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vendredi 16 septembre 2016

Narcos



      J'ai regardé cette semaine la série Narcos réalisée par José Padhilha. La série se propose de montrer la vie du plus célèbre des narco-trafiquants colombiens, Pablo Escobar, le chef du Cartel de Medellin. La série met donc en scène des personnages réels et recèle ainsi un aspect de film documentaire : plusieurs scènes sont entrecoupées de photos et de vidéos d'époque. De manière plus large, la série montre la guerre à mort que les Américains ont livré contre les cartels de la drogue en Colombie, the War on Drugs. J'ai trouvé la série bien faite, plaisante à regarder et addictive (sans mauvais jeu de mot). L'acteur principal, Wagner Moura, qui incarne Pablo Escobar, est très impressionnant dans sa façon de jouer la multiplicité du baron de la drogue, dévoilant un père aimant et sensible doublé d'un tueur implacable prêt à tout pour parvenir à ses fins, un narco-terroriste sanguinaire sans foi, ni loi, mais aussi un stratège qui joue avec le système en place et un homme proche du peuple qui a investi dans des logements et des installations pour les pauvres et les démunis.


dimanche 11 septembre 2016

Simplement s'asseoir






     J'ai eu récemment une conversation avec un ami qui pratique zazen dans un dojo de l'école Zen Sōtō. Il m'a dit aimer les rituels qui entourent la pratique de la pratique de la méditation proprement dite. Avant d'entrer dans le dojo, on revêt de manière cérémonieuse le kimono noir et le kesa. On entre avec le pied droit (à moins que ce soit le gauche). On s'incline devant le Bouddha au centre de la pièce, on s'incline devant le mur et puis on se retourne pour saluer l'ensemble de la pièce. On fait zazen ensemble. Et puis on fait « kin-hin », une méditation marchée réglée au millimètre près. On refait zazen non sans avoir préalablement saluer les autres pratiquants. Ensuite on récite le Hannya Shingyo en version sino-japonaise, le tout en rythme au son du mokugyo et du tambour.

    Cela contraste absolument avec ma propre pratique. Pour reprendre un terme appartenant à l'univers du zen, ma pratique consiste à simplement s'asseoir (shikantaza en japonais, 只管打坐). Je m'assieds dans un pièce de méditation dans laquelle rien n'évoque la méditation ou le bouddhisme, si ce n'est un coussin de méditation. Et je médite. Quand j'en ai assez de méditer, je me relève et je fais autre chose. Tout au plus, il m'arrive avant de commencer de réciter trois la prise de refuge et les vœux de bodhisattvas :
« Dans le Bouddha, je prends refuge jusqu'à l’Éveil.
Dans le Dharma, je prends refuge jusqu'à l’Éveil.
Dans la Sangha, je prends refuge jusqu'à l’Éveil. (3 fois)

Par les mérites engendrés par ma pratique du don et des autres perfections, puissé-je atteindre le Nirvâna pour le bien de tous les êtres. (3 fois) ».

     Mais encore, ce n'est pas systématique. Pour moi, les rituels ne sont que du décorum. Je comprends néanmoins qu'ils participent d'une esthétique et d'un style comme dans le Zen où tout est fait pour pointer du doigt une conduite de vie épurée. Pour Confucius, les rituels sont là pour indiquer tout un univers de relations sociales et faire en sorte que ces relations sociales soient harmonieuses. Je comprends très bien que l'on apprécie ces rituels, même si personnellement je n'en ai pas besoin. Les rituels permettent de sentir qu'on sort de la vie profane et qu'on entre dans l'univers sacré de la méditation. En même temps, pour moi, il ne devrait pas y avoir de dualité entre le sacré et le profane, entre le moment de la méditation et la vie de tous les jours. La méditation est là pour apaiser les tensions qui surgissent dans la vie quotidienne. Pour moi, la frontière entre méditation et non-méditation est floue. Il m'arrive d'être assis sur le banc d'un quai de gare et d'entrer en méditation. Il m'arrive de marcher dans une rue et de ralentir le rythme pour prendre conscience de chacun de mes pas dans l'instant présent.

