Paul Ariès raconte n'importe quoi
(3ème
partie)
Paul
Ariès ne s'arrête pas là dans sa critique rancunière contre Peter
Singer. Dans sa tribune du Monde du 7 janvier, il reproche à
lui et aux antispécistes de réinstaller une nouvelle hiérarchie
entre les êtres : « Trier l’ensemble des animaux
(humains ou non) en fonction d’un critère quelconque (caractère «
sentient ») revient toujours à recréer la hiérarchie. Proclamer
l’égalité animale c’est signifier que certains animaux seront
plus égaux que d’autres, donc que certains humains seront moins
égaux que d’autres humains et même que certains animaux non
humains ».
Alors
là, c'est très emblématique d'un malentendu que beaucoup de
détracteurs entretiennent à l'encontre de l'antispécisme :
l'idée de la croyance à une égalité totale entre tous les
animaux. La vie d'un être humain aurait autant importance que la vie
d'une vache ou la vie d'un coléoptère. Non, je ne dis pas ça ;
et les antispécistes ne disent pas ça. La vie d'un être humain me
semblera toujours plus importante que la vie d'une vache ; et la
vie d'une vache me semblera plus importante que la vie d'un
coléoptère. Ce que disent les antispécistes, c'est qu'on devrait
envisager les intérêts de tout être sentient (doué de sensibilité
et de conscience) et les respecter. Je suis peut-être supérieur
(intellectuellement, spirituellement, moralement,...) à une vache ;
mais cette supériorité réelle ou supposée ne me donne pas le
droit moral de maltraiter cette vache, d'exploiter cette vache ou de
manger cette vache. Je n'ai pas le droit moral de découper les
pattes du coléoptère pour mon seul plaisir.
Il
n'y a donc pas d'égalité ontologique, mais bien une égalité de
considération : les autres animaux méritent que je prenne en
compte leurs intérêts et ne pas les faire souffrir inutilement.
Cette supériorité implique peut-être une hiérarchie, mais de
manière très limitée : ce n'est pas une hiérarchie qui
justifierait une exploitation des animaux. Tout au plus une priorité
que je donnerai aux humains. Si je voyais un être humain, une vache
et un coléoptère en détresse, j'aiderais d'abord l'humain, la
vache ensuite et puis le coléoptère. En même temps, cette
supériorité justifie aussi une responsabilité morale : les
hommes ont le devoir morale de se battre pour que les baleines
puissent survivre. On ne sera pas rancunier si les baleines ne se
mobilisent pas et ne manifestent pas pour la survie des êtres
humains...
Maintenant,
est-ce que ce sentiment de supériorité conduit nécessairement les
humains à créer des hiérarchies entre eux ? Je ne le crois
pas. Dans les faits, il y a bien sûr des différences :
certains sont doués que d'autres en math ou en anglais, certains
sont plus beaux que d'autres, certains sont plus forts que d'autres,
certains connaissent plus de choses que d'autres. Mais ces
différences de fait justifient-elles une différence en droit ?
Non, je ne le pense pas. Comme le dit la déclaration universelle des
droits de Homme dans son article premier : « Tous les
êtres naissent égaux et libres en droit et en dignité ».
En
fait, cet argument venant des carnistes est étrange. Ce n'est pas la
première fois que je l'entends ; et on l'utilise à toutes les
sauces pour créer des sophismes supposés mettre à mal la doctrine
des véganes. Par exemple, qu'on recréerait une hiérarchie entre
les êtres sensibles, que le végane se sentirait meilleur que le
tigre ou le lion du fait de son abstention de viande, etc... Et puis
après, on retourne la logique en racontant que les carnistes sont
beaucoup plus égalitaires que les véganes puisqu'ils ne sentent pas
supérieurs au tigre et au lion, puisqu'ils sont carnivores comme les
deux grands fauves.
Ou
encore autre sophisme : dire que les véganes tuent plus
d'animaux que les viandards puisque que dans la culture des champs
écrase des milliers d'insectes et des familles de mulots. Paul Ariès
ne se prive pas de ce sophisme plus loin dans son texte. Le problème
est que cela ne tient pas la route : dans l'élevage, il faut
bien nourrir les bêtes avec des végétaux cultivés dans les
champs. Donc cette soudaine sollicitude pour les petites bestioles
des champs n'est juste qu'une entourloupe pour essayer de mettre à
mal (en vain) la logique végane.
*****
Paul
Ariès continue sa diatribe contre Peter Singer : « J’accuse
le véganisme d’aboutir à un relativisme éthique dès lors qu’il
introduit la notion de qualité de vie pour juger de la dignité d’un
handicapé, d’une personne âgée dépendante, dès lors qu’il
banalise la zoophilie à la façon de Peter Singer, lequel dans son
fameux « Heavy Petting » défend certaines formes de rapports
sexuels entre humains et animaux, évoquant des contacts sexuels
mutuellement satisfaisants. Ce sont ces mêmes végans qui se
prétendent les champions toutes catégories de l’éthique face à
des mangeurs de viande diaboliquement immoraux ».
