Lotobiographie
J'ai
tout fait ou presque tout vu tout aimé
J'ai
dormi dans la rouille des brumes
J'ai
traîné chie-l'âme sur les quais du malheur
J'ai
dormi à la belle étoile en prison sous les ponts
J'ai
vu la mort clignoter dans les yeux des enfants
J'ai
hésité attendu persuadé que tout était fini
J'ai
vu les zombis coincés entre le 20ème et le 21ème
siècle
J'ai
regardé dans le rétroviseur, narguant le traîne-dieu
J'ai
tiré la langue à cet idiot qui se dit poète
J'ai
dit ceci cela bien déconné foncé tête baissée
J'ai
encore un faible pour un oui ou pour un non
J'ai
rêvé d'un grand bruit sur la lune
J'ai
holographié tous les paysages
J'ai
chanté sous les érables nus et les séquoias géants
J'ai
somnolé sur les rochers muets et le jour s'est évanoui
J'ai
chevauché un essaim de lumière m'abîmant dans le lointain
J'ai
flippé et il a fait nuit dans ma tête
J'ai
sauté à pied joint dans le vacarme du temps présent
J'ai
repoussé la lumière jaune des morts
J'ai
été enseveli par les haines hallucinées
J'ai
rêvé d'une baraque au fond de la forêt
J'ai
rêvé d'une solitude chaude et glacée pour rire et pleurer
J'ai
regardé les autres mourir en file indienne
J'ai
au creux de la main printemps été automne hiver
J'ai
bu tous les alcools goûté tous les poisons
J'ai
pris racine sur cette étoile qu'est le hasard
Claude
Pélieu
Ancien cimetière de voitures à Châtillon en Belgique |
Claude
Pélieu est un auteur français de la Beat Generation. Il a été le
traducteur d'Allen Ginsberg et de William Burroughs, et on sent le
souffle de Jack Kerouac dans ce poème. Personnellement, j'aime la
spontanéité qui l'anime et se traduit en éclats poétiques. La
soif d'avaler l'existence dans sa vastitude. « J'ai sauté à
pied joint dans le vacarme du temps présent ». À
la fois, s'enthousiasmer du monde, vivre sans temps mort toutes les
expériences bonnes ou mauvaises, mais aussi s'abandonner à la
contemplation et prendre du recul par rapport à tout ce temps-monde
qui se déroule. « J'ai au creux de la main printemps été
automne hiver ». Cela aboutit à la formulation de ce qui
ressemble très fort à une ascèse tantrique : « J'ai
pris racine sur cette étoile qu'est le hasard ». Je ne
pense pas qu'il soit facile de vivre pleinement selon ce principe,
tant le hasard et le vacarme du monde peuvent être éprouvants. Mais
il y a là aussi une bienveillance fondamentale à vouloir faire
corps avec les soubresauts du monde et les accueillir pour vouloir
jouer avec eux. Y a-t-il une once de sagesse là-dedans ? Ou
est-ce folie complète ? Je vous laisse seul juge. Mais pour un
moment au moins, j'aime cette créativité poétique qui me parle.
« J'ai
rêvé d'un grand bruit sur la lune
J'ai
holographié tous les paysages »
Claude Pélieu (1934-2002) par Jacqueline Starer |
Voir aussi les poèmes d'Allen Ginsberg :
- Song
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire