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samedi 13 août 2016

Le silence éternel de ces espaces infinis



Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.


Blaise Pascal, Pensées.









    Hier soir, vers deux heures du matin, je suis parti avec des amis regarder les étoiles filantes dans un pré, espace ouvert au milieu de la forêt, loin des lumières encombrantes de la ville, pour contempler l'espace infini du ciel nocturne au-dessus de nos têtes. C'était l'heure où les Perséides étaient les plus nombreuses. Et sous la voûte des étoiles immobiles, l'une ou l'autre étoile filante venait silencieusement zébrer le ciel un court instant. Finalement, il n'y avait que nos exclamations « Eh, tu as vu ? Là, l'étoile filante ! » et les craquements des brindilles dans la forêt toute proche pour perturber le silence céleste.

     Couché à même le sol pour éviter un torticolis, je regardais les étoiles et je me disais que ces lumières familières sont en fait d'autres soleils situés à des milliards de milliards de milliards de kilomètres d'ici. Des distances que la lumière prend des années à franchir, voire des milliers d'années, voire des millions d'années. Ces points lumineux dans le ciel sont en fait des masses colossales de feu en fusion autour desquelles tournent d'autres planètes, d'autres astéroïdes, d'autres comètes dont la poussière de leur queue produit des étoiles filantes sur une planète lointaine doté d'une atmosphère comme la nôtre. J'eus un court moment la sensation très forte d'être non pas sur la Terre, mais accrochée à elle par le pouvoir de la gravitation. Et si la Terre avait décidé de relâcher son emprise sur mon corps, je serais tombé dans cette nuit obscure et infinie vers ces autres astres de la voûte céleste. Une chute de plusieurs milliers d'années avant de rencontrer un autre système de soleil et de planètes. On peut se sentir seul à la surface de la Terre, mais quelle est la solitude de celui qui s'est perdu dans l'espace intersidéral ?

     Au fond, c'est cette conscience de l'infini qui a inspiré à Pascal la citation que j'ai mis en exergue de ce texte. Dans l'Antiquité, on se figurait l'espace comme un monde clos où les étoiles étaient un peu comme le décor, accrochées à la sphère céleste, limite infranchissable de ce monde. Et pour les Anciens, tout était ordonné à l'intérieur de ce cosmos. Cosmos en grec désigne d'ailleurs l'ordre, la régularité. Les Anciens croyaient fermement en l'harmonie de la sphère céleste. Bien sûr, les planètes décrivent des trajectoires étranges dans ce monde ordonné, « planète » signifie en grec « errant ». Mais les planètes étaient elles-mêmes poussés par les dieux, le Soleil par le chariot d'Hélios. Plus tard, le christianisme a remplacé les dieux par des anges, mais n'ont pas changé cette vision d'un cosmos ordonné qui fait sens, même l'intention des dieux ou des anges reste parfois encore bien mystérieuse.




S. Vetter, Perséides, 2010 - temple du Donon, Vosges. 





       Au XVIème et au XVIIème siècle, cette belle harmonie des sphères est complètement renversée par les découvertes de Copernic qui met le soleil au centre du système solaire, par la réflexion de Giordano Bruno qui conçoit une univers infini et qui brûlera sur le bûcher de l'Inquisition pour cette hérésie, par Galilée qui invente le télescope et qui a l'idée de projeter l'image du soleil sur un mur, de telle sorte qu'il puisse voir qu'il y a des taches à la surface du Soleil, ce qui va impliquer qu'on doive dès lors abandonner l'idée de la perfection de l'astre solaire. Kepler réalise que l'orbite de la Terre autour du soleil n'est pas un cercle (forme parfaite pour Platon et l'Antiquité grecque), mais une ellipse. Newton établit que c'est une force qui fait tourner les corps célestes les uns autour des autres, et non une quelconque action des dieux ou des anges.