Les
faits d'abord : le philosophe Peter Singer a bien écrit en 2001
un texte intitulé « Heavy Petting » (Amour
Bestial) dont on peut trouver une traduction dans le numéro 22
des Cahiers Antispécistes (février
2003). Il n'y défend pas la zoophilie comme l'affirme
Paul Ariès ; mais Singer se contente de constater que ces
rapports bestiaux existent et qu'il ne faut pas peut-être en faire
tout un plat, dans la mesure où la bête n'est pas contrainte à ce
rapport et que l'humain et l'animal trouve là une « relation
mutuellement satisfaisante ». Il ne dit pas que c'est mal, mais
il ne dit pas non plus que c'est bien. Singer constate que le
phénomène existe, que cela se fait (il donne des chiffres à
l'appui tiré de la célèbre étude de Kinsey sur la sexualité des
Américains). Il essaye de comprendre le tabou qui tourne de cette
pratique et refuse de participer à la condamnation collective de la
zoophilie. Il n'encourage néanmoins pas cette pratique comme le
suggère perfidement Paul Ariès.
Maintenant,
est-ce que cette position de Peter Singer est gênante ? Oui
personnellement, cette posture de Peter Singer me gêne. Pour moi,
les relations homme-animaux sont frappés du sceau du tabou. Et je
pense que cela doit le rester. Il est donc problématique de parler à
la légère de ces pratiques zoophiles parmi d'autres pratiques
sexuelles, comme si c'était une forme de sexualité parmi d'autres.
Mon attitude par rapport à cela est : cela ne se fait pas,
c'est sale, c'est dégoûtant, répugnant, c'est complètement
honteux, beurk ! Mieux vaut donc que cela reste un tabou, et
mieux vaut ne pas trop en parler ! J'ai l'impression que trop en
parler, même pour condamner, sort en quelques sortes la zoophilie du
tabou dans lequel il devrait rester plongé.
Ceci
étant dit, on peut encore voir là toute la malhonnêteté
intellectuelle de Paul Ariès. Encore une fois, on est dans
l'amalgame : si Peter Singer a « défendu » la
zoophilie, c'est que TOUS les antispécistes défendent eux aussi la
zoophilie, et sont donc des êtres immoraux. C'est oublier un peu
vite les réactions ulcérées des antispécistes contre l'article de
Peter Singer. Dans le même numéro 22 des Cahiers
Antispécistes, on trouve un
texte « La
bestialité : un crime passé sous silence »
de Carol Adams qui encourage à poursuivre tous ceux qui bafouent le
droit des animaux en s'adonnant à des actes sexuels avec eux :
« Quelle que soit
l'opinion dominante sur la bestialité, elle ne fait aucun cas des
sentiments de l'animal. Il s'agit toujours de sévices envers les
animaux. Des relations ne peuvent pas être consensuelles quand il y
a inégalité de pouvoir ».
Et de fait, la tendance largement dominante au sein de la cause
animale est de considérer la bestialité comme une maltraitance
inacceptable envers les animaux.
Tom
Regan et Gary Francione, tenant du « droit des animaux »,
courant philosophique foncièrement opposé à l'utilitarisme de
Peter Singer, ont tiré à boulet sur Peter Singer, arguant qu'un
animal ne peut donner son « consentement éclairé » à
tel acte sexuel. Gary Francione a notamment déclaré : « C'est
une honte que le désir de Singer d'être sous les projecteurs soit
si intense qu'il est prêt à encourager la sexualité avec les
animaux – une position qui ne mérite rien de moins qu'une
condamnation franche et absolue. Il a fondé sa carrière sur des
prises de positions scandaleuses comme celle-ci 1 ».
Encore aujourd'hui, Peter Singer fait l'objet de rancœur au sein de
la communauté végane pour son article « Heavy petting ».
En fait, nonobstant les fantasmes nauséabonds de Paul Ariès qui
voit en chaque végane un zoophile en puissance, la zoophilie suscite
autant de dégoût et de répulsion chez les véganes que chez les
non-véganes. Voire même la condamnation est plus grande dans la
mesure où les véganes prennent en compte l'intérêt de l'animal
qui est de ne subir la prédation sexuelle de pervers humains.
Frédéric Leblanc, le 1er février 2019
La suite de cet article arrive très prochainement !
1 La
citation de Gary Francione est tirée de l'article d'Estiva Reus,
« Lyncher
pour ne pas être lynché ? »
dans le n°22 des Cahiers Antispécistes. J'en recommande la lecture
pour tous ceux qui voudraient de plus amples détails et une
réflexion intéressante sur cette prise de position très
controversée de Singer dans son article « Heavy
Petting » et les
réactions outrées qu'elle a suscité dans la communauté végane.
Néanmoins, je ne suis pas d'accord avec Estiva Reus quand elle
estime que les réactions de colère des véganes à l'encontre
s'expliquent principalement par la peur d'être rejeté socialement
et se montrer plus stricts que la majorité : « Une
des défenses qui se met en place à notre insu consiste à tenter,
parce que nous sommes déviants sur le chapitre des animaux, de nous
racheter en nous montrant le plus conformistes possible, le plus
« socialement normaux » possible sur tous les sujets
sensibles ». Je pense
qu'Estiva Reus sous-estime totalement le dégoût et la répugnance
des véganes pour ce genre de pratique et leur colère sincère,
non-calculée à l'encontre de ce qui leur est apparu comme une
trahison inacceptable dans le chef de Peter Singer.
Peter Singer en tout bien, tout honneur avec son ami, le cochon |
Voir la première partie de cet article et la deuxième
Voir également contre les propos fallacieux de Paul Ariès :
Concernant Peter Singer, voir aussi :
Voir également :
N'hésitez pas à apporter vos commentaires et à partager cet article. N'hésitez pas non plus à suivre le Reflet de la Lune sur Facebook, Twitter, Tumblr ou Google+.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire