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lundi 28 janvier 2019

Paul Ariès raconte n'importe quoi - 2ème partie




Paul Ariès raconte n'importe quoi



Paul Ariès continue son texte : « J’accuse les végans de mentir en faisant croire au grand public qu’ils seraient des écolos et même des superécolos, alors qu’ils haïssent l’écologie et les écologistes, puisque les écolos aiment la nature et qu’eux la vomissent, car elle serait intrinsèquement violente donc mauvaise. David Olivier, un des pères des Cahiers antispécistes, signait, dès 1988, un texte intitulé "Pourquoi je ne suis pas écologiste". Il confirme en 2015 : "Nous voyons l’antispécisme et l’écologisme comme largement antagonistes"».


Là encore, on est dans l'amalgame, je dirai même du « super-amalgame »... Certains antispécistes sont effectivement très critiques à l'encontre de l'écologie. C'est vrai, et notamment David Olivier. Mais là encore, cela ne veut pas dire que tous les antispécistes sont contre l'écologie. J'ai moi-même écrit une série d'articles pour contrer les thèses de David Olivier et de son camarade Yves Bonnardel : « Penser l'homme et l'animal au sein de la Nature ». Je me revendique personnellement de l'écologie et ne me reconnaît pas dans la pensée d'Olivier et Bonnardel sur ce point. Néanmoins, un intellectuel comme Paul Ariès devrait être soucieux de ne pas réduire une pensée au point où elle ne veut plus rien dire. David Olivier et Yves Bonnardel défendent un point de vue un peu plus subtil qu'un simple anti-écologisme primaire.



Pour faire un résumé très bref, David Olivier et Yves Bonnardel refusent qu'on vénèrent « l'idée de Nature » pour deux raisons :

  • 1°) l'idée de Nature permet à beaucoup d'idéologues d'estimer qu'il y a des hiérarchies « naturelles » entre les êtres humains (discrimination entre les races, domination masculine sur les femmes, idée aristocratique des qualités intrinsèques de certaines classes sociales aux dépens des classes populaires,...). Dans l'Antiquité, Aristote estimait ainsi qu'il y avait des esclaves « par nature » et des maîtres « par nature »...

  • 2°) l'idée romantique d'une Nature bienfaitrice et idyllique est une illusion. Il faudrait éviter toute mystique de la Nature selon eux.


Personnellement, je partage la première critique de l'idée de Nature : une conception partiale de la Nature ne doit pas justifier ontologiquement la domination d'une partie de l'humanité sur une autre partie. Par contre, il y a une certaine idée de la Nature comme harmonie que je ne rejette pas, même s'il ne faut pas être naïf : la cruauté existe dans la Nature, et la souffrance est omniprésente en son sein. C'est ce que j'affirme dans mont texte « Penser l'homme et l'animal au sein de la Nature » (5ème partie) : « Ce sont les romantiques qui ont commencé à faire une distinction entre la philosophie naturelle (c’est-à-dire la science) et la philosophie de la Nature. La philosophie naturelle pense la Nature comme objet, là où la philosophie de la Nature pense la Nature comme sujet. C’est cela qu’il faut repenser, pas seulement pour assouvir notre soif métaphysique, mais aussi et surtout pour retrouver une relation plus harmonieuse et apaisée avec la Nature que la société industrielle détruit impitoyablement. Tout miser sur les éoliennes et les panneaux solaires n’a aucun sens pour nous sortir du réchauffement climatique et freiner l’effondrement de la biodiversité, si nous ne changeons pas notre rapport à la Nature, si nous ne consommons pas moins les ressources naturelles et si nous n'arrêtons pas cette guerre effrénée que nous avons lancé contre la Nature. Une autre relation avec la Nature est à redessiner. D’urgence ».


Je ne partage pas les conceptions de David Olivier et d'Yves Bonnardel sur ce refus d'une mystique de la Nature. Pour autant, on ne peut pas réduire leurs opinions à l'attitude de l'industriel ou de l'homme politique qui viendrait dire qu'il ne faut rien pour protéger l'environnement et que le réchauffement climatique est un leurre. C'est quand même beaucoup plus subtil que cela...






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Paul Ariès enfonce le clou de cette opposition entre antispécisme et écologie : « Le véganisme refuse tout simplement de penser en termes d’espèces et d’écosystèmes pour ne connaître que des individus (humains ou non humains) ». L'idée que les antispécistes rejetteraient l'écologie est globalement fausse. Si on faisait un sondage parmi 1000 antispécistes et 1000 Français lambda, je pense qu'on verrait se dessiner en moyenne une opinion beaucoup plus favorable aux thèses écologistes chez les antispécistes que chez les Français moyens. Il me semble qu'il y a des convergences évidentes entre antispécistes modérés et écologistes modérés. Je me souviens d'avoir assisté à un événement pour les 10 ans de l'association végétarienne EVA à Gand en Belgique ; et j'avais été frappé par le très grand nombre de gens qui se baladaient là avec un t-shirt à l'effigie de Greenpeace (au moins un tiers de l'assistance).


Par contre, les relations seront plus tendues et conflictuelles avec les antispécistes radicaux et les écologistes radicaux de la Deep Ecology. Les antispécistes vont effectivement défendre des individus tandis que les écologistes vont défendre des espèces. Normalement, cela ne devrait pas poser de problèmes : ce sont deux approches différentes, mais qui peuvent être convergentes. Sauf dans les cas des antispécistes radicaux et des écologistes radicaux. Les premiers estimeront que c'est une baleine en particulier qu'il faut défendre des harpons de l'homme, tandis qu'un écologiste ne verra pas de problème à la perte d'un seul individu, puisque la prédation est naturelle dans les écosystèmes. Pour un écologiste radical, le véritable drame, c'est la disparition d'un espèce : la perspective angoissante que toutes les baleines (ou les poissons, les requins, les coraux, etc... ) disparaissent de nos océans.


Pour les antispécistes, il n'y a de tragédie que dans la souffrance et l'exploitation subie par tel ou tel individu doué de « sentience ». D'où les slogans qui rappelle sans cesse le caractère de personne des animaux (« Je suis quelqu'un, pas quelque chose »). D'où aussi le refus de la chasse qu'un adepte de la Deep Ecology ne refusera pas nécessairement pour peu que ce soit une « chasse naturelle » avec des arcs et des flèches.


Enfin, précisons qu'un régime strictement végétal est bien meilleur pour l'environnement qu'un régime à base de viande ou de poissons. Rien que cela fait des antispécistes des écologistes, même ceux qui râlent contre l'écologie comme David Olivier !





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Ensuite, la critique de Paul Ariès se déplace sur le terrain de l'humanisme : « J’accuse les végans de prendre les gens pour des idiots lorsqu’ils se présentent comme de nouveaux humanistes alors que l’humanisme reste leur bête noire, puisque, selon eux, responsable du spécisme envers les autres espèces animales, alors que toute leur idéologie conduit à déplacer les frontières entre espèces ».


Alors encore une fois on pratique l'amalgame : puisque CERTAINS antispécistes sont de fait des anti-humanistes ou des gens qui critiquent l'humanisme, TOUS les antispécistes sont taxés d'anti-humanistes par Paul Ariès. C'est une rhétorique un peu fatigante, il faut bien le dire.


Donc effectivement, il y a des antispécistes qui rejettent l'humanisme. Yves Bonnardel et David Olivier par exemple (oui, encore eux!). J'avais écrit une série d'articles pour défendre l'humanisme contre Bonnardel et Olivier, par exemple : « L'animalisme est-il un humanisme ? » qui défend un humanisme soucieux du sort des animaux dans la lignée d'un Michel de Montaigne. J'y disais notamment : «Je pense que rejeter l'humanisme comme le fait Yves Bonnardel n'est pas seulement une erreur philosophique, mais une erreur stratégique, une contradiction par rapport au sens de l'Histoire de l'évolution de l'humanisme. En outre, rejeter l'humanisme n'est absolument pas une garantie que le sort des animaux va être entendu. Les mouvances anti-humanistes n'ont pas été plus tendres envers les animaux que les humanistes, que ce soit les intégristes religieux ou chez les nazis. Hitler et les nazis se sont d'ailleurs directement inspiré des abattoirs de Chicago pour concevoir leurs camps d'extermination ».


Je ne pense donc pas qu'on puisse dire sérieusement comme le fait Paul Ariès que « l'humanisme est la bête noire de l'antispécisme, puisque, selon eux, responsable du spécisme envers les autres espèces animales » (sic). Cela n'a pas de sens : l'exploitation animale a existé bien avant l'apparition de l'humanisme à la Renaissance ou au Siècle des Lumières ! Et en réalité, cet argument est très gênant pour l'écologiste radical qu'est Paul Ariès, cet adepte de la « décroissance » puisque les mouvances écologistes se réclament elles aussi très souvent de l'anti-humanisme, accusant l'humanisme d'avoir coupé l'Homme du monde naturel et d'avoir engendré l'idée horrible du Progrès et la conception cartésienne de l'homme « maître et possesseur de la Nature ». Les adeptes de la Deep Ecology considèrent même que la Nature doit être mise sur un piédestal et que les hommes devraient cesser de se mettre au centre de la Création.


L'écologiste Yves Paccalet avait écrit un livre en 2006 au titre très édifiant : « L'humanité va disparaître. Bon débarras ! ». Il y déclare notamment : « Je cherche l’humanité au fond de l’homme : je n’y vois que la moustache d’Hitler. Nous ne sommes ni le fleuron, ni l’orgueil, ni l’âme pensante de la planète: nous en incarnons la tumeur maligne. L’Homme est le cancer de la Terre. Cette formule choquera les âmes sensibles; mais peu me chaut d’offusquer les « humanistes » qui ont des yeux pour ne pas voir et un cerveau pour imaginer que Dieu les a conçus afin qu’ils passent leur éternité à chanter des cantiques au paradis ou à cuire en enfer ».


