Plus
de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde.
Tendzin
Gyatso, le XIVème dalaï-lama
Mahathat, Sukhothai, Thaïlande – Marc Schlossman, série "The Golden Lands" |
Dans
le billet
précédent, je me demandai s'il valait mieux être pacifique ou
pacifiste. J'expliquais que je cherchais à être pacifique tant dans
mon approche des relations individuelles que dans le domaine de la
politique et de la géopolitique. Pour moi, la paix est une quelque
chose que l'on doit cultiver dans la vie de tous les jours. Et en ce
sens cet aphorisme du dalaï-lama m'a toujours parlé : « Plus
de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ».
Je
suis vraiment convaincu de cela. On peut manifester pour la paix,
crier son dégoût des gouvernements qui mènent des guerres dans le
monde entier. Bien sûr, il faut poser ce genre d'actes citoyens,
dénoncer la guerre, mais en même temps, il y a souvent quelque
chose de très dogmatique et d'agressif dans cette attitude : on
est plein de haine et de colère à l'encontre de ces puissants, de
ces militaires qui font la guerre, on est soi-même dans une attitude
combative pour dire que les combats doivent cesser. Et parfois on
occulte la complexité de la situation.
Je
pense qu'il faut prendre un temps pour réévaluer la situation et
apaiser son esprit. S'il y a des guerres dans le monde, c'est à la
base parce que toutes sortes de citoyens ont des pensées de haine,
de colère, de ressentiment, de violence, de vengeance. Et ces
pensées négatives se traduisent en paroles vindicatives, en
discours qui prônent la discorde et la division. Et quand toutes ces
pensées, ces émotions, ces propos haineux prennent de l'ampleur,
ils finissent par submerger la paix civile et cela déclenche un
conflit, des affrontements, des violences, des guerres. Comprenant
que l'origine de la guerre se trouve toujours dans des pensées de
haine et de colère, on se dit qu'il est primordial d'agir sur son
propre esprit. Il faut désamorcer en nous toutes ces pensées de
haine et de colère. D'abord en prêtant attention à nos pensées et
nos émotions dans la conscience pendant la méditation.
Chaque
fois que se manifeste un mouvement du mental qui porte en lui de la
colère, de l'irritation, de l'énervement, de l'aversion, de la
malveillance, il faut y prêter attention, l'observer de manière
vigilante. L'idée est de laisser ces pensées apparaître dans le
champ de la conscience, mais aussi se dissiper. Comme le ciel qui
laisse les nuages noirs et orageux se dessiner à l'horizon et qui
les laisse s'évanouir d'eux-mêmes dans l'immensité.
Mais
l'attention est aussi utile en ce qu'elle permet de savoir que la
colère et la haine sont là en nous sous une forme ou une autre.
Combien de gens ne disent pas alors qu'ils piquent une crise de
nerf : « Mais non, je ne suis pas en colère ! Arrête
de dire que je suis en colère ! ». L'attention permet de
comprendre le mécanisme de la haine, du ressentiment et de la
malveillance et éventuellement bloquer cette colère avant que ne
rentre de plein pied dans la sphère de l'action. C'est un peu comme
comme un garde vigilant et alerte, posté à la porte de la ville,
qui repérerait des intrus voulant s'introduire par le portail et
qu'il bloquerait fermement avant qu'ils ne rentrent. Cela ne fait pas
disparaître ces intrus malveillants, mais au moins cela les empêche
dans un premier temps d'agir et de créer des dégâts dans
l'immédiat. Ensuite, une fois que la méditation rentre dans la
vision pénétrante, alors l'esprit voit l'illusion de ces
pensées comme le ciel ne croit pas que les nuages soient des choses
solides et l'esprit les laisse se dissiper d'elles-mêmes.
Le
Bouddha indique aussi cinq moyens de vaincre la colère et
l'irritation. Ils mentionnent par ordre de puissance, mais cet ordre
de puissance correspond aussi à un ordre de difficulté. La première
méthode est ainsi la plus puissante pour dissiper la haine et le
ressentiment dans le monde, mais c'est aussi celle qui requiert la
plus grande force d'âme. Le premier de ces moyens est maitri,
souhaiter que tous les êtres soient heureux et connaissent les
causes du bonheur, en ce compris celui ou ceux qui nous irritent ou
mettent en colère. Cela peut sembler contre-nature de se mettre à
aimer celui qui nous fait du mal ou qui nous blesse. On a tellement
envie de le détester ! Mais la bienveillance est la force la
plus puissante pour vaincre toute cette malveillance qui court à
travers le monde et se répand dans tous les cœurs.