       Je n'ai rien contre à ce qu'on récite le Hannya Shingyo, le Soûtra du Cœur de la Perfection de Sagesse. Mais pourquoi ne pas le réciter en langue française ? Il y a là dans ce texte un message profond, mais si vous le récitez ce texte dans sa version sino-japonaise qui est difficilement accessible même pour un personne dont le japonais est la langue maternelle, vous allez passer à côté du sens. J'imagine que les pratiquants du Zen me diront que l'essentiel n'est pas là, qu'il s'agit de scander en rythme ce texte, tous ensemble, comme des générations de moines Zen ont pu le faire depuis des siècles, se relier à l'antique tradition de l’Éveil qui a parcouru les siècles et les pays. Mon ami me disait justement que la récitation du Hannya Shingyo lui permettait de comprendre tout le sens de faire communauté dans la pratique du Dharma.

       Dans zazen, on est seul face au mur, me disait-il ; et quand on récite le Hannya Shingyo, on est vraiment en commun, sur la même longueur d'onde que le reste de la communauté. Cela me laisse un peu dubitatif. Pour moi, quand on pratique la méditation en groupe, on est seul face à soi-même certes, mais on est toujours seul face à soi-même quand on fait les courses, quand on travaille, quand on conduit sa voiture... C'est juste que l'on n'a pas tendance à s'en rendre compte. Mais quand on pratique la méditation en groupe, on est aussi en groupe dans l'acte de la méditation ! On partage quelque chose de profond, on partage le silence, on partage l'air ambiant et l'on sent la présence des autres. Pour moi, on devrait faire plus souvent la méditation ensemble, de manière informelle. Un peu comme on va boire un verre. Pas de chichis, pas de cérémonie. On s'assoit simplement et on médite ensemble.

    Dans sa chanson Richard, Léo Ferré évoque la camaraderie et la fraternité qui peut exister autour du fait d'aller boire un verre avec ses potes :
« Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles
A certaines heures pâles de la nuit
Près d'une machine à sous, avec des problèmes d'hommes
simplement
Des problèmes de mélancolie
 ».


      Quand j'écoute cette chanson, cela m'évoque la méditation et je me dis souvent qu'il conviendrait de ne les connaître les gens pleinement disponibles à l'instant présent et méditer avec la présence humaine de l'autre. Partager un moment de silence, un moment de rien. Partager cette joie de simplement s'asseoir là, n'importe où. Partager dans ce moment sa condition humaine. 












Stuart Freedman - Zazen au temple Seiryu-ji - Hikone, Japon 





Voir également :



       Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention. 


- L'autre et le même, commentaire du Sandokaivoir le texte



     La sagesse est-elle tempérance, sérénité ou connaissance ? Que veut dire le mot "sagesse" dans un contexte bouddhique ?




   On entend beaucoup parler ces temps-ci de méditation dans les entreprises, des bienfaits de la pleine conscience ou mindfulness dans le management. En soi, cela me paraît être une bonne chose : si les entrepreneurs s'enthousiasment pour la méditation et veulent organiser des séances de zazen au milieu de l'open space. Pourquoi pas, en fait ? Néanmoins, quelque chose me laisse sceptique : est-il judicieux de réduire la méditation à une pratique prometteuse en terme d'augmentation de la productivité ? Est-on plus aware des objectifs quantitatifs fixés par l'entreprise quand on s'est livré à une séance de pleine conscience ? Est-ce qu'on est un meilleur employé quand on s'applique sagement à s'asseoir en lotus et à faire le vide dans son entreprise ?



On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.

















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du Chan et du Zen ici: 

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

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vendredi 9 septembre 2016

Un autre monde est possible



Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci.

