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samedi 24 juillet 2021

Abattage rituel et abattage laïc


Je viens de tomber sur un tweet daté du 21 juillet du grand twittosophe, Raphaël Enthoven.






Il se base sur une caricature de Coco Boer publiée dans Libération, et qui évoque dans le même dessin abandon des animaux en été et moutons sacrifiés pour la fête musulmane de l'Aïd. Certains internautes, à tort ou à raison, ont jugé que cette caricature était islamophobe et raciste, et l'ont fait savoir assez agressivement. Personnellement, je n'ai pas l'impression que c'est si islamophobe que çà, le gros problème de cette caricature est surtout, à mon humble avis, qu'elle n'est pas drôle du tout.








Mais voilà, arrive Raphaël Enthoven qui voudrait que les véganes défendent cette caricature au nom de la liberté d'expression, en opérant du coup un déshonneur par association : les véganes seraient dans la même situation que les féministes vis-à-vis de Mila. Et le message implicite est : les véganes sont d'ignobles islamogauchistes qui préfèrent abdiquer leur cause dès lors qu'ils seraient confrontés à des musulmans, tout comme les féministes et mouvances LGBT+ ont abandonné Mila face à la déferlante de haine qui a frappé l'adolescente, parce que cette dernière aurait tenu un discours « islamophobe » (ce qui n'est pas le cas : on a parfaitement le droit de critiquer les religions en France, même vulgairement).


Tout cela est bien entendu faux. Tout d'abord, les abattages rituels sont fermement condamnés et dénoncés pour la douleur causées aux animaux par des associations animales, je pense à la fondation Brigitte Bardot en France ou par Gaia en Belgique (voir ici par exemple). Rappelons que les abattages rituels dans la religion musulmane, mais aussi dans la religion juive se font sans étourdir les animaux au préalable. Ce qui augmente la douleur et la cruauté de l'abattage pour les animaux.


Néanmoins, il est vrai aussi qu'un certain nombre de véganes (dont moi) sont réticents à pointer du doigt trop ostensiblement la communauté musulmane pour ces abattages rituels, mais la raison n'est pas du tout une espèce d' « islamogauchisme » qui régnerait chez les véganes. Le fait est que la condamnation de l'abattage rituel est très ambiguë : des gens qui mangent de la viande tous les jours dénoncent ces abattages rituels pour montrer à quel point les Arabes sont des barbares d'une part, et d'autre part pour se dédouaner soi-même de sa consommation de viande. « Regardez comme nous sommes bienveillants envers les animaux : nous les étourdissons avant de les égorger, nous. »


D'une part, on fait là preuve d'un racisme « acceptable », un racisme presque « vertueux » en dénonçant de la cruauté et de l'injustice d'une autre communauté ; de l'autre, on met sous le tapis sa propre cruauté et sa propre injustice en faisant mine de s'intéresser au sort des animaux. C'est oublier un peu vite que l'horreur se trouve beaucoup plus dans le mot « abattage » que dans le mot « rituel » ainsi que dans ce qu'implique l'abattage, à savoir l'élevage – souvent industriel – et le transport dans des conditions indignes des animaux vers l'abattoir. Bien sûr que le fait de ne pas étourdir l'animal est cruel, mais tuer est aussi extrêmement cruel, élever un animal dans les conditions monstrueuses de l'élevage industriel est aussi extrêmement cruel, entasser des centaines d'animaux dans des camions pendant des heures est aussi extrêmement cruel. Le différentiel de cruauté entre l'abattage rituel et l'abattage laïc est donc minime. Et on ne peut pas dénoncer l'un sans dénoncer l'autre.


Le philosophe américain Gary Francione évoquait ce problème des campagnes ciblées contre telle ou telle communauté de personnes en prenant pour exemple des poulets abattus par des Juifs Hassidiques pour la fête de Kapparot : « Il n’est rien (dans ces abattoirs juifs) qui n’arrive également à tous les poulets destinés aux abattoirs classiques. Par exemple, (une militante de la cause animale) a montré des photos de ce qui semblait être des hommes Hassidiques maniant les poulets de manière à leur causer de la souffrance. Mais la seule différence entre la manière dont les poulets sont souvent tenus et manipulés dans les abattoirs et la manière dont ils sont tenus et manipulés pendant Kapparot, est le fait que, dans ce dernier rituel, ils le sont par un Hassidique ou d’autres Juifs. Si ces pauvres oiseaux n’étaient pas utilisés pour Kapparot, ils seraient emmenés à l’abattoir et y connaîtraient exactement le même sort.


C’est un parfait exemple de ce qui ne va pas avec les campagnes ciblées : elles entretiennent l’idée que ce que commettent certains groupes humains est pire que ce que le reste d’entre nous faisons. Une campagne ciblée sur la fourrure innocente les personnes qui portent de la laine ou du cuir et leur donne une excuse pour haïr ou attaquer ceux (des femmes la plupart du temps) qui portent de la fourrure. Une campagne ciblée sur les dauphins de Taiji permet aux gens, dont la majorité ne sont pas même végans, de produire des discours haineux ethnocentriques et xénophobes contre les Japonais. Une campagne ciblée sur un massacre d’écureuils à la carabine au sein d’une communauté rurale encourage à traiter ceux qui y prennent part de « ploucs » et d’ «  arriérés » alors qu’ils n’agissent pas différemment de ce que n’importe quel non-végane fait ou soutient. De même, une campagne ciblée sur Kapparot donne aux gens une excuse pour traiter les Juifs de « mauvais ».



Je pense que la campagne anti-Kapparot permet et facilite l’antisémitisme. Je ne suis pas en train de dire ici que toutes les personnes impliquées dans cette campagne ou qui la soutiennent sont antisémites : je dis simplement que cette campagne discrimine effectivement les Juifs comme moralement différents des autres exploiteurs d’animaux. Une telle campagne est fondamentalement semblable aux campagnes anti-Kashrut ou aux campagnes islamophobes anti-Halal au Royaume-Uni 1  »


Pour une fois, je suis entièrement d'accord avec Gary Francione. Cibler une communauté pour ses habitudes carnistes sans remettre en question son propre carnisme, voire pour conforter son propre carnisme soi-disant plus « humain » ou plus « bienveillant » est une façon de répandre la haine tout en s'aveuglant sur son propre état moral. Je pense donc qu'il faut dénoncer la cruauté de l'abattage rituel, mais en veillant bien à ne pas oublier la cruauté de l'abattage tout court et en veillant à ne pas sombrer dans un discours haineux envers une communauté.


Pour revenir à la caricature de Coco, il faudrait bien sûr la défendre si elle subissait une déferlante de haine et de menaces de mort similaires à celle qu'a vécu Mila. Je parle de défendre Coco, la personne, et pas son dessin qui n'est pas drôle et pas très probant dans ses associations. Mais bon, je pense qu'on n'en est pas là. Elle a juste subi des attaques par des individus un peu « woke » qui voient de l'islamophobie partout. Ces critiques me paraissent exagérées, mais pas non plus complètement outrancières. Les véganes feraient donc mieux de laisser couler.



Frédéric Leblanc,

le 24 juillet.




1 Gary Francione, juin 2014 : http://fr.abolitionistapproach.com/author/gary/µ








 Concernant les positions répétées de Raphaël Enthoven contre le véganisme et leur réfutation sur le Reflet de la Lune : 










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1 commentaire:

  1. Merci pour votre article intelligent. Je pense que la cruaute des abbattoirs est plus grande que celle des kapparot parce que l animal dans un abbattoir laic est chosifié considéré comme une viande sans respect pour sa personne ni condideration pour ses emotions alors que la priere juive propose seulement une hierarchisation de valeurs entre le destin du poulet promis a notre place ala mort et le notre. Ce qui reste speciste mais n est pas chosifiant.cela dit les kapparot sur de l argent sont possibles et preferees aujourd hui par une majorite de croyants juifs.

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