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jeudi 12 janvier 2017

Continuum








- Vénérable Nāgasena, demanda le roi Milinda, ce qui se produit est-il identique ou bien autre (que ce qui a précédé) ?

- Ce n'est ni identique, ni autre, répondit l'Ancien.

- Donne-moi une comparaison, demanda le roi Milinda.

- Qu'en penses-tu, ô roi ? Celui que tu as été : petit, jeune, faible, couché sur le dos, est-ce le même que tu es à présent, devenu adulte ?

- Non, Vénérable : autre était le petit enfant, autre je suis à présent.

- Ô roi, s'il en est ainsi, il ne peut y avoir ni père, ni mère, ni précepteur, ni personne qui ait appris les arts, personne qui soit doué de moralité et de sagesse pénétrante. Y a-t-il une mère différente pour l'embryon à chaque stade de son développement, une autre pour le petit enfant, une autre encore pour l'adulte ? Celui qui apprend les arts est-il différent de celui qui les sait ? Autre celui qui commet un acte mauvais, autre celui à qui on coupe les mains et les pieds ?

- Non, Vénérable. Mais que penses-tu de ce que nous venons de dire ?


- Ô roi, je fus moi-même petit, jeune, faible, couché sur le dos, et à présent, je suis adulte ; c'est grâce au support de ce corps que tout est assemblé pour former une unité.

- Donne-moi une comparaison.

- Imagine qu'un homme allume une lampe : brûle-t-elle toute la nuit ?

- Oui, Vénérable.

- Mais est-ce que la flamme de la première veille est la même que la flamme de la veille médiane ?

- Non, Vénérable.

- La flamme de la veille médiane est-elle la même que la flamme de la dernière veille ?

- Non, Vénérable.

- Y a-t-il donc une lampe durant la première veille, une autre durant la veille médiane et une autre durant la dernière veille ?

- Non, Vénérable. C'est grâce au support de la lampe que la lumière a duré toute la nuit.

- De même, ô roi, se connecte la séquence des phénomènes : il s'en produit un, c'est un autre qui cesse, et cela semble se connecter comme s'il n'y avait rien qui précède et rien qui suit ; ce n'est donc ni le même individu, ni un autre, qui se trouve pris dans le dernier en date des actes de conscience sélective.




- Donne-moi une autre comparaison.

- Imagine du lait que l'on tire : après quelques temps, il est transformé en caillé, puis celui-ci en beurre frais, et le beurre frais en beurre clarifié. Serait-il correct de dire que le lait lui-même est le caillé, le beurre frais et le beurre clarifié ?

- Non, Vénérable. Mais c'est grâce au support du lait que le reste advient.

- De même, ô roi, s'enchaîne la séquence des phénomènes : il s'en produit un, c'est l'autre qui cesse, et cela semble se connecter comme s'il n'y avait rien qui précède et rien qui suit ; ce n'est donc ni le même individu, ni un autre, qui se trouve pris dans le dernier en date des actes de conscience sélective.

- Tu es habile, Vénérable Nāgasena.





Entretiens de Milinda et de Nāgasena (Milinda Panha), traduit du pâli par Édith Nolot, Gallimard / Connaissance de l'Orient, Paris, 1995, pp. 52-54.















Autres citations de Nāgasena : 







Et les commentaires de ces textes :





    « Qui suis-je ? » est une des plus anciennes questions de la philosophie. Nous avons la tendance naturelle à postuler un sujet connaissant, un « je », un « moi », un « ego », peu importe comment on l'appelle, qui serait à la base de toutes nos perceptions du monde environnant et de notre expérience intime de la vie. Le roi Milinda, dans le célèbre ouvrage bouddhiste, « Les questions de Milinda à Nāgasena » (Milinda Panha), défend l'idée d'un sujet connaissant toujours identique qui percevrait le monde tout comme le même homme percevrait le monde à partir des différentes fenêtres d'une même tour. Le moine bouddhiste Nāgasena déconstruit cette croyance en un sujet connaissant permanent qui serait sous-jacent à la perception de nos six sens et à notre connaissance du monde.  






    On se représente toujours le Sage comme un être imperturbable, baignant dans la béatitude et une souveraine sérénité, toujours absolument maître de lui-même, contrôlant tout son être par la puissance de son esprit. Cette image, on la retrouve dans l’imaginaire spirituel indien, mais aussi dans la philosophie antique gréco-romaine. Est-ce une image correcte ?




    Un Arahant ressent toujours les sensations physiques, même s'il est délivré des sensations mentales. Il est donc encore soumis à la douleur physique. Pourtant il n'aspire pas à quitter ce monde et attend son heure tranquillement. Pourquoi ?













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