L’autre et le même
Shitou Xiqian (Sekito Kisen en
japonais) fut le VIIIème patriarche du bouddhisme chan 禪 chinois,
ce chan qui devint le zen en accostant sur les rives du Japon. Shitou a connu
Huineng 惠能, le VIème patriarche, quand il était encore un jeune
adolescent. Huineng[1]
a certainement été un des maîtres les plus marquants et les plus déterminants
de l’Histoire du Chan/Zen. Plus que tout autre, il a lancé le chan dans la voie
subite où l’Éveil se révèle soudainement, sans crier gare, comme une intuition
foudroyante, et désarçonnant et basculant complètement l’ego et ses limitations
conceptuelles. Shitou fut considérablement marqué par le charisme de Huineng
et, quand ce dernier mourut, il prit l’habitude de méditer tout près de sa
tombe. Un moine remarquant cela, il l’invita à rencontrer Qingyuan Xingsi, le
VIIème patriarche selon l’école zen Sôtô, auquel il succèda lui-même. Le
Sandokai est un des textes poétiques les plus célèbres de Shitou Xiqian (Sekito
Kisen).
Le
Sandokai (ou Centongqi 參同契 en chinois[2]) signifie « l’harmonie entre le différent et le
même » ou encore « la concordance de l’égal et de l’inégal ». C’est
une traduction assez intuitive des trois caractères cen 參 l’inégal, le différent, tong 同le
même, l’égal, et qi 契
qui désigne une concordance, un accord ou un
contrat entre deux termes.
« L'esprit du grand sage de l'Inde
s'est
intimement transmis d'ouest en est ».
Le Dharma du Bouddha est né dans le
contexte de l’Inde ancienne, un contexte très différent de la Chine, tant par
la langue que par la culture. Vu d’Occident, on a tendance à parler d’Orient ou
d’Extrême-Orient comme un grand tout qui engloberait de vastes pans de l’Asie,
et l’on appose commodément l’étiquette de « philosophie orientale » à
tout un ensemble complétement
hétéroclite de doctrines et de spiritualités qui seraient toutes reléguées dans
une même étrangeté incompréhensible à la « rationalité » occidentale.
C’est oublier que le Bouddha s’exprimait en ardhamagadhi, et que ses enseignements
ont été transcrits en pâli et en sanskrit, toutes des langues indo-européennes
qui comportent des déclinaisons comme en latin ou en grec. Le monde indien est
beaucoup plus proche du monde gréco-romain que du monde chinois. Le passage du
bouddhisme, une philosophie occidentale
aux yeux des Chinois, vers la Chine correspond donc à un changement radical
de culture : ce passage n’allait donc pas de soi, contrairement au cliché
d’un Orient uni sous la même bannière d’un mysticisme quelque peu éthéré.
Il
a fallu un grand travail d’explication, de traduction et d’acculturation de
plusieurs siècles pour que le Dharma passe en Chine et devienne proprement
chinois. Cela n’a pas été sans mal et sans de nombreuses incompréhensions. Je me
permets d’expliquer ces données historiques parce que, sans elles, on ne peut
comprendre les mots de Shitou : « L'esprit du grand sage de l'Inde s'est intimement
transmis d'ouest en est ». Au-delà des mots, des textes et des pratiques, l’esprit du
Bouddha, l’esprit d’Éveil, la bodhicitta,
s’est colporté jusque dans l’empire du Milieu. Et c’est là un événement
significatif. Toutes sortes de maîtres et de traducteurs ont préparé le terrain,
mais il en est un pour qui revêt une
importance cruciale dans la transmission de l’esprit du Bouddha en Chine, c’est
Bodhidharma, le premier patriarche du Chan qui est venu transmettre la pratique
même de la contemplation intuitive, nette et directe de l’esprit dans le simple
acte de s’asseoir. Il est venu apporter cette contemplation, ce dhyâna, plutôt que des doctrines. Et
c’est là l’acte fondateur du Chan 禪 qui s’est transmis d’esprit à esprit au-delà des
mots et qui s’est enraciné dans le fond culturel chinois[3].
« L'esprit du grand sage de l'Inde s'est intimement
transmis d'ouest en est » fait donc référence à ce passage de la lampe de l’Éveil de
l’ouest en est, incarné dans la personne de Bodhidharma et son passage de
l’Inde vers la Chine, mais cette transmission de l’esprit d’Éveil dépasse
largement la simple personne de Bodhidharma ou la personne des grands maîtres
et patriarches du Chan qui ont suivi.
« Les facultés de l'homme sont plus
ou moins aiguisées,
mais la voie n'a ni patriarches
du Nord ni patriarches du Sud ».
L’esprit d’Éveil a pénétré les esprits
chinois avec plus ou moins de succès d’une personne à l’autre, mais le Dharma
n’est pas la possession de tel ou tel grand maître, ou de tel ou tel courant du
bouddhisme, ou de telle ou telle branche du Chan/Zen. « Les facultés de l'homme sont plus
ou moins aiguisées, mais la Voie n'a ni patriarches du Nord ni patriarches du
Sud »,
nous dit Shitou. Il fait ici référence au « schisme » au sein du
Chan, entre adepte de Huineng qui prônait une voie abrupte et Shenxiu qui prônait
une voie plus graduelle, plus progressive. Shitou est clairement un héritier de
Huineng, mais insiste sur le fait que le Dharma ne s’attache à aucune personne,
à aucun courant sectaire.
Aujourd’hui, la situation est toute
autre : le Dharma s’est transmis dans l’autre sens, de l’est vers l’ouest,
de l’orient vers l’occident, et il arrive fragmenté en toutes sortes d’écoles
philosophiquement et culturellement différentes : Theravâda d’Asie du
Sud-Est (Thaïlande, Sri Lanka), écoles du bouddhisme tibétain, Zen Sôtô, Zen
Rinzaï, Zen vietnamien de l’Inter-Être, et d’autres écoles encore plus ou moins
connues, qui s’intègrent paisiblement en terme sociologique, mais dans une
certaine cacophonie spirituelle avec la culture occidentale, tant judéo-chrétienne
que gréco-romaine, le tout baignant dans le contexte du matérialisme
consumériste triomphant.
Une situation tout autre, mais une même
exigence : retrouver l’esprit du Grand Sage derrière les formes et les
couleurs, derrière les rites et les textes, et laisser cet esprit du Grand
Sage, cet esprit d’Éveil nous inspirer, s’insuffler dans notre vie.
Et c’est pourquoi ce reflet inverse de
notre situation par rapport à celle qu’a connu en son temps Shitou Xiqian fait
que son texte trouve encore écho en nous dans notre démarche spirituelle et
philosophique, dans notre volonté simple et dénudée de simplement nous asseoir
là ici et maintenant. La Voie chemine d’Occident en Orient ou d’Orient en
Occident, se transforme pour aller ailleurs, mais reste la même pour plonger
dans l’ici-même de notre cœur, dans l’ici-même de notre pratique. Cette Voie
est identique dans notre aspiration d’atteindre la réalisation de l’Éveil à celle d’autres pratiquants qui ont aspiré avant nous à
atteindre cette réalisation, en Inde, en Chine, au Tibet, au Laos, au Vietnam,
au Japon. Et c’est comme que l’esprit du Sage indien, l’esprit du Bouddha se
transmet à l’est comme à l’ouest, au nord comme au sud, se présentant chaque
fois comme un autre dans ses formes, dans ses rhétoriques et ses discours ainsi
que dans ses pratiques et comme le même dans sa réalisation profonde. Ce
qu’essaye de poser Shitou, c’est précisément une concordance, une équivalence
entre cet autre et ce même, le différent et l’identique, l’égal et
l’inégal : 參同契 sandokai en japonais, la concordance de l’autre et du même.
Comme le raconte Jean Herbert : « Je
demandais récemment au grand chef de l’une des principales sectes bouddhiques
du Japon ce que toutes les écoles bouddhiques ont en commun. Il me
répondit : « La bouddhéité. – Rien d’autre ? Rien
d’autre ». Dans un sens, c’est peu, mais après tout, c’est l’essentiel[4] ».
« La source spirituelle brille dans
la lumière ;
les effluents coulent dans
l'obscurité ».
Ce
qu’il faut donc trouver, c’est la source lumineuse, la sagesse resplendissante
de l’Éveil
au-delà des mots, au-delà de toute conception doctrinale et d’appartenance
sectaire. Il faut imaginer une source logée dans le cœur d’une montagne d’où
jaillirait plusieurs rivières, dévalant chacune les flans escarpés de la
montagne pour descendre dans des directions différentes, voire opposées.
Chacune des écoles bouddhiques est une de ces rivières qui coulent dans
l’obscurité, parce qu’elles saisissent dans leur ignorance des formes et des
doctrines spécifiques, là où il conviendrait de voir l’unité de l’Éveil.
Dans cette ignorance, chacun s’attache à des conceptions partisanes, suppose
être dans la vérité contrairement aux autres, chacun suppose être la
« bonne rivière » alors que l’important n’est pas la rivière, mais la
source. L’important n’est pas la récitation de telle mantra plutôt que tel
autre, la lecture de tel soutra plutôt que tel autre, la pratique de l’amour
bienveillant plutôt que celle de la compassion, la pratique de l’attention à la
respiration plutôt que la méditation sur la vacuité, non l’essentiel est de
cultiver l’Éveil, l’essentiel est l’esprit d’Éveil, et en cela, peu importe les
formes, peu importe les textes. C’est là une intuition première du zen.
« Saisir les choses est certainement
une illusion ;
se mettre en accord avec
l'identité n'est pas encore l'illumination ».
De la même manière qu’il y a une
diversité de choses dans le monde, il y a une diversité de pratiques dans le
bouddhisme, et Shitou de nous rappeler : « Saisir les choses est
certainement une illusion ». Les formes comme les pratiques formelles sont illusions. Le couteau
est illusion, le pain est illusion et l’acte de trancher le pain est illusion.
De même, la conscience est illusion, la respiration est illusion et l’acte
de prendre conscience de la respiration est illusion. Et ainsi en va-t-il de
toute pratique formelle dans le bouddhisme comme il en va des choses :
elles n’ont pas de réalité ultime. Ainsi convient-il de ne pas s’attacher
excessivement à l’attention à la respiration comme à la pratique des mantras ou
d’autres, mais de considérer ces pratiques formelles comme autant d’occasions
d’atteindre la source lumineuse, la réalisation de l’Éveil.
