Paul
Ariès raconte n'importe quoi
Paul
Ariès continue son texte : « J’accuse
les végans de mentir en faisant croire au grand public qu’ils
seraient des écolos et même des superécolos, alors qu’ils
haïssent l’écologie et les écologistes, puisque les écolos
aiment la nature et qu’eux la vomissent, car elle serait
intrinsèquement violente donc mauvaise. David Olivier, un des pères
des Cahiers antispécistes, signait, dès 1988, un texte intitulé
"Pourquoi
je ne suis pas écologiste".
Il confirme en 2015 : "Nous
voyons l’antispécisme et l’écologisme comme largement
antagonistes"».
Là
encore, on est dans l'amalgame, je dirai même du
« super-amalgame »... Certains antispécistes sont
effectivement très critiques à l'encontre de l'écologie. C'est
vrai, et notamment David Olivier. Mais là encore, cela ne veut pas
dire que tous les antispécistes sont contre l'écologie. J'ai
moi-même écrit une série d'articles pour contrer les thèses de
David Olivier et de son camarade Yves Bonnardel : « Penser
l'homme et l'animal au sein de la Nature ».
Je me revendique personnellement de l'écologie et ne me reconnaît
pas dans la pensée d'Olivier et Bonnardel sur ce point. Néanmoins,
un intellectuel comme Paul Ariès devrait être soucieux de ne pas
réduire une pensée au point où elle ne veut plus rien dire. David
Olivier et Yves Bonnardel défendent un point de vue un peu plus
subtil qu'un simple anti-écologisme primaire.
Pour
faire un résumé très bref, David Olivier et Yves Bonnardel
refusent qu'on vénèrent « l'idée de Nature » pour deux
raisons :
- 1°) l'idée de Nature permet à beaucoup d'idéologues d'estimer qu'il y a des hiérarchies « naturelles » entre les êtres humains (discrimination entre les races, domination masculine sur les femmes, idée aristocratique des qualités intrinsèques de certaines classes sociales aux dépens des classes populaires,...). Dans l'Antiquité, Aristote estimait ainsi qu'il y avait des esclaves « par nature » et des maîtres « par nature »...
- 2°) l'idée romantique d'une Nature bienfaitrice et idyllique est une illusion. Il faudrait éviter toute mystique de la Nature selon eux.
Personnellement,
je partage la première critique de l'idée de Nature : une
conception partiale de la Nature ne doit pas justifier
ontologiquement la domination d'une partie de l'humanité sur une
autre partie. Par contre, il y a une certaine idée de la Nature
comme harmonie que je ne rejette pas, même s'il ne faut pas être
naïf : la cruauté existe dans la Nature, et la souffrance est
omniprésente en son sein. C'est ce que j'affirme dans mont texte
« Penser l'homme et
l'animal au sein de la Nature »
(5ème partie) : « Ce
sont les romantiques qui ont commencé à faire une distinction entre
la philosophie naturelle (c’est-à-dire la science) et la
philosophie de la Nature. La philosophie naturelle pense la Nature
comme objet, là où la philosophie de la Nature pense la Nature
comme sujet. C’est cela qu’il faut repenser, pas seulement pour
assouvir notre soif métaphysique, mais aussi et surtout pour
retrouver une relation plus harmonieuse et apaisée avec la Nature
que la société industrielle détruit impitoyablement. Tout miser
sur les éoliennes et les panneaux solaires n’a aucun sens pour
nous sortir du réchauffement climatique et freiner l’effondrement
de la biodiversité, si nous ne changeons pas notre rapport à la
Nature, si nous ne consommons pas moins les ressources naturelles et
si nous n'arrêtons pas cette guerre effrénée que nous avons lancé
contre la Nature. Une autre relation avec la Nature est à
redessiner. D’urgence ».
Je
ne partage pas les conceptions de David Olivier et d'Yves Bonnardel
sur ce refus d'une mystique de la Nature. Pour autant, on ne peut pas
réduire leurs opinions à l'attitude de l'industriel ou de l'homme
politique qui viendrait dire qu'il ne faut rien pour protéger
l'environnement et que le réchauffement climatique est un leurre.
C'est quand même beaucoup plus subtil que cela...
*****
Paul
Ariès enfonce le clou de cette opposition entre antispécisme et
écologie : « Le
véganisme refuse tout simplement de penser en termes d’espèces et
d’écosystèmes pour ne connaître que des individus (humains ou
non humains) ». L'idée
que les antispécistes rejetteraient l'écologie est globalement
fausse. Si on faisait un sondage parmi 1000 antispécistes et 1000
Français lambda, je pense qu'on verrait se dessiner en moyenne une
opinion beaucoup plus favorable aux thèses écologistes chez les
antispécistes que chez les Français moyens. Il me semble qu'il y a
des convergences évidentes entre antispécistes modérés et
écologistes modérés. Je me souviens d'avoir assisté à un
événement pour les 10 ans de l'association végétarienne EVA à
Gand en Belgique ; et j'avais été frappé par le très grand
nombre de gens qui se baladaient là avec un t-shirt à l'effigie de
Greenpeace (au moins un tiers de l'assistance).
