Considérer
sans cesse combien de médecins sont morts, qui ont si souvent froncé
les sourcils sur leurs malades; combien d’astrologues, après avoir
prédit, comme chose d’importance, la mort d’autrui; combien de
philosophes, après mille discussions sur la mort ou l’immortalité;
combien de chefs, qui ont fait mourir beaucoup d’hommes; combien de
tyrans, qui, avec un terrible orgueil, ont usé, comme des dieux, de
leur pouvoir sur la vie des hommes; combien de villes entières sont,
pour ainsi dire, mortes: Hélice, Pompéi, Herculanum et d’autres
sans nombres. Ajoutes-y tous ceux que tu as connus, l’un après
l’autre; l’un rend les honneurs funèbres à un autre; puis, il
est lui-même étendu par un autre, qui reçoit les honneurs d’un
autre encore; et tout cela en peu de temps. Bien voir toujours au
total combien sont éphémères et sans valeur les choses humaines;
hier un peu de morve; demain une momie ou des cendres. Ce petit
instant du temps de la vie, le traverser en se conformant à la
nature, partir de bonne humeur, comme tombe une olive mûre, qui
bénit celle qui l’a portée et rend grâce à l’arbre qui l’a
fait pousser.
Marc-Aurèle,
Pensées,
IV, 48, trad. Emile Bréhier.
Une
très belle évocation de l'impermanence qui hante toute vie et toute
chose par l'empereur stoïcien Marc-Aurèle. Memento
mori... Se rappeler que tout
être humain est mortel, y compris le médecin qui tente de sauver la
vie des hommes, y compris le philosophe qui philosophe sur la mort et
l'éternité, y compris le conquérant qui a pris tant de vies sur le
champ de bataille. Et les villes ou les pays eux-mêmes
disparaissent : Pompéi et Herculanum avaient disparu quand
Marc-Aurèle a régné sur l'empire romain, mais l'empire romain n'a
survécu que quelques siècles après la vie de Marc-Aurèle.
On
assiste à un enterrement ; mais bientôt, c'est à votre propre
enterrement qu'on assistera. Et ceux qui ont assisté à votre
enterrement seront enterrés à leur tour. C'est un des premiers
gestes philosophiques : prendre conscience de l'impermanence et
la mort, bien voir le caractère éphémère des choses et la vanité
de les posséder. La vie passe vite : un instant, un bébé qui
a toute la vie devant lui, et un claquement de doigt plus tard à
l'échelle de l'univers, ce même bébé devenu un vieillard qui
passe de vie à trépas et qu'on enterre, qu'on momifie ou qu'on
incinère selon la culture de son pays.
D'où
l'importance de saisir cette brièveté de la vie et de comprendre
que nous sommes comme une olive aujourd'hui encore attachée à la
branche de notre olivier qui nous donne vie et sachant que cela ne
durera pas : quand nous serons mûres, nous tomberons de cet
olivier. On pourrait trouver cela triste ou accablant, mais cela ne
l'est pas quand on s'intègre au grand cycle de la Nature. Si l'on
accepte notre sort, on pourra partir joyeux plein de grâce envers le
monde comme l'olive qui rend grâce à son olivier et à la terre
nourricière qui a porté cet olivier. Nous sommes la partie d'un
Tout ainsi que le moment d'un Tout.
Oliviers à la Salis près d'Antibes Peinture d'Henri Zuber - vers 1890 |
Voir également :
- telle la génération des feuilles
- Choses qui ne font que passer
- Une lueur, un souffle, une ombre
- fleur des montagnes
- Montaigne: un éclair de vie dans le cours d'une nuit éternelle
- Une lueur, un souffle, une ombre
- fleur des montagnes
- Montaigne: un éclair de vie dans le cours d'une nuit éternelle
Concernant Marc-Aurèle, voir aussi :
- Bientôt...
- la meilleure façon de se venger
- l'entrelacement de tous les phénomènes
- Ce cosmos dont tu es une partie
- Les craquelures du pain
- Nés pour collaborer
- Souviens-toi quand tu temporises
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