L'enseignement
sur les trois natures
Vasubandhu
Hommage
au Bienheureux, le Seigneur du Monde.
1.
L'imaginaire, le dépendant
Et
le parfaitement établi
Fondent
les trois natures
Qui
doivent être reconnues dans toute leur profondeur.
2.
Induit par le pouvoir des conditions,
Ce
qui existe n'est qu'une simple imagination:
Tout
ce qui se manifeste est le dépendant,
Dont
la façon d'apparaître est purement imaginaire.
3.
Ce mode d'apparition de toute manifestation
Est
à jamais inexistant.
Comme
il est dit qu'il ne saurait en être autrement,
Il
s'agit là de la nature parfaitement établie.
4.
Quoiqu'il apparaisse, cela est purement imaginaire ;
Et
ce mode d'apparition est duel.
Rien
n'existe en cela,
Car,
en elle-même, la réalité est exempte de dualité.
5.
Qu'est-ce que cette désignation imaginaire de l'inexistant ?
L'imagination
sous la forme d'un objet
Qui
n'existe absolument pas, de sorte
Que
l'esprit est dénommé le « constructeur imaginaire ».
6.
Puisqu'il est en substance la cause et l'effet,
On
admettra que cet esprit présente deux modes :
Celui
que l'on dénomme « conscience base-de-tout » d'une part
Et
les sept aspects de ce que l'on dénomme « [conscience]
d'engagement » d'autre part.
7.
Le premier qui porte les semences affligées
Et
accumule les imprégnations, est appelé « esprit ».
Le
second qui s'engage, dans toutes choses,
Est
décrit comme la variété des aspects [phénoménaux].
8.
Rien n'est vrai en cela, tout est construction imaginaire,
Dont
on admettra trois subdivisions :
Maturation,
Pensée
fixée sur le « moi » et apparences extérieures.
9.
La maturation est l'essence du premier mode,
Qui,
de ce fait, est la conscience-source.
Les
autres sont des consciences d'engagement
Qui
entrent en activité en imaginant l'objet à voir et le sujet qui le
contemple.
10.
Ce qui existe et ce qui n'existe pas, la dualité et l'unité,
Le
complètement affligé et sa purification,
Sont
des distinctions du seul fait des caractéristiques
Où
l'on reconnaîtra les natures dans toute leur profondeur.
11.
Tout ce qui est appréhendé comme existant
Est
en fait complètement inexistant :
Telle
est la nature imaginaire
Dont
on dit qu'elle a pour caractéristiques l'existence et l'inexistence.
12.
Elle existe en tant que chose illusoire
De
sorte qu'elle est inexistante dans son mode d'apparition :
Telle
est la [nature] dépendante
Dont
on dit qu'elle a pour caractéristiques l'existence et l'inexistence.
13.
Quelle est donc cette inexistence de la dualité ?
Qu'est-ce
qui existe en tant qu'inexistence de la dualité ?
C'est
la nature parfaitement établie
Dont
on dit qu'elle a pour caractéristiques l'existence et l'inexistence.
14.
Le mode dualiste est celui de l'objet inanimé
Alors
qu'existence et inexistences sont une en essence :
Telle
est la nature imaginée par les sots
Dont
on dit qu'elle consiste en dualité et unité.
15.
Duelle semble la partie apparente,
Simple
illusion qui est une en substance :
Telle
est la dénommée « nature dépendante »
Dont
on dit qu'elle consiste en dualité et unité.
Lucia Sotirova |
16.
La nature essentielle de la dualité
Revient
à l'unité dépourvue de toute dualité :
Telle
est la nature parfaitement établie
Dont
on dit qu'elle consiste en dualité et unité.
17.
L'imaginaire et le dépendant
Sont
des connaissables caractérisés par l'affliction des passions
Et
l'on considère que le parfaitement établi
A
pour caractéristique la parfaite pureté.
18.
La nature [de la première] est la dualité irréelle ;
Et
la nature même [de la seconde] est l'insubstantialité,
De
sorte qu'entre ce qu'on appelle la « nature imaginaire »
Et
la caractéristique de l'accompli, il n'y a pas de différence.
19.
La nature [de la première] est la non-dualité
Et
la nature [de la seconde] est l'inexistence de la dualité.
Sachez
qu'entre le parfaitement établi
Et
la caractéristique du purement imaginaire, il n'y a pas de
différence.
20.
Le mode d'apparition [de la première] n'étant pas réel,
La
nature [de la seconde] est cette inexistence :
Entre
la nature dite dépendante
Et
la caractéristique du parfaitement établi, il n'y a pas la moindre
différence.
21.
