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samedi 21 octobre 2017

La question du libre-arbitre (2ème partie)




La question du libre-arbitre (2ème partie)


Voir la 1ère partie




    Suite à mon article « Choix et liberté », il y a eu toutes sortes de commentaires, questions et objections auquel je voudrais répondre ici partie par partie. Dans cette deuxième partie, je voudrais évoquer une réflexion de Tara :





      « Cela rejoint Nisargadatta, qui ne mâche pas ses mots, quand il dit : « Quant à cet éternel problème qui consiste à dire : "si les choses arrivent et que je n'y peux rien changer, alors je ne fais plus rien !" La réponse est simple : essayer ! Tant qu'il existe un individu, l'action est inévitable parce que c'est un tout. Nous sommes responsables de ce que nous pouvons changer. Mais que pouvons-nous changer dans notre vie, dans les événements qui se succèdent à chaque instant ? En réalité : Rien ! »


     Nous n'avons aucune emprise sur ce qui arrive, la seule chose que nous pouvons changer, c'est notre ATTITUDE. Mais l'essentiel est de «comprendre» QUI est concerné par ce que l'on appelle le "libre-arbitre".


     II ne peut pas y avoir deux soi, l'un cherchant l'autre. Comme le Soi est toujours et en permanence "réalisé", c'est plutôt lorsque les actions cessent que nous sommes dans un "état" propice à la perception intuitive de ce que nous sommes en réalité. Mais, là encore les mots sont insuffisants pour comprendre, parce que dans ce que l'on appelle la "non-dualité", les actions n'existent pas puisqu'il n'y a pas d'acteur. »


      Effectivement, je pense aussi comme Nisargadatta qu'on ne nous pouvons pas ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile comme un piquet dans une bataille par exemple, c'est déjà faire quelque chose : rester immobile suppose une tension de la volonté ou de notre peur pour immobiliser le corps. Les uns seront cloués sur place, les autres iront au combat, d'autres encore prendront leur jambe à leur coup. Mais il est très probable que l'on soit soi-même pris dans le cours impétueux des choses et que, même si on décide de ne rien faire, mais que notre colère et notre fureur l'emportent, nous irons au combat malgré notre volonté initiale d'inaction.


      Cela me fait penser au début de la Bhagavad Gita. Nous sommes sur un champ de bataille, car la guerre fait rage entre le clan des Pandava et celui des Kaurava. Le jeune prince Arjuna du clan des Pandava doit souffler dans la conque pour entamer les combats ; mais, en voyant des parents, oncles, cousins, et des amis dans les rangs adverses, il est pris de désespoir à l'idée de la boucherie qui va advenir de manière imminente. Il laisse tomber les armes et se lamente. C'est alors que son mystérieux cocher Krishna qui va se révéler dans la suite du texte bien plus qu'un simple cocher un peu mystérieux (désolé de « spoiler » un peu l'histoire) lui tient tout un long discours enflammé qui l'exhorte ardemment d'aller au combat et de faire son devoir de classe. Ensuite, la substance du message de Krishna peut se résumer en une formule : « Agis, mais renonce au fruit de tes actions ». Agis puisque l'ordre cosmique des choses le veut ainsi, mais détache-toi de la réussite ou de l'échec, détache-toi également des conséquences bonnes ou mauvaises de tes actions. Dans le cas d'Arjuna, il est évident que les conséquences de la bataille allait être désastreuses : des centaines ou des milliers de morts, des personnes agonisantes dans les décombres fumantes, des blessés gémissants devant les atroces douleurs...


       Deux remarques sur le discours de Krishna et la décision d'Arjuna. Premièrement, Krishna invoque les obligations de la caste d'Arjuna, la caste des guerriers aristocrates, les kshatriyas. Du point de vue bouddhiste, ce déterminisme social est inacceptable. Le karma est un principe qui explique, mais qui n'oblige à rien et qui ne doit pas déterminer nos actes. Les bouddhistes diront que si on naît dans la situation privilégiée d'un aristocrate kshatriya, c'est du fait d'un karma favorable. Mais ce n'est pas parce qu'on naît dans une famille kshatriya que l'on doit nécessairement être un guerrier et qu'on doit aller massacrer les membres de sa propre famille sans esprit critique.