Par
contre, les relations seront plus tendues et conflictuelles avec les
antispécistes radicaux et les écologistes radicaux de la Deep
Ecology. Les antispécistes
vont effectivement défendre des individus tandis que les écologistes
vont défendre des espèces. Normalement, cela ne devrait pas poser
de problèmes : ce sont deux approches différentes, mais qui
peuvent être convergentes. Sauf dans les cas des antispécistes
radicaux et des écologistes radicaux. Les premiers estimeront que
c'est une baleine en particulier qu'il faut défendre des harpons de
l'homme, tandis qu'un écologiste ne verra pas de problème à la
perte d'un seul individu, puisque la prédation est naturelle dans
les écosystèmes. Pour un écologiste radical, le véritable drame,
c'est la disparition d'un espèce : la perspective angoissante
que toutes les baleines (ou les poissons, les requins, les coraux,
etc... ) disparaissent de nos océans.
Pour
les antispécistes, il n'y a de tragédie que dans la souffrance et
l'exploitation subie par tel ou tel individu doué de « sentience ».
D'où les slogans qui rappelle sans cesse le caractère de personne
des animaux (« Je suis quelqu'un, pas quelque chose »).
D'où aussi le refus de la chasse qu'un adepte de la Deep Ecology ne
refusera pas nécessairement pour peu que ce soit une « chasse
naturelle » avec des arcs et des flèches.
Enfin,
précisons qu'un régime strictement végétal est bien meilleur pour
l'environnement qu'un régime à base de viande ou de poissons. Rien
que cela fait des antispécistes des écologistes, même ceux qui
râlent contre l'écologie comme David Olivier !
*****
Ensuite,
la critique de Paul Ariès se déplace sur le terrain de
l'humanisme : « J’accuse
les végans de prendre les gens pour des idiots lorsqu’ils se
présentent comme de nouveaux humanistes alors que l’humanisme
reste leur bête noire, puisque, selon eux, responsable du spécisme
envers les autres espèces animales, alors que toute leur idéologie
conduit à déplacer les frontières entre espèces ».
Alors
encore une fois on pratique l'amalgame : puisque CERTAINS
antispécistes sont de fait des anti-humanistes ou des gens qui
critiquent l'humanisme, TOUS les antispécistes sont taxés
d'anti-humanistes par Paul Ariès. C'est une rhétorique un peu
fatigante, il faut bien le dire.
Donc
effectivement, il y a des antispécistes qui rejettent l'humanisme.
Yves Bonnardel et David Olivier par exemple (oui, encore eux!).
J'avais écrit une série d'articles pour défendre l'humanisme
contre Bonnardel et Olivier, par exemple : « L'animalisme
est-il un humanisme ? » qui défend un humanisme
soucieux du sort des animaux dans la lignée d'un Michel de
Montaigne. J'y disais notamment : «Je
pense que rejeter l'humanisme comme le fait Yves Bonnardel n'est pas
seulement une erreur philosophique, mais une erreur stratégique, une
contradiction par rapport au sens de l'Histoire de l'évolution de
l'humanisme. En outre, rejeter l'humanisme n'est absolument pas une
garantie que le sort des animaux va être entendu. Les mouvances
anti-humanistes n'ont pas été plus tendres envers les animaux que
les humanistes, que ce soit les intégristes religieux ou chez les
nazis. Hitler et les nazis se sont d'ailleurs directement inspiré
des abattoirs de Chicago pour concevoir leurs camps
d'extermination ».
Je
ne pense donc pas qu'on puisse dire sérieusement comme le fait Paul
Ariès que « l'humanisme
est la bête noire de l'antispécisme,
puisque, selon eux, responsable
du spécisme envers les autres espèces animales »
(sic). Cela n'a pas de sens : l'exploitation animale a existé
bien avant l'apparition de l'humanisme à la Renaissance ou au Siècle
des Lumières ! Et en réalité, cet argument est très gênant
pour l'écologiste radical qu'est Paul Ariès, cet adepte de la
« décroissance » puisque les mouvances écologistes se
réclament elles aussi très souvent de l'anti-humanisme, accusant
l'humanisme d'avoir coupé l'Homme du monde naturel et d'avoir
engendré l'idée horrible du Progrès et la conception cartésienne
de l'homme « maître et possesseur de la Nature ». Les
adeptes de la Deep Ecology considèrent même que la Nature doit être
mise sur un piédestal et que les hommes devraient cesser de se
mettre au centre de la Création.
L'écologiste
Yves Paccalet avait écrit un livre en 2006 au titre très édifiant :
« L'humanité va
disparaître. Bon débarras ! ».
Il y déclare notamment : « Je
cherche l’humanité au fond de l’homme : je n’y vois que
la moustache d’Hitler. Nous ne sommes ni le fleuron, ni l’orgueil,
ni l’âme pensante de la planète: nous en incarnons la tumeur
maligne. L’Homme est le cancer de la Terre. Cette formule choquera
les âmes sensibles; mais peu me chaut d’offusquer les
« humanistes » qui ont des yeux pour ne pas voir et un
cerveau pour imaginer que Dieu les a conçus afin qu’ils passent
leur éternité à chanter des cantiques au paradis ou à cuire en
enfer ».
