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vendredi 1 février 2019

Paul Ariès raconte n'importe quoi - 3ème partie





Paul Ariès raconte n'importe quoi

(3ème partie)





Paul Ariès ne s'arrête pas là dans sa critique rancunière contre Peter Singer. Dans sa tribune du Monde du 7 janvier, il reproche à lui et aux antispécistes de réinstaller une nouvelle hiérarchie entre les êtres : « Trier l’ensemble des animaux (humains ou non) en fonction d’un critère quelconque (caractère « sentient ») revient toujours à recréer la hiérarchie. Proclamer l’égalité animale c’est signifier que certains animaux seront plus égaux que d’autres, donc que certains humains seront moins égaux que d’autres humains et même que certains animaux non humains ».


Alors là, c'est très emblématique d'un malentendu que beaucoup de détracteurs entretiennent à l'encontre de l'antispécisme : l'idée de la croyance à une égalité totale entre tous les animaux. La vie d'un être humain aurait autant importance que la vie d'une vache ou la vie d'un coléoptère. Non, je ne dis pas ça ; et les antispécistes ne disent pas ça. La vie d'un être humain me semblera toujours plus importante que la vie d'une vache ; et la vie d'une vache me semblera plus importante que la vie d'un coléoptère. Ce que disent les antispécistes, c'est qu'on devrait envisager les intérêts de tout être sentient (doué de sensibilité et de conscience) et les respecter. Je suis peut-être supérieur (intellectuellement, spirituellement, moralement,...) à une vache ; mais cette supériorité réelle ou supposée ne me donne pas le droit moral de maltraiter cette vache, d'exploiter cette vache ou de manger cette vache. Je n'ai pas le droit moral de découper les pattes du coléoptère pour mon seul plaisir.



Il n'y a donc pas d'égalité ontologique, mais bien une égalité de considération : les autres animaux méritent que je prenne en compte leurs intérêts et ne pas les faire souffrir inutilement. Cette supériorité implique peut-être une hiérarchie, mais de manière très limitée : ce n'est pas une hiérarchie qui justifierait une exploitation des animaux. Tout au plus une priorité que je donnerai aux humains. Si je voyais un être humain, une vache et un coléoptère en détresse, j'aiderais d'abord l'humain, la vache ensuite et puis le coléoptère. En même temps, cette supériorité justifie aussi une responsabilité morale : les hommes ont le devoir morale de se battre pour que les baleines puissent survivre. On ne sera pas rancunier si les baleines ne se mobilisent pas et ne manifestent pas pour la survie des êtres humains...


Maintenant, est-ce que ce sentiment de supériorité conduit nécessairement les humains à créer des hiérarchies entre eux ? Je ne le crois pas. Dans les faits, il y a bien sûr des différences : certains sont doués que d'autres en math ou en anglais, certains sont plus beaux que d'autres, certains sont plus forts que d'autres, certains connaissent plus de choses que d'autres. Mais ces différences de fait justifient-elles une différence en droit ? Non, je ne le pense pas. Comme le dit la déclaration universelle des droits de Homme dans son article premier : « Tous les êtres naissent égaux et libres en droit et en dignité ».


En fait, cet argument venant des carnistes est étrange. Ce n'est pas la première fois que je l'entends ; et on l'utilise à toutes les sauces pour créer des sophismes supposés mettre à mal la doctrine des véganes. Par exemple, qu'on recréerait une hiérarchie entre les êtres sensibles, que le végane se sentirait meilleur que le tigre ou le lion du fait de son abstention de viande, etc... Et puis après, on retourne la logique en racontant que les carnistes sont beaucoup plus égalitaires que les véganes puisqu'ils ne sentent pas supérieurs au tigre et au lion, puisqu'ils sont carnivores comme les deux grands fauves.


Ou encore autre sophisme : dire que les véganes tuent plus d'animaux que les viandards puisque que dans la culture des champs écrase des milliers d'insectes et des familles de mulots. Paul Ariès ne se prive pas de ce sophisme plus loin dans son texte. Le problème est que cela ne tient pas la route : dans l'élevage, il faut bien nourrir les bêtes avec des végétaux cultivés dans les champs. Donc cette soudaine sollicitude pour les petites bestioles des champs n'est juste qu'une entourloupe pour essayer de mettre à mal (en vain) la logique végane.





*****




Paul Ariès continue sa diatribe contre Peter Singer : « J’accuse le véganisme d’aboutir à un relativisme éthique dès lors qu’il introduit la notion de qualité de vie pour juger de la dignité d’un handicapé, d’une personne âgée dépendante, dès lors qu’il banalise la zoophilie à la façon de Peter Singer, lequel dans son fameux « Heavy Petting » défend certaines formes de rapports sexuels entre humains et animaux, évoquant des contacts sexuels mutuellement satisfaisants. Ce sont ces mêmes végans qui se prétendent les champions toutes catégories de l’éthique face à des mangeurs de viande diaboliquement immoraux ».