      Deuxièmement, à la fin de la Bhagavad Gita, Arjuna va au combat. Mais est-il allé au combat du fait d'un choix personnel entre l'option de se battre et celle d'abandonner les armes, ou était-il contraint par une force supérieure à consentir au message de Krishna ? Arjuna aurait-il pu dire à Krishna : « Ton message est magnifique. Un très beau discours, très inspirant, mais je pense néanmoins que je vais ne pas me battre. Je ne suis pas entièrement convaincu. Tes principes philosophiques ne valent-ils pas moins que la douleur réelle des hommes et la terreur d'affronter la mort et la destruction dans cette folie collective qu'est la guerre ? Non franchement, je laisse tomber mon épée, je ne tuerai pas un de mes frères aujourd'hui » ? Et si, à l'inverse, Krishna s'était tu ce jour-là, est-il possible qu'Arjuna eusse été quand même au combat au moment de voir les membres de son clan, les Pandava, tomber sous les flèches et les coups d'épée des Kaurava, mu par la colère et le sentiment de vengeance, en dépit de ses velléités premières de non-violence ? La question à laquelle je veux en venir est : est-ce que le destin peut bifurquer ? On est certes poussé dans le dos pour le courant impétueux de l'existence, mais peut-on bifurquer du chemin tout tracé ?






Arjuna ayant laissé tombé les armes écoutant son cocher Krishna
entre les armées Pandava et Kaurava









*****





     Nisargadatta adopte un point de vue qui se rapproche très fort des stoïciens de l'Antiquité : non, on ne peut rien changer au cours des choses. Pas de bifurcation possible ! There is no alternative ! La seule chose qui est en notre maîtrise, c'est notre attitude face à ce cours des choses. On peut connaître l'abattement face à notre impuissance de changer les choses ; on peut être saisi par le ressentiment à l'encontre de notre mauvais sort ; on peut être envahi par la peur et l'angoisse de ce qui va nous arriver. Mais pour les stoïciens, la meilleure façon d'être libre, c'est d'être dans l'amor fati, l'amour du destin. Consentir librement à tout ce qui arrive, vivre dans l'acceptation des choses.


       Il me semble pour ma part que cette vision des choses soit quand même un peu trop du côté de la résignation. C'est comme un homme ligoté qui se dirait : « Je suis ligoté, je ne puis rien y faire, je suis à la merci de mes ravisseurs. En bon stoïcien ou en tant que disciple de Nisargadatta, je vais me contenter d'aimer mon destin d'homme ligoté. Quelle bonne attitude ! » Je pense que, dans cette circonstance, il faut se faire contorsionniste et tenter de se libérer de ces liens qui nous laissent à la merci de l'existence et nous font accomplir des choses que l'on regrette amèrement. Si la liberté n'existe pas, prenons-la ! Créons-la !





*****




      Enfin, Tara pose la question de savoir qui dispose du libre-arbitre si, une partie de nous-mêmes, est liés par des déterminations et des conditionnements ? Elle évoque la possibilité d'un Soi absolu, intégralement libre derrière le « moi » illusoire, soumis au déterminisme, conformément à la doctrine vedantin. Plutôt qu'un Soi absolu, je parlerais plutôt d'une réalité absolue dans laquelle se dissout le « moi » relatif. Le moi relatif est prisonnier de l'existence, plus exactement de cette illusion d'existence qui se reproduit encore et encore. Pour autant, le moi relatif n'est pas complètement privée de libertés. Ce sont seulement pour lui des libertés relatives : liberté de mouvement, liberté d'action, liberté de pensée, liberté de paroles, liberté de choix... Ces libertés sont relatives en ce qu'elles dépendent des circonstances, mais elles n'en sont pas moins intéressantes et fondamentales. On ne peut pas constamment les mépriser comme on le fait trop souvent dans les religions. Il y a tout un travail au niveau de la société pour permettre à ces libertés de s'épanouir (j'avais développé notamment cette idée dans l'article « Liberté »). C'est comme si sa liberté fondamentale au fond de notre véritable nature se diffusaient dans notre « moi » superficiel sous la forme de ces libertés relatives et limitées.








