Voici
quelques réflexions qui sont nées à la lecture des ouvrages de Matthieu Ricard,
et plus particulièrement de son dernier livre « L’Art de la Méditation , », et qui
sont, de manière plus générale, des réflexions d’un philosophe bouddhiste à l’égard
du bouddhisme tibétain. Je commencerai tout de suite par dire combien les ouvrages
de Matthieu Ricard sont importants et nécessaires. Il y a là une présentation
claire du bouddhisme et qui peut entrer en dialogue avec la pensée occidentale,
autant avec sous son aspect philosophique que scientifique. Ses textes sont
d’une grande clarté et d’une grande intelligence, et cela doit être loué. Mais
peut-être en raison même de cette clarté et de cette limpidité (qui sont des
qualités rares en notre époque où les propos obscurs abondent), un manque
éclate au grand jour à mes yeux.
Ce
manque, c’est le manque du Bouddha. Ce dernier répond aux abonnés absents dans l’ouvrage
de Matthieu Ricard. Dans « L’art de
la méditation », toutes sortes de lamas et de maîtres bouddhistes
indiens ou tibétains sont pourtant abondamment cités : citons en vrac,
Longchenpa, le maître personnel de Matthieu Ricard, Dilgo Khyentsé, Sa Sainteté
le dalaï-lama, Yongey Mingyour, Péma Wangyal… Il cite même des non-bouddhistes
comme l’hindouiste Gandhi et une juive au destin tragique en la personne d’Etty
Hillesum. Très bien ! Mais à aucun moment, il ne cite le Bouddha, pas même
une petite sentence, pas même un petit aphorisme[1].
Admettez que c’est quand même étonnant venant de la part d’un moine qui se
prétend bouddhiste ! Le Bouddha manquerait-il de sagesse pour figurer dans
ses ouvrages ? Sa sagesse serait-elle trop archaïque, son discours trop
daté, trop ancien pour nous toucher ?
Je
pense personnellement qu’il n’en est rien. Je pense même que, de tous les maîtres bouddhistes, le Bouddha
Shâkyamuni est incontestablement le plus grand. En fait, aucun maître
n’arrive à sa cheville. Ses paroles peuvent paraître trop simples, mais c’est
simplement que notre ego aime se parer de choses compliquées pour paraître plus
intelligent ! Ses mots sont simples pour toucher directement au but :
notre libération du cycle de la souffrance. Et pour moi, le message du Bouddha
est plus moderne que celui des lamas tibétains qui sont pourtant plus proches
de nous dans le temps.
Dire
que le Bouddha est le plus grand des maîtres bouddhistes pourra sembler une
évidence à quelqu’un d’extérieur au bouddhisme. Et beaucoup de lamas me
diront : « Mais regardez les belles statues en or érigées en
l’honneur du Bouddha dans nos temples et nos monastères ! ». Oui bien
sûr, sauf que ces mêmes lamas ne citent jamais le Bouddha dans leurs
enseignements et lui préfèrent systématiquement Shântideva, Longchenpa,
Tsongkhapa, Milarépa, Gampopa ou d’autres maîtres plus contemporains. Le
Bouddha est réduit à une sorte de divinité éthérée, plus ou moins bénéfique,
mais sans incidence avec le monde matériel, alors que Siddhârta Gautama a vécu
une existence historique dans notre monde, qu’il était fait de chair et de sang
comme vous et moi et qu’il a enseigné des choses bien concrètes que les moines
ont retenu par cœur et ont consigné par écrit sur des feuilles de palmier
quelques siècles plus tard. Pourquoi devrions-nous traiter avec mépris ces
textes, moteur d’un formidable courant de pensée et de pratique éthique dont vous
et moi sommes les héritiers ? Franchement, je me le demande.
Imaginons
ce phénomène d’oubli du Bouddha transposé chez les chrétiens. Certes, ils vénéreraient
Jésus-Christ dans leurs églises. Il y aurait de grandes statues de Jésus, de
grande croix ; mais à la messe, ils ne citeraient jamais les évangiles. Ils
citeraient abondamment Saint Augustin, Saint-Thomas d’Aquin, Thérèse d’Avila,
Maître Eckhart ainsi que l’Abbé Pierre et Sœur Emmanuelle, mais pas
Jésus ! Ce genre de scénario semblerait complètement impensable et
loufoque au sein de la chrétienté ; mais c’est pourtant ce qui se passe au
sein du bouddhisme, et personne n’a l’air de trouver cela étrange ! Le
Bouddha historique ainsi que ses grands disciples comme Shâripûtra, Maudgalyâyana,
Ânanda ou encore Mahâkâshyapa sont complètement ignorés et passés sous silence.
Et je trouve cela inquiétant.
C’est
pourquoi je voudrais essayer ici de rétablir ce manque et défendre la
pertinence des paroles du Bouddha. Il m’importe aussi de préciser que je ne
m’en prends pas frontalement à Matthieu Ricard. Ces lignes ne sont en aucune
façon une critique acerbe de son apport au bouddhisme actuel. Je tiens en fait
ses livres en grande estime. De tous les protagonistes francophones du
bouddhisme, il est certainement celui dont je me sens le plus proche. Je
critique présentement, c’est comme je l’ai déjà dit plus haut, précisément du
fait de sa clarté et du fait de l’argumentation rationnellement construite qui
font de ses livres des outils fiables pour approfondir le bouddhisme. Cette
critique vaut donc pour Matthieu Ricard, mais elle vaut également pour son
maître Dilgo Khyentsé et de manière générale pour tous les lamas tibétains de
ma connaissance. Ce qui me semble critiquable est un état d’esprit partagé dans
tout le bouddhisme tibétain. Cette critique vaut d’ailleurs aussi pour le
bouddhisme Zen (ou Chan) où l’on cite les haïkus et les koâns paradoxaux des
patriarches du Zen, mais très peu la parole vive du Bouddha.
Je
tiens également à dire que je ne suis pas un apologiste du Theravâda ou de ce
qu’on appelle (avec condescendance) le
« petit véhicule ». En fait, j’aime beaucoup Shântideva que j’ai
longtemps étudié ainsi que Longchenpa, Dza Patrül Rimpotché, Dilgo Khyentsé et
tant d’autres lamas tout comme j’aime les écrits de Dôgen Zenji et d’autres maîtres
du Zen. Mais simplement ces maîtres m’ont donné envie de retourner à la racine
du bouddhisme, à savoir le Bouddha lui-même ! C’est particulièrement le
cas de Shântideva. Je me suis longtemps penché sur son Bodhisattvacharyâvatâra[2].
Et c’est ce texte fascinant qui m’a donné plus que d’autres cette sensation de
manque dont je parle : il m’a semblé après des années d’études, de
questionnement et d’approfondissement de ce texte qu’un élément logique manquait pour comprendre
les idées contenues dans « La marche vers l’Éveil » ou « La
conduite et le chemin des bodhisattvas » selon la traduction, et cet
élément logique, c’était la doctrine du Bouddha telle qu’elle est contenue dans
le Canon pâli. Ma démarche philosophique consiste donc dans un recentrement sur
ce message du Bouddha qui fut transcrit dans le Canon pâli, mais sans renier
pour autant les contributions diverses de tous ces maîtres qui ont fait
l’Histoire du bouddhisme depuis maintenant plus de 2500 ans. Ce que je veux
donc essayer tant bien que mal tout au long de ces lignes, c’est de refaire
entendre cette parole vive du Bouddha et essayer de montrer en quoi elle peut
être pertinente encore de nos jours dans la pratique du Dharma.
*****
Matthieu
Ricard commence dans « L’Art de la Méditation » à énoncer les bienfaits de la
méditation de façon très juste en mettant en lumière la possibilité de
transformer notre esprit. Il dit de manière extrêmement juste : « Nous ne pouvons choisir ce que nous sommes
mais nous pouvons souhaiter nous améliorer. Cette aspiration va donner une
direction à notre esprit. Un simple souhait ne suffisant pas, il nous incombera
de le mettre en œuvre.
Nous ne trouvons pas anormal des
années à apprendre à marcher, à lire, à écrire et à suivre une formation
professionnelle. Nous passons des heures à nous exercer physiquement pour être
en forme, par exemple en pédalant avec assiduité une bicyclette d’appartement
qui ne va nulle part. (…) Par quel mystère l’esprit échapperait-il à cette
logique et pourrait-il se transformer sans le moindre effort, simplement parce
qu’on le souhaiterait ? » (pp. 16-17). Cela est vrai, et je trouve qu’il
décrit avec pertinence et efficacité la nécessité de prendre temps de notre
vie, de notre quotidien à cet exercice de la méditation car la méditation est
utile à la société comme nous-mêmes. Il est utile de construire des maisons et
des hôpitaux certes. Il est utile de soigner les malades et d’enseigner aux
enfants la lecture et l’écriture certes. Il est utile d’exercer toutes sortes
de métiers pour contribuer à l’édification harmonieuse de la société, mais il
est également utile de pratiquer la méditation et le Dharma en général, parce
que cela amène une transformation de l’esprit dans le sens de la compassion, de
la bienveillance et de l’altruisme. Par ailleurs, la méditation sert à apaiser
les tensions et les troubles de l’esprit. Et comme le disait le
dalaï-lama : « Plus de paix dans ton esprit contribue à plus de paix
dans le monde ». Plus encore, la méditation unie à la sagesse dans la
vision pénétrante (vipashyanâ) permet de voir la production interdépendante à
l’œuvre dans tous les phénomènes : rien n’existe de façon indépendante et
permanente. Le phénomène n’existe pas en propre comme une entité séparée du reste
du monde : le phénomène est « vide d’une existence séparée », il
existe en dépendance de causes et de conditions. Cette vision pénétrante ne
fait que renforcer notre altruisme en nous faisant prendre conscience de nos
interactions constantes et fondamentales avec l’ensemble des autres êtres
sensibles.
Donc
ce travail sur l’esprit est bienfaiteur en vertu même de cette production
interdépendante non seulement pour le méditant, mais aussi pour la société et
le monde. En méditant, on apporte sa petite pierre à l’édification d’une
société plus apaisée et plus radieuse pour chacun de ses habitants. C’est
excessivement important de faire comprendre cela à l’Occident pour qui le
bouddhisme est une tradition étrangère qui, de prime abord, peut sembler contraire
à nos principes de vie par je ne sais quel préjugé d’inaction et d’oisiveté
emprunte de langueurs asiatiques que viendrait nous apporter ces étranges
moines bouddhistes ! La méditation apporte des résultats concrets à tel
point qu’aujourd’hui les neuroscientifiques essayent de quantifier avec leurs
machines. Ce n’est pas à Matthieu Ricard que je vais l’apprendre, qui est en
pointe dans ce domaine de recherche. Mais surtout le Dharma est en passe de
jouer un rôle sociologique positif dans nos sociétés. C’est cette idée
qu’il importe de défendre et de faire comprendre aux gens. Je trouve donc que Matthieu
Ricard a l’art de trouver des formules et des expressions particulièrement
parlantes ; je pense à l’image des personnes qui pédalent dans leur
appartement pour cultiver leur forme physique ! Cela montre bien qu’il
n’est absolument pas absurde de s’asseoir sur un coussin pour apaiser et
observer l’esprit !
L’autre
jour, je l’ai vu par hasard à la télévision dans l’émission matinale « Thé
ou Café » où la journaliste s’inquiétait de ce que Matthieu Ricard en sa possession un ordinateur et qu'il emprunte des voitures et des avions pour se déplacer à travers le monde et qu’il fallait bien que quelqu’un les fasse
ces ordinateurs et ces véhicules ; donc que tout le monde ne pourrait pas
passer toutes ses journées à pratiquer la méditation. Ce qui est incroyable,
c’est qu’on se soucie de savoir comment deviendrait le monde si tout le monde
devenait moine, mais que personne ne se préoccupe de savoir ce qu’il
adviendrait si tout le monde devenait plombier ou footballeur. Imaginez que
tout le monde soit plombier, on finirait par ne manger que de la
plomberie ! Ce serait ennuyeux pour notre santé. Et si tout le monde était
footballeur, qui construirait des maisons, qui s’occuperait de la
nourriture ? Qui construirait aussi les stades de football ? En fait,
l’hypothèse que 100% de la société devienne moine bouddhiste est extrêmement
improbable ! Le Tibet qui était une société particulièrement religieuse
comptait 20% des Tibétains dans les ordres monastiques, ce qui est absolument
énorme ! Je ne crois pas me tromper en disant que c’est un cas unique dans
l’Histoire de l’humanité. Mais si 20% de la population était moines ou nonnes,
cela a pour corollaire évident que 80% ne l’était pas ! Par ailleurs, tous
les moines ne sont pas plongés dans la méditation 24 heures sur 24 !
Certains ascètes s’absorbent effectivement dans une retraite intensive de
méditation, mais aussi frappants puissent-t-ils être dans l’imaginaire
collectif, ils ne sont pas la majorité des moines, loin s’en faut. Au temps du
Bouddha, les moines vivaient à proximité des centres urbains et des villages et
allaient mendier auprès des laïcs, ce qui montre qu’ils étaient en constante
interaction sociale avec le reste de la société. En plus du rôle spirituel de
la pratique de la méditation, les moines instruisaient souvent les enfants et
venaient en aide à la société. On l’a vu récemment quand les moines birmans ont
fourni refuge et protection aux populations sinistrées par l’ouragan qui a
frappé de plein fouet la
Birmanie. Matthieu Ricard, lui-même, parcourt le monde en
faisant des conférences sur le Dharma, sur la transformation de l’esprit, sur
la plasticité neuronale ou encore en faveur de la cause tibétaine. En
conséquence, les implications peuvent très variables d’un individu à l’autre.
Cela est très naturel. Il n’y a pas de canevas strict applicable à tout le
monde. Certains ascètes méditeront toute la sainte journée ; d’autres
moines y consacreront quelques heures dans leur journée et des pratiquants
laïcs s’exerceront à la méditation quelques dizaines de minutes par jour et
parfois plus à l’occasion d’une retraite spirituelle. L’important est de
consacrer une certaine plage de temps à la méditation comme il arrive
fréquemment de l’on s’accorde un certain à se cultiver intellectuellement ou
physiquement, à faire par exemple du vélo dans sa chambre pour garder la forme !
Avec
cette conscience de la méditation comme moyen de transformer l’esprit, je
m’accorde entièrement avec Mathieu Ricard à 100%. Néanmoins, il conclut à la
suite du passage que j’ai cité plus haut (p. 17) : « Nous
déployons beaucoup d’efforts pour améliorer les conditions extérieures de notre
existence, mais en fin de compte, c’est toujours l’esprit qui fait l’expérience
du monde et le traduit sous forme de bien-être ou de souffrance. Si nous transformons
notre façon de percevoir les choses, nous transformons la qualité de notre vie.
Et ce changement résulte d’un entraînement de l’esprit que l’on appelle la
méditation » (c’est lui qui souligne en gras). En fait, j’agrée
l’idée que c’est l’esprit ou la conscience qui fait l’expérience du monde et
donc l’expérience du plaisir et de la souffrance, mais il me semble que
Matthieu Ricard tire trop la corde dans le sens de l’idéalisme de l’école
Cittamâtra. La conscience enregistre les expériences de douleur et de plaisir,
mais cette expérience est créée en dépendance intime du corps ! Il
minimise largement la part du corps dans l’expérience de la vie. On vit avec
son corps, on ressent les choses avec son corps, on noue une relation avec le
monde et les autres avec son corps, on ressent les choses avec son corps. Et on
pense même avec son corps. Pour l’instant, j’écris ces lignes sur mon
ordinateur portable avec mon corps.
Matthieu
Ricard oblitére complètement l’expérience du corps dans son raisonnement. Cela
me gêne d’autant plus que cela a pour conséquence qu’il définit la méditation
unilatéralement comme un entraînement de l’esprit. Plus loin en ouverture du
chapitre II (p. 25), vous dites : « L’objet de la méditation est l’esprit » (c’est toujours lui qui
souligne en gras). On retrouve cette notion chez Shântideva :
« Aucun éléphant ivre et indompté
Ne pourrait nous faire autant de mal
Que notre esprit qui, livré à
lui-même,
Nous inflige les maux des Tourments
Insurpassables.
Attachez bien l’éléphant de l’esprit
Avec la corde l’attention :
Toute peur disparaîtra
Et toutes les vertus dans vos mains
échoiront [3] ».
Shântideva |
Bien
sûr, l’attention à l’esprit est importante. Mais le problème est que, selon le
Bouddha dans le Soutra des Quatre Établissements de l’Attention (Satipatthâna Sutta), l’esprit n’est pas
l’unique objet d’attention. Le Bouddha formule quatre sphères
d’attention : l’attention au corps, l’attention aux sensations,
l’attention à l’esprit et enfin l’attention aux objets de l’esprit (les dharmas).
