Tom Regan est un
philosophe américain impliqué dans la cause de la libération
animale. Sa thèse est de considérer l'animal comme un sujet
de droit. Dans cet extrait, il donne une image intéressante du
travail intellectuel et philosophique afin de justifier et
d'argumenter en faveur des animaux et de faire avancer la cause :
l'image d'une danseuse étoile qui vit une passion disciplinée.
La conception des
devoirs indirects, l'utilitarisme, le néo-contractualisme, etc., ne
sont pas précisément la matière dont sont faites les passions
profondes. Mais qu'on me permette d'évoquer cette image qu'un autre
ami me montra un jour : l'image d'une danseuse de ballet,
exprimant la passion disciplinée. De longues heures passées à
transpirer et à travailler dur, de longues heures de solitude et
d'entraînement, de doute et de fatigue – voilà en quoi consiste
la discipline de l'art de la danse. Mais la passion ne fait pas
défaut ici, le désir intense d'excellence, la volonté de
s'exprimer à travers son corps, de le faire comme cela doit être
fait, et de marquer notre esprit. C'est l'image que j'aimerais vous
donner de la philosophie : une image non pas trop « cérébrale »,
mais plutôt une image de passion disciplinée. Nous avons
assez parlé de la disciple ; voyons maintenant la passion. Il
arrive, et même assez souvent, que les larmes me viennent aux yeux
quand je vois, lis ou entends parler du sort misérable des animaux
aux mains des êtres humains. Leur douleur, leur souffrance, leur
solitude, leur innocence, leur mort. Colère. Rage. Pitié. Chagrin.
Dégoût. La création toute entière gémit sous le poids du mal que
nous, êtres humains, imposons à ces créatures muettes et sans
défense. C'est aussi notre cœur, et pas seulement notre raison, qui
demande la fin de tout cela, qui exige que nous surmontions, par
égard pour eux, les habitudes et les forces qui sont la cause de
leur oppression systématique. Il a été dit que tous les grands
mouvements passent par trois étapes : celle du ridicule, celle
de la discussion et celle de l'adoption. La réalisation de la
troisième étape, l'adoption, exige à la fois notre passion et
notre discipline, nos cœurs et nos esprits. Le sort des animaux est
entre nos mains.
Tom Regan, « Pour
les droits des animaux », dans « Philosophie
animale » (textes réunis par Hicham-Stéphane Afeissa et
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer), librairie Vrin, Paris, 2010, pp.
182-183.
Robert Doisneau |
Tom Regan évoque ici la
manière la plus habile d'associer la raison et l'émotion dans une
démarche militante. D'un côté, l'émotion qui nous pousse à agir
ou à réagir face à l'évidente injustice et cruauté de l'humanité
à l'égard des animaux, qui nous donne envie de hurler et de
gesticuler. De l'autre, la raison qui argumente, souvent froidement,
et qui calcule ses coups, envisage des stratégies. L'émotion sans
la raison peut s'égarer et tomber dans des ornières regrettables,
pousser à commettre des actes contre-productifs. Avec l'émotion, on
peut s'emporter et de tenir des paroles excessives qui créeront un
sentiment de rejet dans la population. Mais sans l'émotion, la
raison froide ne peut pas toucher le grand public. L'empathie et la
compassion à l'égard de la détresse des animaux et le sentiment de
justice face à un système cruel et absurde, aberrant même sont des
moteurs pour convaincre les humains de faire cesser cette barbarie.
La raison seule ne peut pas y parvenir car elle s'oppose à la raison
économique qui fait valoir les intérêts économiques de
l'exploitation des animaux.
La solution est donc
bien de conjuguer les deux comme le préconise Tom Regan dans un
effort long et persévérant pour développer ce qu'il appelle une
passion disciplinée. Une passion qui développe patiemment des
arguments en faveur de sa cause et qui développe des stratégies
pour répandre le message de compassion et de non-violence à l'égard
des êtres sensibles. Rendons d'ailleurs ici hommage à tous ceux qui
militent dans des organisations en faveur du végétarisme, du
véganisme et de la libération animale !
Ecoutez votre conscience. Il y a une raison pour laquelle vous êtres incapable de regarder "votre nourriture" en train d'être produite. |
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme ici.
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