 Leny Falls, Ecosse. 








Voir la 1ère partie de cet article







Voir également :







































Krishna et Arjuna,
miniature du Rajasthan (Inde du Nord)
Seconde moitié du XIXe s.








Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.






13 commentaires:

  1. La position stoïcienne rejoint finalement la pensée de Camus dans "Le Mythe de Sisyphe" : "Il faut imaginer Sisyphe heureux" ?

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  2. A priori, l'amor fati de Camus dans le mythe de Sisyphe est plus d'inspiration nietzschéenne que stoïcienne. Quand Camus y exhorte à accepter joyeusement notre sort, ce n'est pas tellement parce que ce qui nous arrive doit nécessairement arriver comme dans la métaphysique stoïcienne, mais plus pour nous aider à dépasser toutes les douleurs, les épreuves qui reviennent encore et encore dans ce monde privé de sens, complètement absurde. "Il faut imaginer Sisyphe heureux" est un remède à l'absurdité de l'existence, au désespoir et à la tentation du suicide que Camus pose au début de son livre comme étant la question philosophique essentielle.

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    1. Merci de ces précisions, je comprends mieux la nuance. Le Mythe de Sisyphe m'avait beaucoup marqué lorsque je l'avais lu et j'avais essayé d'appliquer ce principe mais finalement, je crois que cela ne se décrète pas et reste inaccessible en ce qui me concerne, c'est une consolation intellectuelle face à l'absence de sens qui ne me sied pas vraiment, je préfère de loin « Agis, mais renonce au fruit de tes actions » qui me parle plus que tout, implique des choix, mais dont je me rends compte qu'il est pourtant incompréhensible pour pas mal de mes connaissances, qui agissent presque toujours dans l'attente que leurs actions soient couronnées de succès et qui ne verraient pas l'intérêt d'agir s'ils n'escomptaient pas réussir, raisonnement qui m'est devenu complètement étranger. Mes ami-e-s animalistes, ou d'autres militance, parle à ce sujet de "luttes", j'en parle moi-même malgré tout, mais j'ai un peu de mal finalement avec le mot "lutte", je vois davantage mon engagement comme une action motivée par ce que je pense être la justesse d'une cause sans que je sache ce que cela donnera à l'avenir. Mes ami-e-s tiennent d'ailleurs en général par leur colère : "elles et ils ont la haine" comme on dit, alors que je tâche pour ma part de m'en préserver même si je réagis à l'évidence aussi par de la colère à bien des moments mais j'évite résolument que la colère, en tant qu'esprit de vengeance, volonté de faire subir aux autres les mêmes horreurs que ce qu'ils ont commis, motive mes actions ; au mieux, j'essaye de réinvestir l'énergie de la colère dans des actions positives.

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  3. Une précision : en ce qui concerne « Agis, mais renonce au fruit de tes actions » que Krishna énonce, seule la première partie de l'interprétation que tu en donnes à a suie me parle en tant que bouddhiste: "détache-toi de la réussite ou de l'échec" alors que la seconde partie me semble bien trop "fixiste" : "détache-toi également des conséquences bonnes ou mauvaises de tes actions". Il me semble y voir la différence entre le karma tel qu'il est présenté dans l'hindouisme (quelque chose d'inéluctable que l'on mérite auquel on doit se plier) et tel qu'il est expliqué dans le bouddhisme (en gros, si je suis malade, c'est aussi mon karma qu'un médecin puisse me soigner) d'où découle l'abolition du système des castes.

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  4. Oui, tout à fait, Degun. Le karma au sens bouddhiste est un principe explicatif, mais il ne justifie rien. Si je suis pauvre car né dans une caste inférieure, c'est mon karma, du fait de mes actes négatifs d'égoïsme, de vol et d'appropriation injuste : le karma explique ma situation misérable. Mais cela ne justifie en rien mon maintien dans cette situation misérable. A force de travail, je peux sortir de cet inconfort. Je peux m'extraire de ma condition sociale. L'ordre cosmique des hindouistes justifie qu'un serviteur reste un serviteur, et un brahmane un brahmane, indépendamment de leurs choix de vie.

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  5. Bonjour à vous! J'ai lu avec attention l'article et vos commentaires. Permettez-moi de rejoindre votre discussion. Je m'intéresse beaucoup aux concepts de libre-arbitre et de déterminisme, ainsi qu'au bouddhisme (j'étudie depuis longtemps le bouddhisme, surtout les enseignements dits "d'origine" énoncés par Bouddha (bouddhisme Théravada)), et j'ai voulu partager avec vous ma compréhension du concept de karma.
    Le karma tel que la majorité des gens le conçoivent de nos jours (force cosmique qui punit les mauvaises actions et récompense les bonnes), idée quelque peu ésotérique, disons-le, n'a rien à voir avec les enseignements d'origine de Bouddha (pas plus d'ailleurs que le concept de réincarnation ou de renaissance bouddhiste, souvent confondu avec celui de l'hindouisme). Vous semblez partager ce point de vue.
    Le karma tel qu'énoncé par Bouddha pourrait se résumer tout simplement par la loi physique de la causalité (cause à effet). Pour ce qui est d'une loi cosmique qui punit les mauvais et récompense les bons, Bouddha aurait simplement dit ne pas avoir à stipuler sur ce qui vient après la mort, mais que la pratique des ses enseignements pouvaient néanmoins apporter au pratiquant 4 réconforts : "S'il existe un autre monde et que les actes positifs et négatifs produisent des fruits, il se peut qu'à ma mort, je renaisse dans un monde heureux, paradisiaque. Et s'il n'existe pas d'autre monde et que les actes positifs et négatifs ne produisent pas de fruits, alors je vis au moins dans ce monde-ci une existence paisible et heureuse. Et si le malheur frappe les malfaisants, mais que je n'éprouve pas de mauvais sentiments envers quiconque, comment pourrais-je rencontrer le mal? Et si le malheur ne frappe pas les malfaisants, alors je me sais pur de deux façons." (extrait du Premier enseignement du Bouddha). Voilà pour ma compréhension générale du karma dans le bouddhisme. Je lance une pierre sur quelqu'un, je ne sais pas si une force cosmique va me punir plus tard, mais je peux être assuré de créer autour de moi des sentiments hostiles qui risquent de me retomber dessus un jour (le bouddhiste peut justement jouer une sorte de rôle tampon en subissant les mauvaises actions et paroles des autres, mais en ne les propageant pas par la suite; pensez à l'exemple du patron qui engueule son employé, qui lui engueule sa femme, qui elle engueule son enfant, etc.)
    Un mot sur le concept bouddhiste de réincarnation: il se résumerait, toujours d'après mon humble compréhension, au renouvellement de l'univers qui passe, à chaque instant, d'un état au suivant, puis au suivant, et ainsi de suite, dans une simple chaîne causale.
    Le bouddhisme tibétain a récupéré, semble-t-il, les concepts hindouistes du karma et de la réincarnation, entre autres dogmes plus ou moins ésotériques, et a diffusé ces interprétations à tort comme étant des concepts bouddhistes.
    N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez!