« Quels sont ces quatre établissements ?
Ô moines, un pratiquant demeure
établi dans l’observation du corps dans le corps, diligent, avec une
compréhension claire, attentif, ayant abandonné toute avidité et tout dégoût
pour cette vie.
Ô moines, un pratiquant demeure
établi dans l’observation des sensations dans les sensations, diligent, avec
une compréhension claire, attentif, ayant abandonné toute avidité et tout
dégoût pour cette vie.
Ô moines, un pratiquant demeure
établi dans l’observation de l’esprit dans l’esprit, diligent, avec une
compréhension claire, attentif, ayant abandonné toute avidité et tout dégoût
pour cette vie.
Ô moines, un pratiquant demeure
établi dans l’observation des objets de l’esprit dans les objets de l’esprit,
diligent, avec une compréhension claire, attentif, ayant abandonné toute
avidité et tout dégoût pour cette vie. [4]»
On
remarque tout de suite dans cet exposé qui ouvre le Soutra des Quatre Établissements que l’attention à l’esprit n’est
pas la première à entrer un jeu. Dans d’autres soutras, cette liste des quatre
attentions est toujours donnée dans cet ordre (par exemple dans l’Anapana Sati Sutta[5]).
Un soutra se consacre même exclusivement à l’attention du corps dans le
corps : le Soutra de l’Attention s’Immergeant dans le Corps[6].
Or Matthieu Ricard ne mentionne pas cette attention au corps ; chez lui
comme chez les autres lamas tibétains, tout se rapporte à l’esprit. Certes
c’est l’esprit qui fait l’expérience du monde[7],
mais c’est votre corps qui est le centre
constamment renouvelé de cette expérience ; et sans le corps, pas
d’expérience du monde. Je m’inquiète donc de ce que le corps dans la méditation
soit passé à la trappe dans le bouddhisme tibétain. Et cela d’autant plus, que
dans le Soutra des Quatre Etablissements de l’Attention, l’attention au corps
reçoit un traitement plus long que l’attention à l’esprit. Cela ne veut pas
dire que l’attention à l’esprit ne soit pas aussi importante, mais l’esprit ne
se connaît jamais lui-même indépendamment de toute autre chose[8] ;
il se connaît dans son rapport au corps et dans son rapport aux choses, dans la
façon qu’il a de considérer les choses. Ce rapport aux choses est l’objet de la
quatrième attention dans la méditation, la méditation aux phénomènes ou objets
de l’esprit (dharmas). L’attention à
l’esprit consiste à connaître et à être vigilant aux états de l’esprit :
est-ce qu’on est concentré ou pas concentré, ouvert ou fermé, désirant ou
non-désirant, ignorant ou éveillé, et ainsi de suite…
L’esprit
ne se donne donc jamais à l’attention de la conscience séparément des autres
choses. Je me souviens d’avoir longtemps connu une expérience assez déroutante
dans mon expérience méditative. J’appliquais la méthode des petites sentences
contenues dans l’Anapana Sati Sutta
au va-et-vient de ma respiration comme « J’inspire et je suis conscient de
tout mon corps. J’expire et je suis de tout mon corps » ou encore
« J’inspire et je suis conscient de mon esprit. J’expire et je suis
conscient de mon esprit ». Ce sont des méthodes très simples, mais à la
longue, elles se révèlent très efficaces pour couper court au bavardage mental
et pour recentrer l’attention et la concentration dans shamatha/vipashyanâ. Mais ce qui était frappant, ce que quand je
récitais « je suis conscient de mon corps », j’avais une conscience
aiguë de l’esprit ; et quand j’accompagnais mon souffle avec la sentence
« je suis conscient de mon esprit », mon corps s’imposait par sa
présence débordante ! A l’époque, c’était très déroutant ; mais en
fait, ce n’est pas si contradictoire : corps & esprit nourrissent une
dépendance mutuelle à un niveau très intime. Je pense donc que l’attention à
l’esprit gagne énormément à être pratiquée avec l’attention au corps.
Il me
semble que cet oubli du corps dans le bouddhisme tibétain est du à une
réflexion métaphysique dans le sillage du Cittamâtra sur la « nature de
l’esprit ». L’esprit est vu dans sa nature profonde comme espace infini,
claire lumière et dynamique de non-obstruction[9].
« Le Bouddha a décrit la nature de
l’esprit comme étant vide comme l’espace, dénué de toutes caractéristiques
limitatives que ce soit [10] ».Mais
cet espace recèle une qualité de claire lumière ou luminosité qui rend cet
esprit apte à faire des expériences. « La
luminosité de l’esprit n’a rien à voir avec une expérience visuelle, c’est la
capacité inhérente à l’esprit à connaître et d’expérimenter[11] ».
Enfin, dans ce ciel vide lumineux, la qualité de non-obstruction permet à
l’expérience de se manifester concrètement dans l’instant présent et de se
renouveler d’instant en instant, de se transformer continuellement. « Partout où l’esprit pénètre, sa luminosité
est présente. Partout où se présente sa luminosité, sa nature dynamique ou
non-obstruée peut traduire cette luminosité en expérience[12] ».
Si la nature de l’esprit est reconnue dans cette dimension non-duelle, alors la
dynamique de non-obstruction devient une dynamique de compassion. D’où
l’importance de reconnaître la nature de l’esprit dans le bouddhisme tibétain.
Cette
doctrine métaphysique de la nature de l’esprit est absolument fascinante, mais
elle a tout de même un défaut : c’est une doctrine métaphysique qu’il nous
faut croire dogmatiquement. En effet, on ne fait jamais l’expérience de
l’esprit même dans sa nature profonde, la « conscience qui se connaît et
qui s’illumine elle-même ». Dans l’état habituel, on a des consciences
sensorielles de certaines choses. Et on fait l’expérience de certains états de
l’esprit, je suis de bonne humeur ou mon humeur est orageuse, je suis concentré
ou pas, je suis obsédé par le désir ou pas… Or les enseignements du Bouddha
touchent précisément cette dimension empirique : il nous incite
précisément à prendre conscience de notre corps, de nos sensations, de nos
états d’esprit ainsi que des objets qui se manifestent à l’esprit. Cela se
manifeste directement dans notre expérience de la vie : on n’a pas besoin
de chercher pour ressentir son corps, on vit tous les jours des humeurs
différentes et toutes sortes de choses se présentent à la conscience. La nature
de l’esprit par contre nous est inaccessible et pour longtemps encore… Donc on
est obligé de croire sur parole ce que disent ces maîtres indiens ou tibétains
inspirés par le Cittamâtra (même si cette doctrine a reçu toutes sortes
d’amendements au cours des siècles pour la faire mieux coïncider avec le
Madhyamika, mais ce n’est pas la peine que je m’étende là-dessus).
Mais
voilà, cette croyance est elle-même incertaine. Elle fait l’objet d’un doute. Certains
d’inspiration matérialiste diront que pas du tout, l’esprit n’est jamais qu’une
production du cerveau, un « épiphénomène » de ce cerveau pour
employer leur terminologie. Et ils vont se mettre à étudier le yogin en train
de méditer à grand renfort de tomographie à émission de positron ou d’autres
machines d’observation de l’activité neuronale. Je suis convaincu que cette
approche est également passionnante. En effet, je suis toujours un peu
consterné quand les matérialistes tombent dans un réductivisme vulgaire.
Réduire le matérialisme au réductivisme me paraît être un appauvrissement. Le
réductivisme dit que l’esprit se réduit au fonctionnement des neurones ;
l’âme est réduite à un groupement approximatif de minuscules neurones. Les
matérialistes se complaisent alors à voir là un « désenchantement du
monde ». Ce qui me choque dans cette attitude, c’est que les matérialistes
ne voient pas qu’à la limite, si l’esprit est produit à partir des neurones,
c’est encore plus fascinant que si on postule l’existence d’une âme qui
connaît, qui pense, qui veut et qui éprouve. En effet, comment de si petites
choses peuvent produire la conscience, conscience qui peut penser l’infini, qui
peut transformer le monde, qui peut développer la science et les arts ?
Comment une si petite chose en est-elle capable ? Voir l’esprit comme
l’interaction des milliards de minuscules neurones et cellules gliales, c’est
là une contemplation que j’estime fabuleuse. Voir tout le processus de
l’évolution naturelle qui va de l’apparition ô combien mystérieuse de la vie
sur Terre en l’espèce des premières cellules jusqu’au cerveau humain, c’est
aussi une contemplation vertigineuse et
passionnante. En conséquence, contempler cet esprit et le cultiver m’apparaît
être une évidence dans la perspective matérialiste. L’esprit n’est pas quelque
chose de vulgaire ; c’est un des phénomènes les plus fascinants de
l’univers ; et à ce titre, il mérite d’être développé notamment dans la
méditation.
La
méditation ouvre une connaissance subjective sur l’esprit là où les machines
n’assurent qu’une connaissance objective de manière d’ailleurs très indirecte.
Je me désole que la plupart des matérialistes ne voient pas cette dimension
subjective comme si l’esprit se réduisait à un ordinateur. Pourtant quand un
neuroscientifique matérialiste étudie le fonctionnement neuronal avec ses
machines, il étudie les faits mesurés avec sa conscience. Il vit sa vie
quotidienne et sa vie en laboratoire avec sa conscience. Tout ce qu’il
expérimente dans la vie, il l’expérimente avec sa conscience, comme tout le monde !
Et quel neuroscientifique oserait dire que l’expérience de sa propre vie ne
vaut rien ? En conséquence, pratiquer la méditation, c’est un peu faire de
son propre corps et de son propre mental un laboratoire d’observation. Le
neurobiologiste Jean-Pierre Changeux avait défrayé la chronique par un ouvrage
au titre fort provocant : « L’homme neuronal ». Si Changeux
devenait bouddhiste, il pourrait tout aussi bien écrire : « Le yogin
neuronal » ! Comment un méditant voit son esprit comme la production
interdépendante du fonctionnement neuronal en observant non pas la cause, les
neurones et les cellules gliales, mais l’effet, la conscience, en même que cet
effet devient la cause d’autres interactions neuronales, elles-mêmes cause
d’autres instant de conscience, et ainsi de suite… Le matérialisme métaphysique
peut être ainsi un moteur de spiritualité. Il est dommage que cette option soit
dans les faits très peu développé, le matérialisme métaphysique ayant tendance
à flirté avec le matérialisme au sens mondain du terme (aimer le luxe,
l’argent, les choses matérielles au dépens des choses spirituelles et des
valeurs morales). En fait, je ne vois qu’André Comte-Sponville pour soutenir un
matérialisme ayant une portée spirituelle[13].
Mais enfin, revenons à nos moutons.
Voilà
donc deux positions métaphysiques rigoureusement opposées : l’idéalisme du
Cittamâtra pour qui tous les phénomènes de l’univers ne sont qu’esprit et le
matérialisme contemporain pour qui l’esprit n’est qu’un produit de la matière.
Laquelle choisir ? Laquelle est juste. En fait, je ne sais pas. Et
peut-être n’est-il pas judicieux de vouloir trancher dogmatiquement pour l’une
ou l’autre de ces deux doctrines. Pyrrhon d’Elis, Sextus Empiricus et les
autres philosophes sceptiques de l’Antiquité s’adonnaient constamment à
l’exercice de confronter deux thèses et de les développer au point où ces deux
recèlent une force égale, s’empêchant l’une et l’autre de l’emporter. C’est ce
qu’ils appelaient l’isosthénie ; étymologiquement : isos, égal et sthénos, l’isosthénie est donc la force égale entre deux thèses qui
produisent la suspension du jugement. C’est à cette suspension du jugement
qu’il me semble que l’on peut parvenir quand on confronte ces deux thèses du
Cittamâtra et du matérialisme. Comme le disait Nâgârjuna :
« Si j’avançais une quelconque thèse,
Je serais en défaut.
Or je n’en ai pas,
Je suis donc sans faute[14] ».
Or
précisément, le Bouddha n’avançait aucune thèse dans son enseignement des
quatre établissements de l’attention. Simplement on fait l’expérience du corps
et il invitait à observer le corps à partir du corps. On fait à tout moment
l’expérience de sensations qui envahissent notre corps et notre esprit ;
et il invitait les méditants à prêter une attention soutenue à ses sensations
aussi transitoires que ces bulles d’eau qui se forment sur le sol détrempé
pendant une pluie. On fait aussi l’expérience d’états psychiques alors que l’on
ne fait pas l’expérience de l’esprit dans sa véritable nature (que cette
véritable nature soit une « conscience qui se connaît et s’illumine
elle-même » ou le produit de l’interaction neuronale) ; et donc le
Bouddha nous encourageait vivement à faire l’expérience de regarder ces états
de l’esprit, juste les regarder sans les juger :
« Quand son esprit désire, le pratiquant est
conscient : « Mon esprit désire ». Quand son esprit ne désire
pas, le pratiquant est conscient : « Mon esprit ne désire pas ».
Quand son esprit déteste, le
pratiquant est conscient : « Mon esprit déteste ». Quand son
esprit ne déteste pas, le pratiquant est conscient : « Mon esprit ne
déteste pas ».
Quand son esprit est dans un état
d’ignorance, le pratiquant est conscient : « Mon esprit est dans un
état d’ignorance ». Quand son esprit n’est pas dans un état d’ignorance,
le pratiquant est conscient : « Mon esprit n’est pas dans un état
d’ignorance ».
Quand son esprit est tendu, le
pratiquant est conscient : « Mon esprit est tendu ». Quand son
esprit n’est pas tendu, le pratiquant est conscient : « Mon esprit
n’est pas tendu ».
Quand son esprit est distrait, le
pratiquant est conscient : « Mon esprit est distrait ». Quand
son esprit n’est pas distrait, le pratiquant est conscient : « Mon
esprit n’est pas distrait ».
Quand son esprit a une plus vaste
portée, le pratiquant est conscient : « Mon esprit a une plus vaste
portée ». Quand son esprit a une portée étroite, le pratiquant est
conscient : « Mon esprit a une portée étroite ». Quand son esprit est capable d’atteindre un
état élevé, le pratiquant est conscient : « Mon esprit est capable
d’atteindre un état élevé ». Quand son esprit n’est pas capable
d’atteindre un état élevé, le pratiquant est conscient : « Mon esprit
n’est pas capable d’atteindre un état élevé ».
Quand son esprit est concentré, le
pratiquant est conscient : « Mon esprit est concentré ». Quand
son esprit n’est pas concentré, le pratiquant est conscient : « Mon
esprit n’est pas concentré ».
Quand son esprit est libéré, le
pratiquant est conscient : « Mon esprit est libéré ». Quand son
esprit n’est pas libéré, le pratiquant est conscient : « Mon esprit
n’est pas libéré ».[15] »
Le
but est d’observer l’esprit empirique tel qu’il se présente avec ses qualités
lumineuses comme avec ses zones d’impureté. Le but n’est pas de juger, mais
d’observer minutieusement et toujours plus profondément comment notre esprit
réagit au monde dans sa dynamique propre. Si je ne suis pas libéré ou pas
concentré, je prends conscience de ce fait que je ne suis pas libéré ou pas
concentré. Et j’observe ce phénomène de non-libération ou de déconcentration
minutieusement, et cela va me permettre dans un second temps d’établir les
causes et les conditions qui ont produit cette non-libération ou
déconcentration. Il s’agit de devenir intime avec soi-même et d’être à l’écoute
de tous ses états psychiques qui se succèdent au cours du temps. En général,
les gens n’aiment pas ce genre de méditation parce que cela semble trop simple.
Mais en réalité, c’est parce que cela présente un esprit sous tous ses aspects
qui sont loin d’être héroïques et lumineux. On voit la condition de l’esprit
dans sa plus totale banalité. C’est là l’ennui ! Ce n’est pas très
resplendissant d’habitude ; mais c’est fondamental pour se transformer
soi-même. Toutes ces marques d’attention portée à l’esprit tel que le Bouddha les
énonce permettent d’éprouver et de connaître avec précision l’état de nos
dispositions pour mettre en route la dynamique de l’Éveil. Qu’on y regarde de
plus près, le Bouddha nous demande de prêter attention aux trois émotions
perturbatrices fondamentales (désir, haine & ignorance), à la tension et la
distraction qui peuvent balayer tous les efforts du méditant, à la portée vaste
ou étroite de la conscience pour prendre la mesure des possibilités de
l’absorption méditative. Enfin le Bienheureux nous demande d’accorder une
attention soutenue à notre capacité ou non de nous élever spirituellement, de
nous concentrer et de nous libérer afin de savoir si nous sommes prêts ou non à
l’Éveil. Parce que derrière la banalité quotidienne de nos états mentaux se cache
un formidable potentiel d’Éveil.
Enfin,
le Bouddha nous demande de creuser notre expérience quotidienne du monde à
travers l’attention aux objets de l’esprit. L’esprit ne peut que se connaître
lui-même de façon très relative qu’à travers les états mentaux transitoires
dont je viens de parler à l’instant. L’esprit ne peut se connaître lui-même de
la même façon que l’œil ne peut se voir lui-même et la lame ne peut se couper
elle-même[16].
Donc pour connaître l’esprit, il faut le connaître dans les relations qu’il
tisse avec les objets sensoriels et les objets mentaux. C’est toujours dans la
dimension empirique que l’esprit se donne à pouvoir être connu. L’attention aux
objets de l’esprit dans les objets de l’esprit comprend plusieurs points :
-
l’attention aux cinq empêchements,
-
l’attention aux cinq agrégats,
-
l’attention aux six organes des sens et aux six objets des sens,
-
l’attention aux sept facteurs de l’Éveil,
-
l’attention au Quatre Nobles Vérités[17].
Les
cinq empêchements dans cette liste de l’attention aux objets de l’esprit
peuvent sembler très proches à ce qui existe dans l’établissement de
l’attention à l’esprit, à savoir désir, colère, tension & distraction, mais
ici il s’agit d’empêchements touchant la perception des objets, tandis que dans
le troisième établissement, c’est plutôt l’état du sujet qui fait l’objet de
l’attention. Ces deux pôles ne connaissent évidemment de frontières bien
établies, de la même façon que le corps et l’esprit ne connaissent pas non plus
de frontière strictes. Mais dans l’expérience ordinaire qui est la nôtre,
tantôt les passions comme quelque chose d’inhérent à nous ou comme quelque
d’extérieur qui vient nous frapper.
L’important
est donc pour le Bouddha de partir de l’expérience vécue et non de la révélation
d’un maître à son disciple de la conception métaphysique de la véritable nature
de l’esprit. Entendez-moi. Je ne condamne pas le Cittamâtra, ni les théories de
la nature de l’esprit qui s’y rattachent comme dans le Mahâmudrâ ou le
Dzogchen. Elles m’ont très longtemps complètement fascinée. Elles ont une
grande cohérence et un grand pouvoir d’explication. De toutes les théories
métaphysiques, ce sont celles auxquelles je me rattacherai le plus volontiers.
Ces enseignements sur la nature de l’esprit ont surtout une extraordinaire
pertinence dans la pratique de la méditation. Au fond, l’idée absolument
contre-intuitive par un homme ordinaire que tous les phénomènes ne sont
qu’esprit ne peut être appréciée à sa juste valeur que par un méditant. Ce qui
semble de prime abord complètement invraisemblable devient nettement plus convaincant quand on s’absorbe dans la
méditation, à plus forte raison à l’occasion d’une retraite prolongée comme ce
fut le cas pour Asanga qui est resté douze ans dans une grotte. Personnellement
dans ma maigre expérience quotidienne de la méditation, j’ai déjà expérimenté
ce renversement de la conscience qui prend conscience de sa puissance créatrice
et de son implication subtile dans le monde. J’imagine donc sans peine qu’un
retraitant s’absorbant pleinement dans la méditation en arrive à la conviction
ferme que les phénomènes sensibles ne sont qu’esprit.
Cette
conception de la nature de l’esprit et tout ce qui lui est attenant est aussi un
outil puissant pour s’impliquer dans la méditation : elle donne un cadre
inspirant pour le méditant et une vision structurée du déploiement du monde à
partir de l’esprit avec la théorie de la conscience base-de-tout (ou
conscience-entrepôt, conscience-demeure si je traduis littéralement le sanskrit
âlaya vijñâna). La puissance d’explication de ces nœuds des formations internes
qui remontent à la surface de la conscience habituelle est particulièrement
probante et donne un schéma structuré au méditant pour répondre à toutes ces
pulsions qui font leur irruption tout d’un coup sans crier gare et sans
intelligibilité apparente. Mais je le répète encore une fois : cette
vision philosophique a le défaut d’être un postulat métaphysique invérifiable
par un individu ordinaire qui n’a pas atteint l’Éveil suprême et incomparable.
C’est pourquoi je maintiens fermement que l’avantage est au discours du Bouddha
qui nous encourage dans les soutras anciens à prêter attention à la réalité
empirique telle qu’elle se présente sans la juger a priori.
Je
dis « sans la juger a priori »
parce que certains érudits du Grand Véhicule ont estimé complètement à tort que
si le Bouddha a enseigné les quatre établissements de l’attention sur le corps,
les sensations, l’esprit & les objets de l’esprit, c’est qu’il voulait faire
croire à la réalité des dharmas dans un univers réel ou, en tous cas, ne pas
attaquer cette croyance en la réalité phénoménale de peur de ne pas être
entendu pour la dépasser ensuite définitivement dans la série des soutras du
Grand Véhicule. Cela est un parfait non-sens ! Le Bouddha ne parle nulle
part dans le « Soutra des Quatre Établissements de l’Attention », ni
à ma connaissance ailleurs dans les soutras anciens, d’une quelconque réalité
fondamentale sous-jacente aux phénomènes ! Il se contente de prêter
attention au corps, aux sensations, à l’esprit et aux dharmas en tant que ceux-ci font partie de notre expérience, en
fait envahissent l’entièreté de notre expérience et la constituent. Ce n’est
pas parce que le Bouddha a parlé du corps dans les soutras en pâli que le corps
existe selon le niveau de compréhension de ces mêmes soutras anciens. Le corps
et les dharmas peuvent exister. Ils peuvent aussi ne pas exister. En fait ici,
peu importe. Le propos n’est pas de déterminer l’existence du corps ou l’existence
des autres dharmas, ni de l’infirmer. Ce n’est pas un questionnement
métaphysique sur l’Être des choses.
L’important selon les soutras anciens, c’est de prêter une attention la plus
soutenue possible au corps et aux dharmas. C’est pourquoi les textes du Canon
pâli parlent du corps et des dharmas : pour que l’on cultive cette
attention au corps, aux sensations, à l’esprit et aux dharmas et que cette
attention prenne vigueur progressivement à mesure qu’on la cultive.
Les
mahâyânistes en ont beaucoup trop vite conclu que le Bouddha avait délivré un
« petit enseignement » où le corps existe encore pour ceux qui ne
peuvent pas abandonner cette croyance. D’où la réaction un peu rapide de tout
suite passer à la méditation sur la nature de l’esprit pour les cittamâtrins ou
la méditation sur la vacuité pour les madhyamikas sans passer par la méditation
sur le corps ou sur les trois autres établissements de l’attention. Selon ces
tenants du Grand Véhicule, méditer sur la vacuité ou la claire lumière doit
certainement apparaître comme plus fondamental et même comme supplantant in fine ces quatre établissements de
l’attention. Tout pouvant se résorber dans la claire lumière ou la vacuité, il
suffirait de comprendre l’irréalité du corps pour dissoudre ce corps également
dans la claire lumière ou la vacuité sans passer par une attention longue et
minutieuse à tous les recoins de notre corps. L’important serait de se
focaliser uniquement sur la vacuité ou la claire lumière, celles-ci ayant pour
rôle de dissoudre tous les phénomènes constituants comme la marée haute dissout
tous les châteaux de sable sur la plage, ce qui va plus vite que de saper
chaque château un par un. On pourrait
passer outre toute cette observation du réel et notre expérience empirique des choses
pour se confronter directement à un absolu, que ce soit la vacuité d’existence
ultime ou la nature non-duelle de l’esprit. C’est là un raccourci, mais je ne
sais si c’est vraiment efficace, et surtout si on ne passe à côté de quelque
chose de grand à vouloir faire l’impasse sur l’attention aux petites choses de
la vie.
Je
pense que cette conception de négliger et délaisser un enseignement du Dharma
pour un autre qui semble plus élevé dans la hiérarchie des enseignements ne me
semble pas correct. On peut s’intéresser aux doctrines du Cittamâtra et du Madhyamakâ
sans nécessairement renier les soi-disants « petits enseignements »
du soi-disant « petit Véhicule ». C’est là ma conviction profonde. Je
pense d’ailleurs nécessaire de rappeler une donnée historique importante :
dans le bouddhisme de l’Inde, les différentes écoles anciennes et les écoles du
Mahâyâna étaient réunies dans un même monastère, le plus célèbres parmi tous
étaient l’université de Nâlandâ. Ainsi, même si certains maîtres comme Asanga ou
Shântideva pouvaient professer des doctrines qui semblaient exclure les
enseignements anciens, ils étaient néanmoins constamment dans le voisinage
direct de moines relevant du bouddhisme ancien. Or cette dimension sociologique
s’est intégralement perdue quand le bouddhisme a migré vers la Chine (et les pays de la
sphère chinoise, Japon, Corée, Vietnam) et vers le Tibet (et les pays de la
sphère indo-tibétaine, Bhoutan, Ladakh, Sikkim, Mongolie…). En Chine et au
Tibet, les écoles mahayanistes ont triomphé, ne laissant pas de place aux
écoles du « petit Véhicule », se privant ainsi de la richesse des
échanges entre les différents courants du bouddhisme. Je pense que l’on gagne
grandement à approfondir les enseignements anciens tel qu’on les trouve dans le
canon pâli, même si on est un disciple des écoles Cittamâtra ou Madhyamakâ ou
encore d’une école chinoise ou tibétaine qui dérive de ces courants fondateurs
du Grand Véhicule.
Je suis convaincu que des adeptes du Cittamâtra ou Yogâchâra
comme les logiciens Dignâga ou Dharmakîrti avaient très bien compris cela. Tous
leurs travaux ont consisté dans le dessein d’asseoir et de corroborer la vue de
l’Esprit Seulement, mais ils n’ont pas tellement parlé de l’esprit ; ils
ont plutôt finement analysé la perception de la réalité pour savoir comment une
perception pouvait être considérée comme valide dans cette réalité. La logique
en est simple : si le réel est une production de l’esprit, alors il faut
analyser le réel de la façon la plus fine possible, et, in fine, cela éclairera le processus de production du réel par
l’esprit, et à partir de cette connaissance de la dynamique de l’esprit,
l’esprit lui-même qui est au-delà de toute conception et qui ne peut donc pas
être l’objet d’une analyse directe. Même s’ils sont des adeptes de l’Esprit
seulement et des thèses sur la nature non-duelle de l’esprit, ils s’intéressent
à l’attention au corps, aux sensations, au psychisme ordinaire et aux
phénomènes qui composent notre expérience quotidienne du réel. Et à partir de
cette observation, ils peuvent entretenir une réflexion sur ce qui est réel ou
ne l’est pas dans notre perception des choses. Dans cette recherche logique sur
la perception du réel, Dignâga et Dharmakîrti se base sur les thèses réalistes
des sautrantikas. On peut trouver cela étonnant. Mais dans leur observation de
la réalité telle qu’elle nous apparaît, ils peuvent accepter le postulat
réaliste. Leur questionnement
épistémologique peut se formuler ainsi : qu'est-ce qui, dans la perception, me
permet d'accéder à ce qui est réellement ? Qu'est-ce qui me met en décalage par
rapport par rapport à ce réel ? Pour répondre très brièvement, on distingue
chez l'être sensé deux types de perception: la perception directe, immédiate et
la perception conceptuelle[18].
La perception conceptuelle voit l’objet par l’intermédiaire d’un concept ou
« caractère général » (sâmânya lakshana). Ce concept de l’objet se
surimpose sur l’objet lui-même et lui confère une impression de durée et
d’indépendance dont il est complètement dénué. La perception directe, par
contre, voit l’objet dans son « caractère propre » (svâlakshana),
c’est-à-dire dans sa dimension instantanée (l’objet se transforme en effet
d’instant en instant, et n’est jamais parfaitement identique à lui-même ne serait-ce
que deux instants consécutifs) et sa dimension interdépendante (l’objet est un
produit par une série de causes et il est en mesure de produire des effets). Cette
volonté de connaître la perception dans tous ses aspects et de manière la plus
rationnelle possible les rapproche des neurosciences modernes.
D’ailleurs, si Dignâga et Dharmakîrti devaient revenir à
notre époque, ils seraient certainement des passionnés de neurobiologie, à
cette seule différence que là où les matérialistes positivistes assènent que
« l’esprit n’est qu’un épiphénomène du cerveau », nos deux logiciens
cittamâtrins verraient au contraire ce cerveau comme un épiphénomène de
l’esprit ! Certes, ils ne l’ont pas dit comme tel : les
connaissances de l’époque, très limitées sur le sujet, ne permettaient pas de
tenir un tel discours sur le sujet ; mais je crois ne pas me tromper en
affirmant que Dignâga et Dharmakîrti auraient vu dans le cerveau l’interface
entre la conscience primordiale non-duelle et le monde matériel. Ce qui revient
à dire que entre l’esprit qui conçoit le monde et le l’esprit conçu en tant que
monde, dualité qui est l’illusion fondamentale de notre condition d’être
sensible et qui est si difficile à renverser parce que nous ne sommes pas seuls
à concevoir le monde, mais une infinité d’êtres sensibles. Quand nous rêvons,
nous ne croyons à ce rêve que quelques minutes ; au réveil, le rêve s’est
évanoui. Tous les êtres sensibles, par contre, « rêvent » le monde
ensemble, si l’on peut dire ; et il est donc d’autant plus difficile de
s’éveiller à ce monde rêvé qu’est notre monde matériel. Le monde est l’espace
commun conçu par tous les êtres, et le cerveau est ce qui permet d’entrer en
communication le plus efficacement avec les autres ; mais en même temps,
la réussite est si totale que l’esprit s’oublie dans l’esprit produit par le
cerveau, c’est-à-dire le mental de notre moi habituel avec ses pensées, ses
souvenirs et ses espoirs, ses désirs et ses peurs, etc… Dans cette optique, la
conscience du corps est un élément essentiel pour comprendre cette dynamique de
la conscience non-duelle s’impliquant graduellement dans le monde duel de la
matérialité. Et de manière générale, les trois autres établissements de
l’attention (aux sensations, à l’esprit et aux objets de l’esprit) deviennent
indispensables pour comprendre l’esprit dans sa véritable nature non-duelle
encore enfermée dans l’illusion de la dualité et l’ignorance.
Dharmakîrti |
*****
Je suis aussi convaincu que les mâdhyamikas feraient également
bien de ne pas mépriser les enseignements anciens et se camoufler dans
l’assertion que le corps, les sensations, l’esprit et les objets de l’esprit
sont vides pour ne pas devoir développer les quatre établissements de
l’attention. La vacuité fait l’objet d’enseignements aussi dans les soutras
anciens. Par exemple, le Soutra de l’Écume ou Phena Sutta est le compte-rendu d’un court enseignement du Bouddha
donné sur les rives du Gange à Ayodhya[19]
où ce dernier incite les moines à observer les cinq agrégats comme étant aussi
illusoires. Il compare la forme à de l’écume, la sensation à une bulle d’eau
produite par la pluie, la perception à un mirage dans le désert, la formation
mentale au bananier qui est un arbre dont l’intérieur est creux et la
conscience à un spectacle magique. Là encore, on peut vérifier et constater le
bien-fondé de ces assertions de manière empirique. Quand on perçoit les objets
dans la méditation, ceux-ci commencent à devenir un peu évanescents, à perdre
de ce qui semblait être une évidente réalité monolithique. Les choses et les
événements perdent de leur consistance. Je suis personnellement loin d’être un
sage ; mais je constate souvent à quel point les gens s’énervent et
s’emportent pour des chimères. Je pense que cette façon de considérer les
choses chez moi est une imprégnation due à cette méditation sur le caractère
illusoire des agrégats. La vacuité telle qu’elle est conçue dans le Grand
Véhicule, je ne la condamne pas, certes pas, mais elle est d’emblée beaucoup
plus radicale, dépassant radicalement notre expérience[20].
Dans mon expérience, je réalise effectivement que les choses et les événements
sont beaucoup plus évanescents qu’il n’y paraît dans la vie agitée et
samsârique que nous menons d’habitude.
Certes, mais de là à dire que le monde entier, le
temps et l’espace sont vides, il y a un bond à franchir assez colossal ;
et rien ne m’indique que je serais dans le vrai quand j’aurai franchi ce bond. Il
me semble qu’il y a nettement plus d’assurance à remettre en doute la
légitimité existentielle des petites choses de la vie qui se présentent
empiriquement d’instant en instant à la conscience (ou plus exactement aux
consciences sensorielles). Il m’arrive d’avoir des moments intenses
d’exaltation dans la méditation de la vacuité selon le Grand Véhicule :
cela m’ouvre tout un champ mystique où le monde est vu et vécu comme un champ
immense d’interrelations cosmiques, le filet de joyaux d’Indra dont parle
l’Avatamsaka Sûtra et dont chaque diamant aux faces infinies reflète tous les
autres diamants en même temps ce diamant est reflété dans tous les autres
diamants. Néanmoins, je connais des moments où cette conscience de la vacuité
s’amenuise et le réel semble bien réel d’une présence forte et incontournable. A
ce moment-là, toutes les incantations contenues dans les textes du Grand Véhicule
à voir le monde entier comme étant vacuité échouent à convaincre mon
cœur ; et même les raisonnements logiques de Nâgârjuna perdent leur force
de conviction, semblant des sophismes pantelants face à l’évidence du
réel. Et bien, dans ces moments de doute, rien de tel que de me remettre à
observer les agrégats de l’expérience quotidienne, à observer leur volatilité,
leur impermanence fondamentale qui les transforment d’instant en instant,
d’observer leur caractère insatisfaisant et trompeur. Enfin de voir toutes les
chaînes de causalité et d’interdépendance qui s’enchevêtrent au sein de la Nature. Si je regarde un arbre,
je vois une graine, le nuage qui a donné la pluie, le vent qui a poussé le
nuage, le soleil qui a donné la chaleur et l’énergie lumineuse, la terre et
tous les phénomènes qui ont contribué à l’émergence du phénomène
« arbre »[21].
Ainsi aucun phénomène n’a d’existence indépendante et séparée. C’est à partir
de ce moment que je regagne confiance en la vacuité d’existence propre.
Mais je crois que ce processus est esquissé
implicitement dans le Soutra du Cœur de la Perfection de Sagesse[22].
Avalokiteshvara commence par une exhortation qui ressemble au discours du
Bouddha dans le Phena Sutta, à savoir
voir le caractère vide et illusoire des cinq agrégats. « Shâripûtra, le fils ou la fille de haute
lignée désireux de s’exercer dans la profonde discipline de la perfection de
sagesse contemplera de la manière suivante : il ou elle devra voir le vide
de nature propre des cinq agrégats ». Fait directement suite le
très célèbre passage :
« La forme
est vide.
Le
vide est forme.
La
forme n’est autre que le vide.
Le
vide n’est autre que la forme[23] ».
La forme est vide. On voit une forme apparaître. Elle
apparaît certes, mais on ne lui surajoute une qualité d’existence solide, une
existence indépendante comme on le fait habituellement dans l’illusion. On ne
suppute plus un concept d’existence à l’apparence, on la laisse juste
apparaître. Le Soutra de l’Écume (Phena
Sutta) explique et développe cette attitude ainsi : « Quelle substance peut-on trouver dans une
écume ! C’est la même chose, ô bhikkhus, en ce qui concerne la forme,
appartenant au passé, au futur ou au présent, la forme intérieure ou
extérieure, grossière ou subtile, inférieure ou supérieure, située loin ou
près. Supposons qu’un renonçant la regarde, il l’observe et l’examine avec
attention, il constate que toute forme n’est qu’une chose vide et sans
substance. Quelle substance peut-on trouver dans la forme ![24] ».
Il s’agit bien de cesser d’être impressionné par les choses qui se présentent
dans notre expérience : de la même façon que l’écume que porte la vague
sur nos plages semblent un apport solide de la mer, mais se révèle
inconsistante, il faut cesser d’être obnubilé par les formes qui apparaissent
et cesser de les prendre pour argent comptant, cesser d’entretenir des préjugés
d’existence solide à leur égard. Ensuite,
il s’agit de décortiquer la chose, de l’observer et de l’examiner sous
toutes ses coutures. Et là se rendre compte de son manque effectif de
substance, autrement dit de sa vacuité d’existence propre.
Mais
si on cesse de supputer une existence propre, on pourrait se mettre à supputer
une inexistence. Et c’est là surajouter un concept, une notion ou un préjugé
sur le réel et surimposer un concept au réel, c’est là une illusion. Si à
partir de la formule « la forme est vide », on en concluait que la
vérité ultime est un grand vide auquel il faut s’attacher. Il faudrait
transpercer l’écorce vide des choses et résider dans ce vide. Il y a là le
risque de faire de la vacuité un dogme métaphysique. Et c’est là que le Soutra
du Cœur ajoute : « Le vide est forme ». Si on recherche le vide,
on va tomber nécessairement sur des formes. Le vide n’est pas absence de forme
ou de sensations, un grand espace blanc sans rien dedans. Le vide est lui-même
vide d’une existence séparée. Il n’y a pas une entité qui serait un noyau de
vide, clos sur lui-même et inviolable. Le vide est indissociable du processus
de manifestation et de disparition des formes et des autres composants de
l’expérience sensible et mentale. Sans le vide, la forme ne serait pas possible,
de la même façon que les nuages ne pourraient pas apparaître dans un ciel de
béton. On ne peut pas s’échapper de la forme par le vide. On médite sur le
vide, mais le vide nous reconduit à la forme. Je pense que le Bouddha a
implicitement fait usage de ce principe dans les soutras « dits du petit
Véhicule ». Dans ces textes, le Bienheureux ne cherche en aucune façon à
établir le dogme d’une vacuité, mais ramène constamment aux éléments composants
l’expérience. On vient de voir que dans le Phena
Sutta, on se contentait d’observer le caractère vide et illusoire des
agrégats qui se présentent sans chercher à aller plus loin que ces agrégats. Dans
le Suñña Sutta, le Soutra du Vide[25],
Ânanda demande la signification de la formule « le monde est vide ».
Le Bouddha répond que le monde est vide d’un Soi et de quelque chose
appartenant au Soi ; puis il ajoute tout de suite qu’il faut se concentrer
sur le caractère vide d’un Soi et de quelque chose appartenant au Soi des
composants de l’expérience comme les organes sensoriels, les objets sensoriels,
les consciences sensorielles ainsi que la mise en contact de ces trois entités.
Ainsi pour la vue, il dit : « L’œil
est vide d’un Soi et de quelque chose qui appartiendrait au soi. La forme est
vide d’un Soi et de quelque chose qui appartiendrait au Soi. La conscience
visuelle est vide d’un Soi et de quelque chose qui appartiendrait au soi. Le
contact avec l’œil est vide d’un Soi et de quelque chose qui appartiendrait au
Soi ». Dans l’expérience concrète, il se manifeste toujours des
formes ; donc on peut approfondir ce caractère vide d’une forme sans
tomber dans le vide total parce qu’autres formes succèdent continuellement à
cette première forme. Il n’y a pas besoin de la rectification exercée par le
soutra du Cœur : « Le vide est forme » suivie de sa
radicalisation dans l’identification complète des deux : « La forme
n’est autre que le vide. Le vide n’est autre que la forme ». Le fait de
s’appliquer à cet exercice de voir chaque manifestation de l’expérience
sensorielle dans son manque de substance qui peut paraître laborieux de prime
abord prévient, il me semble, ce danger.
Or
cette mise en garde dans le Soutra du Cœur est nécessaire puisqu’on trouve
directement à la suite ce passage : « En conséquence, Shâripûtra, tous les phénomènes sont vacuité, sans
caractéristiques, sans naissance, sans arrêt, sans impuretés, sans séparation
d’avec les impuretés, sans diminution ni accroissement. Au regard de la
vacuité, il n’y a ni forme, ni sensation, ni perception, ni formation mentale,
ni conscience, ni yeux, ni oreilles, ni nez, ni langue, ni corps, ni mental, ni
formes visibles, ni sons, ni odeurs, ni saveurs, ni choses tangibles, ni
d’objets mentaux, ni d’éléments visuels, ni d’éléments mentaux, ni d’éléments
de la conscience mentale ». Le Soutra du Cœur étend la vacuité à tous
les phénomènes de l’univers, là où les soutras anciens comme le Soutra du Vide
ou le Soutra de l’Écume se restreignent à la seule sphère de l’expérience. Il
importe alors dans cette optique des Soutras de la Perfection de Sagesse propre
au Grand Véhicule d’établir la compréhension la plus fine possible de cette
vacuité. Mais cette compréhension n’en reste pas moins une compréhension
intellectuelle. Bien sûr, cette vacuité peut faire l’objet d’une mystique de la
vacuité immanente au monde. Mais encore faut-il accéder à cette mystique. Et
personnellement je n’en fais l’expérience que de manière intermittente. La
méthode du Grand Véhicule peut sembler plus rapide et plus expéditive que la
méthode des soutras anciens. Certes, mais la tortue dans son avancée lente et
constante devance parfois le lièvre qui s’endort en court de chemin !
Je
voudrais évoquer ici un autre soutra de la tradition ancienne qui complète
avantageusement cette compréhension progressive de la vacuité selon la Voie du bouddhisme ancien. Je
veux parler du Cûla Suññata Sutta, le
Court Soutra sur le Vacuité[26].
Ce discours met en scène encore une fois Ânanda et le Bouddha. Ânanda interroge
donc le Bienheureux à propos d’une formule que ce dernier avait prononcé en
d’autres lieux, dans le bourg de Nagaraka pour être précis, quelque part sur le
territoire des Shâkyas. Cette formule fort simple est la suivante :
« En demeurant dans la vacuité,
maintenant j’y demeure davantage ». Ânanda demande donc des
éclaircissements à son propos. Le Bienheureux commence par évoquer leur
situation géographique présente, à savoir la demeure de Migâra-Mâtâ, une
disciple laïque fortunée. Cette grande demeure se trouvait dans un parc boisé à
l’écart de la ville et était donc un endroit idéal pour s’adonner à la
contemplation. « Tout comme ce
palais de Migâra-Mâtâ est vide d’éléphants, de vaches, de juments, est vide
d’or et d’argent, est vide d’assemblée d’hommes et de femmes. Seulement, elle
est non-vide de la qualité unique fondée sur le groupe de bhikkhus.
De même, ô Ânanda, un disciple, sans
se concentrer sur la perception concernant le village, sans se concentrer sur
la perception concernant les êtres humains, se concentre sur la qualité unique
fondée sur la perception concernant la forêt. Sa pensée se plonge dans la
perception concernant la forêt[27].
Sa pensée s’y plaît, sa pensée s’y établit, sa pensée s’y libère.
Alors, il sait : « Ici, il
n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de la perception concernant le
village. Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de la
perception concernant les êtres humains. Ici, il existe seulement des soucis
qui se produisent à cause de la qualité unique de la pensée fondée sur la
perception concernant la forêt.
En effet, il sait :
« Cette aperception[28]
est vide de la perception concernant le village. Cette aperception est vide de
la perception concernant les êtres humains. Cette aperception est non-vide
seulement de la qualité unique fondée sur la
perception de la forêt ».
De cette façon, s’il n’y a pas une
chose, il constate bien cette absence. S’il y a un résidu, à propos de ce
résidu, il comprend : « Quand ceci est, cela est ». Ainsi, ô
Ânanda, pour ce disciple, c’est aussi l’arrivée dans une vacuité qui est vraie,
non-fausse et pure ».
Le
Court Soutra de la Vacuité parle bien du vide, mais uniquement dans
la dimension où le vide est toujours le fait d’être vide de quelque chose. En l’occurrence, le palais de Migâra-Mâtâ
qui servait de lieu de retraite forestière aux moines est vide d’éléphants.
Aucun éléphant ne s’y trouve : on peut constater et établir clairement que
le lieu est donc vide d’éléphants. Pareillement, le lieu est vide de vaches et
d’autres bestiaux, le lieu est vide d’argents et d’objets de commerce et il est
aussi en conséquence de toute l’agitation urbaine qui se produit autour de
l’argent et des objets de commerce. On pourra bien sur objecter au Bouddha que
tout cela est évident : si on est dans une salle de méditation, on n’est
pas au marché et c’est une banale évidence de dire que le lieu est vide
d’éléphants et de vaches. Tout le monde peut s’en rendre compte. Même l’idiot
du village peut en attester. Oui, mais voilà : on est d’ordinaire assailli
par toutes sortes de pensées concernant les tracas quotidiens et les activités
mondaines. Si on tient un commerce, on pense et on se soucie de ses
transactions financières même quand on est rentré chez soi et que son salon est
bien vide de commerce, d’achats et de vente. On n’arrête pas de se faire du
mouron à propos de cela. Si on pense à quelqu’un que nous détestons, notre poil
se hérisse, nos dents se crispent, notre cœur bat la chamade, notre gorge se
serre, notre teint se rougit, même si l’intéressé n’est pas en notre présence.
Se rappeler que le lieu de méditation est vide de l’agitation mondaine et des
choses qui engendrent l’excitation et le tracas n’est dès lors certainement pas
un exercice vain et futile ! C’est un exercice d’une grande simplicité,
mais ô combien pertinent. Je trouve qu’il est d’emblée plus accessible que
l’injonction de considérer directement les choses comme vide d’une existence
ultime. L’évidence de considérer le lieu de méditation comme vide des choses de
la ville est sa grande force lui donne une grande efficacité psychologique.
Quand on est plus en présence d’objets ou de personnes suscitant le trouble ou
l’irritation, on peut simplement voir que notre lieu de méditation est vide de
celui-ci et cesser de réagir comme si on était en sa présence. Cette technique
peut dès lors apporter un précieux soulagement.
La
salle est vide d’éléphants et d’autres animaux ; mais par contre elle n’est
pas vide de moines qui méditent sur le vide ! Creuser cette notion que le
vide est toujours le vide de quelque chose. Si je viens de boire complètement
mon verre d’eau devant moi, je peux dire : « mon verre est
vide ». En général, tout le monde comprend que le verre est vide d’eau.
Mais très peu se rendent compte que du même coup le verre est plein
d’air ! C’est pourtant ce qui arrive. Au fur et à mesure que l’on se vide
des pensées associées aux troubles de la vie mondaine, on se remplit de la
conscience du lieu de méditation et éventuellement de la présence des autres
méditants si l’on pratique la méditation en groupe. Le village, la ville ainsi
les villageois, les citadins s’effacent pour ne laisser la place qu’au lieu de
méditation : « Sa pensée se
plonge dans la perception concernant la forêt. Sa pensée s’y plaît, sa pensée
s’y établit, sa pensée s’y libère ». On peut enfin goûter à la
sérénité et à la paix de notre lieu de méditation. Les soucis qui sont liés aux
gens et à la vie mondaine s’effacent donc aussi à leur tour. « De cette façon, s’il n’y a pas une chose, il
constate bien cette absence. S’il y a un résidu, à propos de ce résidu, il
comprend : « Quand ceci est, cela est ». Ainsi, ô Ânanda, pour
ce disciple, c’est aussi l’arrivée dans une vacuité qui est vraie, non-fausse
et pure ». Cette méditation est elle-même « vraie, non-fausse et
pure ». Sans doute, cela semblera vraiment décevant aux penseurs du Grand
Véhicule pour qui cette vacuité paraîtra carrément trop rudimentaire. Mais ici,
l’important n’est pas d’aller le plus loin possible dans la définition de la
vacuité, mais bien de voir le vide, l’absence d’une chose ainsi que le
« résidu » qui existe conjointement à ce vide, cette absence.
L’important aussi est de voir les liens de causalité qui permettent l’émergence
de cette situation présente : « Quand ceci est, cela ». C’est la
formule de la production interdépendante :
« Quand ceci est, cela est.
Quand ceci apparaît, cela apparaît.
Quand ceci n’est pas, cela n’est
pas.
Quand ceci disparaît, cela disparaît[29] ».
Si le lieu où je me trouve est vide d’éléphants et de
vaches (aujourd’hui on dirait plutôt vide de camions et de voitures) et plein
de moines pratiquant la méditation, c’est qu’il y a des causes à cette
situation. Cette situation n’apparaît pas d’elle-même ou sans cause. Cette
situation est issue de la confiance dans le Bouddha, de la confiance dans le
Dharma ainsi que de la confiance dans la Sangha. Elle est tributaire de
la persévérance, du renoncement et du goût que l’on porte à la méditation. Elle
aussi est tributaire de l’organisation et de l’harmonie dans la sangha. Elle
est enfin tributaire des souhaits et de l’aspiration à l’Éveil.
A
partir de là, le Bouddha propose d’avancer dans cette compréhension de la
vacuité selon un schéma similaire à celui que l’on vient de voir : « Et encore, ô Ânanda, sans se concentrer sur
la perception concernant les êtres humains, sans se concentrer sur la qualité
unique fondée sur la perception concernant la forêt, se concentre sur la
qualité unique fondée sur la perception concernant la Terre.
