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vendredi 19 juillet 2019

Maître et disciple selon Dza Patrül Rimpotché




Le maître spirituel
2ème partie


Maître et disciple selon Dza Patrül Rimpotché



Je continue ma réflexion sur la relation au maître spirituel en abordant la question du point de vue d'un lama tibétain nyingmapa du XIXème siècle dans un livre important si on s'intéresse au bouddhisme tibétain : « Le Chemin de la Grande Perfection ». N'hésitez pas à consulter la première partie de ce travail où je tente une définition succincte de ce qu'est un maître spirituel.




Au tout début de son « Chemin de la Grande Perfection », Dza Patrül Rimpotché insiste sur la manière de suivre les instructions d'un maître spirituel et sur les obstacles qui peuvent nuire à l'écoute de ses enseignements. Plus loin dans son livre, Patrül Rimpotché revient sur la manière de suivre un « ami de bien », c'est-à-dire un maître spirituel. Plus loin, il développe la pratique tantrique du guru-yoga. Dans ce présent article, je voudrais juste me concentrer sur le début du « Chemin de la Grande Perfection » et sur les instructions que devrait adopter un disciple dans le bouddhisme tibétain pour écouter les enseignements de son maître.


Pour commencer, Dza Patrül Rimpotché insiste sur l'attitude mentale qui préside à notre écoute des enseignements. Il faudrait commencer par appliquer les « trois méthodes suprêmes ». Ces trois méthodes suprêmes ne sont pas spécifiques à l'écoute des enseignements ; on doit les mettre en œuvre idéalement pour toute pratique du Dharma : méditation, acte de générosité et d'altruisme, lecture des textes, etc... Ces trois méthodes sont :


1°) Cultiver l'esprit d’Éveil et transformer notre intention d'écouter les enseignements. Si on écoute un enseignement, on le fait pour que tous les êtres puissent s'éveiller et se libérer de la souffrance : « C'est pour le bien des êtres sensibles que j'écoute à présent le Dharma profond et le mets en pratique. Je libérerai tous ces êtres, mes parents tourmentés par les douleurs des six états d'existence, de toutes les souffrances et tendances habituelles issues du karma de ces six mondes. Je les conduirai à l'omnisciente bouddhéité ».

2°) Demeurer dans l'absence de caractéristiques, l'absence de références conceptuelles par rapport à l'acte vertueux d'écouter les enseignements du maître. C'est un moyen de ne pas créer d'attachement à nos actes aussi admirables soient-ils. Ne pas se dire : « C'est moi qui ai fait cela », « Quelle personne admirable je suis d'avoir fait ceci ou cela », etc... Demeurer dès lors dans la fluidité de la réalité absolue sans attache et sans cristallisation d'une réalité que le mental prendrait pour permanente.


3°) Dédier tous ses mérites au bien des autres. Ne pas espérer accumuler des mérites pour soi-même, mais souhaiter que ce mérite personnel soit donné aux autres pour leur bonheur et leur bien-être.


Ngawang Palzang, un disciple de Patrül Rimpotché, explique dans ses Notes de Mémoire que dédier ses mérites aux autres permet de faire perdurer ces mérites jusqu'au moment d'atteindre le suprême Éveil d'un Bouddha. Dans la théorie du karma, un acte positif produit des mérites qui auront des conséquences positives pour un certain temps, un peu comme si vous plantez une graine de tulipe, vous verrez fleurir une tulipe pour un temps donné. Ce temps peut être court ou long, mais tôt ou tard il finit par s'épuiser. Dédier ses mérites aux autres permet de faire rentrer dans une autre dimension, l'envers du samsāra où tout est impermanent, l'océan de l’Éveil.


Ngawang Palzang cite ainsi le Soûtra des Questions de Sagaramati :

« De même qu'une goutte d'eau tombée dans le vaste océan
Durera autant que l'océan lui-même,
Les mérites totalement dédiés à l’Éveil parfait,
Dureront jusqu'à ce que la bouddhéité soit atteinte ».


Notons enfin que ces trois méthodes suprêmes (production de l'esprit d’Éveil, action sans caractéristiques et références conceptuelles, dédicace des mérites aux êtres sensibles) sont corrélées aux trois portes de la sagesse : la vacuité, l'absence de caractéristiques, l'absence de souhait.


