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lundi 2 août 2021

La grande avalanche


La grande avalanche

(Commentaire au Soûtra de la Parabole de la Montagne)



La mort avance comme une grande avalanche qui ravage tout sur son passage. Rien n'y résistera. Une fois que l'on en a pris clairement conscience, comment réagir à cela ? Est-ce que cela a encore un sens de vouloir conquérir le monde quand on voit que ces conquêtes toujours incertaines seront balayées par la mort à venir ? À quoi bon tant d'efforts ? À quoi bon tant de peines et de souffrances pour soutenir tous ces affrontements ? À quoi bon tant de misères causées au regard des gains ? J'imagine que les personnes soutenant une idéologie guerrière parleront de gloire et d'honneurs. Mais cette gloire est toujours incertaine : VAE VICTIS, « malheur aux vaincus » selon la formule du chef gaulois Brennus. La gloire est toujours relative : Napoléon est un grand homme pour les Français, le dernier des salopards pour le reste du monde. Gengis Khan est un héros pour les Mongols, un tyran monstrueux pour tous les peuples qui ont subi le déferlement de violences et d'horreurs de la Horde d'Or. Mais surtout, cette gloire est elle-même appelée à s'effacer avec le temps. C'est l'empereur romain Marc-Aurèle qui savait quelque chose en matière de conquête et de guerre aux frontières de l'Empire, qui disait : « Bientôt, tu auras tout oublié. Bientôt, tous t'auront oublié... ».


Mais revenons au texte du Bouddha. Il se trouve à Savatthi (Shravasti en sanskrit) et s'adresse à un roi, un membre de la caste des khattiyas (kshatriya en sanskrit), la caste des aristocrates dont le rôle est justement de guerroyer et de défendre le royaume. Rappelons que Siddhartha Gautama est lui-même issu de cette caste de guerriers et comprend donc très bien les affects du roi Pasenadi du clan des Kosalas à qui il s'adresse. Pasenadi décrit le mélange d'orgueil, de vanité, de jouissance et de crainte que la puissance militaire apporte : le roi contrôle une large superficie de terres et il maintient la sécurité de son royaume, et il en retire les dividendes tant sur le plan social sous forme de gloire et d'honneurs que matériel sous la forme de palais et de luxe. Mais on sent aussi que ce pouvoir peut être à tout moment renversé par un rival, que la superficie contrôlée peut se morceler sous le coup des invasions ou sous le coup des divisions internes, et surtout que la sécurité peut très vite succéder au chaos.


C'est le moment où le Bouddha arrive avec sa métaphore de l'avalanche : imaginons une ville entourées de hautes montagnes enneigées comme dans une cuvette. Des messagers arrivent en panique pour annoncer que les pentes des montagnes du nord, du sud, de l'est et de l'ouest voient dévaler de gigantesques avalanches sur leur passage qui ravagent tout sur leur passage et qui vont rayer la cité de la carte. Face à ce désastre inévitable, qu'y aurait-il à faire ?


Pasenadi fait preuve de bon sens en répondant : « Dans une si grande terreur, ô Bienheureux, devant de si graves pertes humaines, alors que la naissance en tant qu'être humain est une occasion très difficile à obtenir, qu'y aurait-il à faire, sinon vivre selon la droiture, selon la justice et faire des actes bons et méritoires qui donnent de bons résultats ? ». Sachant que ce qu'on a accumulé tant en termes de richesses, de biens matériels ou d'honneurs va s'effondrer très prochainement, pourquoi ne pas privilégier un mode de vie basé sur plus de droiture morale, être bienveillant et chercher à faire le bien autour de soi ? Être en accord avec soi-même et les autres est ce qui nous rapproche le plus d'une forme d'éternité ou de transcendance du temps.