Tout comme, ô Ânanda, une peau de
bœuf bien tendue par cent chevilles, dont la graisse a disparu, un disciple,
sans se concentrer sur les choses terrestres comme les hautes terres et les
marécages, les rivières, les arbres portant des branches et des épines, les
montagnes et les vallées, etc… se concentre sur la qualité unique fondée sur la
perception concernant la Terre.
Sa pensée s’y plaît, sa pensée s’y établit, sa pensée s’y
libère.
Alors, il sait : « Ici, il
n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de la perception concernant
les êtres humains. Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de
la perception concernant la forêt. Ici, il existe seulement des soucis qui
se produisent à cause de la perception concernant la Terre ».
En effet, il sait : « Cette
aperception est vide de la perception concernant les êtres humains. Cette aperception
est vide de la perception concernant la forêt. Elle est non-vide seulement de
la qualité unique fondée sur la perception de la Terre ».
De cette façon, s’il n’y a pas une
chose, il constate bien cette absence. S’il y a un résidu, à propos de ce
résidu, il comprend : « Quand ceci est, cela est ». Ainsi, ô
Ânanda, pour ce disciple, c’est aussi l’arrivée dans une vacuité qui est vraie,
non-fausse et pure [30] ».
Seul
dans un ermitage dans la forêt, on a réalisé le vide des assemblées humaines et
de l’agitation urbaine. Mais il y a encore des arbres, des vallées, des
paysages, toutes sortes d’objets physiques naturels plus ou moins vastes ;
et leur présence nous semble très réelle. Néanmoins, si on se place d’un point
de vue plus large, les arbres et les autres objets du monde matériel n’ont
aucune existence séparée. L’arbre a du pousser à partir de la terre, ses
racines ont puisé l’eau et les éléments nutritifs nécessaire pour se
construire, le feuillage a capté et transformé l’énergie lumineuse dans la
synthèse chlorophyllienne. L’arbre n’est en aucune façon une entité séparée du
reste de l’environnement. De la même façon qu’une vague n’est pas une entité
distincte de l’océan, l’arbre n’est pas une entité distincte de la planète
Terre. En conséquence, l’esprit n’est pas obligé de s’arrêter au concept
« arbre » qui se manifeste devant lui, pas plus qu’au concept
« paysage », au concept « rivière » ou à tout autre concept
relevant de l’expérience du monde environnant. L’esprit peut dépasser le simple
champ de l’expérience sensorielle pour s’immerger dans la conscience se
concentrant sur « la qualité unique
fondée sur la perception concernant la
Terre ». Dans cette perception nouvelle, il n’y a
plus d’objets conçus distinctement tels que des arbres ou des collines. Il n’y
a que ce vaste et gigantesque ensemble de particules matérielles appelé Terre, contribuant
à l’existence et à la vie de chaque être de la Nature , et pourtant indifférents
à l’état de telle ou telle de ses parties. Les soucis qui peuvent frapper le
méditant contemplant le vide propre à la forêt, comme des ennuis de santés, les
rigueurs climatiques, l’état défectueux de la bâtisse où il médite, tout cela
se résorbe et s’évanouit dans la perception de la terre.
Dans
ce travail sur la vacuité, il reste bien encore quelque chose ; mais ce
résidu est lui-même compris comme dépendant de causes et de conditions et cesse
donc d’être vu comme un phénomène indépendant et séparé. C’est pourquoi le
Bouddha définit cette méditation au même titre que la première comme une
« arrivée dans une vacuité qui est
vraie, non-fausse et pure ». Là encore, ce sera décevant pour un adepte
du mâdhyamika, mais c’est plus important de voir le processus que d’adhérer
d’emblée à la théorie de la vacuité d’existence ultime, mais uniquement sur un
plan intellectuel. La vacuité à laquelle on accède est une vacuité d’existence
séparée des phénomènes par rapport à l’environnement global qu’est la planète
Terre. On quitte les limites strictes de l’expérience sensorielle, mais on
reste dans le domaine d’une chose matérielle qui nous dépasse par sa taille
immense, mais qui reste accessible à notre entendement humain et à notre
compréhension. On a besoin de la science pour savoir la forme de la Terre ; en Inde et au
Tibet, on pensait que la Terre
était comme un trapèze inversé, mais néanmoins quelle qu’en soit sa forme et
ses caractéristiques physiques précises, notre Terre soutenant la vie ainsi que
les montagnes et les rivières apparaîtront comme une évidence à chacun. Du
point de vue subjectif, il est peut-être d’ailleurs plus primordial de réaliser
ce lien intime avec notre mère la
Terre , savoir que nous faisons partie intégrante d’elle et
que notre existence est tributaire d’elle. Notre pensée peut alors se plaire en
la Terre ;
elle peut s’y réjouir et se libérer en elle. En ces temps de réchauffement
climatique et de pollution généralisée des ressources naturelles, c’est là
quelque chose à méditer d’urgence !
Au
stade suivant, le Court Soutra sur la Vacuité invité à dépasser la vision de la Terre qui supplante
elle-même la vision des objets particuliers dans le paysage perçu, dépasser cette
vision de la Terre
en se lançant à la conquête de l’espace !
« Et encore, ô Ânanda, ce disciple, sans se
concentrer sur la perception concernant la forêt, sans se concentrer sur la
qualité unique fondée sur la perception concernant la Terre , se concentre sur la qualité
unique fondée sur la perception concernant la sphère de l’espace infini. Sa
pensée se plonge dans la perception concernant la sphère de l’espace infini. Sa
pensée s’y plaît, sa pensée s’y établit, sa pensée s’y libère.
Alors, il sait : « Ici, il
n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de la perception concernant de
la forêt. Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de la
qualité unique de la pensée fondée sur la perception concernant la Terre. Ici , il existe seulement
des soucis qui se produisent à cause de la qualité unique de la pensée fondée
sur la perception de la sphère de l’espace infini ».
En effet, il sait :
« Cette aperception est vide de la perception concernant la forêt. Cette
aperception est vide de la perception concernant la Terre. Elle est non-vide
seulement de la qualité unique de la pensée fondée sur la perception de la
sphère de l’espace infini ».
De cette façon, s’il n’y a pas une
chose, il constate bien cette absence. S’il y a un résidu, à propos de ce résidu,
il comprend : « Quand ceci est, cela est ». Ainsi, ô Ânanda,
pour ce disciple, c’est aussi l’arrivée dans une vacuité qui est vraie,
non-fausse et pure ». [31]»
La
sphère de l’Espace Infini est la première des quatre sphères du monde divin de la Sans-Forme. Je
pense que l’on peut accéder à l’espace infini à la fois par l’infiniment grand
comme de l’infiniment petit. En effet, cette matière qui semble si compacte
laisse de très grand champ d’espace entre chaque particule, qu’on pense à
l’espace étonnant qui sépare le noyau de son électron. Si je me rappelle bien,
si le noyau avait la taille d’un grain de sable, l’orbite de l’électron serait
de l’ordre de grandeur d’un terrain de football ! Le même raisonnement est
appliqué par le Court Soutra sur la Vacuité à l’entrée dans la sphère de la
conscience infinie, la sphère du néant ainsi que la sphère de ni perception, ni
non-perception. Je ne m’étendrai pas sur elles d’autant qu’elles dépassent
largement mon champ d’expérience ! Disons simplement que cela mène au
faîte suprême du samsâra et qu’il manque encore une qualité supplémentaire de
la vacuité pour nous faire réaliser la « sphère de cessation des
sensations et des perceptions », c’est-à-dire le nirvâna, l’extinction du
cycle de la souffrance.
« Et encore, ô Ânanda, ce disciple, sans se
concentrer sur la perception concernant la Sphère du néant, sans se concentrer sur la
qualité unique fondée sur la perception concernant la Sphère de ni perception, ni
non-perception se concentre sur la qualité unique fondée sur la perception
concernant la « concentration mentale d’absence de caractéristique ».
Sa pensée plonge dans la perception concernant la concentration mentale sans
caractéristique. Sa pensée s’y plaît, sa pensée s’y établit, sa pensée s’y
libère.
Alors, il sait : « Cette
concentration mentale d’absence de caractéristique est un état conditionné.
Elle est un état produit par la pensée. Si une chose est conditionnée, si elle
est une production de la pensée, elle est sûrement impermanente ; elle est
sujette à la dissolution ».
Quand il sait cela, quand il voit
cela, la pensée se libère de l’écoulement mental toxique dit
« désir sensuel », la pensée se libère de l’écoulement mental
toxique dit « désir d’existence », la pensée se libère de l’écoulement mental
toxique dit « ignorance ». Quand il est libéré, vient la
connaissance : « Ceci est la libération », et il sait désormais
que « la naissance est détruite, la conduite sublime est vécue, ce qui
devait être achevé est achevé, plus rien ne demeure à accomplir ».
Egalement, il comprend :
« Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de l’écoulement
toxique dit « désir sensuel ». Ici, il n’existe pas de soucis qui se
produisent à cause de l’écoulement toxique dit « désir d’existence ».
Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de l’écoulement
toxique dit « ignorance ». Ici, il existe seulement des soucis qui se
produisent à cause des six sphères sensorielles conditionnées par cette vie,
conditionnée par ce corps ».
Alors, il sait : « Cette
aperception est vide de l’écoulement mental toxique dit « désir
sensuel ». Cette aperception est vide de l’écoulement mental toxique dit
« désir d’existence ». Cette aperception est vide de l’écoulement
mental toxique dit « ignorance ». Elle est seulement non-vide de ces
six sphères sensorielles conditionnées par cette vie, conditionnées par ce
corps ».
De cette façon, s’il n’y a pas une chose, il
constate bien cette absence. S’il y a un résidu, à propos de ce résidu, il
comprend : « Quand ceci est, cela est ». Ainsi, ô Ânanda, pour
ce disciple, c’est aussi l’arrivée dans une vacuité qui est suprême,
incomparable vraie, non-fausse et pure ». [32] »
Le
pas qui reste à franchir est celui de la concentration d’absence de
caractéristique (animitta cetô samâdhi) :
qu’on ne puisse plus dire « je suis dans tel état » ou « je
connais telle expérience », « c’est ceci » ou « c’est
cela ». Quand on cesse d’étiqueter l’expérience, on peut s’ouvrir à la
libération la plus puissante de l’esprit ; une libération définitive
s’ouvre à nous. Cependant, il ne faut pas non plus s’accrocher à la
concentration mentale d’absence de caractéristique. Celle-ci est encore une
disposition mentale de notre esprit ; et cette disposition mentale comme
toute disposition mentale d’ailleurs est sujette à fluctuation et puis à
dissolution. Les concepts qui caractérisent le réel reviennent naturellement.
On s’en sert à nouveau dans la vie de tous les jours pour régler ses affaires
quotidiennes. On s’en sert évidemment dans le langage pour parler ou pour
écrire. On n’est donc pas obligé de maintenir la concentration mentale de
l’absence de caractéristiques coûte que coûte en dépit du bon sens. On peut
lâcher prise face à cet état mental impermanent et le laisser se résorber
tranquillement dans le réel. On dira alors : mais alors cela ne servait à
rien de faire tout ce cheminement si c’est pour quand même abandonner le
résultat final en fin de compte et revenir au point de départ ? En fait
non. Cet acte d’abandon est la manifestation même de la confiance envers
l’Éveil. On voit que tous les phénomènes ainsi que les sphères de l’existence
sont vides de caractéristiques, qu’il n’y a pas à y accrocher de notions, de
concepts ou de jugements positifs, négatifs ou neutres. Et même temps, on se
rend compte que cette vision de l’absence de caractéristiques est elle-même
transitoire et qu’on peut la laisser s’évanouir. S’y accrocher voudrait dire
que l’on attribuerait une caractéristique positive à la concentration mentale
d’absence de caractéristique. Or cela n’a pas lieu d’être. On lâche donc prise
par rapport à l’absence de caractéristique ; et celle-ci se dissout dans
notre perception quotidienne.
En effet, tout ce voyage aboutit en fait à notre point
de départ qui est le champ sensoriel de notre expérience. Mais tout ce travail
de la vacuité n’a pas été vain. En cessant de tout caractériser et de tout
juger à l’aide de l’un ou l’autre concept, on se libère des émotions
perturbatrices qui nous poussent avec avidité vers tel ou tel objet ou nous
repousse avec véhémence de lui. « Quand
il sait cela, quand il voit cela, la pensée se libère de l’écoulement mental
toxique dit « désir sensuel », la pensée se libère de
l’écoulement mental toxique dit « désir d’existence », la pensée se libère
de l’écoulement mental toxique dit « ignorance ». » Notre vision
du monde s’affranchit des souillures mentales, des écoulements mentaux toxiques
(pâli : âsavâ). On retrouve ce
monde-ci, mais débarrassé des soucis et des troubles que peuvent engendrer tous
ces poisons de l’esprit que sont le désir avide, l’ignorance, la colère, …
« Egalement, il comprend :
« Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de l’écoulement
toxique dit « désir sensuel ». Ici, il n’existe pas de soucis qui se
produisent à cause de l’écoulement toxique dit « désir d’existence ».
Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de l’écoulement
toxique dit « ignorance ». Ici, il existe seulement des soucis qui se
produisent à cause des six sphères sensorielles conditionnées par cette vie,
conditionnée par ce corps ». » On est parti des formes
perceptibles dans la vie quotidienne comme les vaches et les éléphants
(aujourd’hui on dirait plutôt les camions et les automobiles bien qu’on voit
encore dans les rues de l’Inde de nombreuses vaches et de temps en temps des
éléphants), de l’or et de l’argent, des hommes et des femmes. On a quitté ces
formes sensibles pour poursuivre la vacuité d’abord en cherchant les formes
plus tranquilles et apaisantes de la forêt et de la nature, puis celle de la Terre , de la sphère de
l’espace infini, la sphère de la conscience infinie, la sphère du néant et
enfin la sphère de ni perception, ni non-perception. On entre alors dans la
concentration mentale d’absence de caractéristiques pour revenir à la forme dans
le domaine des « six sphères
sensorielles conditionnées par cette vie, conditionnée par ce corps ».
Cela pourrait se résumer par la formule que j’ai déjà
citée plus haut du Soutra du Cœur de la Perfection de Sagesse : « La forme est vide. Le vide est forme. La
forme n’est autre que le vide. Le vide n’est autre que la forme ».
Cette formule est évidemment un raccourci de tout le processus que l’on vient
de voir, mais ce processus mérite d’être suivi étape par étape et d’être conduit
à son terme. On revient donc à la forme ; mais même si rien n’a changé en
apparence, l’acceptation sage et sereine de ces formes ouvre la porte à la paix
et à la libération. Les événements qui ont lieu au sein des « six sphères sensorielles conditionnées par
cette vie, conditionnée par ce corps » suscitent parfois des soucis et des
troubles, mais ceux-ci n’affectent pas vraiment l’esprit. L’esprit en est
libre. Des caractéristiques et des notions se produisent comme d’autres
événements mentaux, mais elles ne viennent plus se coller comme des étiquettes
aux choses et au monde. L’esprit les laisser passer comme le ciel laisse passer
les nuages dans le ciel. L’esprit en est libre aussi.
Le Court Soutra sur la Vacuité accepte à nouveau
le point de vue ordinaire sur les choses, mais après un travail de la vacuité
qui nous a libérés de ce point de vue ordinaire. Le Soutra du Cœur adopte par
contre la perspective de la perfection de sagesse : « Au regard de la vacuité, il n’y a ni forme,
ni sensation, ni perception, ni formation mentale, ni conscience, ni yeux, ni
oreilles, ni nez, ni langue, ni corps, ni mental, ni formes visibles, ni sons,
ni odeurs, ni saveurs, ni choses tangibles, ni d’objets mentaux, ni d’éléments
visuels, ni d’éléments mentaux, ni d’éléments de la conscience mentale. Il n’y
a pas d’ignorance, ni d’extinction de l’ignorance, pas de vieillissement et de
mort, ni d’extinction du vieillissement et de la mort. De même il n’y a pas de
souffrance, ni d’origine, ni de cessation, ni de voie, pas de sagesse, ni d’obtention,
ni de non-obtention. De ce fait, Shâripûtra, puisque les bodhisattvas n’ont pas
d’obtention, ils prennent appui et résident dans la perfection de sagesse,
l’esprit sans crainte et sans voile. Passant au-delà de l’erreur, ils parachèvent
l’au-delà des peines (le nirvâna) [33] ».
