Une cure d'extraordinaire
Je
me suis fait à l'idée que la vie n'avait pas à être
extraordinaire.
Robert
Smith
Robert Smith |
D'ordinaire,
je mets en exergue sur mon blog « Le Reflet de la Lune »
des sentences qui font sens, qui me touchent ou qui exprime une
parole de sagesse. Ici, c'est l'exact contraire. Cette phrase,
prononcée par Robert Smith, le chanteur et leader du groupe de rock
« The Cure », exprime tout ce contre quoi j'essaye
de résister au jour le jour: la dépression, le fait d'être blasé
de la vie et se complaire dans la négativité pour le plaisir de se
complaire dans la négativité, ou encore par paresse de ne pas se
remettre en question et de ne pas fournir des efforts pour améliorer
les choses. Quand j'ai entendu cette réflexion de Robert Smith à un
moment de ma vie où j'étais particulièrement déprimé, cela fut
très douloureux, parce que, précisément, l'idée qu'il faut se
faire à l'idée qu'au fond la vie est moche, sans éclat, terne et
qu'il n'y a rien à attendre d'elle m'était complètement
insupportable. Je sentais qu'il fallait résister contre ce marasme ;
mais ce n'est pas facile quand on est traversé par plein d'idées
noires.
La
vie doit être extraordinaire. Pas seulement notre vie, mais la vie
de tout un chacun. Je ne veux pas dire que l'on doive impérativement
faire des choses extraordinaires pour que notre vie soit
extraordinaire, comme faire l'ascension de l'Everest, gagner un
milliard de dollars ou se baigner dans sa piscine privée avec les
stars de Hollywood. L'extraordinaire peut se manifester dans une vie
parfaitement ordinaire. L'extraordinaire demeure dans la conscience
et la perception de celui qui s'étonne et s'émerveille de la vie.
En même temps, l'extraordinaire se trame dans nos relations aux
autres. L'extraordinaire surgit dans des moments de vie, et il faut
être prêt à le saisir que l'on soit seul ou avec les autres.
En
fait, garder en son âme et conscience l'idée que la vie peut être
extraordinaire pour nous et pour les autres change la logique de nos
relations humaines. Si on est dans une logique de compétition et de
rivalité les uns envers les autres, l'extraordinaire est le fait de
gagner plus que les autres, d'être mieux habillé et d'incarner plus
la mode que les autres, de réussir mieux que ses collègues, d'avoir
une femme plus belle que celles de ses amis ou une maison plus grande
que celle de son voisin. C'est toujours vouloir sortir de la moyenne
que constitueraient les autres. C'est constamment renvoyer
agressivement l'autre à l'ordinaire.
Mais
celui qui pense que sa vie et la vie des autres peut et doit être
extraordinaire n'entretient pas de telles idées de comparaison et
d'orgueil déplacé. Il sait qu'expérimenter l'extraordinaire n'est
pas une expérience qui nous met en compétition avec les autres. Je
peux me promener dans une rue de ma ville, un jour pluvieux et froid
de novembre et trouver cela extraordinaire parce que je suis envahi
ici et maintenant par le sentiment de l'extraordinaire : j'ai la
conscience soudaine et fulgurante que ce moment est unique et
merveilleux. Il n'est pas plus unique et merveilleux qu'un autre
moment ; il n'est pas plus unique et merveilleux que l'instant
que vit l'inconnu avec son chapeau et son attaché-case que je croise
maintenant dans la rue. Et les rues de ma ville ne sont pas plus
uniques et merveilleuses que les rues d'une autre ville ailleurs.
Simplement je vis l'instant présent, et je me rends compte qu'il
peut m'apporter ce sentiment de l'extraordinaire, alors même que je
suis une personne ordinaire qui marche un jour ordinaire de novembre
dans une rue ordinaire d'une ville ordinaire comme il y en a des
milliers et des milliers dans le monde.
Ce
sentiment de l'extraordinaire ne peut exister qu'au travers de la
bienveillance envers les autres, de l'abandon de l'orgueil qui nous
pousse à nous comparer aux autres et de l'apaisement de l'esprit.