Pasenadi évoque alors différentes modalités de la guerre : avec des éléphants, avec des chevaux, avec de l'infanterie, avec des chars, etc... Tous ces armements et cette course à l'armement amènent peut-être de l'efficacité dans la guerre et permettent de remporter des batailles, de rompre les fortifications d'une ville, d'asservir un peuple. Mais ce ne sont en aucune façon des moyens efficaces et opportuns pour apporter du bien au plus grand nombre, c'est juste un gigantesque gâchis de ressources et de vies humaines qui ont des conséquences désastreuses pour des générations. Il suffit l'Histoire du XXème siècle pour s'en convaincre. La première guerre mondiale a provoqué un carnage dans les tranchées avec les pluies d'obus et de gaz toxique. Cela a affaibli la population mondiale face à la pandémie de grippe espagnole, et les Allemands ont été humilié avec l'occupation de la Ruhr et la famine qui a frappé le pays. Cela a permis Hitler de répandre son message de haine avec le nazisme, et cela a provoqué la seconde guerre mondiale, encore plus destructrice avec ses camps de concentration, ses bombardements stratégiques qui ruinait des villes entières et l'apparition de la bombe atomique. Suite à la seconde guerre mondiale, le monde a été divisé en deux blocs : capitalistes contre communistes. Ce qui fait que les Américains ont financé des jihadistes islamistes comme Oussama Ben Laden pour combattre en Afghanistan. Maintenant que le rideau de fer s'est effondré, les attentats et les conflits causés par les jihadistes sont incessants. La guerre n'amène qu'une mécanique infernale qui gâche un nombre incalculable de vies encore et encore.


Pasenadi évoque ensuite les rituels et les incantations pour mener à la guerre. On peut évoquer tous ceux qui prient pour que Dieu ou Allah les conduisent à la victoire et leur permettent d'écraser l'ennemi. C'est la vieille rengaine du « Gott mit uns ». On pourrait aussi étendre ces incantations à la propagande moderne qui cherche à justifier la guerre, à la rendre acceptable, voire désirable. Combien de ferveur et surtout combien d'intelligence n'a-t-on pas englouti dans cette endoctrinement funeste aux conséquences désastreuses ?


Pasenadi évoque ensuite l'argent et le financement de la guerre : « il y a chez moi une grande quantité d'or, entassée dans des souterrains et amassée dans les chambres fortes des hauts étages, utilisable comme une stratégie financière en vue d'arrêter des ennemis qui s'avancent ». Au temps du Bouddha, l'argent était le nerf de la guerre tout comme aujourd'hui, l'argent est le nerf de la guerre ! Rien de neuf sous le soleil ! Ce financement de la guerre engloutit aussi des ressources énormes : quand on voit les sommes consacrées à la guerre et à l'armement à cause du complexe militaro-industriel et ce qu'on pourrait faire en termes d'éducation, de soins de santé, de nourritures pour les populations les plus démunies, là encore on voit l'incroyable inefficacité de la guerre !


Il faut d'ailleurs étendre ce financement de la guerre à la guerre économique, à la concurrence féroce qui règne entre les entreprises et qui provoque une injustice sociale monstrueuse ainsi qu'un gouffre toujours plus grand entre les plus riches et les plus pauvres.Il faut voir et critiquer la concurrence que l'idéologie capitaliste met entre les individus, récompensant les uns et excluant les « losers », ceux qui ne sont rien comme disait le président français. Tout cela aussi est un gâchis énorme.


Le Bouddha acquiesce et résume en quelques mots les explications de Pasenadi. Quand on a une conscience claire de l'impermanence et de la vieillesse et la mort à venir, les guerres perdent leur sens et leur utilité. Ce qui est utile, ce qui favorise le bonheur et le bien-être autour de nous. Et plus on se rend compte que le temps est compté, plus on prend conscience qu'il faut éviter les disputes, les querelles et les affrontements pour privilégier des relations chaleureuses et douces et répandre la joie et la paix. Comme le dit le moine Thich Nhat Hanh : « L'impermanence nous apprend à respecter et à prendre conscience de l'importance de chaque instant et de toutes les merveilles qui sont en nous et autour de nous. En pratiquant la pleine conscience de l'impermanence, nous devenons plus attentifs et plus aimants ». Notre vie, notre santé, nos biens, notre argent, tout cela disparaît, mais les relations positives que nous tissons continuent à se propager bien au-delà de notre personne.














Voir également : 


Bientôt... (Marc-Aurèle)

Méditer longuement l'impermanence

Vivre sans pourquoi

Vie et mort

Telle la génération des feuilles 

La vie selon François-Xavier Bichat

Une charogne (Baudelaire)

Le Vallon (Lamartine)

N'entre pas docilement dans cette douce nuit (Dylan Thomas)

Panta Rhei.











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