La perfection de sagesse établit le bodhisattva dans la vacuité d’existence
ultime dans laquelle il va pouvoir agir « sans crainte et sans voile ». Le Court Soutra sur la Vacuité adopte une
formulation positive en acceptant les apparences de ce monde vidées toutefois
des jugements, des appréciations et des caractéristiques qui colleraient de
façon inhérente aux objets. Le Soutra du Cœur adopte la formulation négative de
la vacuité d’existence ultime. Pour le Court Soutra sur le Vacuité, il
faut admettre et laisser se produire les « six sphères sensorielles conditionnées par cette vie, conditionnée par
ce corps ». Pour le Soutra du Cœur, aux yeux de la vacuité, ces six sphères
sensorielles, cette vie, ce corps sont illusoires. Dès lors l’ignorance qui se
nourrit des jugements et des caractéristiques que l’ego fait à propos des
objets et du monde sont illusoires. S’il n’y a pas d’ignorance, son extinction
est aussi illusoire. Si la vie est illusoire, la vieillesse et la mort sont
illusoires comme l’extinction du vieillissement et de la mort sont illusoires.
Les Quatre Nobles Vérités sont illusoires et vides au même titre que la
sagesse. Dès lors, il n’y a pas d’obtention ni de non-obtention. Le bodhisattva
prend donc sur cette perfection de sagesse paradoxale qui ne présente aucun
appui et n’atteint rien.
Ces deux perspectives du Court Soutra sur la Vacuité et du Soutra du
Cœur méritent donc d’être confrontées régulièrement et avec finesse. Le Court
Soutra sur la Vacuité
ne mérite pas d’être écarté d’office sous prétexte que c’est un texte du petit
véhicule. Il offre une réflexion extrêmement intéressante sur la vacuité. Les
deux soutras s’achèvent de manière similaire, ce qui me fait penser que ces
deux-là répondent l’un à l’autre comme un écho. Le Court Soutra sur la Vacuité dit : « S’il y a eu, ô Ânanda, des samanas et des
brâhmanes dans le passé le plus lointain qui sont entrés et ont demeuré dans la
vacuité complètement pure, incomparable et suprême, tous ces samanas et ces brâhmanes
entrèrent et demeurèrent précisément ainsi dans cette vacuité complètement
pure, incomparable et suprême[34] ».
Le même raisonnement est appliqué aux ascètes et aux brâhmanes du présent et du
futur. Le Soutra du Cœur dit : « Tous
les Bouddhas qui résident dans les trois temps ont réalisé, réalise et
réaliseront le plein épanouissement, parfait et incomparable, en prenant appui
sur la perfection de sagesse[35] ». Le
Bouddha conclut alors son enseignement transcrit dans le Court Soutra par ces
mots : « C’est pourquoi, ô
Ânanda, vous devez vous entraîner en disant : « Entrant dans cette
vacuité qui est complètement pure, incomparable et suprême, j’y demeure ». »
*****
Voilà
donc ma défense en quelques lignes que j’espère ne pas avoir été trop longue de
la pertinence et du bien-fondé de la lecture vivante et de l’étude approfondie
des soutras anciens prononcés par le Bouddha lui-même. Ce sont des outils
puissants pour la méditation et la pratique du Dharma, et une richesse
incomparable qu’il serait bête de négliger et de laisser croupir dans une
bibliothèque poussiéreuse. Il va sans dire que je n’ai évoqué qu’un nombre très
limité de ces soutras qui sont autant de discours du Bouddha Shâkyamuni : Satipatthâna Sutta, Anapanasati Sutta, Cûla
Suññata Sutta, Phena Sutta. Je
n’ai évidemment pas pu être exhaustif en la matière : cela aurait été
impossible dans le cadre de ce petit texte. Il faudrait plusieurs tomes pour
cela ! J’ai simplement voulu montrer par quelques exemples en quoi les
soutras anciens pouvaient s’avérer pertinent dans l’art de la méditation[36].
Il y aurait encore beaucoup de choses à en retirer.
Comme
je l’ai déjà dit, je ne suis pas un apologiste du Theravâda : ma lecture
des soutras n’est donc pas exclusive des autres textes et autres méthodes
bouddhistes. Je peux tout à fait réciter des mantras, lire les Soutras du Grand
Véhicule, étudier les grands penseurs comme Nâgârjuna ou Shântideva et
m’intéresser aux tantras. Il m’arrive par exemple de réciter un soutra ancien
comme si c’était une offrande aux Bouddhas des dix directions ainsi qu’aux
grands bodhisattvas, aux yidams, aux protecteurs et aux lamas. Dans les rituels
tantriques, on offre bien des fleurs, de l’encens, des lumières et d’autres
choses. Je me suis dit : « Mais qu’est-ce qui ferait le plus plaisir
aux Bouddhas ? Est-ce que ce ne serait pas l’offrande du
Dharma ? Est-ce que les Bouddhas et les êtres éveillés n’ont pas plus de
plaisir à écouter des paroles d’Éveil qui sont autant de paroles de sagesse qui
vont dans le sens de l’extinction de la souffrance, plutôt que des offrandes
matérielles qui sont certes très jolies, mais dont les Bouddhas sont
précisément complètement détachés et qui en elles-mêmes n’ont pas le pouvoir de
libérer du cycle du samsâra ? ». Voilà pourquoi je les récite comme
une offrande aux Bouddhas et aux êtres éveillées. Et je les récite également
avec le souhait profond que ces paroles prononcées soient une cause de
libération pour tous les êtres sensibles livrés à la souffrance et aux
illusions de l’ignorance. De la même façon, si je pratique la méditation selon
les instructions du Satipatthâna Sutta,
je produis l’esprit d’Éveil, la bodhicitta.
Que cet acte de la méditation soient une cause de bonheur, de sagesse et
d’Éveil pour tous les êtres, pas seulement pour moi-même.
On me
dira, voire on me reprochera que je mélange les Véhicules. Et bien oui, je les
mélange, tout simplement parce que le Petit Véhicule, le Grand Véhicule et le
Véhicule de Diamant n’ont pas eux-mêmes une existence ultime aux frontières bien
délimitées. Quand ces trois Véhicules se nourrissent mutuellement, ils sont
d’autant plus forts. Thich Nhat Hanh a été pour moi une grande inspiration dans
cette démarche de remettre en relation les textes des Véhicules différents.
Dans l’appendice de sa biographie romancée du Bouddha, « Sur les traces de
Siddhârtha », il explique sa démarche : « Dans mes recherches et dans l’écriture de ce livre, je me suis inspiré
presque exclusivement des textes du Hînayâna (Petit Véhicule), utilisant à
dessein peu d’écrits du Mahâyâna (Grand Véhicule) afin de démontrer que les
doctrines et les idées les plus profondes issues du Mahâyâna se trouvent déjà
dans les Nikâyas pâlis et les Âgamas chinois qui leur sont antérieurs. Il
suffit de lire ces soutras avec un esprit ouvert pour s’apercevoir que tous
appartiennent au bouddhisme, qu’ils proviennent de la tradition du Nord ou
celle du Sud.
Les soutras Mahâyâna autorisent un
accès plus large et plus souple à une véritable compréhension des enseignements
de base du bouddhisme, empêchant leur déclin qui pourrait résulter d’un
apprentissage et d’une pratique trop littérales et trop rigides. Les soutras
Mahâyâna nous aident à découvrir la profondeur des textes Nikâya et Âgama et
sont comme une lumière projetée sur un objet sous un microscope ; un objet
qui aurait en quelque sorte été dénaturé par des moyens artificiels de
préservation. Naturellement, les Nikâyas et les Âgamas sont plus proches de la
forme originelle des enseignements du Bouddha, mais elles ont été altérées et
modifiées par la compréhension et la pratique des traditions les ayant
transmises. Les érudits et les pratiquants contemporains devraient être
capables de restaurer le bouddhisme des origines en partant des textes
disponibles dans les deux traditions, celle du Nord et celle du Sud. Nous
devons nous familiariser avec les écrits de ces deux courants[37] ».
Roue du Dharma |
Il
est extrêmement important à mes yeux de ne pas pratiquer de ségrégation stricte
entre les Véhicules. Tous expriment le Dharma, et dénigrer un Véhicule revient
à dénigrer tout le Dharma dans son entièreté. Le symbole du Dharma est la Roue du Dharma dont j’ai
joins une représentation à ce texte. Les huit rayons de la Roue symbolisent le Noble
Octuple Sentier que le Bouddha a enseigné dans son tout premier enseignement à
Sarnath dans la banlieue de Bénarès[38].
Au centre, au niveau du moyeu de la roue, on distingue le tourbillon de la joie
composée de trois parties[39].
On pourrait voir chacun des trois Véhicules comme chacune de ses trois parties.
A l’arrêt, ces trois parties se distinguent parfaitement comme sur le dessin.
Mais que la roue se mette en mouvement, et alors les parties commencent à
devenir plus difficilement distinguable. Que la roue se mette à tourner
rapidement, alors les trois parties colorées deviennent complètement
indiscernables. C’est la même chose avec les trois Véhicules : si on
observe ceux-ci de l’extérieur, sans réelle pratique, on peut se mettre dans la
tête que ceux-ci sont très distincts, très différents les uns des autres et faire
l’apologie de l’un aux dépens des autres. Mais quand on s’implique vraiment
dans le Dharma, alors ces distinctions s’effacent. Il m’arrive souvent de ne
plus savoir dans quel Véhicule je pratique, mais cela ne me tracasse pas, car
l’important, c’est de pratiquer le Dharma. Pour les Bouddhas et les êtres
éveillés, il n’y a que le Véhicule Unique, le Ekayâna dont parle le Soutra du Lotus[40],
mais dont parlent aussi certains textes du bouddhisme ancien également, qui
parlent de l’attention comme étant le véhicule unique conduisant à l’Éveil
suprême[41].
Il ne faut donc pas s’attacher à ces divisions des enseignements et des
Véhicules, d’autant plus que ces concepts d’unité et de multiplicité perdent
leur fondement et ne s’appliquent plus dans la Réalité Absolue. On peut
néanmoins les conserver dans un souci pédagogique tout à fait respectable. Ces
divisions tracées au sein du Dharma pourtant unique permet de le rendre
intelligible et appréhendable par la raison ; sinon trop de
contradictions dans les buts et les conceptions philosophiques se
présenteraient à l’esprit et l’embrouilleraient. Présenter le Dharma comme se
déclinant en plusieurs Véhicules permet de mettre en scène ces oppositions pour
susciter une réflexion féconde.
Pour
illustrer cela, je ne prendrais qu’un seul exemple tiré d’un passage d’un texte
relevant du Grand Véhicule, je veux parler du Soutra de l’Enseignement de
Vimalakîrti. Cela se passe dans le premier chapitre dans lequel Vimalakîrti
n’est pas encore apparu et où le jeune noble de la cité de Vaishâlî appelé
« Montagne de Joyaux » accompagné de cinq cent camarades vient
requérir un enseignement à propos de la pureté complète des royaumes et des
terres de bouddha puisque « ceux-ci
ont déjà engendré l’esprit de l’insurpassable Éveil authentique et parfait [42] ».
Avant cela, Montagne de Joyaux et ses compagnons étaient venus rendre hommage
au Seigneur Bouddha en lui faisant offrande chacun d’un parasol serti de
pierreries et de métaux précieux. Or le Bouddha réunit miraculeusement ces cinq
cent parasols en un seul : « Par
quelque imposante magie, le Bouddha réunit tous les précieux parasols en un
seul parasol recouvrant un univers d’un milliard de mondes ; et les vastes
immensités de cet univers apparaissaient complètement sous le parasol [43] ».
Chaque détail au sein de cette myriade colossale de mondes était parfaitement
distinguable : les montagnes, les rivières, les soleils et les lunes de
tous ces mondes se laissaient contempler autant que l’ensemble gigantesque de
ces mondes. D’ordinaire, soit on perçoit la globalité comme une galaxie dans la
lunette du télescope, mais on ne perçoit plus les infimes détails qui la
composent, soit on voit les rivières et les montagnes, mais alors l’ensemble
nous échappent complètement, on ne distingue pas la Terre et encore moins
l’univers. Mais « tout cela était
visible sous le précieux parasol. Et tous les bouddhas des dix horizons, toutes
les réalités expliquées par les bouddhas apparurent aussi sous le précieux
parasol [44] ».
Suite à cela, Montagne de Joyaux adresse un long poème de louange au Bouddha et
puis seulement fait sa requête d’enseignement.
Le
Bouddha définit ce qu’il appelle « terre de bouddha » de la manière
suivante : « Les êtres
sensibles dans leur ensemble, voilà la terre de bouddha du bodhisattva [45]».
Et il
explique :
« Pourquoi ? Parce que c’est en fonction
des êtres animés qu’il transforme que le bouddha adopte une terre de bouddha
C’est en fonction des êtres animés
qu’il dompte qu’il adopte une terre de bouddha. (…)
En effet, quand le bodhisattva
adopte un pur royaume, c’est toujours pour œuvre au bien de tous les êtres
animés[46] ».
Dans
cet enseignement, le royaume de bouddha, ce sont la masse illimitée des êtres
sensibles qui vivent dans l’univers. Cette terre de bouddha n’existe qu’en
fonction de ces êtres sensibles qui doivent être libérés. Cette terre de
bouddha, le Bouddha la conçoit dans son esprit illimité et l’adopte pour
qu’elle soit l’occasion de fournir un espace à la production de l’Éveil incomparable et suprême pour les êtres qui recherchent
ardemment cette libération de l’Éveil :
« La droiture d’esprit est la terre
pure du bodhisattva : quand le bodhisattva devient bouddha, les êtres sans
flatterie viennent renaître en son royaume[47] ».
La droiture d’esprit en tant que qualité morale est en elle-même une terre
pure ; et au moment où le plein Éveil d’un bouddha se produit, cette terre pure invite les êtres droits à
renaître en elle. Toute une série de qualités morales – aspiration profonde,
esprit d’Éveil,
générosité, éthique, patience, persévérance, concentration, sagesse, etc. - sont ainsi considérées selon ce même schéma de
pensée, mais je ne vais pas m’étendre sur ceux-ci. Et le Bouddha conclut son
raisonnement par ces mots : « En
conséquence, Montagne de Joyaux, le bodhisattva qui veut conquérir une terre
pure doit purifier son esprit : quand son esprit est pur, sa terre de
bouddha est pure[48] ».
A ce
moment, l’Arahant Shâriputra intervient au sein de l’assemblée dans le
déroulement du dialogue. Shâriputra est évidemment l’incarnation du
« Petit Véhicule » dans les textes du Grand Véhicule. Ses paroles
sont clairement l’expression du point de vue du bouddhisme tel qu’il est
transcrit dans le Canon pâli. « Alors
précisément, béni par une imposante magie du Bouddha, Shâriputra eut cette
pensée : « S’il suffit que l’esprit du bodhisattva soit pur pour que
sa terre de bouddha soit pure, eh bien, lorsque le vénéré de notre monde était
encore un bodhisattva, aurait-il des pensées impures ? Car cette terre de
bouddha-ci n’est pas pure[49] »
On reconnaît là aisément la doctrine qui dit que tous les phénomènes composés
en ce monde sont souffrance et que les souillures mentales entachent
considérablement l’esprit des êtres sensibles en ce monde, ce qui produit des
choses regrettables comme la guerre, la cupidité, les injustices, les
méchancetés et les mesquineries. Toutes ces impuretés sont légion en notre
monde. Alors n’est-ce pas complètement naïf de voir la pureté d’une terre de
bouddha en notre monde ?
A
cela, le Bouddha répond : « Connaissant
sa pensée, le Bouddha s’adressa à Shâriputra.
- A votre avis, lui demanda-t-il,
est-ce parce que le soleil et la lune ne sont pas purs que les aveugles ne le
voient pas ?
- Non, Vénéré du monde. La faute
revient à l’aveugle : le soleil et la lune ne sont pas coupables.
- Ô
Shâriputra, c’est la faute des êtres s’ils ne voient pas combien le royaume de
bouddha de l’ainsi-Allé, de même que tous ses ornements, sont purs : le
Tathâgata n’est pas coupable. Ô Shâriputra, ma
terre est pure, mais vous ne le voyez pas [50] ».
Dans
cette conception, celui qui voit le monde avec les yeux de l’Éveil voit la terre pure du Bouddha. Mais l’homme
aveuglé par ses passions et son ignorance lui ne voit que le samsâra se
présentant à lui. Et la faute revient à cet aveuglement qui empêche de voir et
donc de concevoir la terre pure, et non à de quelconques imperfections dont la
terre pure serait entachée suite à des manquements du Bouddha.
Alors
Chignon Spiralé, c’est-à-dire Brahmâ intervient à son tour pour faire remarquer
à Shâriputra la pureté de la terre du bouddha : « N’allez point penser que cette terre de bouddha n’est pas
pure ! Pourquoi ? Eh bien, moi-même je perçois la pureté de la terre
du bouddha Shâkyamuni comme, par exemple, la pureté des demeures célestes des
dieux Souverains [51] ».
Shâriputra ne l’entend pas de cette oreille : « Moi, dit Shâriputra, je vois une terre avec des reliefs, des ravins,
des épines, des sables et des gravillons, bref, des montagnes de terre et de
roche qui comblent tout de leur méchante souillure ! [52]».
Shâriputra fait valoir que ce monde est plein de dangers dans lesquels on
risque de tomber à tout moment et plein d’épreuves à surpasser au prix de mille
efforts. Que l’on observe dans la nature ou dans la société, tout n’est que
difficultés et menaces, combats et désolation. A tout moment, on traverse des
hauts et des bas. A cela, Chignon Spiralé rétorque : « C’est votre esprit qui a des hauts et des
bas. Vous n’usez pas de la connaissance transcendante des bouddhas, et c’est
uniquement pour cela que cette terre vous semble impure !
Ô Shâriputra, le bodhisattva est totalement impartial
envers tous les êtres animés. La profondeur de son aspiration puise son extrême
pureté dans la sagesse des bouddhas, et cela lui permet de voir la pureté de
cette terre de bouddha [53]».
Voir les phénomènes avec des hauts et des bas dénote encore une incapacité à
voir les choses dans leur nature profondément apaisée de leur irréalité, ce qui
permet d’entretenir avec les êtres sensibles une relation totalement impartiale
face à leur capacité d’Éveil et à leur
capacité d’entretenir et engendrer une terre de bouddha. La vision de ces hauts
et de ces bas est la cause de l’expérience des montagnes et des ravins du
samsâra et se surimpose sur la conscience non-duelle de la terre du bouddha.
S’alimentant à la source de la perfection de sagesse (ou perfection de
connaissance transcendante, prajñâ paramita) telle qu’elle est exprimée dans les Soutras du Grand
Véhicules, le bodhisattva peut donc faire l’expérience limpide des terres pures
de bouddha ; ce qui reste encore inaccessible à un Arahant.
Ensuite,
le Bouddha manifeste encore ses pouvoirs surnaturels comme le relate le texte
du soutra : « Au même instant,
le Bouddha pressa un orteil sur le sol. Aussitôt, notre univers d’un milliard
de mondes se para de précieux ornements par centaine et par milliers : on
se serait cru sur la terre Précieux Ornements. Chacun, dans l’immense
assemblée, cria merveille, et chacun se retrouva assis sur une fleur de lotus
de matières précieuses.
- Ô Shâriputra, dit le Bouddha,
contemplez un instant la pureté de cette terre de bouddha dans toute sa
splendeur !
- Oui, Vénéré du Monde. Ce que je ne
voyais pas, ce que je n’entendais point, la grandiose pureté du royaume et de
la terre du Bouddha, tout cela m’apparaît sans voile.
- Mon royaume de bouddha, ô
Shâriputra, est toujours pur comme à cet instant. C’est seulement parce que je
veux libérer les êtres vils que je manifeste cette terre impure avec tous ses
maux.[54] » La
réalité absolue est donc toujours primordialement pure, seule notre
inconscience nous fait rêver à des jours meilleurs alors que la terre pure du
bouddha est sous nos yeux. Il suffit, mais évidemment ici le mot
« suffit » est un bien grand mot, de voir ce monde présent avec les
yeux de la perfection de sagesse des bouddhas complètement réalisés. Pendant
cette vision fabuleuse de la réalité absolue, Montagne de Joyaux et ses cinq
cent camarades accédèrent à la patience à l’égard des phénomènes non-nés tandis
qu’un nombre considérable de personnes dans l’assistance engendrèrent l’esprit
de l’insurpassable Éveil authentique
et parfait. « Le Bouddha ramena son
pied divin et le monde reprit son aspect antérieur [55] ».
Voilà.
Ce passage confronte donc la vision philosophique du Petit Véhicule (je n’aime
pas ce terme, mais bon, il fait sens dans ce contexte) et la vision du Grand
Véhicule ici présentée en grande vainqueur de ce débat. La vue du Mahâyâna
semble plus profonde et efficace que la perspective étriquée des tenants du bouddhisme
ancien. Une conclusion rapide penche lourdement pour une supériorité énorme des
thèses du Grand Véhicule. Du coup, le bouddhisme ancien est ramené dans les
proportions d’un « petit » Véhicule. Mais voilà, ce jugement
polémique en faveur des thèses des soutras du Grand Véhicule ne me convainc
pas. C’est trop rapide et surtout, cela appauvrit dès lors considérablement le
débat : il y a d’un côté des idiots un peu bornés que sont
Shâriputra, Ânanda,
Mahâmaudgalyâyana, Mahâkâshyapa et les autres grands disciples historiques du
Bouddha qui ne comprennent rien à rien, et de l’autre côté des bodhisattvas qui
ont réponse à tout. Cela ne tient pas la route. Shâriputra et les autres
étaient de très grands maîtres spirituels. Aucun maître d’aujourd’hui n’arrivent
ne serait-ce qu’à leurs chevilles. Comment décemment les réduire à ces rôles peu
reluisants de pantins pathétiques ? Je pense que la transmission au cours
des siècles des soutras du Grand Véhicule a accentué certains de leurs traits
polémiques jusqu’à cela tourne à la caricature honteuse. En fait, je pense que
voir les Arahants compagnons du Bouddha comme des « petits » maîtres,
les enseignements du bouddhisme ancien comme un « petit » Véhicule et
des « petits » enseignements nous renseigne d’abord sur la
« petite » compréhension de certains tenants férus du Grand Véhicule
ainsi que sur leur étroitesse d’esprit !
Shâriputra |
Mais
bon, revenons à la confrontation proprement dite entre Shâriputra et le Bouddha
telle qu’elle est relatée par le Soutra de l’Enseignement de Vimalakîrti. N’accorder
aucune valeur aux arguments de Shâriputra me semble aller carrément à 180 degré
en dépit du bon sens ! Qui ne voit pas que notre monde comporte de
multiples drames et de souffrances, qu’il est secoué de troubles et d’agitations
et que la confusion règne, que les conflits font rage et que la pollution prospère sur la ruine de nos folies ?
Quand Shâriputra s’acharne à ne pas voir la pureté de ce monde, peut-on
vraiment le taxer de naïveté ? Il me semble que non. Il me semble que le
bon sens nous force à reconnaître les problèmes et les imperfections de ce
monde. « Tous les phénomènes composés sont souffrance » nous dit le
Bouddha dans les textes du bouddhisme ancien. Cela semble être une réalité bien
triste, mais c’est tout de même nécessaire pour arrêter d’entretenir des
chimères et de vains espoirs concernant les choses à acquérir dans ce monde. En
prenant une attitude critique par rapport à la théorie de la terre pure établie
par le Bouddha, Shâriputra met intelligemment en cause des interprétations
fantaisistes de celle-ci. C’est d’ailleurs pourquoi le passage par la formule
que j’ai déjà cité plus : « béni
par une imposante magie du Bouddha, Shâriputra eut cette pensée ».
C’est donc une objection qu’il faut prendre éminemment au sérieux et surtout ne
pas mépriser en reléguant cela à des allégations relevant du « petit
véhicule ». Les problèmes et les difficultés se présentent avec une
intensité énorme dans notre monde ; et la méditation sur la terre pure du
bouddha ne peut pas se résumer à une espèce de rêverie dans un état second
avancé sur des états paradisiaques chimériques.
Pour
comprendre ce passage, il faut saisir et expérimenter en son sein intérieur de
cette tension dialectique entre ces deux visions et ne pas présupposer
sottement que l’une l’emporte d’autorité sans esprit critique. La méditation
sur la souffrance due à l’attachement aux agrégats de notre expérience est
quelque chose de très profond ; et c’est qu’exprime Shâriputra. On aurait
tendance à croire que certains états sont entièrement désirables puisqu’ils
apportent une solution entière à nos problèmes et à nos insatisfactions :
si on est pauvre, on serait tenté de croire que gagner beaucoup d’argent va
nous apporter un réel état de satisfaction et de bien-être ; or
précisément il n’en est rien. Gagner beaucoup d’argent n’apporte pas le
bonheur. L’homme riche se voit confronté à toutes sortes de souffrance.
L’individu qui travaille dans la grisaille d’un bureau ou d’une usine peut
croire que rien n’est plus désirable que d’aller bronzer à la plage. Mais une
fois arrivé sur la plage après de très longs embouteillages sur les routes, il
se voit exposé à toutes sortes de contrariétés comme des coups de soleil, des
moustiques, des voisins de camping récalcitrants et toutes sortes d’ennuis qui
viennent troubler cet apparent bonheur. J’ai toujours été frappé comment les
vacanciers peuvent exploser de rage et de colère vis-à-vis de leurs proches
pour la moindre contrariété alors qu’ils sont sensés prendre du bon temps et du
repos. Que les vacances apparaissent le plus souvent comme une source de
tension et de fatigue, au même titre, voire plus que le travail !
Non, plus
sérieusement, partout dans le monde, on voit la souffrance à l’œuvre frapper
les hommes et les animaux à des degrés divers. Parfois c’est très grave comme
les animaux que l’on amène à la mort dans un abattoir ou que l’on maltraite
avec une cruauté inouïe dans l’indifférence la plus totale ou comme les hommes
qui subissent l’injustice et la torture d’un régime totalitaire comme la
répression sanglante des manifestants à Lhassa ou ailleurs. Parfois c’est plus
futile comme les désagréments d’une réservation annulée au camping municipal.
Mais ceux-ci provoquent quand même la colère et nuisent à notre qualité de vie.
La souffrance est donc universelle et traverse tous les phénomènes de
l’existence. Je sais que c’est une prise de conscience difficile qui fait que
l’on taxe parfois le bouddhisme de « pessimisme ». Mais voir la
souffrance à l’œuvre à des degrés divers est une nécessité justement pour
trouver un remède à cette souffrance. Il m’apparaît difficile de nier cette
souffrance en invoquant grossièrement une terre pure de bouddha A un prisonnier politique qui souffre dans
les prisons chinoises, il paraît difficile de dire : « Mais de quoi
te plains-tu ? Tu vis dans une terre pure des bouddhas ; et les
bourreaux qui te maltraitent et te torturent sont en réalité de gentils
bodhisattvas qui sont là pour t’éveiller à cette terre pure ! »
Excusez-moi
d’être un peu cynique pour le coup ; mais le débat entre les thèses du
Petit et du Grand Véhicule telles que les présente le premier chapitre du Soutra de l’Enseignement de Viamalakîrti
ne peut se résumer à une caricature où la position mahâyâniste l’emporte comme
une lettre à la poste. Cela ne peut pas fonctionner comme cela. Les arguments
de Shâriputra sont très pertinents et relèvent du bons sens. On ne peut pas les
écarter sans autre forme de procès ! Il y a une évidence de la souffrance
dans ce monde ; et Shâriputra ne fait que la constater. C’est trop facile
de s’en sortir en disant : « Cette souffrance n’existe pas ;
considérez plutôt la réalité de la terre pure de bouddha » ; parce
que quand on est confronté à cette souffrance d’une manière ou d’une autre,
celle-ci nous semble éminemment réelle. Et cela, tout le monde en fait
l’expérience.
Mais
précisément, ce que suggère le Soutra de l’Enseignement de Vimalakîrti, c’est
qu’on n’est pas obligé non plus d’être emprisonné par le concept de souffrance.
Si on accepte les choses telles qu’elles viennent sans désirer autre chose, on
peut simplement apprécier ces choses qui sont là. Si on ne part pas en
vacances, on peut s’attrister de cet état de fait. Nos désirs de plage et sable
fin n’ont pas été satisfaits. Mais au lieu de se lamenter, on peut se rendre
compte que la vie dans notre localité peut être très belle, même si elle est
banale. On peut être heureux de la vie ici et maintenant, même si notre
quotidien n’a strictement rien de particulier : on voit notre maison de
tous les jours, notre jardin ou le jardin public à quelques pâtés de maison, le
bois ou la campagne environnante et se contenter de cela et être finalement
beaucoup heureux que si on était parti dans un hôtel de luxe à l’autre bout du
monde[56] !
Cela n’a rien de particulier, rien d’extraordinaire, mais on peut apprécier la
saveur de ce qui vient naturellement, la saveur de ce qui est et de ce qui
compose notre ordinaire en appréciant comme autant de prodiges la myriade de
petits événements qui composent la banalité du quotidien. On ne cherche plus à
s’opposer à ceux-ci, ni à rechercher autre chose qui soit considéré comme
meilleur à l’aune de nos désirs. On se contente de ce qui est ; et
finalement on se rend compte que cela est très appréciable. Quand, dans le
Soutra, le Bouddha presse un orteil sur le sol et tout dans l’environnement se
pare de « précieux ornements de
mérites démesurés », je ne pense pas qu’il faille voir uniquement
comme un prodige magique. En fait, ce prodige on peut l’expérimenter dans le
quotidien quand on n’attend plus rien des choses et que soudainement on réalise
l’immense valeur de cet instant présent de ce quotidien où rien ne semble
extraordinaire et où pourtant tout se révèle extraordinaire et d’une valeur
infinie, et où l’on repose comme sur « une
fleur de lotus en matières précieuses », c’est-à-dire que l’on sent
cosmiquement à sa place, si je puis dire, dans la sagesse de la conscience
sereine de l’ici et maintenant[57].
Cette
réalisation mystique, je pense qu’il peut nous arriver de la faire dans des
moments soudains comme une vaste compréhension qui s’ouvre et nous fascine. Ce
qui semble banal, insatisfaisant et médiocre, nous l’acceptons d’un seul coup
avec impartialité et équanimité. Et cette acceptation mystique pare les choses
d’une valeur mirifique. Mais cette expérience ne dure pas : le Bouddha
finit par ramener son pied et le monde reprend son aspect antérieur. On se
retrouve à lutter dans un monde plein d’insatisfactions et de problèmes. C’est
pourquoi j’ai dit qu’il y avait une tension dialectique entre la vision du
monde comme impur et avec des hauts et des bas dans les soubresauts de
l’existence et la vision mystique du monde illusoire comme une terre pure de
bouddha. C’est cette tension dialectique qu’il faut observer et analyser plutôt
que de l’occulter dogmatiquement au profit d’une victoire des thèses du Grand
Véhicule. Et quand on approfondit cette tension dialectique, on se rend compte
que les deux positions se renvoient la balle mutuellement. La position de
Shâriputra est de voir l’omniprésence de la souffrance dans le monde. Tous les
phénomènes composés sont souffrance. Il ne faut pas désirer tel ou tel état
empirique dans ce monde ; et il ne faut pas s’attacher non plus à ceux-ci
car chaque état comporte de la souffrance et de l’insatisfaction. De ce
détachement par rapport au désir d’autre chose que ce qui est présentement
procède la libération de la souffrance. La position du Bouddha et de
Chignon Spiralé dans le passage du Soutra
de l’Enseignement de Vimalakîrti est de laisser s’égaliser les hauts et les
bas des phénomènes dans la vacuité d’existence ultime et de laisser se révéler
d’elle-même la pureté de la terre de bouddha dans ce monde illusoire. En
d’autres termes, la position mahâyâniste est de regarder les choses telles
qu’elles sont et de voir que, quelque soient les significations valorisantes ou
dévalorisantes que l’on peut apporter aux apparences, chaque situation telle qu’elle est se révèle
d’une inestimable valeur. La position de Shâriputra nous détourne du désir pour
autre chose que ce qui est dans l’ici et maintenant, tandis que la position
mahâyâniste nous incite à se contenter de ce qui est et nous installe dans la
contemplation émerveillée de ce qui est. Au fond, les deux positions se
complètent plus qu’elles ne s’opposent ! Et je pense qu’une conception
partisane occulte cette complémentarité. Ce qui est préjudiciable au Dharma.
*****
Voilà
donc ce que j’avais à dire sur ma réhabilitation des enseignements originaux du
Bouddha. J’espère ne pas avoir été trop longtemps ; en tous cas, je l’ai
fait pour essayer d’apporter de la lumière à ce monde.
Il me
reste à souhaiter bonheur, paix & sagesse pour vous et le monde.
Veuillez
recevoir toutes mes salutations sincères.
Bien à
vous,
Bai
Wenshu, Liège, octobre 2008.