L'amour
bienveillant implique de souhaiter le bonheur des autres mais aussi
« les causes du bonheur », parce que l'intérêt est que
ce soit un bonheur durable, et pour cela, il faut des causes et des
conditions qui entretiennent ce bonheur et le renouvelle de jours en
jours, d'années en années. Il ne faut pas que ce soit un bonheur
qui arrive un peu par hasard comme quand on décroche le gros lot à
la loterie et qui reparte aussitôt, nous laissant seuls, malheureux
et désemparé. Le bonheur procède donc de causes et de conditions
selon la loi du karma. Notre bonheur présent provient ainsi des
actions passées qui ont apporté dans cette vie-ci ou dans une vie
antérieure du bien-être à soi-même et aux autres. Le bonheur
futur dépendra de nos actes que nous accomplissons dans le présent.
Éprouver de l'amour bienveillant à l'égard de quelqu'un, c'est
donc souhaiter qu'il accomplisse des actes bons et généreux, qu'il
apaise son esprit et qu'il trouve la sagesse, car tout cela va lui
permettre de conforter un bonheur véritable et durable.
Mais
peut-être n'avons-nous pas la force spirituelle de souhaiter du
bonheur à nos ennemis ! Alors le Bouddha nous recommande
d'éprouver de la compassion à leur égard. La compassion se définit
dans le bouddhisme comme le souhait ardent que les êtres soient
entièrement soulagés de la souffrance et des causes de la
souffrance. Si on n'est pas capable de souhaiter le bonheur pour ceux
qui nous ont nui et fait du mal, qu'on souhaite au moins qu'ils ne
souffrent pas !
Il
arrive souvent que la souffrance nous rende mauvais et amer contre
l'existence. Celui qui a subi des torts, celui qui a été humilié
et vaincu veut se venger et causer des torts à celui qui a causé
cela. C'est le point de départ d'un cycle infernal de violence
comme, par exemple, entre Israël et la Palestine, une guerre qui
n'en finit et qui s'alimente de la rancœur mutuelle accumulée
depuis des décennies. Les uns évoqueront les attentats terroristes
et les menaces émanant des autres pays musulmans, les autres
évoqueront les territoires perdus, les destructions comme mesure de
rétorsion au terrorisme, les attentes interminables aux checkpoints.
Et à chaque nouvelle agression d'un camp ou d'une autre, la haine et
le ressentiment reprennent leur ronde infernale et s'intensifie.
Peut-être que les Israéliens ne peuvent souhaiter le bonheur des
Palestiniens et les Palestiniens le bonheur des Israéliens, c'est
peut-être trop leur demander, c'est peut-être une trop grande
sainteté à porter. Mais peut-être peuvent-ils souhaiter que les
uns et les autres cessent d'éprouver la souffrance, la peur et le
désespoir. Ce serait alors un point de départ pour comprendre les
souffrances de l'autre, de comprendre le point de vue de l'autre et
faire preuve d'empathie de manière réciproque. Enfin entamer
progressivement un réel processus de paix qui en passerait par les
gouvernements ou les institutions de l'ONU, mais qui naîtrait des
peuples.
Mais
peut-être est-ce encore trop demander.... Vouloir le bonheur et les
causes du bonheur ou vouloir que cesse la souffrance et les causes de
la souffrance, cela peut paraître deux volontés trop proches l'une
de l'autre. Et c'est effectivement les deux faces d'une même pièce,
une pièce trop chère à débourser pour celui qui est empli de
ressentiment à l'encontre de ses ennemis. Alors le Bouddha conseille
de pratiquer l'équanimité. Qu'est-ce que l'équanimité ?
C'est rester égal face au plaisir et à la souffrance, aux bonnes
choses et aux mauvaises choses ; c'est endurer patiemment les
épreuves tout en les laissant passer comme le fleuve laisse passer
l'eau. Tout est impermanent, tout s'écoule et finit par disparaître.
Cultivons le calme et l'égalité face aux réussites et aux échecs,
aux louanges et aux blâmes. Restons imperturbables face à
l'adversité.
L'équanimité
est ainsi plus facile d'accès car elle nous demande pas de souhaiter
du bonheur ou la libération de la souffrance et qu'elle nous permet
de rester en nous-mêmes, en nous contrôlant et nous apaisant pour
vivre avec plus de sérénité ce qui nous accable. L'équanimité
nous demande pas d'aller vers les autres, ce qui est très difficile
quand on est blessé par eux.
