L'avez-vous
remarqué ? On ne parle plus d'émigrés ni d'immigrants mais de
migrants.
Cette amputation des termes me semble lourde de sous-entendus inquiétants... Lorsqu'on évoque un émigré, on le caractérise par le lieu d'où il vient. Lorsqu'on désigne un immigré, on affirme qu'il est d'ici, même s'il vit le jour ailleurs. En revanche, de par son nom, le migrant vient de nulle part et ne va nulle part, sans origine et sans destination, dépourvu de terre de racines et d'espace d'accueil, comme s'il était destiné à errer sans jamais trouver un port où s'arrêter. Nomade forcé et éternel.
Ce mot "migrant" est une condamnation.
Qui peut se permettre de décider des sorts ? Qui peut s'estimer légitimement propriétaire de la planète ? Lorsqu'on dit "migrant", on dit "circulez, votre place n'est ni ici ni ailleurs !
Ma seule façon d'accepter ce mot consiste à inventer un autre sens implicite : nous sommes tous des migrants, fils et filles de migrants, voyageurs provisoires sur cette terre qui nous a précédé et qui nous survivra.
Eric
Emmanuel Schmitt
Mare Nostrumphoto de Massimo Sestini - nord de la Libye |
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cette réflexion d'Eric Emmanuel Schmitt. En effet, le « migrant »
est celui qui est en train de migrer alors que l'immigré est celui
qui est rentré dans un pays pour s'y établir et que l'émigré est
celui qui quitte son pays pour aller ailleurs. Le migrant n'est ni
ici, ni d'ailleurs, il est dans l'acte de migrer et migrera toujours
comme le voudrait tant de commentateurs racistes qui se déchaînent
présentement dans la presse, les bistrots et les réseaux sociaux..
Le migrant est sans cesse condamné à l'exil permanent, à être un
fantôme en zone de transit, à être un « nomade forcé et
éternel », comme le dit justement Eric Emmanuel Schmitt.
Et
ce n'est malheureusement pas le seul « élément de langage »
(comme disent les experts en communication) qui ressort dans ce
dossier de la crise des migrants afin de créer la peur face à une menace insidieuse : combien de fois n'a-t-on pas
décrit l'arrivée des migrants dans les termes d'une invasion ?
Ou comme un flot de migrants, une vague de migrants qui va nous
submerger ? Quand ce n'est pas carrément un « tsunami » !
Pourtant, une invasion suppose une conquête armée, et si le nombre
de migrants qui arrive en Europe, plusieurs centaines de milliers
peut faire frémir certains. Ce nombre est très loin d'égaler ou
même de se rapprocher du nombre de réfugiés de la guerre syrienne
en Turquie (près de 2 millions), du Liban (plus d'un million !
Plus du quart de la population totale du Liban) ou 600 000 en
Jordanie. Il semblerait que plus les pays sont riches, plus ils sont
frileux à la générosité et au partage ! Cette tendance
semble bien se confirmer dans le nombre de réfugiés accueillis par
les richissimes pétromonarchies que sont l'Arabie Saoudite, le
Qatar, le Koweït, Bahreïn, Dubaï... : 0 au total !
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