnée ? Perdre notre animalité ? En quoi est-ce qu'un végane cesserait d'être un animal humain fait de chair et de sang ? Cela n'a encore aucun sens !


    En filigrane, on reconnaît les thèses brumeuses de Dominique Lestel et de Raphaël Enthoven où le fait de manger de la viande ferait ressortir notre animalité en nous (thèses que j'avais écrit dans l'article : « Raphaël Enthoven et les superspécistes »). Un monde végane où l'on serait coupés « des réalités naturelles par des zoos virtuels, des paysages transformés en sanctuaires, avec des chiens et chats remplacés par des robots » ? Si cela amuse Ariès, Porcher et Denhez à se livrer durant leurs heures perdues à ce genre de dystopie de science-fiction, pourquoi pas ? Mais il n'y a aucune raison qu'un monde végane ressemble à cela ! Ce serait justement un monde avec une bien meilleure cohabitation entre humains et animaux.


      Nos trois auteurs continuent leur scénario de science-fiction avec un monde de plus en plus urbanisés et inter-connectés. Et ils terminent ce scénario par la formule suivante : « Véganisme rime avec transhumanisme ». Notez bien que tous les -ismes riment avec transhumanisme : communisme, libéralisme, progressisme, esthétisme, carnisme, etc... Les deux notions ne sont pas spécifiquement connectées : il peut y avoir des véganes favorables au transhumanisme comme il peut y avoir des véganes farouchement attachés à un monde plus proche de la Nature. Je laisse personnellement à chacun sa liberté de conscience par rapport à une problématique qui n'est pas intrinsèquement liée à la question de savoir s'il faut oui ou non renoncer à l'exploitation animale.


    Et puis on termine en beauté par un moment d'anthropologie bizarre où la viande serait le fondement du partage : « La consommation de la viande a introduit, dès la préhistoire, l’obligation du partage, l’invention de la logique du don et du contre-don car un chasseur ne consomme jamais son propre gibier. Don et contre-don sont aussi au fondement de nos rapports sociaux avec les animaux. Donner - recevoir - rendre est le triptyque de nos liens. Que sera l’humanité sans cet échange fondamental ?  » Là encore, il n'y a aucun lien probant entre ces deux notions : pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas partager des fruits ou des plantes ? Que les éleveurs voient leur institution comme une pratique du « don et contre-don » envers les animaux, cela sonne comme une justification boiteuse de l'exploitation animale. Une propagande pathétique.




Frédéric Leblanc, le 21 mars 2018.







L124






L'élevage accentue l'effet de serre et la déforestation :


Pour la planète (Vegan Impact) :

Déclin des oiseaux et des insectes du fait des pratiques agricoles :

Élevage et déforestation :

L'élevage reste la principale cause de déforestation en Amazonie :

Le massacre de l'Amazonie (Greenpeace) :


Viande, gaspillage et pollution de l'eau :


Les ravages de la pêche industrielle :




Les animaux et la société des hommes
(contre l'idée que le véganisme devrait conduire à la fin de la domesticité pour les animaux) :












D'autres critiques de la tribune de Paul Ariès, Frédéric Denhez et Jocelyne Porcher : 


How I met your tofu :
- Le véganisme, ou la pente savonneuse vers un monde terrifiant rempli de chômeurs robots brouteurs d’herbe


Aymeric Caron (sur le site de "Libération") : 
- Véganisme : «Réunir tant de clichés en si peu de lignes est un exploit»



L214 (sur le site de "Libération") :
- Et si les véganes n'avaient pas tort ? 








Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




5 commentaires:

  1. En lisant l'article dans Libération j'ai pensé à L'art d'avoir toujours raison de Schopenhauer dans lequel il dit que le plus sûr moyen de l'emporter dans une polémique consiste à caricaturer les propos de vos adversaires.
    Le problème, comme ici, c'est quand ça se voit trop alors l'effet est contreproductif.
    En même temps il faut connaitre un peu les positions véganes pour voir qu'ici ça verse dans la caricature outrageuse. Je pense que les gens intelligents iront y voir d'un peu plus près. Bref les idiots utiles ne sont pas toujours ceux qu'on pense.