Néanmoins,
si l'équanimité est encore trop difficile et demande trop de
maîtrise de nous-mêmes et de vaincre un trop grand énervement, le
Bouddha enseigne une quatrième méthode qui est l'oubli. Faisons
comme si l'autre n'existait plus. Détournons notre regard de lui,
n'y pensons plus, chassons-le de nos pensées. Cela ne résoudra pas
le problème ; mais au moins, nous ne nous tracasserons pas en
vain, nous ne nous pourrirons plus la vie à force de ressasser notre
ressentiment à l'encontre de ceux qui nous font du mal. Que l'on
pense à tout le mal que l'on peut se faire à ressasser des idées
noires, des souhaits de vengeance et repasser en boucle dans notre
tête le film de nos humiliations, il y a sérieusement matière à
perdre beaucoup en termes de qualité de vie ! Parfois oublier
ceux qui gâchent notre vie est encore le moyen le plus simple pour
retrouver le sourire ! Ils ne valent d'ailleurs généralement
pas la peine que l'on pense à eux !
Enfin,
si l'amour bienveillant, la compassion, l'équanimité et l'oubli ne
sont pas en mesure d'apaiser notre colère et notre irritation, le
Bouddha prône une cinquième méthode qui est la méditation des
effets du karma. Celui qui blesse un être sensible ou lui crée du
tourment connaîtra des blessures et des tourments similaires dans le
futur. Tout le monde devra tôt ou tard régler ses comptes, dans
cette vie-ci ou dans une vie future. Cette cinquième méthode est
moins honorable que l'amour ou la compassion qui veulent le bien et
la fin des tourments causés par le cycle du karma, mais cela peut
apaiser efficacement le sentiment d'avoir éprouvé une injustice si
l'on sait que cette injustice ne restera pas impunie. Il vaudrait
mieux que les torts soient réparés, mais ce méditation du
processus du karma peut aussi soulager celui qui n'est pas encore
capable de bienveillance, de compassion ou d'équanimité.
Toutes
ces méthodes permettent d'apaiser la haine et les sentiments
négatifs qui peuvent envahir notre esprit. Même si nous n'avons
aucun pouvoir, le fait d'apaiser l'esprit, de cultiver une approche
non-violente et de transformer la malveillance en bienveillance peut
nous inspirer de grande chose, et surtout cela apporte une énergie
favorable dont le monde a grand besoin. Plus on cultive la paix en
nous-mêmes, plus on contribue à désamorcer les guerres partout
dans le monde. Évidemment il y a encore beaucoup de travail avant
que toutes les guerres soient éradiquées sur la surface de la
Terre, mais combien de gens ne répandent pas des messages de haines,
combien de médias n'inspirent la peur au lieu aux citoyens au lieu
de les faire réfléchir aux véritables causes des problèmes que
connaissent la société ? Il suffit de voir comment les
messages de haineet d'incitation à la violence se répandent comme
une traînée de poudre sur les réseaux sociaux après des
attentats. Il faut avoir la force morale et intellectuelle de se
détacher de cela et cultiver la bienveillance et la joie plutôt que
des idées noires et sombres de vengeance et d'affrontement.
Les
enseignements de l'école philosophique Yogācāra, une école
bouddhique du Grand Véhicule, explique que la conscience véritable
est une conscience non-duelle : la séparation entre le « moi »
et le monde est illusoire, la conscience fondamentale est une
conscience qui comprend ce moi et ce monde. Nous ne sommes donc pas
séparés dans ce monde. Même des violences éclatent au bout du
monde, on ne peut pas se dire : « je n'ai rien à voir
avec cela ». Ce faisant, dans la méditation, on peut éclairer
le monde entier de cette bienveillance, de cette compassion, de cette
joie et de cette équanimité. Comme le dit le Bouddha à maintes
reprises dans ses enseignements :
« Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant
dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans
une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au
travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il
demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant, large,
profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié.
Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée de compassion dans une
direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une
troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers,
partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure
faisant rayonner la pensée de compassion, large, profonde, sans
limite, sans haine et libérée d'inimitié.
Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée de joie dans une
direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une
troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers,
partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure
faisant rayonner la pensée de joie, large, profonde, sans limite,
sans haine et libérée d'inimitié.
Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité dans une
direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une
troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers,
partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure
faisant rayonner la pensée d'équanimité, large, profonde, sans
limite, sans haine et libérée d'inimitié ».
