« Le
coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat
d'accélérer certaines mutations en cours depuis pas mal d'années.
L'ensemble des évolutions technologiques, qu'elles soient mineures –
les vidéos à la demande, le paiement sans contact – ou majeures –
le télétravail, les achats par internet, les réseaux sociaux –
ont eu pour principale conséquence, pour principal objectif, de
diminuer les contacts matériels et surtout humains. L'épidémie de
coronavirus offre une magnifique raison d'être à cette tendance
lourde, une certaine obsolescence qui semblent frapper les relations
humaines ».
Michel
Houellebecq dans une tribune intitulée dans « En
un peu pire. Réponse à quelques amis »
(lue sur France
Inter, le 4 mai 2020).
Peter Stewart - Yellow Passages (Hong-Kong, Kennedy Town) |
Je
ne suis pas un fan de Michel Houellebecq, je n'ai lu aucun de ses
romans. Je sais que c'est un écrivain encensé et adulé, mais
j'avoue que ses livres ne m'ont jamais attiré. À
tort peut-être. Il est souvent décrit comme l'écrivain majeur de
notre temps. Je ne sais donc pas si ses livres manquent à ma
culture, ou si je fais bien de m'en passer. Toujours est-il que je
suis tombé sur cette lettre de Houellebecq lue à France Inter où
il tempère quelque peu l'enthousiasme de ses collègues écrivains.
Non, il n'y aura pas un monde « d'après » le
coronavirus, juste le même monde un peu en pire.
Ce
qui m'intéresse le plus dans cette lettre, c'est justement le
passage que j'ai cité plus haut. Cette idée que le monde dérive
toujours un peu plus vers la distanciation sociale me parle. Et cela
a commencé bien avant le coronavirus. Les réseaux sociaux ont
remplacé la vie sociale, les centres historiques se désertent de
ses habitants au profit des grands centres commerciaux, quand ce
n'est pas au profit désormais d'Amazon et de ses livraisons
impersonnelles que bientôt une armée de drones accomplira. Ces
drones auront aussi bientôt remplacé nos oiseaux dans le ciel. Plus
question aujourd'hui de rencontrer une charmante personne dans une
fête ou un bistrot, les applications de rencontre sont là en façade
pour assouvir nos désirs de la proximité momentanée d'un autre
corps, mais surtout pour garder nos distances la majeure partie du
temps.
Au
début de la crise du coronavirus, on ne parlait pas encore de
distanciation sociale. On n'employait que l'expression anglaise
« social distancing ».
Ce terme m'a beaucoup dérangé, pas parce qu'il me dérangeait de
faire barrière au virus, mais parce qu'il sonnait trop comme un mot
d'ordre de la Start-Up Nation. Un mot d'ordre qui s'insérait trop
bien dans une mentalité pré-existante d'atomisations des individus,
qui n'attendait qu'une crise pour faire son chemin dans les cerveaux
et s'imposer un peu plus dans les attitudes et les mentalités.
Vers
où ira le monde ? Je ne peux pas le dire. Vers quelque chose
d'un peu pire ? Ou de beaucoup pire ? Vers moins de chaleur
humaine, certainement. Et c'est à cela qu'il faut résister. Et
mettre toute notre joie et notre humanité dans la bataille. Le côté
dépressif de Houellebecq qui contemple désabusé un monde décadent
n'est franchement pas ma tasse de thé. Il faut résister à cette
marche du monde qui voudrait faire de nous des machines et nous
mettre comme dans des petites cases. Il faut plus de bienveillance,
plus de camaraderie, plus de solidarité et plus d'amitié. Un
apéro-skype n'est pas un apéro. Un fil d'actualité n'est pas une
fête. J'aime la solitude, mais j'apprécie aussi la compagnie.
Faites en sorte que votre compagnie soit agréable. Faites-en sorte
que le monde soit un peu meilleur chaque jour. On ne peut pas se
penser séparément du monde sans aller vers la catastrophe. Pensons
alors à être solidaire et fraternel, pas « après »,
mais maintenant et à tout moment de notre vie.
Frédéric Leblanc,
le 5 mai 2020.
Julee Resuggan |
Voir également :
- Solidarité et charité
- Éros, philia et agapé
- Ma petite entreprise
- Les valeurs de la gauche
- Rien n'est plus utile (Spinoza)
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- Altruisme intéressé et altruisme désintéressé : 1ère partie et 2ème partie
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