    Plus tard, Emmanuel Kant aura l'intuition de ce qu'il appelle des « univers-îles » semblables à notre Voie Lactée et qui peupleraient telle des archipels lumineuses l'immensité de l'Univers : « « L'analogie avec le système d'étoiles dans lequel nous nous trouvons, leur forme qui est précisément comme elle doit être selon notre conception, la faiblesse de la lumière nous oblige à supposer une distance infinie, tout concorde pour que nous considérions ces figures elliptiques comme de tels ordres de mondes et, pour ainsi dire comme des Voies Lactées dont nous venons de développer la constitution ; et, si ces présomptions, dans lesquelles l'analogie et l'observation concourent parfaitement à se soutenir mutuellement, ont autant de dignité que des preuves formelles, on devra tenir pour établie la certitude de ces systèmes 1  ». Edwin Hubble (qui a donné son nom au satellite) confirmera cette thèse des galaxies extérieures à notre Voie Lactée. En 1924, il établit que certaines nébuleuses n'appartiennent pas à notre galaxie.

        La formule de Pascal « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie »exprime donc la peur qui naît de cette perte de sens et de cette sensation déroutante d'être perdu dans ce grand univers froid et sans vie. Pourtant, la contemplation du ciel reste finalement quelque chose de très apaisant, même si aucun sens ne se détache de la position des étoiles ou des constellations entre elles. Le silence de ce ciel nocturne m'a apaisé hier soir, beaucoup plus qu'entendre les bruits de la forêt, brindilles qui craquent, signe d'une présence obscure et peut-être menaçante, même si ce n'était probablement que des faons, des chevreuils, des renards ou des sangliers qui nous observaient intrigués et qui se demandaient pourquoi ces animaux humains étaient couchés là, à regarder là-haut, vers les nuages et les nuées d'étoiles.





1 Emmanuel Kant, Histoire générale de la nature et théorie du ciel, Paris, 1984, pp. 95-96.





Camille Flammarion,  L'Atmosphère : Météorologie Populaire, París, 1888





Voir aussi : 

Galilée : l'Univers est écrit en langage mathématique







Radmilje près de Stolar, sud de Sarajevo, Bosnie-Herzegovine






À propos de Blaise Pascal :






Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.











4 commentaires:

  1. C'est amusant, hier soir, j'ai pris un temps aussi pour contempler la voûte déleste mais la lumière reflétée par la lune était assez vive ce qui masquait pas mal d'étoiles mais quel apaisement, quelle joie même, c'est tellement fascinant et je dirais même salvateur de se sentir trois fois rien au milieu de cette vastitude. J'en avais fait un poème d'ailleurs. Je me souviens que j'éprouvais déjà un impression de cet ordre quand j'étais petit (vers 8 ans à peu près) quand j'étais dans mon lit et imaginer l'univers infini (je m'intéressais un peu à l'astronomie, je l'observais aussi) et je me demandais ce qu'était tout ça (en quelque sorte le fameux "pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien"). Il parait que les astronautes qui observent la Terre depuis l'espace en garde un quelque chose de "mystique" (je ne sais plus trop comment c'est qualifié par eux-mêmes, je mets "mystique" mais ça pourrait être "transcendant" ou autre chose). En tous cas, l'observation du ciel même sans le connaître vraiment (mais en ayant malgré tout quelques notions d'échelle) permet, en tous cas "me" permet, une certaine mise à distance de soi et du monde. Merci.

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  2. Désolé pour les erreurs d'orthographe qui se sont glissées dans mon texte : "une impression" et "imaginais" bien sûr.

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  3. Oui, j'imagine que voir la Terre dans sa globalité, ce gigantesque écosystème doit avoir quelque chose de profondément mystique ou de transcendant. Quant à l'idée, de relativiser ses problèmes en regardant les étoiles, c'était déjà un exercice spirituel pratiqué par les philosophes de l'Antiquité. Adopter le point de vue de Sirius....
    *Ah tiens, une idée pour un prochain article ! :-)

    Bonne journée !
    Frédéric

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  4. J'ai retrouvé un article sur lequel j'étais tombé au sujet notamment du sentiment que retirent les astronautes d'avoir surplombé la Terre : http://rue89.nouvelobs.com/2015/12/06/voir-terre-depuis-lespace-devenir-mystique-ecolo-sage-262078

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