Difficile
de faire plus anti-humaniste, n'est-ce pas ? Et pourtant Yves
Paccalet est écologiste et adepte de la décroissance comme Paul
Ariès, peut-être même un pote de Paul Ariès. Si j'étais mauvais
comme Paul Ariès, je prendrai l'exemple d'Yves Paccalet pour
dénoncer l'anti-humanisme de TOUS les écologistes. Je me bornerai
ici simplement à dire que CERTAINS écologistes se rangent dans le
camp de l'anti-humanisme, un camp qui n'est pas le mien. Je suis
humaniste et antispéciste. Je suis humaniste et écologiste.
*****
Une
dernière remarque sur cette question de l'humanisme. Paul Ariès dit
dans le passage que j'ai cité plus que « toute
l'idéologie des antispécistes conduit à déplacer les frontières
entre espèces ». Je pense que l'antispécisme
ne déplace rien du tout. Par contre, l'antispécisme s'inscrit dans
un mouvement inspiré des découvertes de Charles Darwin où les
frontières entre l'homme et l'animal n'est pas ce gouffre
infranchissable que beaucoup de penseurs voyaient auparavant. L'homme
est pleinement un animal. Cela ne l'empêche pas d'être différent
des autres espèces tout comme une chauve-souris est différente
d'une tortue géante des Galapagos.
*****
Dans
la foulée de cette critique de l'anti-humanisme prétendu des
antispécistes, Paul Ariès s'en prend à Peter Singer : « (Les
antispécistes) clament, avec leur principal théoricien Peter
Singer, que les nourrissons, les grands handicapés, les personnes
âgées très dépendantes ne sont pas des personnes, que ces
individus n’ont pas, au sens propre, de droit à la vie, qu’un
chiot valide est plus digne qu’un grand handicapé, que tuer un
nourrisson est moins grave que sacrifier un grand singe ».
C'est
là une interprétation très malveillante de ce qu'on appelle
« l'argument des cas marginaux ». Cet argument dit que
l'idéologie spéciste fait reposer le bien-fondé de l'exploitation
animale sur l'intelligence et les capacités supérieures de l'être
humain. Or on constate que toute une série d'êtres humains n'ont
pas ces capacités : les très jeunes bébés notamment, que
certaines n'auront jamais ces capacités comme les personnes
lourdement handicapées et que d'autres n'ont plus ces capacités
comme les personnes séniles.
Or
est-ce que l'idéologie spéciste retire à ces personnes qui n'ont
pas d'intelligence et de capacité supérieure propre à l'homme le
droit de ne pas être exploité ? Non, les bébés, les
personnes déficientes mentalement et les personnes séniles
bénéficient des mêmes droits et prérogatives que tous les êtres
humains pleinement doués de leur moyen. L'idéologie spéciste
privilégie donc l'être humain et autorise l'exploitation animale
non pas du fait de l'intelligence de l'homme et de ses capacités
supérieures, mais bien du seul fait de l'appartenance à une espèce
présumée supérieure, qui a tous les droits sur le reste des autres
espèces.
Donc
cet « argument des cas marginaux » ne vise pas à refuser
le droit à la vie des personnes séniles ou lourdement handicapées
comme le prétend de façon malveillante Paul Ariès. Il ne vise pas
non plus à dire qu'un chiot vaut plus qu'un handicapé mental ou que
tuer un bébé serait un crime moins grave que tuer un chimpanzé
dans la force de l'âge. C'est de la pure manipulation de raconter
des choses pareilles ! C'est l'envie de susciter la haine en
distordant un argument pour lui faire signifier le contraire de ce
qu'il veut dire. L'argument des cas marginaux ne vise pas à
rabaisser les droits et le statut aux personnes qui n'auraient pas
ces capacités supérieures, mais bien à relever le droit des
animaux. Le fait de ne pas posséder une intelligence n'est pas un
critère qui donne le droit moral aux humains de massacrer les
animaux et de les exploiter honteusement. Rehausser le statut moral
des animaux, certainement pas rabaisser le statut des personnes
humaines les plus fragiles, voilà le projet antispéciste !
Frédéric
Leblanc, le 28 janvier 2019.
L214 |
Voir
une autre critique des propos très contestables de Paul Ariès :
L’agenda
caché des antidreyfusards à la solde du transhumanisme qui mangent
des nourrissons (How i met your tofu)
Voir
également contre les propos fallacieux de Paul Ariès :
Sur
les rapports entre antispécisme et écologie :
-
Penser l'homme et l'animal au sein de la Nature
Concernant
la relation entre humanisme et antispécisme :
- Humanisme
et égalité : 1ère
partie – 2ème
partie
Quand vous reconnaissez un animal comme quelqu'un, il devient beaucoup plus difficile de les traiter comme quelque chose. |
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