[Dans la première], la dualité n'est pas vraie,
De
sorte que l'apparence [de la seconde] se révèle inconsistante :
Sachez
qu'entre le parfaitement établi
Et
la caractéristique du dépendant, il n'y a pas la moindre
différence.
22.
Conventionnellement, les natures considérées
Sont
[exposées] séparément et successivement.
Selon
leur application,
On
les exprime sur le mode d'une progression dans la réalisation.
23.
Le purement imaginaire est entièrement conventionnel ;
Ce
qui est désigné conventionnellement, c'est le dépendant ;
Et
la nature où le conventionnel a été entièrement éradiqué
Doit
être considérée comme autre.
24.
Une fois que l'on a pénétré l'inexistence de la dualité,
On
entre dans le dépendant,
Qui
est dégagé de la dualité sans existence,
Laquelle
n'est qu'une simple imagination.
25.
Alors on pénètre la nature insubstantielle de la dualité
Qui
est précisément le parfaitement établi,
De
sorte que selon le moment considéré,
On
dit de cette dernière [nature] tantôt qu'elle existe, tantôt
qu'elle n'existe pas.
26.
Ces trois natures
Ont
pour caractéristiques l'absence de référent objectif et l'absence
de dualité.
[La
première] étant complètement inexistante, la [seconde] est aussi
inexistante dans sa façon [d'apparaître],
Et
la [troisième] est la nature de cette inexistence.
27.
Lorsque, par le pouvoir d'un mantra, le magicien
Crée
l'apparence d'un éléphant,
Il
est sûr qu'en tant qu'apparence, il ne s'agit que d'une simple
forme,
Car
il n'y a pas d'éléphant du tout.
28.
La nature imaginaire est comme l'éléphant ;
Le
dépendant est comparable à son aspect formel ;
Semblable
à l'insubstantialité de l'éléphant,
Tel
est le parfaitement établi.
29.
C'est de l'esprit-source que surgit sur le mode dualiste
L'apparence
purement fictive et inauthentique.
Comme
la dualité est complètement inexistante,
Elle
n'existe qu'en tant que simple mode apparent.
30.
La conscience-source est comme le mantra ;
L'ainsité
peut être considérée comme le bois ;
Et
la construction imaginaire correspond à l'aspect de l'éléphant.
Quant
à la dualité, elle est semblable à l'éléphant.
31.
Lorsqu'on réalise ce que sont vraiment les objets,
La
connaissance complète, l'abandon
Et
l'obtention, dans cet ordre,
Permettent
de connaître les trois caractéristiques simultanées.
32.
L'absence d'objet référent est la connaissance complète ;
L'élimination
des apparences est l'abandon ;
Et
la perception sur le mode de l'absence de dualité
Est
l'obtention : telles sont les [qualités] actualisées.
33.
Puisque l'éléphant n'a pas d'existence en qualité d'objet
référent,
Ses
aspects apparents s'évanouissent
Laissant
place à la perception de brindilles de bois :
Telle
est la nature de l'illusion magique.
34.
De sorte que lorsqu'on ne perçoit plus leur dualité ;
Les
apparences duelles s'évanouissent.
Cette
extinction est leur nature parfaitement accomplie,
Et
l'on réalise ainsi l'insubstantialité de la dualité.
35.
Le pouvoir de l'entendement [des êtres] se révèle contradictoire,
Et
l'intellect perçoit les choses en l'absence même d'objets
référents.
En
se conformant aux trois sagesses,
On
atteindra la libération sans effort.
36.
En percevant que tout est esprit seulement,
On
en percevra plus d'objets connaissables,
Et
en l'absence d'objets connaissables référents,
L'esprit
lui-même devient imperceptible.
37.
Du fait de l'absence de référents duels,
Émerge
la perception de l'espace de la réalité.
Grâce
à cette perception immergée dans l'espace de la réalité
Émerge
la contemplation du trésor des qualités [éveillées].
38.
Grâce à la contemplation de ce trésor,
Les
esprits avisés gagnent l’Éveil insurpassable
En
trois corps,
Après
quoi ils accomplissent parfaitement le bien de soi-même et celui des
autres.
Vasubandhu |
Colophon
Ainsi
s'achève « L'enseignement sur les trois natures »
composé par l'Āchārya
Vasubandhu. Le pandit indien Shāntibhadra
et le traducteur et éditeur Gös Lhetsé ont établi soigneusement
ce texte sous sa forme définitive.
Traduit
du tibétain par Philippe Cornu dans : Vasubandhu, « Cinq
traités sur l'esprit seulement »,
Fayard / Trésors du bouddhisme, 2008, pp. 281-288.
Autres textes de Vasubandhu :
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire