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jeudi 7 mai 2020

Empathie et compassion





La semaine passée, sur les réseaux sociaux, lors d'un débat sur l'empathie, un ami a eu la gentillesse de partager un de mes articles : « L'empathie est-elle une calamité ? » . Une intervenante a réagi à mon article en affirmant : « C’est quand même déroutant cette automatisme d’utiliser empathie à la place de compassion ou au préalable de la compassion ». Je voudrais réagir à cela.


Pour moi, non, l'empathie n'est pas la même chose que la compassion même si beaucoup assimilent les deux notions, un peu trop vite à mon goût. Par contre, je pense effectivement que l'empathie est une condition préalable à la compassion. C'est une condition qui favorise son apparition, mais peut-être pas non plus une condition absolument nécessaire. S'il n'y avait pas l'empathie, peut-être que la compassion serait encore possible, même s'il y a peu de chance qu'elle puisse se répandre dans une population qui serait complètement privée d'empathie.


Tout d'abord, définissons ces deux termes : empathie et compassion. L'empathie est la capacité de se mettre à la place des autres. Très grossièrement, on peut voir deux types d'empathie : 1°) une empathie affective où, intuitivement, on peut comprendre ce que perçoit l'autre, parfois en se mettant à sa place et en éprouvant ce qu'il éprouve, 2°) une empathie cognitive où on utilise la réflexion pour comprendre ce que l'autre ressent. Pour moi, l'empathie est une disposition mentale pré-morale. Qu'est-ce que j'entends par là ? Simplement le fait que l'empathie nous prédispose à être attentif aux autres et donc à veiller à leur bien-être, mais ce n'est pas non plus une disposition complètement morale, car l'empathie peut être utilisée à des fins qui ne sont pas morales.


Prenons un tueur à gage ou un chasseur : avec l'empathie cognitive, ce sombre individu peut se mettre à la place de sa victime et anticiper l'endroit où il sera le plus facile de l'abattre. Une personne manipulatrice peut utiliser une certaine forme d'empathie pour séduire et manipuler une autre personne : comprendre où sont ses faiblesses, ses manques, ses fragilités pour pouvoir mieux faire pression sur cette personne et l'exploiter à sa guise.


Donc l'empathie n'est pas nécessairement morale : elle peut être utilisée à mauvais escient, et elle peut nous tromper de temps en temps. Par exemple quand l'empathie nous met dans la situation d'éprouver la détresse d'un alcoolique en manque d'alcool et à qui on va donner de l'alcool pour combler la détresse du moment présent, ce qui n'est pas très sage vu que donner de l'alcool ne lui sera pas une aide très propice. Néanmoins, malgré ces usages déviants ou erronés de l'empathie, on peut dire que l'empathie nous prédispose à des comportements moraux d'entraide et de solidarité, ce qui est précieux dans une société. La balance bénéfice/risque de l'empathie me semble très en faveur de l'empathie. Rien d'ailleurs que la sagesse ne puisse corriger.


Et un des avantages majeurs de l'empathie, c'est de nous aider à percevoir et comprendre la souffrance des autres. Et parfois on perçoit la tristesse ou le désespoir des autres comme si c'était NOTRE tristesse et NOTRE désespoir. Et comme on ne veut pas souffrir nous-mêmes, l'empathie devient comme un moteur pour développer la compassion. La compassion est définie comme le souhait ardent de voir une personne libérée de la souffrance qui l'accable ainsi que des causes de cette souffrance. Souhaiter l'absence de souffrance ne suffit pas parce qu'on peut ne pas souffrir maintenant, mais travailler activement à son malheur : pour prendre un exemple simple, une personne qui fume des cigarettes ne souffre peut-être pas aujourd'hui, elle apprécie peut-être sincèrement inhaler la fumée d'une cigarette, mais elle contribue maintenant à un cancer futur. Il faut souhaiter pas seulement l'absence de souffrance, mais le fait de mettre en place les causes et les conditions d'une absence durable de souffrance. Ces causes et conditions sont résumées par la Bouddha de la façon suivante : éviter de faire le mal, contribue au bien et développer la sagesse.


Par ailleurs, dans le bouddhisme, une compassion simple devient une compassion incommensurable ou compassion illimitée si cette compassion se tourne vers l'ensemble des êtres sensibles dans l'univers, si elle est inconditionnelle, impartiale et si son essence de vouloir éteindre toutes les souffrances de ces êtres de manière définitive. C'est un exercice spirituel fondamental dans le bouddhisme que de développer et d'étendre le rayon de cette compassion encore et encore.


La compassion est donc quelque chose de beaucoup plus vaste que l'empathie, et elle ne se produit pas nécessairement en dépendance de cette empathie. Imaginez que vous preniez l'avion et que la personne assise à vos côtés souffrent sévèrement de phobie concernant les vols d'avion. Vous, vous n'avez aucune peur ou aucune inquiétude prenant l'avion. Vous ne ressentez absolument pas ce que cette personne ressent ; pourtant, vous êtes capable d'éprouver de la compassion à son endroit. Vous souhaitez qu'elle ne ressente pas cette peur et vous essayez de lui adresser quelques paroles de réconfort : tout va bien se passer, l'avion est un moyen sûr de voyager, etc...


L'empathie est un outil au service de la compassion : elle vous aide à reconnaître qu'une personne souffre, et la compassion prend alors le relais en souhaitant que cette souffrance cesse. Si vous n'aviez aucune empathie, vous passeriez à côté des gens sans jamais voir ou comprendre que ces personnes souffrent. Ce ne serait pas par méchanceté, mais ce serait perçu par les autres comme une indifférence ou de la condescendance. Donc, dans les grandes lignes, l'empathie est effectivement un préalable à la compassion. Dans l'Histoire naturelle de l'évolution des êtres humains, je pense que l'empathie a été première, une évolution biologique que l'on partage avec beaucoup d'animaux eux aussi capables d'empathie, et la compassion est venu ensuite comme une évolution de notre morale.


Maintenant, on pourrait se poser la question : est-ce qu'il en est nécessairement ainsi ? L'empathie est-elle un passage obligé ? Imaginons un être à l'apparence humaine et dotée par des scientifiques d'une intelligence artificielle. Appelons cet être « Dolorès ». Dolorès ressemble en tout point à une jeune femme, elle bouge, elle parle, elle manipule des objets et peut observer le monde, mais elle n'est pas humaine. Les concepteurs de Dolorès n'ont pas jugé bon de la doter de faculté d'empathie, mais elle est capable de produire des raisonnements complexes comme un être humain, voire peut-être plus développés qu'un être humain. Dolorès va-t-elle pouvoir développer une capacité de compassion par elle-même, par sa propre réflexion ? Elle va peut-être constater que les humains décrivent la souffrance comme un problème, et Dolorès va peut-être estimer que c'est son devoir moral de résoudre les problèmes des humains. Dolorès va dès lors inventer la compassion pour résoudre les problèmes de souffrance des humains. Peut-être. Ou peut-être pas. Elle sera peut-être éternellement incapable de voir la souffrance comme un problème et ne souciera jamais de ce que ressentent les humains... Ou peut-être que la faculté de raisonnement de Dolorès la mènera à considérer l'humanité comme le principal problème à éliminer...


On peut se poser la question. Mais nous qui sommes des êtres humains, l'empathie fait partie de notre nature. Ce n'est pas un outil parfait certes, mais nous sommes plein d'imperfections... L'empathie est pour une grande part une bonne chose, mais elle devient une meilleure chose si celle-ci se développe avec la compassion et la sagesse. Elle peut alors s'étendre plus facilement aux inconnus, aux étrangers ou aux autres espèces animales, et elle est moins susceptible de nous tromper.


















Amitava Maiti








Voir également :



Empathie et altruisme

   Le psychologue Serge Tisseron critique le moine bouddhiste ‪‎Matthieu Ricard‬ sur la question de l'empathie. Celui-ci ne distingue pas suffisamment les différents types d'empathie. Et face à la détresse émotionnelle qui peut survenir à cause d'un trop-plein d'empathie, il oppose la compassion au sens bouddhiste du terme. Mais comment le bouddhisme‬ pense-t-il vraiment des notions telles que l'empathie, l'altruisme et la compassion ?


- Considérer autrui comme soi-même



-Le bonheur et les autres

    Le bonheur est-il en nous ? Ou se trouve dans notre relation avec les autres ?



    Quel équilibre doit-on trouver entre soi-même et autrui ?



Qu'est-ce que la compassion?

   On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.



























Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.



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2 commentaires:

  1. Il y a un aspect dont tu ne parles pas ici mais dont tu parles peut-être ailleurs c'est l'épuisement émotionnel (burnout) lié à une mauvaise gestion de l'empathie et les stratégies à mettre en place pour l'éviter comme une attitude pro-active

    D'où ma question... est-ce qu'on peut imaginer une bonne gestion de l'empathie sans compassion.

    On pourrait imaginer un médecin qui fait bien son boulot et qui traite ses patients avec justesse (faisant preuve d'empathie et de neutralité bienveillante) sans pour autant faire preuve de la moindre compassion... ni non plus être un sociopathe, non?

    Entre le positif et le négatif, il y a le neutre, non? Bien sûr la compassion est préférable à la neutralité mais dans le cas du médecin qui a beaucoup de patients, il n'a pas intérêt à placer le curseur de la compassion trop loin.

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