Voir le texte "L'équanimité de l'Arahant" tiré des "Questions de Milinda à Nāgasena".
Voir
aussi le texte issu du même dialogue « La douleur d'un Arahant» et son commentaire.
L’Arahant1
est donc cet individu qui a pratiqué la Voie du Bouddha et a franchi
toutes les étapes et tous les obstacles. Cet homme a donc atteint le
plein Éveil et s’est complètement libéré du samsâra, le cycle
des naissances et des morts dans lequel tous les êtres sensibles
sont jetés de vie en vie, de renaissance et renaissance. Un Arahant
continue sa vie jusqu’au moment de sa mort. C’est à ce moment
qu’il sort concrètement du cycle des renaissances et ne connaîtra
plus jamais aucune souffrance, aucune sensation déplaisante. C’est
ainsi qu’il a actualisé la quatrième Noble vérité du Bouddha :
le chemin qui mène à la cessation de la souffrance.
Pour
passer en Nirvâna, l’Arahant a du entrer dans la « sphère
méditative de cessation des sensations et des perceptions ».
Dans cet état méditatif, plus aucune sensation ou perception ne se
manifestent à lui. C’est un état de béatitude totale, mais
paradoxalement sans aucune sensation de bonheur, de plaisir ou de
bien-être que l’on rattache habituellement à la béatitude. En
fait, ne plus être soumis aux sensations et aux perceptions est une
immense libération, car ces sensations et ces perceptions sont
d’immenses fardeaux dans l’existence, même si nous ne voyons
généralement pas les choses comme cela. Pour nous, le seul
problème, ce sont les sensations de douleur et de souffrance qui
empoisonnent notre existence. Pour le Bouddha, toutes les sensations
sont un problème dans la mesure où même les sensations plaisantes
ont le défaut de susciter le désir et l’attachement, ce qui nous
lie irrémédiablement au cycle des existences où alternent les
sensations de plaisir et les sensations de douleur. Entrer dans « la
sphère méditative de cessation des sensations et des perceptions »
est la plus considérable des toutes les opportunités !
Mais
une fois que l’on a connu cette sphère méditative de cessation
des sensations et des perceptions et que l’on est devenu un
Arahant, connaît-on encore les sensations ? demande le roi
Milinda au moine bouddhiste Nāgasena. Pour Nāgasena, tout dépend
des sensations. Une fois que l’Arahant a connu cette sphère de
cessation des sensations et des perceptions, son mental est délivré
de toutes les sensations ; néanmoins, comme il a quitté cette
sphère méditative pour vivre sa vie, il est toujours sujet aux
sensations physiques, et notamment les sensations douloureuses.
On
pourrait se dire qu’il agit d’une immense perte par rapport aux
promesses du Nirvâna, extinction complète de la souffrance.
Pourquoi ne pas aspirer à ce Nirvâna plutôt que de rester coincé dans ce samsâra plein de douleurs et d’insatisfactions ?
Pourquoi les tourments des blessures, de la maladie, de la vieillesse
et de l’agonie alors qu’on est déjà entré dans la « sphère
méditative de cessation des sensations et des perceptions » ?
Mais
précisément, l’Arahant est entré dans le Nirvâna parce qu’il
s’est libéré de toute soif, de tout désir. Il se contente de ce
qu’il a ; et si, ici et maintenant, ce qu’il a, c’est un
corps soumis aux douleurs de la faim et de la soif, du chaud et du
froid, des blessures et des maladies, il s’en contente. Telle est
l’équanimité de l’Arahant. Il accueille de manière égale tout
ce qu’il vit, ressent et expérimente. Il ressent évidemment les
sensations douloureuses, mais les laisse passer comme une chose
transitoire, sans s’émouvoir, sans se crisper, sans éprouver de
tensions émotionnelles.
Par
ailleurs, l’Arahant accepte pleinement la loi du karma : il
s’est libéré de la chaîne sans fin du karma, mais continue pour
quelques temps à être partiellement conditionné par cette loi de
causalité où tout phénomène est produit par des causes et des
conditions et est lui-même cause et condition d’autres phénomènes
dans le monde. C’est un peu comme quand on arrête de pédaler sur
un vélo : la roue continue encore de rouler quelques temps
avant de s’arrêter définitivement. L’Arahant a cessé de faire
tourner la roue des existences cycliques, le samsâra, en cessant de
produire de l’ignorance et des émotions perturbatrices. Pour
autant, il est encore tenu dans cette existence par les actes passés
et la volonté passée du redevenir. Il doit encore vivre jusqu’à
son terme cette existence qui peut se révéler douloureuse.
Pour
autant, l’Arahant n’est nullement contrarié par ce contretemps.
Comme le dit le moine Nāgasena : « l’Arahant
n’a ni inclination, ni aversion, et les Arahants ne font pas tomber
ce qui n’est pas mûr : les hommes avisés attendent la pleine
maturation. »
Il cite Śhāriputra,
le plus grand disciple du Bouddha, connu pour sa prodigieuse sagesse.
« Je
ne me réjouis pas de la mort, je ne me réjouis pas de la vie ;
J’attends
l’heure comme un soldat son salaire.
Je
ne me réjouis pas de la mort, je ne me réjouis pas de la vie ;
J’attends
l’heure, réfléchi et attentif ».
L’Arahant
n’a plus de souhait de vivre encore et encore ; pour autant,
il ne désire pas non plus la mort. Il sait que tous les efforts
spirituels qu’il a consenti pour pratiquer une éthique et une
discipline juste, pour s’adonner à la méditation et à la
concentration, pour étudier les textes bouddhiques, pour y réfléchir
et pour développer la véritable sagesse, tous ces efforts seront
amplement récompensés en entrant dans la Grande Extinction. Mais
pour l’heure, il se contente d’apprécier l’instant présent
dans la pleine conscience et la sagesse de l’équanimité.
Cette
équanimité illimitée, grande paix de la conscience, est une des
quatre qualités incommensurables avec l’amour bienveillant, la
compassion et la joie sacrée.
Le Bouddha a souvent appelée à la développer dans une méditation
spécifique qu'il exprime en ces termes : « Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité dans une
direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une
troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers,
partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure
faisant rayonner la pensée d'équanimité, large, profonde, sans
limite, sans haine et libérée d'inimitié ».
Idéalement,
il faut joindre à cette méditation de l'équanimité la méditation
des 3 Portes de la Sagesse que sont la vacuité, l'absence de
caractéristiques et l'absence de souhait. Méditer la vacuité
permet de se rendre compte de l'irréalité des phénomènes.
L'Arahant sait ainsi que ce monde n'a pas de réalité absolue. Cela
le conforte dans son équanimité : à quoi bon vouloir tout de
suite sortir de son rêve quand on sait que le rêve n'est après
tout qu'un rêve ? La méditation de l'absence de
caractéristiques permet d'éviter de coller des étiquettes sur tout ce qui
nous entoure et de bien prendre conscience que les étiquettes ne
sont que des étiquettes, rien de plus. Cela libère l'Arahant des
jugements hâtifs sur les choses et le monde. Quand on a vu les
défauts, pourquoi s'attacher au fait de qualifier les choses de
mauvaises ? On prend les choses telles qu'elles viennent, et
c'est très bien comme cela. Enfin, la méditation de l'absence de
souhait permet de résider dans la totale acceptation de l'instant
présent. Pourquoi vouloir quitter ce monde et passer dans le
Nirvâna ? C'est pourquoi Śhāriputra
a pu
dire : « Je
ne me réjouis pas de la mort, je ne me réjouis pas de la vie.
J’attends l’heure comme un soldat son salaire ».
Il sait que rien n'est pas souhaitable que d'être délivré de ce
monde de souffrances ; pour autant, même cela, il ne le
souhaite plus.
Vivre
ce qui est dans l'instant présent. Simplement.
1
Arahant est le terme en langue pâlie. On dit Arhat en
sanskrit.
Voir le texte "L'équanimité de l'Arahant" tiré des "Questions de Milinda à Nāgasena".
Voir aussi le texte issu du même dialogue « La douleur d'un Arahant» et son commentaire.
Maccha Pucchare, Nepal |
Textes de Nāgasena :
- Continuum
- Continuum
Et les commentaires de ces textes :
« Qui suis-je ? » est une des plus anciennes questions de la philosophie. Nous avons la tendance naturelle à postuler un sujet connaissant, un « je », un « moi », un « ego », peu importe comment on l'appelle, qui serait à la base de toutes nos perceptions du monde environnant et de notre expérience intime de la vie. Le roi Milinda, dans le célèbre ouvrage bouddhiste, « Les questions de Milinda à Nāgasena » (Milinda Panha), défend l'idée d'un sujet connaissant toujours identique qui percevrait le monde tout comme le même homme percevrait le monde à partir des différentes fenêtres d'une même tour. Le moine bouddhiste Nāgasena déconstruit cette croyance en un sujet connaissant permanent qui serait sous-jacent à la perception de nos six sens et à notre connaissance du monde.
On se représente toujours le Sage comme un être imperturbable, baignant dans la béatitude et une souveraine sérénité, toujours absolument maître de lui-même, contrôlant tout son être par la puissance de son esprit. Cette image, on la retrouve dans l’imaginaire spirituel indien, mais aussi dans la philosophie antique gréco-romaine. Est-ce une image correcte ?
Un Arahant ressent toujours les sensations physiques, même s'il est délivré des sensations mentales. Il est donc encore soumis à la douleur physique. Pourtant il n'aspire pas à quitter ce monde et attend son heure tranquillement. Pourquoi ?
- Ni autre, ni différent
- Ni autre, ni différent
Pour Nāgasena, la personne que nous avons été dans une vie précédente n'est ni autre, ni identique à nous-mêmes. Nāgasena prend l'exemple de notre propre vie : quand on était bébé, étions-nous la même personne qu'aujourd'hui ? Cela semble difficile à croire : nos capacités ne sont pas du tout la même, notre apparence physique a complètement changé, nos pensées ne sont pas les mêmes. Pour autant, on ne peut pas dire non plus qu'on soit complètement différent de quand on était bébé. Cela voudrait dire que l'on n'aurait pas été ce bébé à un moment de notre vie. Ce bébé que nous avons été n'est ni autre, ni identique à nous-mêmes. Il est un moment de notre continuum d'existence.
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