Les faits d'abord : le philosophe Peter Singer a bien écrit en 2001 un texte intitulé « Heavy Petting » (Amour Bestial) dont on peut trouver une traduction dans le numéro 22 des Cahiers Antispécistes (février 2003). Il n'y défend pas la zoophilie comme l'affirme Paul Ariès ; mais Singer se contente de constater que ces rapports bestiaux existent et qu'il ne faut pas peut-être en faire tout un plat, dans la mesure où la bête n'est pas contrainte à ce rapport et que l'humain et l'animal trouve là une « relation mutuellement satisfaisante ». Il ne dit pas que c'est mal, mais il ne dit pas non plus que c'est bien. Singer constate que le phénomène existe, que cela se fait (il donne des chiffres à l'appui tiré de la célèbre étude de Kinsey sur la sexualité des Américains). Il essaye de comprendre le tabou qui tourne de cette pratique et refuse de participer à la condamnation collective de la zoophilie. Il n'encourage néanmoins pas cette pratique comme le suggère perfidement Paul Ariès.


Maintenant, est-ce que cette position de Peter Singer est gênante ? Oui personnellement, cette posture de Peter Singer me gêne. Pour moi, les relations homme-animaux sont frappés du sceau du tabou. Et je pense que cela doit le rester. Il est donc problématique de parler à la légère de ces pratiques zoophiles parmi d'autres pratiques sexuelles, comme si c'était une forme de sexualité parmi d'autres. Mon attitude par rapport à cela est : cela ne se fait pas, c'est sale, c'est dégoûtant, répugnant, c'est complètement honteux, beurk ! Mieux vaut donc que cela reste un tabou, et mieux vaut ne pas trop en parler ! J'ai l'impression que trop en parler, même pour condamner, sort en quelques sortes la zoophilie du tabou dans lequel il devrait rester plongé.


Ceci étant dit, on peut encore voir là toute la malhonnêteté intellectuelle de Paul Ariès. Encore une fois, on est dans l'amalgame : si Peter Singer a « défendu » la zoophilie, c'est que TOUS les antispécistes défendent eux aussi la zoophilie, et sont donc des êtres immoraux. C'est oublier un peu vite les réactions ulcérées des antispécistes contre l'article de Peter Singer. Dans le même numéro 22 des Cahiers Antispécistes, on trouve un texte « La bestialité : un crime passé sous silence » de Carol Adams qui encourage à poursuivre tous ceux qui bafouent le droit des animaux en s'adonnant à des actes sexuels avec eux : « Quelle que soit l'opinion dominante sur la bestialité, elle ne fait aucun cas des sentiments de l'animal. Il s'agit toujours de sévices envers les animaux. Des relations ne peuvent pas être consensuelles quand il y a inégalité de pouvoir ». Et de fait, la tendance largement dominante au sein de la cause animale est de considérer la bestialité comme une maltraitance inacceptable envers les animaux.


Tom Regan et Gary Francione, tenant du « droit des animaux », courant philosophique foncièrement opposé à l'utilitarisme de Peter Singer, ont tiré à boulet sur Peter Singer, arguant qu'un animal ne peut donner son « consentement éclairé » à tel acte sexuel. Gary Francione a notamment déclaré : « C'est une honte que le désir de Singer d'être sous les projecteurs soit si intense qu'il est prêt à encourager la sexualité avec les animaux – une position qui ne mérite rien de moins qu'une condamnation franche et absolue. Il a fondé sa carrière sur des prises de positions scandaleuses comme celle-ci 1 ». Encore aujourd'hui, Peter Singer fait l'objet de rancœur au sein de la communauté végane pour son article « Heavy petting ». En fait, nonobstant les fantasmes nauséabonds de Paul Ariès qui voit en chaque végane un zoophile en puissance, la zoophilie suscite autant de dégoût et de répulsion chez les véganes que chez les non-véganes. Voire même la condamnation est plus grande dans la mesure où les véganes prennent en compte l'intérêt de l'animal qui est de ne subir la prédation sexuelle de pervers humains.



Frédéric Leblanc, le 1er février 2019





La suite de cet article arrive très prochainement !








1 La citation de Gary Francione est tirée de l'article d'Estiva Reus, « Lyncher pour ne pas être lynché ? » dans le n°22 des Cahiers Antispécistes. J'en recommande la lecture pour tous ceux qui voudraient de plus amples détails et une réflexion intéressante sur cette prise de position très controversée de Singer dans son article « Heavy Petting » et les réactions outrées qu'elle a suscité dans la communauté végane. Néanmoins, je ne suis pas d'accord avec Estiva Reus quand elle estime que les réactions de colère des véganes à l'encontre s'expliquent principalement par la peur d'être rejeté socialement et se montrer plus stricts que la majorité : « Une des défenses qui se met en place à notre insu consiste à tenter, parce que nous sommes déviants sur le chapitre des animaux, de nous racheter en nous montrant le plus conformistes possible, le plus « socialement normaux » possible sur tous les sujets sensibles ». Je pense qu'Estiva Reus sous-estime totalement le dégoût et la répugnance des véganes pour ce genre de pratique et leur colère sincère, non-calculée à l'encontre de ce qui leur est apparu comme une trahison inacceptable dans le chef de Peter Singer.















Peter Singer en tout bien, tout honneur avec son ami, le cochon








Voir la première partie de cet article et la deuxième





Voir également contre les propos fallacieux de Paul Ariès :

- Pourquoi les véganes sont dans le vrai : 1ère partie et 2ème partie





Concernant Peter Singer, voir aussi : 






Voir également : 

































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