Il
s'agit d'apporter la lumière au monde et ne pas laisser emporter la
haine et la violence. C'est un long travail évidemment. C'est
pourquoi le bouddhisme du grand Véhicule met en avant la figure du
bodhisattva, l'être d’Éveil qui se dédie au bien des autres et
qui renaît d'existence en existence pour apporter la paix et le
bien-être à l'ensemble des êtres vivants. Il faut bien de
nombreuses vies pour accomplir l’œuvre de la paix !
En
conclusion, la dimension de la transformation personnelle est
essentielle pour travailler sur le chemin de la paix. Il y a
évidemment tout un questionnement politique : comment régler
telle ou telle guerre, tel ou tel conflit ? Que faire et comment
réagir face au terrorisme ? Mais on ne peut pas tout attendre
de la politique. La politique n'est jamais rien d'autre que la
tentative souvent maladroite d'organiser des millions, voire des
milliards d'êtres humains sur la Terre. La politique ne pourra rien
pour les hommes si les hommes et les femmes qui vivent en ce monde ne
cessent pas de cultiver des pensées haineuses et malveillantes.
C'est pourquoi il faut commencer par vous-mêmes. Certes, vous êtes
un, tout seul face à la masse incalculable des gens qui ne pensent
peut-être pas comme vous. Mais si personne ne commence, il n'y aura
jamais aucun résultat ! Et puis c'est comme une bougie qui,
toute seule, il est vrai, n'éclaire pas beaucoup, mais cette bougie
peut éclairer une autre bougie qui va à son tour va éclairer une
autre et une autre... Au final, cela fera beaucoup de lumière !
Pareillement, le fait de cultiver dans son être et dans sa vie la
bienveillance, la compassion et la sérénité feront que ces
qualités se transmettront à l'un ou l'autre qui, lui-même les
transmettra à d'autres... Cela fera une grande lumière de paix pour
le monde.
En
2003, j'ai manifesté contre la guerre en Irak menée par le
gouvernement américain de Georges Bush. Soi-disant, Georges Bush
menait cette guerre au nom des droits de l'homme. Mais quelqu'un d'un
tant soit peu averti des intérêts géostratégiques en présence
savaient que les Américains y allaient pour le pétrole. Il y avait
donc une forte opposition à l'impérialisme américain en ce
moment-là, un refus évident de la guerre qui n'a jamais engendré
rien d'autre que du chaos. Je me souviens qu'un jour que je
pratiquais la méditation peu après une manifestation gigantesque
contre cette seconde guerre du Golfe et je n'arrivais pas à apaiser
le flux de mes pensées. J'avais beau méditer, rien à faire, toutes
sortes de pensée de colère contre George Bush et Oussama Ben Laden
m'habitait. Je n'arrivais à m'en défaire. Et là, j'ai compris
qu'en méditation, je ne devais pas penser en termes d'Américains ou
d'Irakiens, d'alliés ou d'ennemis, d'axe du Mal ou d'impérialisme
capitaliste, de « faucons » ou de « colombes »,
de pacifistes ou de militaristes.... Non, je devais me débarrasser
de tous ces concepts en méditation. En méditation, George Bush
était un homme qui méritait ma compassion et ma bienveillance,
Saddam Hussein était un homme qui méritait ma compassion et ma
bienveillance, Oussama Ben Laden était un homme qui méritait ma
compassion et ma bienveillance, et tous les soldats impliqués dans
ce conflit étaient des humains qui méritaient ma compassion et ma
bienveillance, toutes les victimes de ce conflit qui survivaient ou
qui mouraient sous les bombes des uns et des autres étaient des
humains qui méritait ma compassion et ma bienveillance. En fait, je
souhaitais à tous qu'ils connaissent le bonheur et les causes du
bonheur et qu'ils soient libres de la souffrance et des causes de la
souffrance, c'est-à-dire qu'ils arrêtent cette guerre car elle
n'apportaient que de la détresse et de la souffrance.
Cela
m'a permis de me détacher de l'implication dans ce conflit et de
pratiquer plus sereinement la méditation. La politique est un
domaine où l'on défend un camp ou l'autre, une thèse ou l'autre,
un idéal ou l'autre. Mais il est bon en méditation d'abandonner
tous les concepts qui divisent les hommes et l'humanité en
différents camps ennemis. Quitte à reprendre plus tard son action
politique, mais soulagé de la rancœur tenace et d'autant plus prêt
à envisager des solutions nouvelles pour apaiser les conflits.
photographie de Horst Faas - juin1965 à Phuc Vinh, Sud-Vietnam |
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