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dimanche 12 juillet 2015

L'anniversaire du dalaï-lama


   Hier, je suis tombé par l'entremise des réseaux sociaux sur un site conspirationniste qui montrait une photo du dalaï-lama en train de fêter son 80ème anniversaire avec l'ex-président des États-Unis George W. Bush. Sur la photo, on le voit en train de rire en sa compagnie. La preuve selon le site conspirationniste que le dalaï-lama s'est bel et bien rangé dans le nouvel ordre mondial, qu'il a supporté la guerre en Irak et qu'il est depuis toujours un agent de la CIA.



   J'ai pensé qu'il est peut-être d'essayer de remettre les pendules à l'heure et de faire la part des choses, même s'il est très vraisemblablement d'arrêter les délires paranoïaques de ce genre de sites !


   Une petite remarque préalable avant de commencer : il m'apparaît important de dire d'où je parle. Mon point de vue n'est évidemment pas neutre dans cette affaire, et il est important de le reconnaître pour ce qu'il est.
  • Je suis donc philosophiquement bouddhiste.
  • Mais je ne suis affilié à aucune branche du bouddhisme en particulier, ni à une école du Chan/Zen, ni à un monastère theravâdin, ni à aucune des 4 écoles du bouddhisme tibétain.
  • Je ne suis donc pas un adepte du dalaï-lama. C'est un homme envers qui j'ai beaucoup de respect, notamment pour sa détermination qui s'est prolongée dans le temps de trouver un règlement pacifique avec les Chinois de la question tibétaine. Très respectable est sa volonté de ne jamais cultiver la haine envers les Chinois. Mais pour autant je ne vénère pas le dalaï-lama. Ce n'est pas un « pape acceptable » à mes yeux (pour reprendre l'expression d'Antonin Artaud). Il est un ancien chef politique du Tibet féodal et il est toujours un chef important au sein d'une des 4 grandes écoles du bouddhisme tibétain (les Guélougpas). C'est tout.
  • Le système des lamas réincarnés a à mes yeux amené un système politique très contestable au Tibet. Par ailleurs, ce système imbrique de manière très étroite le pouvoir politique avec le pouvoir spirituel. Ce faisant, les lamas étaient plus préoccupés d'étendre leur domination et leur prestige dans le Tibet ancien que de progresser humblement dans la Voie du Bouddha et de venir en aide aux gens du peuple qui souffraient. En tant que représentant et symbole de ce système, je ne peux pas cautionner le dalaï-lama, même si humainement j'ai du respect pour lui.
  • Politiquement, je suis plutôt de gauche et je n'ai donc aucune sympathie envers le parti républicain américain de George W Bush. En 2003, j'étais massivement contre l'invasion états-unienne en Irak.




     Donc la question est : est-ce un problème si le dalaï-lama partage un moment avec l'ex-président des États-Unis ? Est-ce une façon de soutenir politiquement le néo-conservatisme impérialiste américain ? Il me semble vraiment que non. Le dalaï-lama est un chef religieux important au même titre que le pape François. A ce titre, il est régulièrement amené à rencontrer des chefs d’État et des responsables politiques de tous bords afin de faire avancer la cause tibétaine, des gens de gauche, des gens de droite, des conservateurs et des progressistes,etc... La semaine passée, le dalaï-lama a certes rencontré George Bush, mais il avait aussi rencontré l'actuel président démocrate Barack Obama plus tôt dans l'année1. Le fait de rencontrer un homme politique n'est donc pas le signe d'une allégeance envers lui.

   Un article intéressant du Daily Mail2 mentionne une interview du dalaï-lama datant de 2012 où celui-ci explique au journaliste Piers Morgan (sur CNN) :
« - J'aime le président Bush
- Vraiment ?
- Oui, vraiment. En tant qu'être humain. Pas en tant que président. Sa politique n'a parfois pas été une grande réussite. Mais en tant que personne, en tant qu'être humain, je pense que c'est quelqu'un de bien. Je l'aime.
Après sa gestion de la crise en Irak, je lui ai dit : « Je vous aime, mais en ce qui concerne votre politique, j'ai quelques réserves ».

     Je trouve ce témoignage intéressant. Car il témoigne de la bienveillance universelle dont on doit faire preuve sur le chemin du Bouddha. Il faut aimer les gens quand bien même ces gens commettent des actes regrettables. Il faut alors distinguer l'acte de la personne. Condamner l'acte, mais ne pas haïr la personne pour autant. « Hate the sin, but don't hate the sinner » dit le proverbe anglais (Hais le péché, mais ne hais pas le péchéur).

    Cela me touche parce qu'en 2003, j'ai manifesté contre la guerre en Irak. A ce moment, je sentais une énorme tension quand je méditais. Je me mettais en posture de méditation mais la colère, le ressentiment et un grand sentiment de révolte à l'encontre de la politique américaine de Bush m'envahissait systématiquement au point de rendre ma méditation impossible. Je me suis dit : « Me voilà, dommage collatéral de George Bush ! Il a dévasté ma méditation ! ». C'est certes moins grave que de recevoir un tapis de bombes sur la tête. Mais je sentais bien que je me détournais complètement du chemin du Bouddha ; et le monde n'avait pas besoin de plus de colère et de plus de ressentiment. Il y en a déjà largement assez présentement !

     Je me suis alors dit qu'il fallait se détacher de la politique quand j'entrais en méditation. « Quand je médite, il n'y a plus de George Bush, plus d'Oussama Ben Laden, plus de Saddam Hussein, plus d'Ariel Sharon. Il n'y a que des êtres humains, que des êtres sensibles, et je dois cultiver l'amour bienveillant envers tous.
    Quand je médite, je ne dois plus cultiver de partialité envers tel ou tel camp, les Américains, les Irakiens, les islamistes, les sionistes, etc... Il faut cultiver un amour bienveillant entièrement détaché d'un camp ou d'un autre. Sinon, il y aura toujours la rancœur, la malveillance et le sentiment de vouloir toujours une revanche. Rien ne progressera ».

      Voilà ce que je me disais en méditation et cela m'a aidé à lâcher-prise et de retrouver une certaine sérénité en méditation. Bien sûr, quand je retournais manifester contre la guerre en Irak, j'étais contre la politique catastrophique de Bush basée sur un mensonge et qui n'a rien fait d'autre qu'amener le chaos en Irak et dans les pays avoisinants. Mais l'engagement politique est une chose faite de luttes et de combats, la spiritualité en est une autre, faite d'apaisement et de recherche de l'harmonie. Si on se bat pour un monde plus juste, un monde meilleur, il faut bien se rendre compte de cette dialectique : le militant très politisé devra tôt ou tard abandonner ses haines et ses rancœurs s'il veut faire avancer sa cause. Comment faire un monde plus en paix si on nourrit sans cesse la haine ?

    Le Bouddha l'a dit :
« En vérité,
La haine ne s'apaise jamais par la haine.
La haine s'apaise par l'amour.
Ceci est une vérité éternelle ».
(Dhammapada, I, 5)

     Cette image du dalaï-lama riant de bon cœur avec George Bush ne me choque donc pas. Le dalaï-lama rit de bon cœur avec toutes sortes de gens. Le fait est connu. Et on ne gagne rien à alimenter sans cesse la haine et la rancœur. Cela ne fait pas du dalaï-lama un partisan des Républicains américains ou un supporter de l'impérialisme américain ou du « nouvel ordre mondial » pour reprendre une expression très apprécié des complotistes.

     Cela ne fait pas non plus du dalaï-lama un agent de la CIA ! On sait que la CIA a soutenu les Tibétains dans les années '60. Est-ce vraiment si étonnant ? La guerre froide battait son plein et le monde était divisé en deux : d'un côté, le bloc de l'Ouest, capitaliste, de l'autre le bloc de l'Est, communiste. Tout ce qui pouvait affaiblir le bloc ennemi communiste était bon à prendre : soutenir les Tibétains fidèles au dalaï-lama était un moyen pour Washington de mettre des bâtons dans les roues de la République Populaire de Mao Zedong. Inversement, les communistes ont soutenu les Nord-Vietnamiens pour que les USA s'enlise au Vietnam et perde de sa splendeur. Il est probable que certaines agences américaines soutiennent les revendications démocratiques du dalaï-lama, pas par amour de la démocratie et des droits de l'homme (amour très relatif des Américains, puisqu'ils ont massivement soutenu le Chili d'Augusto Pinochet en 1973), mais dans une logique du soft power et de la concurrence politique et économique qui bat son plein entre les Etats-Unis et la Chine. Il est bon d'être vigilant à ce jeux de pouvoir pour bien comprendre les enjeux diplomatiques et géopolitiques au niveau mondial, mais il n'est pas bon de sombrer dans la paranoïa et le complotisme.







Seraing, le 12 juillet 2015




















2Mia de Graaf, Daily Mail, « Dalai Lama reviews his portrait by George W Bush during visit to Texas », 1er juillet 2015.   


George Bush présente une de ses croûtes peintures du dalaï-lama à l'intéressé. :-)










Voir aussi l'article "La haine ne s'apaise jamais par la haine" (à propos des attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper-Casher à Paris en janiver 2015).

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.



3 commentaires:

  1. Voilà encore un article de + venant de toi qui fait résonance en moi...

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  2. Merci. Je ne sais pas quoi dire ! :-)

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    1. Merci à toi , c'est moi qui n'ai en fait rien à dire et , sans doute ferais - je bien de me taire ,de passer par de là tes pages, prendre en silence tout ce que tu nous, tu m'offres de par tes écrits, tes partages de par ton regard sur le monde.... Je viens de lire l'article sur le "génocide des animaux" la encore rien à dire tant je suis en accord et qu'il est bon de le dire, de redire parce que peut-être bien que certaine personnes n'ont pas totalement conscience même si.... de ce qui se passe dans un abattoir etc etc... Chuuuut, la je me tais .Excellente journée et au plaisir.

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