Ces trois méthodes suprêmes sont importantes aux yeux de Patrül Rimpotché car elles transforment et orientent notre manière d'appréhender les enseignements. Surtout la question de l'intention dans la première des trois méthodes. Notre intention quand nous écoutons les enseignements du maître spirituel devrait être de venir en aide aux autres, pas de faire la promotion de sa propre personne. Comme le dit Patrül Rimpotché : « Quel que soit le nombre d'enseignements que nous écoutons, si c'est avec une attitude mentale tournée vers cette vie présente dans le monde – désir de grandeur, de célébrité ou autre -, nous ne nous engagerons pas dans le Dharma véritable. Il est essentiel que notre premier souci soit de regarder en nous et d'adopter l'attitude correcte ».


Notre motivation en tant que disciple peut être entachée d'intentions qui n'ont rien de spirituelles : prestige social, domination sur les autres, pouvoir, argent... Cela vient de notre tendance à toujours nous mettre en avant. Tout le monde a cela à des degrés divers. Du coup, peut-être faut-il aussi retourner cela envers les maîtres spirituels ? Quel est l'intention du maître spirituel ? Est-elle de nous éveiller et de nous libérer ? Ou le maître cherche-t-il à nous contrôler, nous dominer, à soustraire quelques billets à notre porte-monnaie ou d'autres intentions encore moins avouables ? Au regard de toutes les histoires de sectes, se questionner ainsi n'est pas du tout hors de propos. Le disciple n'est peut-être pas le seul à devoir purifier ses intentions.





*****




Si Patrül Rimpotché place cette écoute des enseignements du maître dans la perspective du Grand Véhicule, il l'intègre aussi au Véhicule de Diamant, le Vajrayāna. Dans la pratique tantrique, on a une « perception pure » de ce qu'on est train de vivre. On parle des « cinq perfections » de l'enseignement. Imaginons que vous soyez en train de suivre un enseignement dans une salle un peu miteuse et décrépie dans une banlieue industrielle un peu sinistre. Le maître qui enseigne est loin d'incarner la perfection morale et spirituelle puisqu'il est porté sur la boisson et un peu obsédé sexuel. Vous assistez à la conférence avec à votre droite un gars qui sort de prison et à votre gauche un autre gars assez lent d'esprit. C'est là la « perception ordinaire » qui, en l'occurrence, n'a rien de reluisant ! Le tantrisme vous demande de développer une perception pure qui se superpose à la perception ordinaire : par exemple, vous allez voir le maître comme un Bouddha ou un grand maître du passé, le lieu comme une Terre Pure des bouddhas ou un lieu profondément sacré... Ce sont les cinq perfections : voir le maître, l'enseignement, le lieu de l'enseignement, les disciples et le temps comme parfaits.


Dza Patrül Rimpotché donne plusieurs exemples dans son livre. Je n'en retiendrai que deux : le premier où il demande de voir le maître comme Samantabhadra, le Bouddha primordial, le second où il demande de voir le maître comme Padmasambhava, le grand maître tantrique qui a introduit le bouddhisme au Tibet et qui est, pour l'école nyingmapa à laquelle appartenait Patrül Rimpotché, l'archétype même du maître spirituel.


« Le lieu parfait est le Palais Sans Supérieur de l'espace absolu. L'instructeur parfait est Samantabhadra, le corps absolu. L'assemblée parfaite, ce sont les bodhisattvas et divinités masculines et féminines appartenant à la lignée de l'esprit des Vainqueurs et à la lignée symbolique des Vidyādharas.


Ou bien ce lieu où l'on enseigne le Dharma est le palais Lumière de Lotus du Glorieux Mont Couleur de Cuivre. Le maître qui y enseigne est Padmasambhava d'Oddiyāna. Nous-mêmes, les auditeurs, sommes les huit Vidhyādharas, les vingt-cinq disciples, les dakas et dākinīs ».