Paul Éluard



Un jour, une photo




     Voilà une citation intéressante du poète Paul Éluard : cela sonne comme un slogan altermondialiste, l'espoir toujours renouvelé d'un monde meilleur, mais il indique que cet autre monde possible est comme à l'état de graine dans ce monde-ci. On ne fait pas la révolution, on la plante ! C'est à partir de ce monde-ci que se produira un autre monde avec moins d'injustice et plus de fraternité.

mardi 6 septembre 2016

Haute fréquence



   Les ordinateurs prennent une place toujours plus importante dans tous les aspects de la vie quotidienne, et notamment dans les aspects économiques et financiers. Vous retirez votre argent au distributeur, quand vous ne faites pas vos paiements directement au moyen de votre carte bancaire. Vous faites vos virements en ligne ; il n'y a plus que les vieilles personnes pour remettre un petit papier à leur banquier. Les agences bancaires ferment les unes après les autres, puisque tous les services que la banque peut vous offrir sont à disposition à partir de votre ordinateur. À la bourse, tout s'est automatisé. Au XXème siècle, on voyait les traders crier et hurler à la bourse, se faisant les uns aux autres de signes cabalistiques pour acheter ou vendre des actions à la corbeille. Les traders travaillent maintenant derrière leur écran d'ordinateur. Les traders ont tendance à eux-mêmes laisser la place aux ordinateurs pour donner des ordres d'achat ou de ventes des actions. C'est ce qu'on appelle le trading à haute fréquence.

      Les opérations boursières se font maintenant au rythme de la milliseconde, voire de la microseconde. Il se passe tout un brouillard d'activité boursière totalement inaccessible à l'être humain, et qui, pourtant, a des conséquences concrètes sur les humains, sur les gens qui jouent en bourse, sur les consommateurs et sur les travailleurs qui subissent le contrecoup de cette activité boursière numérique. La question que pose le trading à haute fréquence, c'est quel est le sens de posséder une action pour une milliseconde ou une microseconde (un millionième de seconde) avant de la revendre. Dans le monde réel, si on possède quelque chose, c'est pour en jouir d'une manière ou d'une autre. J'achète une maison pour y habiter. J'achète du vin pour le savourer et m’enivrer. J'achète une crème à la glace pour la déguster un jour ensoleillé d'été. Il faut bien sûr plus de temps pour jouir d'une maison que pour jouir d'une crème glacée. Ma crème glacée va me procurer un plaisir de une ou deux minutes, cinq minutes tout au plus. Mais malgré cela n'a aucun sens de jouir d'une crème glacée durant seulement une milliseconde ou une microseconde.

lundi 5 septembre 2016

Mr Robot et le Malin Génie

Mr Robot et le Malin Génie


Attention ! Cet article contient des spoilers. Vous voilà prévenu !



   J'ai récemment rédigé un article intitulé « La Nef des Fous » qui évoquait notamment la controverse entre Michel Foucault et Jacques Derrida sur le rôle de René Descartes dans l'Histoire de la folie à l'âge classique. Pour résumer très schématiquement l'opposition entre Derrida et Foucault, Foucault pense que Descartes a exclu la folie du champ de la philosophie dans ses Méditations. Notamment la formule sans appel selon Foucault que Descartes emploie pour congédier les fous de la méthode du doute hyperbolique : « Mais quoi, ce sont des fous ! Et je serais bien extravagant de me régler sur leur exemple ». Et cette exclusion de la folie du champ philosophique correspond à ce phénomène social que Foucault décrit comme le Grand Enfermement, le fait qu'au XVIIème siècle la mentalité envers les fous a complètement changé, et ce changement s'est traduit par la politique d'enfermer et brider le plus possible les personnes considérées comme folles. Derrida pense au contraire que la folie n'a pas été exclue du champ philosophique par Descartes, mais qu'elle s'est manifestée sous sa forme la plus puissante dans la personne du Malin Génie.

vendredi 2 septembre 2016

Les quatre demeures de Brahmā





      Il y a dans le bouddhisme cette pratique méditative que l'on appelle les « quatre demeures de Brahmā » : il s'agit de l'amour illimité, de la compassion illimitée, de la joie illimitée et de l'équanimité illimitée. Ce nom fait référence au dieu de l'hindouisme Brahmā ; et on retrouve cette pratique des quatre qualités illimitées ou incommensurables dans les textes hindous, dans le Yoga Sûtra de Patañjali par exemple. On la retrouve aussi dans les textes jaïns. Le Bouddha voulait très probablement qu'on admette que les religions et les courants spirituels et philosophiques partagent une base commune, même si ils diffèrent, voire s'opposent sur certains points. Mais il y a une autre raison à ce que l'amour illimité, la compassion illimitée, la joie illimitée et l'équanimité illimitée soient appelées « quatre demeures de Brahmā » : selon la cosmologie bouddhique, le monde divin de Brahmā qui chapeaute tous les mondes ayant une existence physique est composé d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité. Tout comme notre monde matériel sur la Terre est faite de terre, d'eau, de bois, de métal, d'air, de feu et de tous les éléments matériels ont fabriqué à partir des ressources de la nature comme le verre, la brique, le plastique, etc..., les éléments constituants de l'univers de Brahmā sont matériellement faits de cet amour, de cette compassion, de cette joie et de cette équanimité, et cela à perte de vue, au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. On ne veut pas simplement dire que l'amour règne dans ce monde, un peu comme dans le monde des bisounours, mais que l'amour, la compassion, la joie et l'équanimité sont les briques et les atomes de ce monde. Non pas un univers clos, mais une vastitude infinie dans laquelle nous nous sentons immergés, en communion avec tous les êtres.

jeudi 1 septembre 2016

Les mauvaises justifications - 5ème partie

Les mauvaises justifications de l'exploitation animale


5ème justification
« Hitler était végétarien » (sic).



     Nous vivons dans une société où le débat fait rage de savoir quel traitement nous devons accorder aux animaux. Ceux qui ont l'habitude de lire ce blog savent qu'en tant que végane, je désapprouve toute souffrance inutile exercée contre les animaux et contre toute exploitation cruelle à leur encontre. À partir du moment où l'on se rend compte que les animaux sont des êtres doués de sensibilité et de conscience, la seule attitude morale logique est de tout faire pour minimiser la violence et la cruauté dont les êtres humains sont capables à leur encontre. Cela implique au niveau individuel, le véganisme, le fait de ne pas consommer de produits animaux, et au niveau sociétal, le combat pour le bien-être et contre l'exploitation cruelle des animaux. Mais on entend toutes sortes de justifications qui minimisent l'intérêt de ce combat en faveur des animaux ou qui justifient carrément que l'humanité exploite les animaux. Ces justifications reviennent de manière cyclique et je voudrais les traiter une par une. A chaque article, j'essayerai de démonter les arguments de ces mauvaises excuses du statu quo par rapport aux animaux.







5ème justification : « Hitler était végétarien » (sic)


dimanche 28 août 2016

Les mauvaises justifications - 4ème partie

Les mauvaises justifications de l'exploitation animale


4ème justification
Il est plus important et urgent de s'occuper des êtres humains que des animaux.



     Nous vivons dans une société où le débat fait rage de savoir quel traitement nous devons accorder aux animaux. Ceux qui ont l'habitude de lire ce blog savent qu'en tant que végane, je désapprouve toute souffrance inutile exercée contre les animaux et contre toute exploitation cruelle à leur encontre. À partir du moment où l'on se rend compte que les animaux sont des êtres doués de sensibilité et de conscience, la seule attitude morale logique est de tout faire pour minimiser la violence et la cruauté dont les êtres humains sont capables à leur encontre. Cela implique au niveau individuel, le véganisme, le fait de ne pas consommer de produits animaux, et au niveau sociétal, le combat pour le bien-être et contre l'exploitation cruelle des animaux. Mais on entend toutes sortes de justifications qui minimisent l'intérêt de ce combat en faveur des animaux ou qui justifient carrément que l'humanité exploite les animaux. Ces justifications reviennent de manière cyclique et je voudrais les traiter une par une. A chaque article, j'essayerai de démonter les arguments de ces mauvaises excuses du statu quo par rapport aux animaux.






4ème justification : il est prioritaire de s'occuper d'abord des problèmes de l'humanité avant de s'occuper des souffrances des animaux.




Il est prioritaire de s'occuper d'abord des problèmes de l'humanité avant de s'occuper des souffrances des animaux.



