La drague de rue
(1ère partie)
Depuis
le début de l'année, il y a dans les cercles intellectuels tout un
vif débat autour de la question de savoir ce qui est de la drague,
ce qui est du harcèlement et ce qui est de l'agression dans les
relations entre les hommes et les femmes. Plus particulièrement,
depuis la tribune publiée le 9 janvier 2018 dans le Monde et signée
notamment par l'actrice Catherine Deneuve et une centaine d'autres
femmes. Cette tribune réagissait à la charge menée par les
féministes radicales depuis la révélation de l'affaire Weinstein
et les hashtags #metoo aux États-Unis et #balancetonporc en France.
On peut y lire notamment : « De
fait, #metoo a entraîné dans la presse et sur les réseaux
sociaux une
campagne de délations et de mises en accusation publiques
d’individus qui, sans qu’on leur laisse la possibilité ni de
répondre
ni
de se défendre,
ont été mis exactement sur le même plan que des agresseurs
sexuels. Cette justice
expéditive
a déjà ses victimes, des hommes sanctionnés dans l’exercice de
leur métier, contraints à la démission, etc., alors qu’ils n’ont
eu pour seul tort que d’avoir touché un genou, tenté de voler
un baiser,
parlé de choses « intimes » lors d’un dîner
professionnel
ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une
femme chez qui l’attirance n’était pas réciproque ».
Mais
ce débat a été précédé il y a presque deux ans déjà par une
confrontation par vidéo interposée sur YouTube entre Marion Seclin
et le Raptor Dissident. Marion Seclin, en féministe convaincue,
assimile dans la drague de rue à du harcèlement sexuel dans sa
vidéo : « Tu
as été harcelée, mais... » (vidéo du 17 mai 2016). Et
le Raptor Dissident, dans une vidéo d'une rare virulence, tant par
ses injures, ses propos haineux et dénigrants, ses blagues douteuses
et ses invectives, conteste ce lien entre drague de rue et
harcèlement. Il faut aussi dire qu'à la suite de cette vidéo,
Marion Seclin a reçu des dizaines de milliers de messages haineux,
insultants et menaçants. C'est peu dire que ce débat laisse peu
indifférent. Il est aussi intéressant de voir à quel point un
nouveau média estampillé « jeune » comme YouTube peut
devancer d'un an des débats intellectuels publié dans le Monde ou
d'autres journaux prestigieux. Je voudrais revenir sur les arguments
de Marion Seclin dans cet article avec les arguments de la raison et
l'envie de critiquer en bien ou en mal les idées plutôt que les
personnes qui émettent ces idées.
Argument
n°1 :
« Le
harcèlement de rue est un phénomène qui touche majoritairement les
femmes qui se déplacent librement dans un espace public. Interrompre
cette circulation libre sans considération pour les envies de la
demoiselle est du harcèlement. Les
femmes ont intégré pendant très longtemps qu'il est normal de se
faire importuner dans la rue. C'est lourd de ne pas pouvoir se
déplacer d'un point a à un point b sans être interrompue ».
Première
remarque : il est à noter que Marion Seclin conteste l'idée
qu'on puisse se faire importuner dans la rue. Ce mot « importuner »
est central dans la tribune du Monde que je citais plus haut. Les
autrices revendiquaient d'ailleurs le droit d'importuner comme le
droit de mettre un râteau à celui qui importuner les demoiselles.
Typiquement,
on a là chez Marion Seclin un argument féministe qui est de
contester la division traditionnelle entre espace public, la rue ou
le travail, qui serait un espace réservé aux hommes, et l'espace
privé qui serait le royaume de la « fée du logis », de
la « bonne ménagère de moins de cinquante ans ». Les
femmes doivent avoir le même droit à marcher en rue que les hommes
sans subir d'agression ou de remarques déplacées. Les hommes ne
devraient pas se comporter en prédateur, attendant leur proie à
séduire au détour d'une avenue.
On
peut entendre cela, mais il y a quand même un problème dans cette
conception des choses, et c'est une des critiques intéressantes du
Raptor Dissident (derrière un amoncellement de propos orduriers) :
Marion Seclin voit uniquement la rue comme le lieu de transit entre
un point A et un point B, transit que l'on ne veut surtout pas voir
interrompu ou dérangé. Il y a là une mentalité extrêmement
individualiste et libérale : la rue n'est pas seulement un lieu
de transit entre sa maison et son lieu de travail, entre le lieu de
travail et la piscine, et entre la piscine et sa maison, mais cela
peut être aussi simplement un lieu de vie et un lieu de rencontre.
Vous pouvez croiser un ami et commencer à bavarder avec lui. Vous
pouvez aussi rencontrer des gens que vous ne connaissez pas et qui ne
vont pas nécessairement vous mordre ou vous importuner.
Voir
la rue comme le seul lieu de transit entre des lieux privés, cela a
quelque chose de gênant. « Il
n'y a rien qui soit une société »
disait feu Margaret Thatcher, la très libérale première ministre
du Royaume-Uni durant les années '80. Or la rue, puisqu'elle
appartient à tout le monde, c'est par excellence l'espace de la
société. L'agora,
disait les Grecs de l'Antiquité. On a tendance à l'oublier quand on
marche maussade dans la rue, son attaché-case à la main pour aller
au boulot, mais la rue devrait pouvoir comme un lieu d'ouverture et
de rencontre, voire comme un lieu de fête. C'est là que les gens
sont quand ils ne sont pas dans des espaces privés et fermés aux
autres. Oublier cela, c'est se condamner à accepter une société
froide, où chacun est dans sa bulle de solitude et où l'autre est
toujours vu comme un problème, voire comme un enfer, pour reprendre
l'expression célèbre de Sartre dans « Huis-clos ».
