Oui la détresse est
grande, et pourtant il m'arrive souvent, le soir, quand le jour
écoulé a sombré derrière moi dans les profondeurs, de longer d'un
pas souple les barbelés, et toujours je sens monter en mon cœur –
je n'y puis rien, c'est ainsi, cela vient d'une force élémentaire –
la même incantation: la vie est une chose merveilleuse et grande.
Après la guerre, nous aurons à construire un monde entièrement
nouveau, et, à chaque nouvelle exaction, à chaque nouvelle cruauté,
nous devrons opposer un petit supplément d'amour et de bonté à
conquérir sur nous-mêmes. Nous avons le droit de souffrir mais non
de succomber à la souffrance. Et si nous survivons à cette époque
indemnes de corps et d'âme, d'âme surtout, sans amertume, sans
haine, nous aurons aussi notre mot à dire après la guerre
Etty Hillesum, extrait
de son journal, 1941
Roman Vishniac, Garçon se tenant sur une montagne de gravats, Berlin, 1947. |
Etty Hillesum était
une juive néerlandaise qui a écrit son journal intime, un
témoignage spirituel très fort, entre 1941 et 1943, année où elle
mourut à Auschwitz. Je trouve ce passage de son journal très fort.
Au fond, il n'est déjà pas aisé de parvenir à trouver la vie
belle et magnifique quand on traverse un moment de déprime ou une
situation difficile comme une perte d'emploi. Mais il y a une
incroyable force à s'émerveiller encore de la vie quand l'étau se
resserre inexorablement sur les juifs d'Europe en 1941. Et à trouver
l'envie de déjà vouloir tout reconstruire alors que la guerre ne
fait que commencer, et de penser l'après de cette guerre, et de se
dire qu'il faudra apporter encore plus d'amour et de beauté à ce
monde et s'opposer encore et encore à toutes les injustices futures,
à toutes les exactions que la cruauté des hommes rend possible.
« Nous avons le droit de souffrir mais non de succomber à
la souffrance ». Voilà une très belle phrase qui désigne
toute notre humanité : notre condition humaine assujettie
souvent à la souffrance, mais aussi notre humanité en tant qu'idéal
moral de bienveillance et de justice, de considération pour autrui
qui doit faire une société meilleure. Nous souffrons, mais nous
devons vaincre ce ressentiment qui naît de la souffrance et des
injustices. Nous devons dépasser les vieilles haines et rancunes.
Dépasser cela et construire quelque chose de meilleur. Voilà une
exigence morale essentielle.
Etty Hillesum |
Voir également :
- Encore et encore, commentaire du Soûtra d'Udaya
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