     On entend souvent : s'occuper des animaux, c'est bien joli, mais on ferait mieux de s'occuper du sort des enfants, des hommes et des femmes qui meurent chaque jour, un peu partout sur la planète. La misère est tellement grande dans l'humanité qu'il serait presque indécent de s'intéresser au sort tragique des animaux. Commençons tout de suite par dire que l'un n'empêche pas l'autre : ce n'est pas parce que Jean-René milite chez L214 ou pour PETA qu'il ne peut aussi agir en faveur d'Amnesty International ou d'OXFAM. En fait, l'argument de la priorité à l'humain est souvent un argument de mauvaise foi : ceux qui amènent agressivement cet argument dans le débat ne font souvent eux-mêmes rien pour soutenir l'humanitaire ou le combat pour les droits de l'Homme...

    Envisageons néanmoins cette question selon deux angles liées à l'éthique antispéciste : les animaux étant doués de sensibilité, leur faire du mal en les blessant, en les torturant, en les privant de liberté, en les privant d'un environnement sensoriel varié, en les exploitant ou en les tuant est quelque chose de mal. Peut-être est-ce moins mal que de blesser, torturer, emprisonner sans raison, exploiter ou tuer un être humain, mais cela reste quelque chose de mal d'un point de vue moral. Si l'on veut se comporter de manière bonne et juste quand on a pris en compte cette sensibilité des animaux, on peut faire deux choses :

  • 1°) S'abstenir de faire du mal aux animaux
  • 2°) Avoir une action positive en faveur des animaux : militer pour les droits des animaux, sensibiliser le grand public, créer des refuges pour les animaux, les soigner, etc...


     1°) Concrètement, la meilleure façon de s'abstenir de faire du mal aux animaux est de devenir végane. En réalité, un végane ne fait rien pour les animaux. Il s'abstient juste de les tuer ou des les exploiter par son mode d'alimentation et de consommation (pas de vêtement en cuir ou en laine, il n'achète pas de ticket pour une corrida ou pour le cirque s'il y a des spectacles avec des animaux). Certes, cela peut prendre un certain temps pour s'habituer à cette nouvelle habitude alimentaire : il faut apprendre de nouvelles recettes de cuisine, découvrir de nouveaux ingrédients comme le tofu, le tempeh, le seitan ou les algues. Mais une fois que c'est fait, cela ne prend pas plus de temps que de vivre sur un mode alimentaire carniste.

     Donc, je dirais à celui ou celle qui m'oppose l'argument que les humains sont plus importants que les animaux, qu'il peut au moins devenir végane. S'il n'en est pas capable, qu'il essaye de tendre vers le véganisme (avoir une alimentation de plus en plus végétale). Il minimisera ainsi son impact sur les animaux tout en consacrant son temps pour des actions humanitaires ou pour aider son aider son prochain, ses frères humains en déshérence ! N'oublions pas aussi que le véganisme n'est pas seulement profitable aux animaux. Il profite largement aux humains sur le plan de la santé, au niveau écologique et aussi au niveau humanitaire. Pour élever des animaux dont on mangera le cadavre, il faut les nourrir tout leur vie durant avec des surfaces de pâturage ainsi que des surfaces agricoles importantes qui pourraient servir à nourrir les êtres humains qui, chaque jour, meurent de faim par millier dans différents coins du monde. Cette production agricole destinée uniquement aux animaux met aussi une pression sur le prix des aliments et favorise la spéculation boursière sur la production agro-alimentaire, ce qui fragilise une partie importante de la population qui se voit contrainte de payer des prix exorbitants pour pouvoir se nourrir au jour le jour. Donc, pour ceux qui préfèrent les humains aux animaux, qu'ils se prennent bien conscience que devenir végane est aussi un acte humanitaire !

    2°) Pour ce qui est de l'action positive en faveur des animaux, il peut y avoir deux attitudes possibles :

  • a) Ceux qui disent qu'ils préfèrent s'occuper d'abord des êtres humains (préférence subjective)
  • b) Ceux qui disent qu'il faut s'occuper en priorité des êtres humains (injonction morale qui tend à s'imposer à tous).