Pour autant, Shitou Xiqian nous met en
garde : « se mettre en accord avec l'identité n'est pas encore l'illumination ». Se mettre en accord avec le
dénominateur commun de toutes les formes du bouddhisme, c’est-à-dire la
bouddhéité, n’est paradoxalement pas encore atteindre l’illumination parfaite
et incomparable. Voir l’essence unique des choses est un pas important dans la
Voie, mais cela nous fait perdre de vue la diversité des choses, la diversité
des expériences, et ce retranchement nous fait perdre l’unité. L’un inclut
l’un, c’est tautologique de le dire, mais il inclut également l’autre, et c’est
ce rapport du même à l’autre que l’Éveil doit élucider.
La diversité des formes ne peut donc
être saisie comme une réalité intrinsèque, mais pas non plus l’unicité de
l’essence de ces formes. Dans le « Soutra
de la racine de toutes choses », un soutra ancien du canon pâli[5],
le Bouddha dit : « L’Ainsi-Allé[6] comprend
correctement l’unicité comme unicité. Ayant compris l’unicité comme unicité, il
ne se conçoit pas comme unicité. Il ne se conçoit pas lui-même comme venant de
l’unicité. Il ne pense pas : « l’unicité est mienne » et il ne
se réjouit pas de l’unicité. Pourquoi ? Parce que l’unicité est
parfaitement comprise par l’Ainsi-Allé, je le dis.
L’Ainsi-Allé
comprend correctement la diversité comme diversité. Ayant compris la diversité
comme diversité, il ne se conçoit pas comme diversité. Il ne se conçoit pas
lui-même comme venant de la diversité. Il ne pense pas : « la
diversité est mienne » et il ne se réjouit pas de la diversité.
Pourquoi ? Parce que la diversité est parfaitement comprise par
l’Ainsi-Allé, je le dis ».
Dans ce texte très radical, le Bouddha
évoque toutes sortes d’entités physiques et métaphysiques (il commence par les
éléments matériels comme la terre, l’eau, le feu, l’air, puis envisage les
sphères divines de plus en plus élevées et lumineuses, puis il finit par
évoquer la totalité, l’unité et la diversité, le nirvâna enfin), et il
applique le même raisonnement à toutes
ces entités physiques ou métaphysiques : les voir pour ce qu’elles sont
avec la vision pénétrante (vipashyanâ), les dépouiller de toutes illusions qui
viendraient se surajouter à la chose comme un voile ou un masque, et une fois
que l’on a vu ces entités pour ce qu’elles sont, s’en détacher en ne s’identifiant
pas à elle, en ne voyant pas notre origine en elle, en ne la voyant pas comme
notre possession et en ne se réjouissant pas de cette entité.
Le Soutra de la Racine de Toutes Choses
est donc très radical en vertu du fait qu’il applique ce raisonnement aux
entités matérielles qui nous composent (terre, eau, feu, air), cela on veut
bien le comprendre, mais aussi à des entités métaphysiques comme l’unité qui
est pourtant un but intrinsèque dans beaucoup de spiritualités, souvent le but
ultime ! Il applique même ce raisonnement de détachement radical à
l’endroit du nirvâna qui est le but suprême des bouddhistes ! On ne
s’étonnera donc pas, du fait même de cette radicalité, de la conclusion du
soutra qui dit : « Ainsi parla
le Bienheureux. Cependant, les moines ne se réjouirent pas des paroles du
Bienheureux[7] ».
Les moines déconcertés par cette radicalité du détachement partirent sans se
réjouir de l’enseignement donné.
Or une grande partie de la réflexion
philosophique du Mahâyâna consiste à ne mettre en garde à l’attachement aux
états supérieurs et bienheureux, mais aussi à l’état suprême qu’est le Nirvâna.
Le Nirvâna n’a pas plus de consistance que le samsâra, le Nirvâna est autant
dénué d’existence ultime que le samsâra. Et cette vérité ultime du Nirvâna ne
doit pas se comprendre en tant qu’unicité ou en tant que diversité, il faut
dépasser toutes ces conceptions pour progresser spirituellement. C’est
notamment le message des différents Soutras
de la Perfection de Sagesse. En cela, on voit d’ailleurs que les textes
mahâyânistes trouvent leur racine dans un texte comme le Soutra de la Racine de Toutes Choses, qui est un texte du canon
pâli, relevant du bouddhisme ancien, dit du « petit véhicule » dans
la bouche des adeptes du Grand Véhicule[8].
Shitou Xiqian, et donc son texte, le
Sandokai, s’inscrit évidemment dans cette logique du Grand Véhicule, d’où sa
mise en garde : « se mettre en
accord avec l'identité n'est pas encore l'illumination».
« Tous les objets des sens
sont en interaction et pourtant
ne le sont pas ».
Tout ce que nous percevons dans le monde, nous avons tendance à
le considérer comme des objets indépendants, ayant une existence séparée des
autres objets dans le monde, et c’est là une illusion : le Bouddha a
constamment insisté pour que nous considérions la production interdépendante
qui se cache derrière les apparences des phénomènes. Pour que quelque chose
existe, il a besoin de toutes sortes de causes et de conditions qui sont
nécessaires à la naissance et à l’existence de ce phénomène ; en même
temps, ce phénomène est lui-même une cause ou une condition d’autres phénomènes.
Si l’on suit ces chaînes de causalité, on se rend compte que chaque phénomène
dans l’univers interagit avec tous les autres phénomènes, et ce à un niveau
très intime : le Soutra de l’Ornementation Fleurie (Avatamsaka Sûtra[9])
dit que chaque particule de l’univers se reflète dans toutes les autres
particules de l’univers tandis qu’elle reflète elle-même toutes ces autres
particules.
Le Bouddha a dit : « Ceci est
parce que cela est, ceci apparaît parce que cela apparaît ». Un arbre
n’existe pas tout seul séparément au reste de l’univers. Il a besoin de la
terre pour y planter ses racines, il a besoin de l’eau pour croître et donc des
nuages qui apporte la pluie, il a besoin de l’air pour y puise le dioxyde de
carbone qu’il va transformer en oxygène et en sucre, et il a besoin du soleil
pour réaliser cette photosynthèse. Sans ces éléments, il n’y aurait pas
d’arbre. Et sans les arbres et les végétaux, nous ne serions pas là en train de
respirer de l’oxygène. Tous les phénomènes sont donc en interaction ; on
perd cela de vue trop souvent quand on aborde l’existence et cela nous conduit
à connaître toutes sortes de tensions et toutes sortes de problèmes, comme le
fait de croire que l’on peut exploiter et détruire à outrance les forêts
vierges parce que l’on ne voit pas que notre existence et notre vie dépend des
arbres comme nous dépendons de l’air qui rentre dans nos poumons.
Il faut donc voir que les phénomènes
sont en interaction. Ceci étant dit, l’arbre n’est pas l’eau, n’est pas la
terre, n’est pas le soleil, n’est pas le nuage, n’est pas le bûcheron. La vie
courante nous a appris à différencier et à distinguer les choses de manières pratiques :
vous ne buvez pas du feu, vous ne vous chauffez pas avec de l’eau, vous ne
mangez pas votre soupe avec une fourchette comme vous ne coupez pas vos plats
avec votre cuillère. A un niveau très élémentaire, distinguer les choses et
leur attribuer une fonction distincte, et donc une identité distincte, permet
de nous orienter de manière cohérente dans la vie courante. L’eau est de l’eau,
le feu est du feu, la fourchette est une fourchette qui n’est pas un couteau ou
une cuillère.
La philosophie bouddhiste distingue
classiquement ces deux visions, l’une où les phénomènes n’existe pas séparément
et sont en constante interaction avec le monde et l’autre où les choses sont ce
qu’elles sont et pas autre chose, comme étant la vérité ultime d’une part et la
vérité relative d’autre part. Distinguer vérité ultime et vérité relative
permet d’éviter la confusion qui surviendrait à coup sûr si l’on cessait de
voir les phénomènes dans la vie courante et que l’on cessait du même coup de
leur donner de l’importance du fait de leur vacuité, de leur irréalité et de
leur interaction constante avec les autres phénomènes de l’univers qui
abolirait leur identité propre. On cesserait de vivre, de manger, on prendrait
son bain dans le feu et l’on cuirait ses aliments avec de l’eau froide. Penser
en terme de vérité ultime et de vérité relative permet d’articuler sa
vie : quand on vaque à ses occupations, travailler, cultiver la terre,
cuisiner, remplir sa déclaration d’impôt, c’est la vérité relative. Et quand on
médite sur l’absence d’existence séparée et indépendante des phénomènes et
l’interaction des choses entre elles dans l’univers, c’est la vérité ultime
pour faire bref.
Cette distinction entre vérité ultime
et vérité relative met donc de la cohérence dans la philosophie bouddhique.
Elle n’en pose pas moins toutes sortes de questionnements métaphysiques sur le
rapport intrinsèque entre ces deux vérités. Sont-elles une seule et même
chose ? Ou deux entités différentes ? Ces deux positions étant
chacune problématiques[10],
on s’en sort habituellement en comparant ces deux vérités aux deux face d’une
même pièce : il s’agit bien de la même pièce, mais selon l’angle de vue,
on a accès à l’une ou l’autre de deux faces. Soit on regarde la vérité ultime
des choses, soit on regarde la vérité relative des apparences. Cette
explication sous forme de métaphore de pièce de monnaie est commode, mais elle
ne peut satisfaire un maître Zen tel que Shitou Xiqian, c’est pourquoi, il
dit : « Tous les objets des
sens sont en interaction et pourtant ne le sont pas ». Il faut
regarder les deux faces d’un seul coup d’œil ! Réfléchir en termes de deux
faces que l’on considère à tour de rôle n’est pas satisfaisant dans l’éthique
du Zen parce que cela reviendrait à séparer la vie active, faire la cuisine,
cultiver le jardin, repeindre la maison, de la vie spirituelle et
contemplative. Un temps pour le travail et la croyance à la réalité des
apparences, un temps pour la méditation et la vision pénétrante qui voit le
vide d’existence ultime et la production interdépendante. Non, faire la cuisine
doit être aussi une possibilité pour l’Éveil, une occasion pour le satori.
Laver son bol, nettoyer les toilettes, tailler les haies et les plants de
tomates sont aussi des actes dans lesquels l’Éveil peut voir le jour, des actes
qui pointent vers la vérité ultime. On ne peut se contenter de s’enfermer dans
un dualisme vérité ultime/vérité relative, et c’est pourquoi Shitou
revendiquent dans un même mouvement que : « Tous les objets des sens sont en interaction et pourtant ne le sont pas ».
Bien sûr, cette affirmation est
paradoxale et contradictoire, on ne peut la régler par la raison qui ne peut
que faire des distinctions, et notamment cette distinction entre vérité ultime
et vérité relative, avec un moment privilégié pour la vérité ultime qu’est la
méditation vipashyanâ, le zazen, et d’autres moments consacrés aux différentes
aspects de la sphère de la vérité relative, notre vie courante. Cette
distinction est raisonnable, mais ce que veut Shitou, c’est provoquer une
intuition soudaine qui dépassera ces distinctions raisonnables pour aller
directement à la saveur subtile de la véritable nature des choses. Une
intuition où l’on ne confond pas le couteau et la cuillère quand on cuisine,
mais où en même temps on n’est pas enfermé dans la vision pratique qui confère
une identité définie aux choses et où l’on comprend l’interdépendance à l’œuvre
derrière les phénomènes, interdépendance qui dissout les identités séparées des
entités de ce monde.
Il s’agit donc avec cette phrase « Tous
les objets des sens sont en interaction et pourtant ne le sont pas »
d’indiquer ou de suggérer cette intuition subtile et déconcertante de regarder
les deux faces en même temps. Et comment faire naître cette intuition ?
Zazen, simplement s’asseoir.
« L'interaction entraîne la solidarité.
Sans quoi chacun reste sur sa position »
Concevoir l’interaction fondamentale
des phénomènes entre eux nous fait comprendre que, dans ce monde, tout est lié.
Un nœud sans fin se noue et se dénoue en permanence entre tous les êtres, et
cette conscience d’une interconnexion entre tous les êtres fait naître un
sentiment de bienveillance et de compassion qui transforme le monde et
réchauffe nos relations avec autrui. Les positions n’ont aucune fixité dans ce
monde fugace et transitoire, fait d’impermanence, et l’on peut lâcher-prise par
rapport aux tensions qu’implique un monde aux positions figées.
« Les visions varient en qualité comme en forme,
les sons sont tantôt agréables tantôt
désagréables ».
Dans la sphère de la vérité relative,
les expériences se succèdent, tantôt agréables, tantôt désagréables.
Pareillement, en zazen, toutes sortes d’expériences voient le jour et se
succèdent. Tantôt le zazen semble fructueux, tantôt il semble stérile. Tantôt
on est très conscient de ce qui se passe, tantôt la négligence l’emporte.
Tantôt on a mal aux genoux, tantôt le dos fait mal. Tantôt l’esprit s’envole
vers des espaces nouveaux, tantôt il expérimente un état béatifique. Tantôt on
plane sur son petit nuage, tantôt on regarde les choses en face. Face à cette
infinie variété des choses, y a-t-il un seul zazen ? Ou une infinité de
zazens successifs ?
« Dans l'obscurité, les discours raffinés et
vulgaires se confondent,
dans la lumière, les phrases claires et
troubles se distinguent ».
Ces deux vers prennent sciemment le
contrepied des vers déjà cités « La
source spirituelle brille dans la lumière ; les effluents coulent dans
l'obscurité ». Dans ces vers, l’obscurité de l’ignorance était frappé
de la diversité des effluents, tandis l’unicité de la bouddhéité baignait dans
la lumière. Ici au contraire, l’obscurité prend la forme d’une unicité des
discours qui se perdent dans la même confusion, tandis que la lumière de la
sagesse discriminent les discours sages des discours trompeurs. L’Un n’est pas
une bonne chose s’il n’est rien que la soupe opaque de toutes les confusions.
L’Un ne doit donc pas être l’objet de notre obsession, d’une conceptualisation
forcenée de notre part. Il faut pouvoir s’en détacher. Ne pas s’accrocher à
l’idée de Un.
« Les quatre éléments retournent à
leur nature
tout comme l'enfant se tourne
vers sa mère.
Le feu chauffe, le vent bouge,
l'eau mouille, la terre est
solide.
Œil et vision, oreille et son,
nez et odeur, langue et saveur.
Ainsi, pour tout ce qui existe,
selon ces racines-là, les
feuilles se développent.
Le tronc et les branches
partagent l'essence ;
noble ou vulgaire, chacun a son
discours »
Lâchant prise avec toutes les notions
d’unicité ou de diversité, on peut se laisser aller à la simple contemplation
du monde où le feu chauffe et l’eau mouille. Les constituants élémentaires du
monde ont une essence commune, ce que les Chinois appellent le qi[11]
氣, l’énergie primordiale qui anime le monde et lui donne une consistance
en se condensant. Mais dans la pensée bouddhiste de l’école du Milieu, l’essence
n’est autre que la vacuité d’existence ultime de la matière ou de l’énergie.
Tout se développe donc dans la
diversité à partir d’une essence unique. C’est comme les multiples feuilles qui
parent un arbre, alimentées grâce au tronc et aux branches qui vont chercher
leurs racines dans l’essence unique, la saveur unique de tous les phénomènes. « Le tronc et les branches partagent l'essence ».
Evidemment, que l’on contemple l’une branche ou l’autre, les discours sur
l’essence véritable des choses peut varier. On trouve ces variations d’une
philosophie à l’autre, d’une métaphysique à l’autre, mais même au sein de la
philosophie bouddhique qui cherche à comprendre le réel tel qu’il est, à
comprendre l’ « ainsité » (ce qui est « ainsi »), on
trouve toutes sortes de variations dans les doctrines philosophiques : les
conceptions atomiques des Vaibhâshikas, l’impermanence fondamentale des
phénomènes chez les Sautrântikas où les
phénomènes ne durent pas un seul instant semblables à eux-mêmes, la
claire lumière de la conscience qui se connaît et s’illumine elle-même comme
fondement de tous les phénomènes matériels du monde chez les tenants de
l’Esprit Seulement (Cittamâtra) et la vacuité d’existence ultime pour l’école
du Milieu (Madhyamaka).
Mais ces discours sur l’essence ultime
des phénomènes ne doivent pas nous égarer sur le fait que cette essence la plus
profonde échappe précisément à tous les discours. Et que c’est dans le silence
de zazen que l’on peut se familiariser avec cette essence profonde. Les
phénomènes que l’on expérimente dans la vie sont comme les feuilles, les
discours peuvent nous aider à nous repérer dans le branchage, mais c’est zazen
pour nous permettra d’atteindre les racines en développant la vision
profonde.
« Dans la lumière existe
l'obscurité,
Mais ne la regardez pas comme de
l’obscurité.
Dans l'obscurité existe la
lumière,
mais ne la regardez pas comme de
la lumière»
Il ne faut pas accorder une existence
trop prégnante à aux entités métaphysiques que peuvent être la sagesse et
l’ignorance, le samsâra et le nirvâna. Dans la lumière, on trouve son opposé
l’obscurité, et dans l’obscurité, on trouve son opposé la lumière. Il ne faut
pas fixer les choses, les choses sont plus subtiles qu’il n’y paraissent :
il n’y a pas le sage chez qui tout serait sagesse, le sage est sage en cela
qu’il voit de la folie dans sa sagesse ; et dans l’ignorance se trouve une
sagesse qui ne demande qu’à émerger.
C’est pourquoi Shitou Xiqian nous
invite à ne pas regarder la lumière dans l’obscurité comme de la lumière, parce
qu’elle n’est là qu’un passage, qu’un processus de transformation, une
transition entre un état et un autre état, et encore cet autre état n’étant
lui-même qu’un transition vers autre chose.
« La lumière et l'obscurité
s'opposent
comme le pied avant et le pied arrière
dans la marche ».
Certes, sagesse et ignorance s’opposent
comme la lumière et l’obscurité, comme l’un et l’autre ; mais c’est une
opposition complémentaire, l’un ne peut aller sans l’autre. Certes, on essaye
dans le cheminement spirituel de tendre de toutes ses forces vers la sagesse,
vers le nirvâna, vers le satori, vers l’Éveil, mais l’erreur serait de rejeter
l’ignorance, les passions, les apparences hors de ce chemin. Sur le chemin de
l’Éveil, sagesse et illusion sont nos deux pieds, ils s’opposent certes, mais
on a besoin des deux pour avancer. C’est pourquoi on ne peut rejeter
l’obscurité, ce monde d’apparences et d’illusion. Il faut l’accueillir et le
vivre pleinement.
« De toutes les choses
innombrables, chacune a son mérite,
exprimé selon sa fonction et sa
place ».
Toutes ces apparences ont leur mérite,
elles ont leur valeur propre. Ce ne sont pas seulement des problèmes ou des
ennuis à rejeter. On peut apprendre de ces apparences. Les accepter comme elles
sont nous apporte la sérénité et nous délivre un précieux enseignement pour
celui qui veut bien entendre. On se lamente toujours de ce que nos désirs ne
sont pas exaucés, les choses ne sont pas comme on voudrait qu’elles soient, ou
on se lamente de ce que ce monde matériel soit un obstacle à la spiritualité du
fait qu’il nous distraie et nous agite vainement. Pourtant, accepter ces choses
et ce monde nous permet de voir le mérite de ces choses, d’en tirer profit et
de vivre en paix avec elles.
« Les phénomènes existent, comme la
boîte et le couvercle s'ajustent ;
le principe s'accorde, comme la
rencontre de deux pointes de flèche ».
Dans ce monde composé de toute une
diversité d’objets, on peut sembler hostile et discordant, tant les phénomènes
semblent s’entrechoquer, tant l’autre semble menaçant. Mais pour celui qui veut
bien le principe à l’origine de toutes choses, la vacuité d’existence ultime,
une autre vision se présente : derrière les apparentes discordances, on
voit que les phénomènes peuvent coexister pacifiques, mais plus que cela avoir
des correspondances cachées comme une boîte avec son couvercle. C’est que peut
révéler zazen : on change son point de vue sur les choses, et ce qui était
en discorde s’accorde. C’est très subtil comme phénomène, et cela peut sembler
très improbable pour qui ne pratique pas zazen : « comme la rencontre de deux pointes de flèche ».
«
Entendant
les mots, comprenez le sens ;
ne créez pas vos propres normes.
Si vous ne comprenez pas la voie
qui se trouve à vos pieds,
comment connaîtrez-vous le chemin
sur lequel vous marchez ? »
Il y a cet effort permanent pour
comprendre le sens véritable, effort constamment répété pour comprendre la
voie, le chemin qui doit nous amener sur l’Éveil. Pour cela, il faut se référer
aux enseignements du passé afin de ne pas inventer des méthodes douteuses qui ne nous
mèneraient nulle part. Et il faut comprendre la nature du chemin pour connaître
la bonne direction à prendre.
« La pratique n'est pas une
question d'éloignement ou de proximité,
mais dans la confusion les
montagnes et les rivières barrent la route ».
On pourrait penser que l’on est près ou
loin de la pratique. Si je bois des verres dans une boîte de nuit, je suis
éloigné de la pratique, voire je suis carrément lancé sur une voie de
perdition. Si je suis sur mon zafu, mon coussin de méditation, alors je suis
proche de la voie. Mais Shitou dit que c’est là s’égarer dans les apparences.
Si je produis l’esprit d’Éveil dans la boîte de nuit, alors la pratique
m’envahit. Si je n’ai que des pensées de haine sur mon zafu, alors je régresse
sur la voie. Ces critères de proximité et d’éloignement ne sont donc pas des
critères absolus.
Pourtant, dans la confusion qui est la
nôtre, on a besoin de ce genre de repères, le coussin de méditation pour
pratiquer zazen et élever zazen, la boîte de nuit comme sources de
distraction et d’égarement. Quand on est dans la confusion, les apparences
semblent être des obstacles : « les
montagnes et les rivières barrent la route ». Les formes de ce monde,
avec des hauts et des bas bloquent notre chemin. Pourtant avec l’œil de la
sagesse, on se rend compte que montagnes et rivières sont aussi la route, mais
cela suppose de pouvoir dépasser suffisamment la confusion pour changer son
regard de la sorte.
C’est pourquoi il est important de
revenir aux apparences de la pratique dans un premier temps afin de ne plus
être le prisonnier de ces apparences de pratique dans un deuxième temps.
On pourrait aussi interpréter ces
notions d’éloignement et de proximité à l’aune de l’étendue que peut embrasser
l’esprit. Quand le méditant est faible et n’a pas encore parcouru de grands
progrès spirituels, son esprit est proche : il ne perçoit que les choses
habituelles de la vie courante, le mur devant lui, son coussin sous ses fesses,
ses jambes et son dos, ses doigts qui se touchent, sa respiration plus ou moins
longues, les bruits à l’extérieur. Mais quand l’esprit se développe dans la
méditation, il accède à des horizons infiniment plus vastes, des états
supérieurs à rapprocher de la condition divine. Les textes classiques parlent
de sphères célestes de plus en plus élevées et vertigineuses : mondes de
plaisirs célestes, mondes de la forme et de lumières divines, mondes de la
sans-forme tels que la sphère de
l’espace infini ou sphère de la conscience infinie. Le lointain serait cet
ensemble d’expériences sublimes hors de la portée d’un débutant. Shitao 石濤 réagissait par rapport à
cela : « Quelle étrange
méprise, en vérité ! En fait, les dons qui nous viennent des sphères les
plus inaccessibles ne se réalisent que dans le concret le plus proche ; et
il faut d’abord connaître l’immédiat pour pouvoir atteindre le lointain »[13].
Shitao s’inscrit tout à fait dans la pensée Chan/Zen de Shitou : ne pas
chercher à tout prix l’esprit pour fuir la pesanteur de la vie terrestre, mais
accepter les choses de la vie quotidienne dans toute leur banalité comme source
d’éveil spirituel.
Et d’ailleurs, le Bouddha dans le Soutra des Quatre Établissements de
l’Attention invite à cultiver l’attention à l’esprit tel qu’il
est : « Quand son esprit a une plus vaste portée, le pratiquant est conscient :
« Mon esprit a élargi sa portée ». Quand son esprit a une portée
étroite, il est conscient : « Mon esprit a une portée étroite ».
Quand son esprit est capable d’atteindre un état élevé, il est conscient :
« Mon esprit est capable d’atteindre un état élevé. Quand son esprit n’est
pas capable d’atteindre un état élevé, il est conscient : « Mon
esprit n’est pas capable d’atteindre un état élevé » » [14].
La question n’est pas d’obliger à tout prix l’esprit de dépasser sa condition
habituelle, mais d’être attentif sans la moindre espèce de jugement à la portée
vaste ou limitée de l’esprit ainsi qu’à sa capacité ou non d’élévation. Être attentif et vigilant est plus important qu’être
dans un état plus ou moins supérieur.
« Vous qui étudiez le mystère, je
vous supplie respectueusement
de ne pas passer vainement vos
jours et vos nuits ».
L’essentiel est de ne pas passer à côté
de cette possibilité que la vie humaine nous offre de nous éveiller. Le
bouddhisme parle de notre condition comme de la « précieuse existence
humaine » car nous avons dans cette vie humaine la possibilité extraordinaire
de nous libérer de nos entraves existentielles, de développer la pleine
conscience qui accède à l’infinie luminosité. Il ne faut pas évidemment pas
gâcher la jouissance de ce trésor qui disparaîtra bien vite : nous ne
sommes pas éternels. Il ne faut donc pas perdre de temps en action vaine, en
haine ou en avidité, mais se concentrer sur ce magnifique potentiel d’Éveil qui
est en nous. Comme le dit le Bouddha à son disciple Ânanda : « Voici, ô Ânanda, les pieds des arbres, voici
des endroits isolés. Engagez-vous, ô Ânanda dans les méthodes du progrès
intérieurs. Ne prenez pas de retard afin de n’avoir pas, plus tard, de regret.
Cela est notre instruction pour vous tous[15] ».
[1]
Huineng ou Eno en japonais.
[2]
Shitou Xiqian étant Chinois, j’utilise plus volontiers les termes chinois, mais
concernant le titre de ce poème, j’emploierai plus volontiers le terme japonais
de « Sandokai », puisqu’il nous est parvenu en Occident par
l’intermédiaire de l’école Zen Sôtô japonaise dans lequel il revêt une
singulière importance.
[3] Le mot Chan étant le
diminutif de channa, channa lui-même venant de ce mot sanskrit dhyâna ou jhâna
en pâli (l’autre langue ancienne de l’Inde dans laquelle sont transcris les
premiers textes bouddhistes, et qui était très proche de l’ardhamagadhi dans
lequel s’exprimait le Bouddha).
[4] Jean Herbert, 1971,
préface de Daisetz Teitaro Suzuki, « Essais
sur le bouddhisme zen », Albin Michel/Spiritualités vivantes, Paris,
2003 (éd. en 1 vol.), p. 10.
[5] Mûlapariyâya Sutta, Majjhima Nikâya, I, 1-6, traduit dans Môhan
Wijayaratna, « La philosophie du
Bouddha », éd. Lis, Paris, 2000, pp. 170-177.
[6]
« Ainsi-Allé » ou Tathâgata est un terme qui désigne le Bouddha.
[7] Mûlapariyâya Sutta, ibid.,
p. 177.
[8] En cela, je rejoins
l’intuition de Thich Nhat Hanh quand il dit : « Dans mes recherches et dans
l’écriture de ce livre, je me suis presque exclusivement inspiré des textes du Hinayâna
(Petit Véhicule), utilisant à dessein peu d’écrits du Mahâyâna (Grand Véhicule)
afin de démontrer que les doctrines et les idées les plus profondes issues du
Mahâyâna se trouvaient déjà dans les Nikâyas pâlis et les Âgamas chinois qui leur sont antérieurs. Il suffit de lire
ces soutras avec un esprit ouvert pour s’apercevoir que tous appartiennent au
bouddhisme qu’ils appartiennent à la tradition du Nord ou celle du Sud.
Les soutras du Mahâyâna autorisent
un accès plus large et plus souple à une véritable compréhension des
enseignements de base du bouddhisme, empêchant leur déclin qui pourrait
résulter d’un apprentissage et d’une pratique trop littérales des textes Nikâya
et Âgama et sont comme une
lumière projetée sur un objet sous un microscope » (Sur les traces
de Siddhârta, ed. Lattès, Paris, 1996, appendice, pp.
499-500).
[9] Traduction anglaise : Thomas Cleary, « The flower ornament scripture »,
éd. Shambala, Boston & London, 1993.
[10]
Cette question est frontalement posé dans le chapitre III du Samdhinirmocana Sûtra (Soutra du Dévoilement du sens profond ou
Soutra du Dénouement des Noeuds). Si
la vérité ultime était fondamentalement distincte de la vérité relative, on
assisterait à quatre aberrations : 1°) réaliser la vérité ultime ne serait
pas réaliser la vérité relative, 2°) la vérité ultime ne serait pas la vérité
profonde cachée des phénomènes relatifs, 3°) connaître en profondeur la vacuité
des phénomènes relatifs ne serait pas suffisant pour connaître en profondeur la
vérité ultime, 4°) la connaissance de la vérité ultime et la connaissance de la
vérité relative s’excluraient mutuellement.
Si la vérité
ultime était parfaitement identique avec la vérité relative, il s’ensuivrait de
manière tout aussi problématique que : 1°) les êtres dans l’illusion qui
perçoivent les apparences des phénomènes relatifs percevraient du même coup la
vérité ultime, 2°) à l’inverse, les êtres éveillés et libérés comme les
bouddhas ne seraient pas foncièrement affranchis
des phénomènes apparaissant dans la sphère de la vérité relative, 3°) la sphère
de la vérité relative incluant les passions néfastes, la sphère de la vérité
ultime inclurait aussi ces mêmes passions, 4°) la vérité ultime n’aurait pas
besoin d’être recherchée par les êtres dans l’illusion.
C’est pourquoi
le Bouddha affirme dans le Samdhinirmocana Sûtra : « La réalité
absolue étant subtile et profonde, il est difficile de comprendre sa
caractéristique essentielle, laquelle se situe bien au-delà de la différence et
de l’identité » (traduction de Philippe Cornu à partir du tibétain,
« Soûtra du Dévoilement du Sens
Profond », Fayard/Trésors du Bouddhisme, Paris, 2005, p. 39).
[13] Pierre Ryckmans, « Les propos sur la peinture du Moine
Citrouille-Amère. Traduction et commentaire de Shitao », VI, 3, Plon,
Paris, 2007, p. 63. Shitao est un peintre, calligraphe et poète ainsi qu’un
philosophe de l’esthétique et de de l’acte de peindre fortement influencé par
le bouddhisme Chan.
[14] Mahâ
Satipatthana Sutta, Digha Nikâya, 22. Thich
Nhat Hanh, « Transformation et
guérison », Albin Michel/Spiritualités vivantes, Paris, 1999. Nyanaponika Thera, « Satipatthana. Le coeur de la méditation
bouddhiste », éd. Maisonneuve, Paris, 1970.
[15]
Soutra du Développement des Facultés
Sensorielles (Indriyabhâvanâ Sutta), Majjhima Nikâya, III, 298-302,
traduction dans Môhan Wijayaratna, « Sermons
du Bouddha », éd. Le Seuil, Points/Sagesses, Paris, 2006, p. 195.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du Chan et du Zen ici: 禪
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Le texte du Sandokai se trouve ici : http://lerefletdelalune.blogspot.be/2013/10/le-sandokai-est-un-poeme-ecrit-au.html
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