    Je ne suis pas vegan mais je me préoccupe de savoir comment sont élevés les poules qui pondent les œufs que je consomme. J'ai visité la ferme de mon producteur vendeur d'oeuf sur le marché où je vais. Les poulaillers sont installées sous les pommiers ce qui permet aux poules de manger les vers qui sont attirés par les pommes qui tombent aux sols et ça permet à mon fermier de ne pas mettre d'insecticide sur ses pommiers.
    A partir du moment où les cages sont grandes et les poules bien traitées et qu'elles vivent en symbiose avec l'environnement. Je ne vois pas pourquoi je ne mangerais pas ces oeufs-là? Certes ils sont plus chers mais je n'en mange pas beaucoup non plus.
    Par ailleurs je suis entièrement d'accord avec les vegans pour lutter contre les exploitations industrielles et pour ne pas consommer ce qui n'a pas été produit de manière éthique.

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    1. Sb,

      En fait, la position végane est de rejeter tous les élevages, y compris les poulaillers bio où les poules vivent en symbiose avec l'environnement comme tu dis. La raison en est que ce genre d'élevages pour être rentable doit tuer les poussins mâles ainsi les poules qui ne sont plus productives, sans compter les entorses à l'image idyllique qu'on nous vend souvent avec ce genre d'élevages : par exemple, beaucoup d'élevages dits "en plein air" accordent finalement des aires très restreintes en plein air.

      Ceci étant dit, je suis d'accord que ce genre d'élevages est moins condamnable que les élevages en batterie où les conditions de vie pour les poules sont proprement dantesques.

      Sur la question des poules et de la production des œufs, j'avais consacré un article intitulé "L’œuf et la poule" http://lerefletdelalune.blogspot.be/2015/04/luf-et-la-poule.html


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    2. Autant que je me souvienne de la discussion que j'ai eu avec ce fermier, la rentabilité n'était pas leur priorité, du moins pour les œufs, C'est un peu comme si tu avais des poules chez toi et que tu en faisais profiter tes voisins dans un esprit d'échange. Leur production d’œufs était minimale et ce n'est pas là-dessus qu'ils gagnent leur vie. Dans leur ferme il y a une petite boutique bio où tu trouves de tout en plus de leur production. J'y retournerais mais ça m'étonnerait qu'ils tuent les poussins. Bon, j'imagine que des endroits comme celui-là sont rares.

      J'ai lu qu'une minorité de personnes cherchaient à faire revivre des procédés anciens dans un but qualitatif, notamment en réutilisant des chevaux plutôt que des tracteurs par exemple. Évidement derrière c'est de faire passer pour des produits de luxe des produits qui sont simplement rustiques.

      J'ai aussi écouté une émission qui parlait d'éleveur de bétail mais qui refusait d’emmener leur bêtes à l'abattoir à cause du stress généré par ce genre d'endroit. Certes ils tuent eux-même leurs bêtes (au risque d'être hors la loi ou d'avoir l'interdiction de vendre la viande). Certes on est loin du véganisme mais il existe aussi heureusement une gamme de gris intermédiaires entre l'élevage industriel inhumain et le véganisme.
      Pour moi, cette gamme de gris ne constitue pas une objection au véganisme. Au contraire, je trouve que le véganisme peut avoir un impact sur la manière dont on traite les animaux même si au final on les tue et qu'on les mange. Et peut-être que progressivement on finira par ne plus les tuer et les manger comme c'est le cas pour les chats et les chiens.

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  2. La spéciosité des "arguments" d'Ariès, Porcher et cie est sidérante. C'est une simple tribune d'opinion présentée comme un argumentaire alors que rien n'est étayé, tout n'est que spéculations. Evidemment, c'est toujours beaucoup plus simple d'aligner des opinions à l'emporte-pièce, de les présenter comme fondées et d'avoir une audience, que d'élaborer un argumentaire solide qui repose sur des données. On croirait lire des textes de propagande anti-ceci, anti-cela (un peu à la Zemmour en quelque sorte) qui ne reposent que sur des impressions vagues à l'encontre de mouvements ou de populations auxquels on assigne des caractéristiques non avérées simplement parce qu'on éprouve à leur égard une forme d'hostilité (pour x raisons, parce que cela va contre nos intérêts, parce que cela nous répugne etc.), bref, dégoûtant, et cela confortera dans leur ignorance tous les badauds.

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  3. Degun,

    Oui, on a l'impression que tous les sophismes sont bons pour justifier la viande et l'exploitation animale. Les gens n'ont pas trop envie de réfléchir à ce genre de sujet. On sent intuitivement que la réponse aux questions "est-il moral de manger de la viande ? est-il moral d'exploiter les animaux ?" est non dans les deux cas. Et donc ce genre de sophismes passent comme une lettre à la poste dans une grande partie de l'opinion parce que cela permet d'éluder ces deux questions gênantes.

    Raison de plus pour argumenter contre ce genre de tribune et montrer le peu de fondement intellectuel de ce genre de justification boiteuse.

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