Attention. Il ne s'agit pas de nier la perception ordinaire. Dans l'exemple que j'ai donné, il ne s'agit pas de nier les défauts du maître. Mais il s'agit de reconnaître que dans tout être sensible et toute situation, il y a un potentiel d’Éveil et de transformation. Tous les êtres ont la nature-de-Bouddha et ont le potentiel de s'éveiller. La « perception pure » du tantrisme tend à reconnaître cette réalité en se représentant les êtres qui nous entourent comme déjà éveillés, comme ce qu'ils pourraient être s'ils sortaient de leurs défauts et de leur médiocrité.


En fait, il faut pouvoir entretenir la perception ordinaire et la perception pure en vis-à-vis. Si vous oubliez la perception ordinaire, vous allez entrer dans une rêverie sans fin et cela vous mènera à la désillusion tôt ou tard. Si vous oubliez la perception pure, vous passerez à côté du fait que même une situation peu enviable et déprimante peut être transformée et transcendée. La méditation enseignée dans les soûtras, notamment shamatha/vipaśhyanā, s'opère dans le domaine de la perception ordinaire tandis que les pratiques tantriques travaillent sur la « perception pure ». La distinction est importante car sinon on risque de perdre tout esprit critique devant un maître qu'on identifierait systématiquement à un Bouddha. Les textes tibétains ne me semblent pas suffisamment informer les pratiquants de cette déviation possible.





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Ce qu'il faut éviter


Ensuite Dza Patrül Rimpotché envisage le comportement juste du disciple dans son écoute des enseignements, à commencer par ce qu'il faut éviter de faire en tant que disciple. Il faudrait notamment éviter les trois défauts du récipients :
  • 1°) le récipient retourné,
  • 2°) le récipient percé,
  • 3°) le récipient contenant du poison.


Le récipient retourné correspond au fait de ne pas être attentif et de ne pas écouter ce que le maître raconte. Le récipient percé correspond au fait d'écouter, mais de ne rien retenir de ce qu'on nous enseigne. Le récipient contenant du poison correspond au fait d'écouter avec de mauvaises intentions (désir de gloire ou de célébrité personnelle) ou avec un esprit encombré d'émotions perturbatrices comme la colère, la jalousie, la malveillance, l'orgueil, l'avidité, etc... Cela risque de corrompre notre compréhension des enseignements et leur faire dire ce qu'ils ne veulent pas dire. Le Bouddha comparait l'enseignement à la capture d'un serpent. Si on s'y prend mal, on risque d'être mordu par le serpent et empoisonné par lui.


Il faut aussi éviter les six souillures :
  • 1°) l'orgueil de se croire supérieur au maître,
  • 2°) le manque de foi dans le maître et les enseignements,
  • 3°) le manque d'effort pour le Dharma,
  • 4°) la distraction,
  • 5°) la léthargie,
  • 6°) le découragement.


Pour Dza Patrül, il faut surtout se méfier de la première de ces six souillures, l'orgueil : « De toutes les émotions nuisibles, l'orgueil et la jalousie sont les plus difficiles à reconnaître. Observons donc minutieusement notre esprit : si nous tenons fièrement à la moindre de nos qualités, mondaine ou spirituelle, nous ne verrons pas nos fautes et ignorerons les qualités d'autrui. Renonçons à l'orgueil, adoptons toujours une humble position ! ».


Enfin, Patrül Rimpotché demande d'éviter les cinq mauvaises façons de retenir un enseignement :

    • 1°) retenir les mots sans retenir le sens,
    • 2°) retenir le sens sans retenir les mots,
    • 3°) retenir sans comprendre,
    • 4°) retenir dans le désordre,
    • 5°) retenir de façon erronée.






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Ce qu'il faut adopter


Il faut adopter tout d'abord les quatre représentations. Patrül Rimpotché cite le Soûtra en forme d'arbre :

« Noble disciple, considère que tu es un malade,
Que le Dharma est un remède,
Que ton ami de bien est un médecin habile,
Et qu'une pratique assidue t'apportera la guérison ».


Cette vision de la Voie comme une thérapeutique est tout-à-fait classique dans le bouddhisme. Le Bouddha est très souvent figuré comme le « Grand Médecin » qui guérit les troubles existentiels des êtres sensibles. Néanmoins, il me semble que cette métaphore a aussi ses limites, celle notamment de présenter le disciple comme un être faible, fragile, incapable de dépasser ses problèmes par lui-même. 