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  6. Bonjour Antoine. Au sujet du karma comme loi de causalité, de cause à effet, c'est bien ainsi qu'on m'a expliqué le principe dans le bouddhisme dit tibétain. Néanmoins, si ce principe rejoint et s'applique à ce que vous dites de la chaîne de réactions physiques ou psychologiques qui peut suivre un acte (du corps, de la parole ou de l'esprit), il reste, je crois, malgré tout une part "ésotérique" , du moins qui échappe à l'explication purement factuelle et rationnelle, non qu'il y ait une "punition" à la clé - il n'existe pas de tel concept dans le bouddhisme à ma connaissance, pas plus que de "volonté" ou d' "entité supérieure" qui châtierait les gens - mais qu'en dehors de la chaîne de réactions dont vous parlez, qu'on peut aussi voir comme karmique, il y aurait malgré tout une empreinte ("samskara" si je ne me trompe pas) psychologique et spirituelle engendré par les actes selon la nuisance ou le bienfait produit et qui finirait par résulter en une forme de rétribution sous forme de souffrance ou de plaisir. Je ne comprends pas bien votre dernière phrase, voulez-vous dire que ce serait le bouddhisme tibétain qui aurait véhiculer l'idée d'un karma perçu comme une destinée fatale en reprenant l'idée de l'hindouisme ? Si c'est le cas, je ne crois vraiment pas que cela soit avéré, dans le bouddhisme tibétain, j'ai toujours entendu que le karma était justement explicatif et ne comportait aucun jugement d'aucune sorte et aucune fatalité inexorable (comme je le disais plus haut, "si je suis malade, c'est aussi mon karma qu'un médecin puisse me guérir", j'ajouterais "je peux aussi faire tout ce qu'il faut pour aller mieux", il n'y a pas de fatalité à devoir souffrir si les moyens de me soigner sont à ma disposition, qu'ils soient facilement accessibles ou plus difficilement). Degun

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  7. Bonjour Antoine Bourassa,



    Donc oui, dans la philosophie bouddhiste, le karma n'est pas une condamnation des dieux pour nos mauvaises actions, mais un principe naturel. Tout comme la loi de la gravitation universelle. Une pomme qui se détache de son arbre va toujours aller vers le bas, pas vers le haut. De la même façon, nos actes engendrent une réaction en chaîne qui tôt ou tard retomberont sur nous. C'est une loi naturelle.

    Concernant le bouddhisme tibétain, il faut distinguer le bouddhisme tibétain populaire où le dieu Yama compte les billes blanches et noires de nos bonnes et mauvaises actions et nous envoie dans les bonnes ou mauvaises renaissances. Yamantaka, forme courroucée de Manjushri, bodhisattva de la sagesse, tue Yama et permet de transcender le cycle des existences (Yamantaka = tueur de Yama).

    Dans le bouddhisme tibétain philosophique, l'explication du karma est l'explication de l'école Cittamatra (Esprit Seulement). Le karma se trouve sous forme d'imprégnations au fond de la conscience base-de-tout. Quand les conditions sont propices, ce karma remonte et se manifeste dans la conscience ordinaire et notre expérience du monde. C'est une explication puissante qui permet de résoudre toutes sortes de problèmes et d'apories de la théorie du karma, mais qui suppose l'adhésion à l'idée métaphysique d'une "conscience base-de-tout" (alaya vijnana).

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  8. Bonjour à vous deux,
    Merci de m'éclairer, je me suis peut-être mépris dans certaines nuances du concept ou de l'histoire du concept de karma.
    Degun, merci de ta réponse! Concernant l’ambiguïté, je voulais dire, en fait, que la définition du karma dans le bouddhisme tibétain me semblait correspondre à la définition hindouiste dans son aspect métaphysique d'"accumulation" du karma qui déterminerait la condition de renaissance des êtres. Je crois que cette conception ou tradition est apparue dans le bouddhisme au 13e siècle et correspond au début des lignées de lamas, dont celle du dalaï-lama, qui choisissent de se réincarner pour venir en aide aux autres. C'est là que je me suis sans doute égaré : ce concept de renaissance serait propre ou "réservé" aux maîtres particulièrement sages qui arrivent à décider des conditions de leur renaissance, mais il (ce concept) coexisterait tout de même dans la philosophie tibétaine avec le concept de renaissance du bouddhisme d'origine (que chaque "vie" ne dure en réalité qu'un instant, étant impermanente et dépourvue de soi, pour résumer grossièrement).
    Là où je voulais en venir avec tout ça, c'est simplement que la définition la plus connue du karma et de la renaissance en Occident correspond plutôt aux définitions hindouiste et bouddhiste tibétaine, sans doute parce que le Dalaï-lama est très populaire et représente certainement aux yeux de beaucoup d'Occidentaux le bouddhisme en général et dans sa totalité (je crois que la plupart des gens ne savent pas qu'il y a plusieurs grandes branches dans le bouddhisme). Le Dalaï-lama parle aussi parfois dans certains médias occidentaux de sa prochaine réincarnation, qu'il renaîtra peut-être en femme, ou peut-être pas du tout, ce qui diffuse l'idée que dans le bouddhisme en général, lorsqu'on meurt, on se réincarne ensuite. Finalement, comme le bouddhisme en général est très différent des grandes religions et philosophies occidentales, et que toutes ces nuances ne peuvent être expliquées en quelques secondes rapidement, la plupart des gens s'en tiennent sans doute à leurs idées reçues de ce qu'est le bouddhisme et ne creusent pas plus loin. Il en va sûrement de même pour le karma, associé à tort et à travers à telle ou telle philosophie et entendu selon sa définition la plus connue et la plus simpliste.
    Bai Wenshu, merci également pour ta réponse! Je ne connaissais pas cette école de pensée. Je me rends compte en faisant quelques recherches à quel point il est complexe de retrouver la souche de telle conception, tel enseignement... Cette définition du karma ne pourrait-elle pas correspondre à la loi de la causalité? Nos actions, paroles et pensées s'imprègnent bel et bien quelque part, toujours, au moins dans l'inconscient de celui qui les tient, et ces traces conditionnent les actions, paroles et pensées qui suivront. J'ai du mal à saisir pourquoi la loi du karma semble avoir été complexifiée et "métaphysicisée", qu'il serait maintenant nécessaire d'avoir la foi, la plus grande faiblesse des religions théistes, alors que tout ou presque, dont la loi du karma, peut a priori s'expliquer rationnellement. Les enseignements d'origine ne suffisent-ils pas amplement? La théorie du karma ne peut-elle pas être abordée et comprise par la raison simplement telle qu'elle a été expliquée par Bouddha? Ce sont des questions ouvertes, ne vous sentez pas forcés de me répondre rapidement, ou d'y répondre tout court! Merci encore, j'apprends beaucoup (et espère en comprendre autant) grâce à vos messages et à mes recherches à côté!

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  9. Bonjour, Antoine,


    Dans l'optique du karma comme une longue chaîne de causalité, j'avais comparé le phénomène des renaissances mus par le karma au balancier de Newton dans un article du Reflet de la Lune intitulé "Réincarnation":
    http://lerefletdelalune.blogspot.be/2017/01/reincarnation.html

