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mardi 13 décembre 2016

Les choses, les êtres, les ancêtres




Le Souffle des Ancêtres

(Birago Diop)

Écoute plus souvent
Les choses que les êtres,
La voix du feu s'entend
Entends la voix de l'eau
Écoute dans le vent
Le buisson en sanglot :
C'est le souffle des ancêtres.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire
Et dans l'ombre qui s'épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l'arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l'eau qui coule,
Ils sont dans l'eau qui dort,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts.


Écoute plus souvent
Les choses que les êtres
La voix du feu s’entend,
Entends la voix de l’eau.
Écoute dans le vent
Le buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le sein de la femme,
Ils sont dans l’enfant qui vagit
Et dans le tison qui s’enflamme.
Les morts ne sont pas sous la terre :
Ils sont dans le feu qui s’éteint,
Ils sont dans les herbes qui pleurent,
Ils sont dans le rocher qui geint,
Ils sont dans la forêt, ils sont dans la demeure,
Les morts ne sont pas morts.

Écoute plus souvent
Les choses que les êtres
La voix du feu s’entend,
Entends la voix de l’eau.
Écoute dans le vent
Le buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.

Il redit chaque jour le pacte,
Le grand pacte qui lie,
Qui lie à la loi notre sort,
Aux actes des souffles plus forts
Le sort de nos morts qui ne sont pas morts,
Le lourd pacte qui nous lie à la vie.
La lourde loi qui nous lie aux actes
Des souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du fleuve,
Des souffles qui se meuvent
Dans le rocher qui geint et dans l’herbe qui pleure.
Des souffles qui demeurent
Dans l’ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans l’arbre qui frémit, dans le bois qui gémit
Et dans l’eau qui coule et dans l’eau qui dort,
Des souffles plus forts qui ont pris
Le souffle des morts qui ne sont pas morts,
Des morts qui ne sont pas partis,
Des morts qui ne sont plus sous la Terre.

Écoute plus souvent
Les choses que les êtres
La voix du feu s’entend,
Entends la voix de l’eau.
Écoute dans le vent
Le buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.


Birago Diop (Sénégal, 1906-1986), Leurres et lueurs, éditions Présence Africaine, 1960




Birago Diop






      Voilà un poème qui chante le culte des ancêtres. Le culte des ancêtres est très présent en Afrique, mais aussi en Asie. Cela revient souvent dans les enseignements du maître bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh. Mais j'avoue que ce culte des ancêtres m'est assez étranger. Pourtant, je ne suis pas étranger à la poésie de ces lignes. Notre existence toute entière trouve ses racines dans le passé ; et ce passé prolonge ces racines dans un passé encore plus lointain. Quand le poète Birago Diop demande d'écouter la silencieuse mélopée des choses plutôt que le bavardage des gens autour de soi, cela fait sens pour moi. Tout ce qui se produit devant nous, toutes les choses que nous rencontrons sur notre chemin est ce qu'elle est parce qu'un long enchaînement de causes et de conditions a produit cette chose telle qu'elle est dans l'instant présent. Le passé n'est plus, mais il est la cause de ce qui est aujourd'hui. Le clapotis de la rivière, la litanie du vent, le bruissement du buisson et de la Nature toute entière, cela fait écho à toutes sortes d'événements importants ou minuscules qui ont conditionné le présent. Et les actes que ceux qui sont venus avant nous ont aussi leur importance évidemment. Ce sont eux, les Anciens, qui ont contribué à façonner notre monde. Et ce monde est ce qu'il est en raison de leurs actions et de ce qu'ils entrepris pour construire ce monde.

       L'explication bouddhiste fait intervenir les renaissances : on a vécu toute une série de vies humaines ou animales tout au long des âges. Et notre existence présente est conditionnée par les actes que nous avons posés dans ces vies. Le culte des ancêtres se borne à prendre en compte la lignée familiale. Je ne sais pas si c'est absolument cohérent, car notre destin ne peut-il pas bifurquer ? Si vos ancêtres ont été fermiers, ne pouvez-vous pas être ouvrier ou commerçant ou juge ? Si vos parents étaient chrétiens, animistes ou musulmans, ne pouvez-pas devenir bouddhiste ou vice-versa ? Faut-il se laisser enfermer par le destin de nos ancêtres qui, certes, continue à produire ces échos ici et là dans ces monts et vallées que sont nos vies, mais qui, pourtant, n'a pas de raison de déterminer entièrement nos vies, si ce n'est pour les raisons souvent contestables de la coutume et de la tradition ?


      Je pense aussi que ce moment présent, ce monde qui s'offre à nous présentement est le résultat de tous les actes posés par toutes les Ancêtres, toutes les lignées d'hommes et de femmes qui se mêlent et se démêlent constamment dans cette grande trame qu'on appelle l'humanité, et au-delà même de l'humanité, l'immense communauté des êtres doués de conscience et des êtres vivants. Et toutes ces consciences passées, toutes ces vies de jadis continuent à résonner dans nos vies individuelles et collectives. Comme le dit Birago Diop, les morts « sont dans la case, ils sont dans la foule. Les morts ne sont pas morts ». On peut sentir leur présence si l'on veut bien abandonner le bavardage pour adopter une attitude plus contemplative. 





















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.




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Parc d'Amboseli au Kenya







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