Cet apaisement est nécessaire pour s'ouvrir à tous les
frémissements de la perception ordinaire que, d'ordinaire, on ne
perçoit pas. Ces frémissements vont et viennent, avec des
intensités et des formes variables, parfois doux, d'autres plus
puissants. C'est parfois une vision haletante des choses et de
l'infini qui se cache derrière chaque chose finie, parfois c'est un
moment de calme et d'acceptation. Parfois, c'est un autre regard.
Parfois aussi, ça ne vient pas. Cela ne doit pas nécessairement
venir. Parfois l'ordinaire reste ordinaire ; parfois on est
triste et on se sent morose. L'extraordinaire ne retranche rien à
notre humanité.
Mais
simplement, il est bon de se rappeler la joie quand la tristesse ou
la morosité ou la banalité marche avec nous dans la rue et ne nous
permet plus que de voir la grisaille des murs et des trottoirs. Quand
on est devenu coutumier avec la joie, celle-ci prend le pli de
rejaillir spontanément derrière les nuages sombres de la tristesse
et du désespoir.
Montpellier, Architectures VivesMaxime Derrouch, Typhaine Le Goff et Emeline Marty |
- Joie
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GINZA, 2nd Avenue, Tokyo (arrondissement de Chuo),2009 |
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Robert Smith |
Bien que n'étant pas un grand fan de The Cure ni de R. Smith, je n'ai pas de mal à assumer cette phrase mise en exergue. A force de vouloir que la vie soit extraordinaire on peut complètement passé à côté de sa vie. Mieux vaut être attentif aux petits riens qui font la saveur de l'existence que de se focaliser sur les moments forts de la vie qui sont le plus souvent passés ou à venir.
RépondreSupprimerJe pense que vous avez une interprétation zen de cette phrase: accepter l'ordinaire de l'existence, s'asseoir, marcher, faire la vaisselle en toute simplicité et en en appréciant l'instant présent. C'est effectivement une bonne chose et d'une grande sagesse. Il est vrai également que l'obsession de l'extraordinaire (au sens mondain du terme) nous conduit à se focaliser sur des moments "qui sont le plus souvent passés ou à venir" (comme vous le dites à juste titre).
RépondreSupprimerPar exemple, on pense qu'on va se rendre à une soirée et on est tout excité à l'idée d'y aller (obsession pour le futur). Puis la soirée arrive, et elle se passe très vite, l'alcool aidant à accélérer les choses.Et puis, on passe plus de temps à faire des selfies pour immortaliser l'instant que de vivre l'instant proprement dit. Et puis on raconte partout sur les réseaux sociaux qu'on a vécu une soirée EXTRAORDINAIRE (obsession pour le passé).
Mais je pense que l'interprétation de Robert Smith est plus de dire que la vie est moche, et qu'on doit se résigner à ce qu'elle soit moche et terne. C'est contre cette interprétation dépressive que je m'insurgeais dans mon texte !
RépondreSupprimerDans l'interview de Robert Smith où il prononçait cette phrase, il était tout bouffi, avec une canette de bière bon marché à la main, et il faisait un peu de peine à voir (j'ai d'ailleurs mis des photos de lui jeune par charité).
En même temps j'imagine qu'il a connu son heure de gloire comme jamais je n'en connaitrais, le feu des projecteurs, les foules en délire, l'argent qui coule à flot, les plus jolies femmes à ses pieds...
SupprimerLe voir bouffi, maintenant, au delà du côté magazine people, pourrait avoir un effet consolant (sur lequel repose la vente de ces magazines people)... Je ne sais pas.
Idéalement il ne faudrait pas trancher entre vivre de manière extraordinaire une vie ordinaire (comme la mienne) ou vivre de manière ordinaire une vie extraordinaire (de rock star)
J'écoutais hier une interview d'un poète sonore que j'ai eu la chance de voir en concert et qui travail sur de l'écriture pauvre
https://www.youtube.com/watch?v=TK41pS-D3CU
Quand on lui dit qu'il est une rock star le fait rire mais il dit que ce qui l’intéresse c'est la rencontre.
"en France on ressent cette aridité"
"en Belgique ça fait rire les gens"
https://www.youtube.com/watch?v=Llz3BRA6Sh8
Tout ça pour dire qu’idéalement il ne faudrait pas opposer l'ordinaire à l'extraordinaire.