     En ce qui concerne la première option, chacun est libre de ses préférences. Si quelqu'un estime qu'il a plus envie de manifester ou de militer en faveur des droits de l'homme, d'une cause sociale ou politique, libre à lui ! Chacun se tournera vers le combat qui lui tient le plus à cœur selon sa personnalité, son parcours de vie ou ses rencontres personnelles. Cela peut une grande cause (défendre les réfugiés, combattre la faim dans le monde, faire libérer des prisonniers politiques, manifester pour la paix...) ou des petites causes (créer des jardins publics dans la cité, créer un terrain de pétanque pour le club du troisième âge du quartier,...). Au fond, ce qui compte, c'est notre élan de solidarité et de fraternité. Et évidemment, libre à ceux qui veulent défendre les animaux et militer pour les eux de le faire également.

     La proposition b est plus gênante parce qu'elle impose de ne soucier que des êtres humains. Or c'est là faire une division qui n'a pas de sens. Lamartine disait : « On n'a pas deux cœurs, l'un pour l'homme, l'autre pour l'animal… On a du cœur ou on n'en a pas ». On voit mal une organisation humanitaire qui combattrait la torture, les viols, la cruauté contres d'autres êtres humains, et qui militerait en même temps pour la liberté de torture et de maltraiter des animaux. La disposition à la bienveillance ne s'arrête pas aux limites de l'espèce humaines. Un enfant qui fera preuve d'empathie envers un chat ou un lapin fera aussi preuve d'empathie envers d'autres êtres humains. Comme je l'ai dit plus, manger de la viande n'est pas seulement négatif pour les animaux, mais aussi pour les êtres humains. Il n'y a donc pas de sens à incriminer les organisations de libération animale sous prétexte qu'elles ne viennent pas directement en aide à d'autres êtres humains.

      Comme le dit Matthieu Ricard avec beaucoup de finesse et de justesse dans son Plaidoyer pour les Animaux : « Ce livre a pour but de mettre en évidence les raisons et l'impératif moral d'étendre l'altruisme à tous les êtres sensibles, sans limitation d'ordre quantitatif ni qualitatif. Nul doute qu'il y a tant de souffrances parmi les êtres humains de par le monde que l'on pourrait passer une vie entière à n'en soulager qu'une partie infime. Toutefois, se préoccuper du sort de quelque 1,6 million d'autres espèces qui peuplent la planète n'est ni irréaliste, ni déplacé, car, la plupart du temps, il n'est pas nécessaire de choisir entre le bien-être des humains et celui des animaux. Nous vivons dans un monde essentiellement interdépendant, où le sort de chaque être, quel qu'il soit, est intimement lié à celui des autres. Il ne s'agit donc pas de ne s'occuper que des animaux, mais de s'occuper aussi des animaux 1 ».

      Dans la plupart des cas, le souci pour les humains n'est pas antagoniste du souci pour les animaux. Défendre l'un ne nuira pas à l'autre. On pourrait trouver cependant certaines expériences de pensée où il faut prendre parti pour l'un pour l'autre : supposez que vous marchiez le long d'une rivière et que vous vous voyiez un homme et un chien en train de se noyer. Vous ne pouvez sauver qu'un seul des deux. Lequel allez-vous sauver ? L'homme ou le chien ? À part quelques misanthropes qui choisiront le chien, la grande majorité des humains s'accorderont pour dire qu'il faut sauver en priorité l'humain. Cela ne contredit pas l'antispécisme qui affirme le fait que l'idée d'une égalité de considération des intérêts ne signifie pas pour autant que toutes les vies se valent pour autant. Concrètement, cela signifie que l'on doit être sensible à la souffrance de tous les êtres qui sont capables d'éprouver la souffrance, tant les hommes que les chiens. Pour autant, il est fort possible que la vie d'un humain aient plus de valeur que celle d'un chien. Dans cette expérience de pensée, je sauverai sans hésiter l'humain. Mais admettons tout de même que cette expérience de pensée se rencontre rarement dans la vie réelle. Je parie que la plupart de mes lecteurs n'ont jamais été confrontés à ce dilemme éthique de devoir choisir entre la vie d'un humain et d'un animal.