白文殊
[1] Dans son « Plaidoyer pour le bonheur », par
ailleurs un ouvrage vraiment nécessaire de nos jours et tout à fait
remarquable, on est légèrement mieux loti en citations du Bouddha, mais pas
beaucoup plus cependant ! Ce livre d’un peu moins de 400 pages compte une
citation du Dhammapada et une autre
du Raja Samadhi Sûtra, un soutra du
Grand Véhicule. C’est tout.
[2] Shântideva, « Vivre en héros pour l’Éveil », traduction de Georges Driessens,
éd du Seuil/Points Sagesse, Paris, 1993. Shântideva, « La marche vers l'Éveil »,
éd. Padmakara, Saint-Léon-sur-Vézère (France), 2007 (2ème éd.).
[3] Shântideva, « Bodhicaryâvatara. La marche vers l’Éveil »
(nouvelle traduction), Ed. Padmakara, Saint-Léon-sur-Vézère, 2007, chap. V,
strophes 2 & 3, p. 75.
[4] On
trouve une traduction française du Satipatthâna
Sutta (Majjhimâ Nikâya 10) dans
Thich Nhat Hanh, « Tranformation et
guérison », Albin Michel, Paris, 1997. On trouve une traduction du Mahâ Satipatthâna Sutta (le même mais
avec un supplément concernant les Quatre Nobles Vérités et que l’on peut
trouver dans le Dîgha Nikâya, 22))
dans Nyanaponika Thera, « Satipatthâna.
Le cœur de la méditation bouddhiste », Librairie d’Amérique et
d’Orient Adrien Maisonneuve, Paris, 1983. Voir aussi le site Internet en libre
accès où sont traduits un grand nombre de soutras bouddhiques (en langue
anglaise) : www.accesstoinsight.org.
[5] Soutra de
l’Attention au Va-et-Vient de la
Respiration , Majjhimâ Nikâya 118. Voir Thich
Nhat Hanh, « La respiration essentielle », Albin Michel, Paris, 1996.
[6] Kayagata
Sati Sutta, Majjhimâ Nikâya 119. A ma connaissance, il
n’a pas encore été traduit en français. On le trouve sur Access to Insight.
[7] « Faire
l’expérience » à la fois au sens de vivre, d’éprouver, de prendre
conscience de cette expérience, mais aussi au sens de la fabriquer, comme dans
les deux premières stances du Dhammapada :
« Tous les phénomènes (dharma) ont l’esprit
pour avant-coureur, pour chef ; et ils sont créés par l’esprit. Si un
homme parle ou agit avec un mauvais esprit, la souffrance le suit d’aussi près
que la roue suit le sabot du bœuf tirant le char.
Tous les phénomènes ont l’esprit pour avant-coureur,
pour chef ; et ils sont créés par l’esprit. Si un homme parle ou agit avec
un esprit purifié, le bonheur l’accompagne d’aussi près que son ombre
inséparable ».
[8] Comme le dit Shântideva :
« La conscience ne se connaît pas
elle-même de même que la lame ne se coupe pas elle-même » (IX, 17-18).
[9] Citons entre autres parmi les
ouvrages des lamas contemporains : Kalou Rimpotché, « Instructions fondamentales. Introduction au
bouddhisme Vajrayana », Albin Michel, Paris, 1990, chap. 8, pp.
145-158.
[10] Idem, p. 148.
[11] Idem, p. 148
[12] Idem, p.149.
[13] Voir entre autres d’André
Comte-Sponville, « Le Dictionnaire
philosophique », Presses Universitaires de France, Paris, 2001,
articles « matérialisme », « primat/primauté »,
« spiritualité ».
[14] Nâgârjuna, « Réfutations aux objections » (Vigrahavyârtanî), 29, cité par Philippe
Cornu dans : « Dictionnaire
encyclopédique du bouddhisme » (article « Vigrahavyârtanî »), Seuil, Paris, 2006 (2e éd.), p.
696. Traduction du « Vigrahavyartâni »
par Susumu Yamaguchi dans le « Journal
Asiatique » de juillet-septembre 1929 disponible sur le net à
l’adresse : http://gallica.bnf.fr.
[15] Satipatthâna
Sutta (Majjhimâ Nikâya 10), op. cit.
[16] Certes, les yogâchârin prétendent
que si ; mais cette auto-connaissance n’est accessible qu’à des êtres
éveillés qui ont vécu le grand basculement du samâdhi du diamant et qui font
alors l’expérience de la « conscience qui se connaît et s’illumine
elle-même ». Notons que cette possibilité est réfutée par les madhyamikas.
Je renvoie au neuvième chapitre du Bodhisattvachâryavatâra
de Shântideva sur la sagesse (strophes 16-31).
[17] Cette partie sur les Quatre Noble
Vérités est sensiblement agrandie et approfondie dans le Mahâ Satipatthâna Sutta (Dîgha Nikâya, 22).
[18] Philippe Cornu, « Dictionnaire encyclopédique du
bouddhisme », Seuil, Paris, 2006 (2e éd.), articles
« concept » et « logique bouddhique ». Christopher Decharms,
« L’esprit, deux perspectives »,
Kunchab, Belgique 2000, pp 73-89. George Dreyfus, « Les deux vérités selon les quatre écoles », Ed. Vajrayogini,
Marzens (France), 2000, pp. 43-154. Notez bien qu’on dénombre deux autres types
de perception, l’auto-perception et la perception supra-sensorielle du yoga,
mais je préfère ne pas entrer dans les détails.
[19] Phena Sutta, Samyutta Nikâya,
XXII, 95. Traduction française dans : Môhan Wijayaratna, « Les entretiens du Bouddha »,
Seuil/Points Sagesse, pp. 181-185. Tsongkhapa fait une très brève allusion à ce
soutra dans son commentaire du « Traité du Milieu » de Nâgârjuna
(trad. de George Driessens, Seuil/Points Sagesse, Paris, 1995, chap. IV,
Analyse des agrégats, p. 68).
[20] Voir notamment un exposé des 20
vacuités chez Chandrakîrti, « L’entrée
au Milieu », Ed. Dharma, Anduze, 1985, pp. 316-336, strophes 222-266.
« La Perfection
de sagesse », traduit par George Driessens, Seuil/Points Sagesse,
Paris, 1996. « Soutra du Diamant (et
autres soutras de la Voie
Médiane », traduit par Philippe Cornu & Patrick
Carré, Fayard/Trésor du Bouddhisme, Paris, 2001. « Soutra de la
Liberté Inconcevable. Les enseignements de Vimalakîrti »,
traduit par Patrick Carré, Fayard/Trésor du bouddhisme, Paris, 2000. Jeffrey Hopkins, « Meditation on emptiness », Wisdom
Publications, Boston (USA), 1983 (1996, éd. révisée). Voir évidemment aussi
Nâgârjuna, « Traité du Milieu »,
op. cit et le neuvième chapitre du Bodhisattvacharyâvatâra de
Shântideva.
[21] Voir pour cette métaphore de la
graine et de sa plante : Soutra de la Pousse de Riz (Ârya Shâlistamba nâma mahâyâna Sûtra)
dans « Soutra du Diamant (et autres soutras de la Voie Médiane »,
traduit par Philippe Cornu & Patrick Carré, op. cit., pp. 97-140. Les enseignements de Thich Nhat Hanh sont
pour moi une grande inspiration en la matière : voir notamment « Sur
les traces de Siddhârtha », Ed. JC Lattès, Paris, 1996, chap. 65 (Ni
plein, ni vide).
[22] Prajñâ
Pâramitâ Hridaya Sûtra. « La perfection de sagesse », op. cit., pp. 147-148. 4 versions dans
« Soutra du Diamant (et autres
soutras de la Voie
Médiane », op.
cit., pp. 77-93.
[23] Le même raisonnement est évidemment
applicable aux autres agrégats. Le soutra se contente de résumer par la
formule : « De même, la
sensation, la perception, la formation mentale et la conscience sont vides ».
[24] Phena Sutta, op. cit., p. 182.
[25] Suñña Sutta, Samyutta Nikâya, XXXV,
85. Voir www.accesstoinsight.org
pour une traduction en anglais.
[26] Cûla Suññata Sutta, Majjhima Nikâya 121. Môhan
Wijayaratna, « Sermons du Bouddha », Seuil/Points Sagesse, Paris,
2006, pp. 215-22.
[27] La forêt est ici le symbole d’un
lieu calme, propice à la méditation.
[28] Sur le site d’Access to
Insight, Thanissaron Bhikkhu a traduit l’expression par « mode de
perception ».
[29] Thich Nhat Hanh traduit ainsi la
formule :
« Ceci est parce cela est.
Ceci apparaît parce que cela apparaît.
Ceci n’est pas parce que cela n’est pas.
Ceci disparaît parce que cela disparaît ».
[30] Cûla
Suññata Sutta, op. cit., pp. 216-217.
[31] Cûla Suññata Sutta, ibid., pp. 217-218.
[32] Cûla Suññata Sutta, ibid., pp. 220-221.
[33] Prajñâ
Pâramitâ Hridaya Sûtra. « La perfection de sagesse », Seuil/Points
Sagesse, op. cit., pp. 147-148. « Soutra du Diamant et autres soutras de
la voie médiane », Fayard/Trésors du bouddhisme, op. cit., pp. 88-89.
[34] Cûla Suññata Sutta, op. cit., pp. 221-222.
[35] Prajñâ
Pâramitâ Hridaya Sûtra, op. cit.
[36] Je me permets ici de regretter que
les soutras anciens le plus importants soient à ce point négligés dans le
« Dictionnaire encyclopédique du
bouddhisme » de Philippe Cornu (Seuil, Paris, 2006 pour la 2e
éd.) qui est pourtant un outil de recherche absolument remarquable et un
travail prodigieux qui mérite énormément d’éloges.
[37] Thich Nhat Hanh, « Sur les traces de Siddhârta », JC
Lattès, Paris, 1996, pp. 499-500.
[38] Rewata Dhamma, « Le premier enseignement du Bouddha. Le
sermon de Bénarès », Ed. Claire Lumière, Vernègues (France), 1998, pp.
43-48. Wijayaratna, « Sermons du
Bouddha », op. cit., pp.
93-101.
[39] Tcheuky Sengué, « Petite encyclopédie des divinités et
symboles du bouddhisme tibétain », Ed. Claire Lumière, Vernègues,
2002, p. 60 & p. 66.
[40] Saddharmapundarîka
Sûtra, Soutra du Lotus blanc du
Véritable Dharma. « Sûtra du Lotus » (traduction de Jean-Noël
Robert), Fayard/L’espace intérieur, Paris, 1997, plus particulièrement chap. II
& III, p. 76 & pp. 100-108. Certains interprètent le Véhicule Unique
dans le Soutra du Lotus avec une intention polémique en identifiant le Véhicule
des bodhisattvas avec le Véhicule Unique. On aura compris que ce n’est
évidemment pas mon interprétation. Mon interprétation s’aligne sur celle prônée
dans le Tiantai (天台, la Terrasse Céleste )
qui voit le Ekayâna comme le dépassement des trois Véhicules dans l’unique
réalité de l’Éveil.
Dans le Soutra
du Lotus, une parabole explique que les êtres sensibles sont comme des petits
enfants qui jouent avec leurs jouets à la maison alors que celle-ci est la
proie d’un incendie. Le maître de maison intervient pour les faire sortir. Mais
les enfants, inconscients du danger, refusent de sortir. Le maître de maison
leur promet alors trois beaux chars avec lesquels ils pourront jouer quand ils
seront sortis. Les trois beaux chars sont bien sûr les trois Véhicules, et le
fait de sortir du samsâra en flamme le Véhicule Unique.
[41] Satipatthana Sutta : « Ô moines, il existe une voie unique pour
aider les êtres à réaliser la purification, à transcender le chagrin et la
peine, à détruire la douleur et l’anxiété, à parcourir le juste chemin et à
réaliser le nirvâna ».
[42] Vimalakîrtinirdesha Sûtra. « Soutra
de la Liberté
inconcevable. Les enseignements de Vimalakîrti », traduit
par Patrick Carré, Fayard/Trésors du bouddhisme, Paris, 2000, chap. I, p. 24.
[43] Ibid., p. 18.
[44] Idem, p. 18.
[45] Ibid., p. 24.
[46] Ibid., p. 25.
[47]
Id., p. 25.
[48] Ibid., p. 29.
[49] Id., p. 29.
[50] Id., p. 29.
[51] Id., p. 29.
[52] Ibid., p. 30.
[53] Id., p. 30.
[54] Ibid., pp. 30-31.
[55] Ibid., p. 31.
[56] Avec l’avantage également de ne pas
contribuer à une émission massive de gaz à effet de serre suite à un long
voyage en avion ou en voiture…
[57] Je prends l’exemple des vacances
parce que cela est plus commun à notre expérience de la vie quotidienne. On
pourrait prendre aussi le cas de notre prisonnier politique qui accepterait sa
situation présente et qui verrait son incarcération de manière égale et
détachée, et sa cellule comme une terre pure parée de précieux ornements, mais
cela demande, je suppose, une énorme force spirituelle pour se libérer d’une
situation aussi tragique. Ne sachant pas moi-même si je pourrais arriver à une
telle équanimité en de telles circonstances et n’ayant dans cette vie rien vécu
de tel, je préfère ne pas discourir doctement sur le sujet.
Cela pose les questions des limites et jusqu’à quel point l’homme peut
dépasser l’adversité qui le submerge. Certains prisonniers bouddhistes dans les
geôles avaient l’air de s’être libérés de leur détention alors même que leur
horizon était obstrué par les murs épais de leur cellule fermée par une lourde
porte de fer. Arnaud Desjardins dit qu’un Sage serait heureux même dans un camp
de concentration. Les philosophes stoïciens de l’Antiquité disaient que le Sage
resterait dans l’impassibilité même livré à la torture. Mais plutôt que
d’interroger les limites, je préfère ici essayer d’envisager comment accepter
pleinement et transformer et embellir le quotidien à travers les pratiques
spirituelles ; ce qui n’est déjà pas si mal ! C’est certes moins
héroïque, mais cela n’est pas moins nécessaire et moins louable !
Au jour d’aujourd’hui, je ne suis pas prisonnier politique, dieu
merci ! (Ou karma merci !) Je vis donc une vie assez banale et sans
grand éclat, mais qui a sa dignité comme toute autre vie banale. Je pense que
c’est l’instant présent de cette situation banale qu’il faut éclairer, et pas
une situation extrême que je ne peux qu’imaginer et qui n’est de toute façon
pas présente. Dans ma situation présente, je ne peux que compatir au sort de
tous ceux qui, dans le monde entier, passent par ce genre d’épreuves et agir
indirectement en signant par exemple des pétitions d’Amnesty International
ainsi qu’en essayant d’apporter ma petite pierre de sagesse et d’amour à
l’édification d’un monde apaisé où règnent la justice et les droits humains.
PS: On pourra lire aussi mon article "Demeurer dans la nature de l'esprit" qui interroge plus spécifiquement le fait que l'attention au corps est éclipsée au profit de la méditation sur la nature de l'esprit dans la pratique du bouddhisme tibétain.
À propos de Matthieu Ricard, voir aussi :
- renouer avec la nature
- s'occuper aussi des animaux
- Un mouton n'est pas un tabouret qui se déplace
- Liberté
- s'occuper aussi des animaux
- Un mouton n'est pas un tabouret qui se déplace
- Liberté
- Empathie et altruisme
Le psychologue serge Tisseron critique le moine bouddhiste Matthieu Ricard sur la question de l'empathie. Celui-ci ne distingue pas suffisamment les différents types d'empathie. Et face à la détresse émotionnelle qui peut survenir à cause d'un trop-plein d'empathie, il oppose la compassion au sens bouddhiste du terme. Mais comment le bouddhisme pense-t-il vraiment des notions telles que l'empathie, l'altruisme et la compassion ?
Le psychologue serge Tisseron critique le moine bouddhiste Matthieu Ricard sur la question de l'empathie. Celui-ci ne distingue pas suffisamment les différents types d'empathie. Et face à la détresse émotionnelle qui peut survenir à cause d'un trop-plein d'empathie, il oppose la compassion au sens bouddhiste du terme. Mais comment le bouddhisme pense-t-il vraiment des notions telles que l'empathie, l'altruisme et la compassion ?
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Excellent article sur un sujet peu abordé... merci !
RépondreSupprimerPassionnant toutes vos réflexions, qui révèlent et approfondissent les miennes ; ainsi je voyais en effet mon cerveau comme un épiphénomène de l'esprit sans m'être arrêté sur la question. Merci beaucoup.
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