Argument
n°2 :
« Le
corps d'une femme n'appartient pas à ceux qui peuvent le voir. Son corps
reste SON corps ». C'est
l'argument féministe classique : « Mon
corps m'appartient ».
J'en fais ce que je veux, je m'habille comme je veux ; et les
hommes ne devraient avoir rien à dire à cela. Néanmoins, on peut
se demander en quoi faire des compliments à une femme dans la rue la
priverait soudainement de son corps, même si c'est des compliments
sur son physique. Je ne parle évidemment pas des intimidations parce
qu'une demoiselle porte une mini-jupe et que cela ne plaît à des
bandes d'hommes désœuvrés dans la rue et qui jouent les caïds
pour s'imposer dans la rue parce qu'ils ne peuvent pas s'imposer dans
le monde du travail. Tout ce qui relève de l'intimidation, des
menaces, des paroles vulgaires et des injures n'est pas acceptable.
C'est là un harcèlement de rue, voire une agression en rue, et
c'est condamnable. Cela ne se discute pas. Mais la question est :
est-ce que la drague de rue est une forme de harcèlement ou pas ?
Est-ce que c'est acceptable ou pas ? Si je dis à une charmante
jeune femme : « Vous êtes bien jolie, mademoiselle »
et que je n'insiste pas lourdement en cas de refus de prolonger la
discussion, est-ce que cela fait de moi un porc ou non ? C'est
là la question. Or pour Marion Seclin, le simple fait de faire des
compliments à une femme jeune ou moins jeune reste une
« interruption » (du point A vers un point B), et donc
est moralement inacceptable.
Argument
n°3 :
Marion
Seclin dit ne pas aimer les sarouells, mais ne va pas trouver les
gens qui portent un sarouell pour leur faire part de sa mésestime
des sarouells. « Il faut pouvoir garder son avis pour soi »
dit-elle. D'accord, mais aller dire à quelqu'un que porter un
sarouell, c'est nul ou pas du tout esthétique ne répond à aucun
finalité. Si par contre je vais trouver une demoiselle pour lui dire
qu'elle est jolie à mon goût, derrière cette appréciation sur sa
plastique, il y aussi très probablement l'envie de séduire. Est-ce
que vouloir séduire quelqu'un, c'est mal ? Et si la personne
n'avait pas envie d'être séduite tout court ou séduite par moi, il
reste un compliment qui est toujours plus agréable à entendre
qu'une critique méchante.
Argument
n°4 :
« On
n'a rien à donner à quelqu'un dans la rue : pas le numéro,
etc... Je ne dois rien à personne ».
Alors effectivement, pour le coup, Marion Seclin a entièrement
raison sur ce point : une femme dans la rue ne doit rien à
personne. Si elle n'a pas envie de donner son numéro, si elle n'a
pas envie de parler à une inconnu ou de passer un moment avec lui,
si elle n'a pas envie d'écouter ses boniments, si elle n'a pas envie
d'être flattée, si elle n'a pas envie d'interagir avec lui d'aucune
façon, elle doit pouvoir être totalement libre et être en mesure
de refuser toutes les avances. La drague de rue ne peut moralement
être acceptable qu'à partir où les deux personnes sont
consentantes sinon effectivement, c'est du harcèlement, voir de
l'agression sexuelle.
Argument
n°5 :
« Personne
n'est légitime pour me donner son avis sur moi dans la rue, même si
ce sont des compliments. Je n'ai pas à être flattée, car l'opinion
de l'autre ne m'intéresse en rien ».
En fait, un simple refus de prolonger la discussion suffit à couper
à ce moment de drague. Si l'individu persiste, alors cela tourne
effectivement au harcèlement. Mais si quelqu'un se hasarde à faire
des compliments dans la rue avec une proposition à la clef en
restant poli et courtois, il me semble que l'on n'est pas obligé de
considérer cela comme une offense machiste.
« Il
n'a pas dit d'aller me faire foutre et il ne m'a pas mis la main aux
fesses, donc pas la peine de s'inquiéter ! Mais la harcèlement
peut être simplement verbal : donc aller faire du rentre-dedans
de but en blanc à une personne ou avoir des propos déplacés ou
sexuels, même sans gestes et sans insultes, ça reste du
harcèlement ». C'est le
nœud du débat : est-ce que la drague de rue est du
harcèlement ? Est-ce que tenter de séduire une femme dans
l'espace public fait de nous un porc qu'il conviendrait de dénoncer ?
J'ai quand même l'impression que non. Toute expression du désir
n'est pas quelque chose de totalement condamnable, sauf à cautionner
un retour au puritanisme et à la culpabilisation.
Voir la deuxième partie de ce texte.
Némo - Paris |
Concernant le féminisme, la drague de rue et le hashtag #metoo ou #balancetonporc :
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