Dans les années '70, le lama tibétain Chögyam Trungpa traduisait dans ses textes ou sa traduction du Livre des Morts le terme sanskrit « klesha » par « névrose ». D'ordinaire, klesha est traduit par poison, au sens de poison de l'esprit et fait référence aux émotions perturbatrices que sont la colère, la haine, l'avidité ou l'ignorance. Traduire klesha par « névrose » fait basculer des termes qui relevaient du registre moral dans le registre des maladies mentales totalement en-dehors du contrôle du sujet pensant. Si je fais référence à la colère comme quelque chose qui empoisonne mon existence, je peux faire un effort pour essayer de contrôler cette colère et la dompter. Par contre, si la colère est une névrose, je ne peux rien faire à cette colère tant que mon gourou ne m'a guéri de cette névrose. Le registre médical rend le disciple beaucoup plus dépendant de son maître.


Enfin, Dza Patrül Rimpotché mentionne les six perfections du bodhisattvas (ou six vertus transcendantes si vous préférez cette traduction) appliquées à la relation de maître à disciple :

  • 1°) la perfection de générosité correspond au fait de faire en sorte que le maître ait un beau siège et des coussins, soit accueilli avec des fleurs. J'avoue avoir toujours trouvé cette déférence au maître un peu suspecte. Pourquoi le maître spirituel aurait-il besoin de siège luxueux et de traitements de faveur ? N'est-il pas supposé vivre dans la simplicité ?
  • 2°) la perfection de discipline correspond au fait de ranger et de nettoyer le lieu de l'enseignement ainsi qu'éviter toute conduite irrespectueuse.
  • 3°) la perfection de patience consiste à éviter de faire de mal à qui ce que ce soit, y compris les petites créatures et à endurer l'inconfort, le chaud, le froid et les difficultés durant cet enseignement.
  • 4°) la perfection de persévérance consiste à rejeter les vues erronées envers le maître et le Dharma et à toujours renouveler sa foi.
  • 5°) la perfection de concentration consiste à ne pas se laisser distraire sur la Voie.
  • 6°) la perfection de sagesse correspond au fait de poser des questions au maître pour résoudre ses hésitations et ses craintes.





*****




Voilà donc Dza Patrül Rimpotché conçoit les devoirs du disciple envers son maître. On verra ce que doit être ou ne pas être le maître selon lui ainsi que sa conception de la pratique tantrique du guru-yoga. Je voudrais terminer par des vers du maître Padampa Sangyé (maître indien ayant vécu au Tibet au XIème et XIIème siècle) que Patrül Rimpotché cite dans son texte :

« Écoutez les enseignements comme le cerf écoute de la musique ;
Contemplez-les comme le nomade du nord tond ses moutons ;
Méditez-les comme le muet savoure son plat ;
Pratiquez-les comme le yak affamé broute ;
Et quand vous recueillez le fruit, soyez comme un soleil sans nuages ».


Dans la légende, le cerf est complètement fasciné par la musique qu'il entend. Le nomade du nord s'absorbe complètement dans sa tâche. Et le muet quand il savoure une nourriture délicieuse ne dit aucun mot.















Yoshi Shimizu - Maître et disciple au Bhoutan


















Patrül Rinpoche, « Le Chemin de la Grande Perfection », éd. Padmakara, Saint-Léon-sur-Vézère (France), 1997.


Ngawang Palzang, « Notes de mémoire (sur le Chemin de la Grande Perfection) », éd. Padmakara, Plazac (France), 2014.




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Concernant Dza Patrül Rimpotché : 









































Wa Na Sa - Jeune novice en Birmanie (Myanmar)








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3 commentaires:

  1. Jean-Christophe Dourdet28 juillet 2019 à 22:26

    Bonjour Bai, pourrais-tu me contacter par e-mail ? J'ai encore perdu ton adresse et j'aurais éminemment besoin de te parler. Merci à toi de me contacter. jean-christophe.dourdet01(arrobas)univ-poitiers.fr

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  2. Jean-Christophe Dourdet28 juillet 2019 à 22:32

    J'ai fait une erreur dans mon adresse : jean.christophe.dourdet01(arrobas)univ-poitiers.fr

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