Aimer
c’est souffrir.
Pour
éviter de souffrir, il faut éviter d’aimer.
Mais
alors on souffre de ne pas aimer.
Par
conséquent,
aimer
c’est souffrir,
ne
pas aimer c’est souffrir,
et
souffrir c’est souffrir.
Woody
Allen
Cruelle
boutade de Woody Allen. Les relations amoureuses ont toujours quelque
chose de douloureux. Mais ne pas aimer n'est pas une solution. La
solitude est pénible ; la haine et la rancœur encore beaucoup
plus pénible. Quoiqu'on fasse, on semble piégé dans la souffrance. La
solution prônée par le Bouddha est simple : abandonner les
jeux de l'amour, toujours décevants, toujours créant de
l'attachement, des soucis, des troubles, des ennuis, et devenir
moine, cultiver le détachement et pratiquer l'amour bienveillant
illimité et sans attachement. On ne quitte pas à proprement parler
la sphère de l'amour, mais c'est une autre dimension de l'amour que
cet amour bienveillant illimité, incommensurable dont parle le
Bouddha.
Maintenant,
la question est : comment mieux vivre l'amour quand on n'est pas
un moine ou un ascète assis seul sur sa montagne ? Comment
mieux vivre l'amour conjugal, charnel, familial, toutes ces formes
d'amour qui créent de l'attachement et qui suscitent tant de
passions, souvent tristes, parfois dévastatrices ? Est-ce qu'on
peut échapper aux conflits, aux disputes, aux déceptions, aux
trahisons, au moins en partie ? Peut-on envisager l'amour dans
une perspective eudémoniste, c'est-à-dire une approche
philosophique qui envisage le bonheur comme le but central de
l'existence ? Ou la sagesse est-elle nécessairement
d'abandonner cet amour passionnel, trop lié au désir pour vivre
dans le détachement et le rejet de l'attirance et de nos pulsions
sexuelles, en tous cas de leur contrôle ? Mais dans ce cas-là,
si on fait vœu de célibat et de chasteté pour déraciner en nous
toutes formes de désir comme le préconise le Bouddha, est-ce que
ces vœux sont-ils si faciles à tenir ? Peut-on se libérer si
facilement de la libido, des désirs sexuels ainsi que des désirs
amoureux ? C'est facile à dire, mais est-ce facile à faire
concrètement ?
En
fait, les relations amoureuses posent un problème de taille. Il faut
être deux au moins pour aimer. Je peux cultiver la sagesse dans mon
corps et mon esprit, ce qui n'est déjà pas facile tant la force des
passions et du désir peuvent nous faire perdre toute sagesse en
matière amoureuse ; mais si mon ou ma partenaire n'est pas dans
cette recherche de sagesse, cela risque de ne pas fonctionner. Il
faut qu'il il y ait une recherche commune de sagesse, sans que cela
soit une garantie pour que cela marche à tous les coups. Il faut que
les désirs coïncident ; et très souvent, ce n'est pas le cas,
même avec les meilleures volontés du monde. « Le drame
dans un couple, disait Léo Ferré, c'est qu'on est deux ».
Et
il faut encore prendre en compte la société qui se tient toujours
là en arrière-fond, qui exerce une pression morale sur chacun des
partenaires amoureux, qui exige le respect de codes souvent tacites
et qui véhicule toutes sortes d'idées reçues sur ce qu'est l'amour
ou ce qu'il devrait être. Je pense par exemple à des idées d'amour
éternel qui se heurtent bien souvent à la réalité qui veut que
l'amour n'est bien souvent pas voué à persister l'éternité
entière, et dans bien des cas, n'est pas voué non plus à être
particulièrement durable. Je pense que cette notion d'amour éternel
enferme encore beaucoup de gens dans le malheur. Faut-il absolument
la rejeter ? Je ne sais pas non plus. Parce que d'une part, on
fait peut-être une certaine expérience d'éternité dans l'amour
conjugal, quand bien même la relation ne durerait qu'une nuit. Mais
pour moi, cette expérience d'éternité est en fait un écho de
maitri, l'amour bienveillant illimité qui est toujours terrée
au cœur de chaque manifestation d'amour passionnel. D'autre part, il
y a bien une raison sociale à exiger la durabilité de l'amour, et
cette raison, c'est l'intérêt supérieur des enfants. Pour élever
des enfants, il faut que les deux parents, et si possible, la famille
et les proches, participent à cette éducation et à la protection
des enfants.
Donc
y a-t-il des améliorations possibles dans notre façon d'appréhender
l'amour ? Est-ce que cela doit venir de nous ? Des autres ?
Ou d'un changement dans la société ? Peut-on imaginer des
relations amoureuses qui soient harmonieuses, et qu'est-ce qu'une
relation harmonieuse ? Ou faut-il se résigner à souffrir dès
lors qu'on est engagé dans une relation ou que l'on désire
seulement ces relations ? Est-ce que l'idée même d'une
relation harmonieuse n'est pas un fantasme qui apporte de la douleur
en nous écartant du réel ? A-t-on besoin des modèles de
l'amour que la culture, la littérature, les films, la philosophie ou
la religion véhiculent ? Ou au contraire, faut-il s'en
affranchir au nom de la modernité et d'un désir de liberté ?
Est-ce qu'il y a, par exemple, derrière nos modèles de l'amour des
schémas patriarcaux qu'il serait urgent de déconstruire ?
Voilà bien des questions !
Voir aussi à propos de l'amour :
Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.
- Il n'y a pas d'amour heureux (Aragon)
- Pas de remède à l'amour (selon Henri David Thoreau)
Sur la méditation de l'amour bienveillant et des Quatre Qualités Incommensurables :
- Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée
- Faire rayonner les quatre qualités
- Méditation des Quatre Incommensurables
- Esprit d’Éveil
Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicitta? L'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle).
- Empathie et altruisme
Développer l'empathie et l'altruisme selon la philosophie bouddhiste
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
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