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  10. Bonjour Antoine,

    Sans être non plus un spécialiste du bouddhisme, je ne suis pas trop d'accord sur les différences que tu fais entre les différentes traditions.
    Quelque soit les différentes traditions, il s'agit de sortir du samsara qui est le cycle des renaissances.
    Dans le Theravada, c'est par une pratique personnelle qu'on accumule des mérites qui permettent d'en sortir. Le seul moyen pour ne pas produire de karma négatif c'est de suivre les préceptes, qui dans le bouddhisme ancien sont très nombreux.
    Dans le mahayana,il y a une critique du bouddhisme ancien car on ne se soucie pas seulement de sa pratique individuelle mais également de celle des autres. la pratique est davantage collective. Elle est moins axée sur les préceptes.
    Ensuite dans le mahayana ça se subdivise avec d'un côté dans le sud-est asiatique une relation plus dévotionnelle à l'égard du Bouddha, d'un autre en chine (tchan) et au japon (zen), la pratique est plus axée sur la méditation moins pour accumuler des mérites que pour s'harmoniser avec le cosmos. le karma est aussi naturelle que l'ombre qui nous suit lorsqu'on marche au soleil.
    Dans le bouddhisme Tibétain, le karma est davantage lié à l'intention de celui qui agit. La pratique consiste à transformer son esprit de manière à générer le moins de karma négatif possible
    Même dans le bouddhisme tibétain la personne qui se réincarne n'est pas exactement la même personne que dans la vie suivante. Ils ont justes des pratiques un peu magique mais pas si magiques que ça pour transférer une partie de leur mémoire d'une personne à une autre.
    Quelque soit la tradition, il n'y a pas d'âme qui transmigre. Même le dalaï-lama est clair là-dessus.

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  11. Merci Bai Wenshu, je crois comprendre l'allégorie du balancier, et c'est un exemple parfait et très simple de la loi de la cause à effet, qui nous ramène au sujet de base de cette discussion, le libre-arbitre et le déterminisme. J'aimerais y revenir un peu en utilisant à mon tour une allégorie, celle de la balance des choix. À mon avis, la notion de libre-arbitre prend racine dans notre faculté de raisonnement. La raison serait notre capacité à peser mentalement les pour et les contre (déterminismes), et selon le côté duquel la balance penche après ce processus, une option l'emporte sur l'autre nécessairement. L'observateur en nous croit ainsi de facto être doté d'un libre-arbitre. Mais ce n'est qu'une illusion, car la raison est elle-même déterminée; la loi de la causalité est inextricable. Rien autour de nous, ni en nous, ni dans notre cerveau, n'y échappe. Pour qu'une vague se crée, ou pour qu'une feuille pousse, un ensemble de facteurs doivent être réunis au même moment au même endroit, exactement comme cette fameuse raison qui nous donne l'illusion d'être totalement maîtres de nous alors qu'elle est conditionnée par d'autres mécanismes de notre cerveau. Est-ce un prétexte pour se laisser aller au vice? Si on veut vivre dans le malheur, peut-être la vision pessimiste et fataliste est-elle la solution logique! Si on souhaite être heureux (ce souhait devrait être latent en chacun de nous?), on peut chercher à s'éveiller. On pourra ainsi utiliser sa raison en tout temps et en pleine conscience pour redonner leur juste poids aux différents déterminismes qui pèsent dans la balance de nos choix et prendre des décisions plus éclairées en toute circonstance.
    Merci Sb, ce que tu écris correspond très bien à ce que j'ai appris également sur ces différentes traditions, mais je persiste à croire que la notion de karma doit être comprise comme une loi rationnelle, et non métaphysique, du moins dans la tradition Theravada. Le karma et ces fameux "mérites" qu'on accumule me semblent bien plus être de bonnes habitudes qui s'ancrent lentement en nous avec la pratique des enseignements (ce qui s'explique simplement par la loi de la causalité) que des "points" cosmiques qui s'accumulent dans une banque de karma comme dans des colonnes de chiffres (vision simpliste de ce qu'est le karma en Occident).
    Il me semble que les enseignements du Bouddha entendus rationnellement forment un système tout à fait cohérent et complet, suffisant par lui-même, sans qu'on n'ait à croire aveuglément en quoi que ce soit; il suffirait de le mettre en pratique, de l'expérimenter, de le vivre, non? De toute manière, il est pratiquement certain qu'avec les multiples traductions, certains concepts ont nécessairement été déformés au fil du temps... d'où l'intérêt d'en discuter et de les découvrir par nous-mêmes, j'imagine!

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