Difficile de faire plus anti-humaniste, n'est-ce pas ? Et pourtant Yves Paccalet est écologiste et adepte de la décroissance comme Paul Ariès, peut-être même un pote de Paul Ariès. Si j'étais mauvais comme Paul Ariès, je prendrai l'exemple d'Yves Paccalet pour dénoncer l'anti-humanisme de TOUS les écologistes. Je me bornerai ici simplement à dire que CERTAINS écologistes se rangent dans le camp de l'anti-humanisme, un camp qui n'est pas le mien. Je suis humaniste et antispéciste. Je suis humaniste et écologiste.






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Une dernière remarque sur cette question de l'humanisme. Paul Ariès dit dans le passage que j'ai cité plus que « toute l'idéologie des antispécistes conduit à déplacer les frontières entre espèces  ». Je pense que l'antispécisme ne déplace rien du tout. Par contre, l'antispécisme s'inscrit dans un mouvement inspiré des découvertes de Charles Darwin où les frontières entre l'homme et l'animal n'est pas ce gouffre infranchissable que beaucoup de penseurs voyaient auparavant. L'homme est pleinement un animal. Cela ne l'empêche pas d'être différent des autres espèces tout comme une chauve-souris est différente d'une tortue géante des Galapagos.






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Dans la foulée de cette critique de l'anti-humanisme prétendu des antispécistes, Paul Ariès s'en prend à Peter Singer : « (Les antispécistes) clament, avec leur principal théoricien Peter Singer, que les nourrissons, les grands handicapés, les personnes âgées très dépendantes ne sont pas des personnes, que ces individus n’ont pas, au sens propre, de droit à la vie, qu’un chiot valide est plus digne qu’un grand handicapé, que tuer un nourrisson est moins grave que sacrifier un grand singe ».


C'est là une interprétation très malveillante de ce qu'on appelle « l'argument des cas marginaux ». Cet argument dit que l'idéologie spéciste fait reposer le bien-fondé de l'exploitation animale sur l'intelligence et les capacités supérieures de l'être humain. Or on constate que toute une série d'êtres humains n'ont pas ces capacités : les très jeunes bébés notamment, que certaines n'auront jamais ces capacités comme les personnes lourdement handicapées et que d'autres n'ont plus ces capacités comme les personnes séniles.


Or est-ce que l'idéologie spéciste retire à ces personnes qui n'ont pas d'intelligence et de capacité supérieure propre à l'homme le droit de ne pas être exploité ? Non, les bébés, les personnes déficientes mentalement et les personnes séniles bénéficient des mêmes droits et prérogatives que tous les êtres humains pleinement doués de leur moyen. L'idéologie spéciste privilégie donc l'être humain et autorise l'exploitation animale non pas du fait de l'intelligence de l'homme et de ses capacités supérieures, mais bien du seul fait de l'appartenance à une espèce présumée supérieure, qui a tous les droits sur le reste des autres espèces.


Donc cet « argument des cas marginaux » ne vise pas à refuser le droit à la vie des personnes séniles ou lourdement handicapées comme le prétend de façon malveillante Paul Ariès. Il ne vise pas non plus à dire qu'un chiot vaut plus qu'un handicapé mental ou que tuer un bébé serait un crime moins grave que tuer un chimpanzé dans la force de l'âge. C'est de la pure manipulation de raconter des choses pareilles ! C'est l'envie de susciter la haine en distordant un argument pour lui faire signifier le contraire de ce qu'il veut dire. L'argument des cas marginaux ne vise pas à rabaisser les droits et le statut aux personnes qui n'auraient pas ces capacités supérieures, mais bien à relever le droit des animaux. Le fait de ne pas posséder une intelligence n'est pas un critère qui donne le droit moral aux humains de massacrer les animaux et de les exploiter honteusement. Rehausser le statut moral des animaux, certainement pas rabaisser le statut des personnes humaines les plus fragiles, voilà le projet antispéciste !



Frédéric Leblanc, le 28 janvier 2019.


















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Voir une autre critique des propos très contestables de Paul Ariès :




Voir également contre les propos fallacieux de Paul Ariès :

- Pourquoi les véganes sont dans le vrai : 1ère partie et 2ème partie




Sur les rapports entre antispécisme et écologie :

- Penser l'homme et l'animal au sein de la Nature






Concernant la relation entre humanisme et antispécisme :



- Humanisme et égalité : 1ère partie2ème partie












Quand vous reconnaissez un animal comme quelqu'un,
il devient beaucoup plus difficile de les traiter comme quelque chose.





Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici


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