Le
ruisseau de montagne coule sans intention,
Le nuage dans la grotte
pénètre sans idée.
Que soit la vie humaine comme nuage et eau
Et des arbres de fer fleuriront au printemps.
Que soit la vie humaine comme nuage et eau
Et des arbres de fer fleuriront au printemps.
Ci'an Shoujing (XIIème siècle).
Kilian Schönberger |
Nous
vivons dans une société toute entière sur les notions de
« projets », des « objectifs à atteindre »,
de « plans d'action », de « visions pour
l'avenir ». Tout cela s'arc-boute sur la volonté : il
faut avoir la volonté d'agir dans la direction voulue par la
société. La vie humaine ne vaut que par la réussite de ces projets
et de ces plans d'action. On ne se réalise qu'en se projetant dans
le temps et la durée. Mais le problème est que le temps passe et
réduit tous ces projets au néant. Ne reste plus alors qu'à
s'enthousiasmer pour de nouveaux projets et de nouveaux plans
d'action. Constante fuite en avant vers un futur qui sera toujours
ravalé par le passé. De nous, il ne restera que quelques souvenirs
qui finiront par s'effilocher dans l'oubli ; et de nos
réalisations concrètes, quelques traces comme les ruines d'un
château qui fut un jour le projet ambitieux d'un bâtisseur de
l'époque.
Le
poète chinois et maître Chan, Ci'an Shoujing, ne partage pas cette
vision des choses. Pourquoi vouloir agir et forcer tout le temps les
choses ? Le ruisseau coule sans qu'on lui demande, l'arbre
pousse sans avoir fait au préalable un projet d'avenir pour sa
croissance verte. Le nuage rencontre la montagne sans avoir pris
rendez-vous. Votre cœur bat et pompe la sang dans vos veines et vos
artères sans avoir fait de plans. Il bat, c'est tout. À
chaque instant, il bat. On peut et on devrait, selon Ci'an Shoujing,
se laisser aller au non-agir, wuwei en chinois : 無爲.
Vivre dans l'instant présent, renoncer à vivre dans le futur d'un
projet à réaliser, sans intention d'influer sur le cours des
choses. Se laisser aller à ce qui est et laisser la créativité de
la vie apporter les plus beaux fruits de la vie. « Que
soit la vie humaine comme nuage et eau / Et des arbres de fer
fleuriront au printemps ».
Même un arbre desséché ou a fortiori un arbre de fer peut
engendrer la vie dès lors qu'on laisse la puissance créatrice qui
est cachée en nous se manifester au grand jour.
Il
en découle un débat : faut-il privilégier une vie où la
maturité consiste à se projeter dans le futur, à avoir des plans
de carrière, des objectifs à plus ou moins long terme ? Ou
faut-il vivre là où est la vie : dans l'instant présent, sans
se soucier du lendemain ? Je n'ai pas l'ambition d'essayer
d'apporter ici une réponse maintenant à cette grande question.
J'avais juste envie de partager ce court poème de Ci'an Shoujing.
Kilian Schönberger |
Voir aussi sur le Reflet de la Lune :
- Soûtra du Fardeau et son commentaire
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
Lorsqu'on est présent à l'instant présent cela inclus le passé et le futur.
RépondreSupprimerOn se représente à tort l'instant présent comme un point.
Très juste, je me le dis depuis longtemps, le moment présent est déjà passé au moment où l'on y pense, et le moment à venir est déjà présent. Le présent est une actualisation du passé et du futur, une conjonction, il n'y a ni à rejeter le passé ni à rejeter le futur contrairement à ce que j'entends parfois chez certaines personnes qui croient que vivre au présent, dans l'instant, c'est oublier le passé et nier le futur, si c'était le cas, un robot sans mémoire serait hyper conscient. Bref, vivre au présent, dans l'instant, c'est vivre la conjonction/concordance des temps, à mon sens. Degun
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