      On pourrait me rétorquer qu'il faut consacrer son temps à sauver ou améliorer des vies humaines plutôt qu’œuvrer en faveur des animaux.Mais comme le disent la philosophe Florence Burgat et le juriste Jean-Pierre Marguénaud dans une tribune parue dans le Monde du 15 juillet 2010 2 : « A ceux qui considèrent que les avancées législatives en matière de protection des animaux, et plus encore l'idée de leur reconnaître des droits, comme une insulte à la misère humaine, il faut répondre que la misère humaine résulte de l'exploitation ou de l'indifférence à la souffrance des plus faibles et que c'est au contraire l'insulter, sinon la légitimer, que de prôner l'indifférence farouche à l'égard de la souffrance d'autres êtres plus faibles encore et qui ne peuvent jamais consentir. Il faut leur répondre que, dans la mesure où il ne suffit pas de rester indifférent à la souffrance des animaux pour soulager la misère humaine, la protection des animaux et celle des plus faibles des hommes relève du même et noble combat du Droit pour aider ceux à qui il peut être fait du mal, beaucoup de mal ».

       Effectivement : 1°) l'idée de se concentrer uniquement sur les misères endurées par les êtres humains est très loin d'avoir porté ces fruits jusqu'à présent, 2°) la dynamique qui nous pousse à vouloir aider un autre être humain est la même que celle qui nous pousse à soulager les souffrances des animaux. Donc vouloir couper notre compassion et notre volonté d'aider des animaux au prétexte qu'il y a mieux à faire risque en fait d'affaiblir notre compassion et notre volonté d'aider les êtres humains.

      Enfin, l'argument, je le répète, est souvent de mauvaise foi. On ne reproche pas aux amateurs de football de ne pas se soucier des souffrances endurées par leurs congénères humains. Il est vrai pourtant que les supporters d'un club de football passent beaucoup de temps à soutenir leur équipe favorite dans les stades, à se déplacer jusqu'à l'autre bout du pays pour aller encourager leur équipe en déplacement dans le stade d'une équipe adverse. Ils passent aussi beaucoup de temps à parler de l'état de leur équipe de cœur, des transferts de joueurs, de l'arbitre qui est un vendu parce qu'il n'a pas sifflé un penalty en faveur de son équipe, et ainsi de suite (pendant des heures).... Et tout ce temps n'est pas consacré à réfléchir et à agir pour remédier aux tourments qui frappent l'humanité. Et on pourrait en dire autant des collectionneurs de timbre, des amateurs de billard ou de jazz, des émissions de divertissement et de télé-réalité qui passent à longueur de temps à la télévision.... Pourquoi reprocher dès lors à ceux qui défendent la cause animale de passer du temps à cela ?

      Mais toujours est-il que l'on peut certainement dire à ceux qui ne veulent pas du tout aider les animaux et qui veulent se consacrer intégralement à l'humanitaire qu'ils peuvent au moins faire le choix d'arrêter de faire massacrer inutilement les animaux par un simple choix alimentaire, le véganisme. Cela soulagera énormément de souffrances animales et humaines sans que cela n'enlève un temps précieux pour les engagements en faveur de telle ou telle cause.





1Matthieu Ricard, « Plaidoyer pour les animaux », éd. Allary, Paris, 2014, p. 13.


2Florence Burgat et Jean-Pierre Marguénaud, « Les animaux ont-ils des droits ? », Le Monde, 15-7-2010 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/15/les-animaux-ont-ils-des-droits_1387965_3232.html

















Voir les textes qui abordent les autres mauvaises justifications :

1ère justification : les humains sont plus intelligents que les animaux.

2ème justification : les animaux ne ressentent pas la douleur.

- 3ème justification : la conscience des plantes.

 5ème justification : Hitler était végétarien (sic!).







Vincent Bozzolan - Marche contre les abattoirs - Paris, juin 2016.









Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.




Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici




Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.