Je
viens de tomber sur le rapport
2022 de la Miviludes, la mission interministérielle française
contre les sectes et les « dérives sectaires ». Assez étonnamment, il y a quelques pages consacré à la méditation de
pleine conscience dans ce rapport (pp. 111-117). C'est de prime abord
assez choquant, mais surtout c'est le contenu de ces pages qui pose
question et qui me laisse très dubitatif. Je voulais donc faire ici
une petit compte-rendu et fournir une réflexion critique.
Tout
d'abord, qu'est-ce que la méditation de pleine conscience ?
C'est la méditation basée sur l'attention et la vigilance prônée
dans le bouddhisme, qui peut parfois être associée à des pratiques
issues du yoga hindouiste. Au XXème
siècle, le psychiatre Jon
Kabat-Zinn a repris ce terme de pleine conscience (mindfulness en
anglais) au moine vietnamien Thich Nhat Hanh pour en faire une
pratique thérapeutique expurgée de son contexte bouddhique et toute
croyance métaphysique comme la théorie du karma. Je précise aussi
que Kabat-Zinn a coupé la pleine conscience de la conduite éthique
et de la sagesse (la compréhension juste des phénomènes) en ne
gardant que la méditation. Or le Dharma du Bouddha se divise en 3
grandes sections : la conduite éthique, la méditation et la
sagesse, et la méditation ne peut pas être pleinement comprise sans
une conduite juste et apaisée ainsi qu'un effort de compréhension
du monde et des phénomènes. Pour être juste avec Kabat-Zinn,
précisons que le fait de se séparer artificiellement la méditation
de toute discipline et de tout effort de sagesse était déjà en
vigueur dans le bouddhisme que les hippies pratiquaient depuis les
annnées '60. Kabat-Zinn n'a finalement fait que reprendre quelque
chose qui était dans l'air du temps et qu'il a adapté au monde
médical.
Ensuite
cette méditation de pleine conscience médicalisée ou MBSR
(Mindfulness Based Stress-Reduction, la réduction du stress basée
sur la Pleine Conscience) s'est propagée dans toutes sortes de
milieu, notamment le développement personnel, mais aussi et surtout
s'est intégré avec le New-Age et son patchwork de croyances et de
pratiques variées et colorées. Ce qui fait qu'aujourd'hui, parler
de « méditation de pleine conscience » ne nous dit pas
grand-chose sur ce qui va nous être proposé ! Comme le dit la
rapport de la Miviludes (p. 111) : « La
méditation peut être entendue comme une simple technique, être
présentée comme authentiquement orientale, occidentalisée ou
laïque, être associée à une approche religieuse, spirituelle ou
philosophique. Elle peut aussi être associée à des soins
(rééquilibrage ou soins énergétiques, hypnose, sophrologie,
médecine ayurvédique, etc.), à des techniques de développement
personnel (ennéagramme, pensée positive, communication non
violente), voire au magnétisme, à l’astrologie et même au
chamanisme ». C'est un
peu le gloubi-boulga. Ce qui rend gênant de critiquer la méditation
de pleine conscience dans sa globalité, sauf à vouloir jeter
facilement l'opprobre sur une catégorie de la population.
Quels
reproches fait donc la Miviludes à la méditation de pleine
conscience ? Premièrement, des gens se plaignent de voir une
chose tout à fait différente de l'idée qu'ils se fond de la
« méditation de pleine conscience ». Ainsi, la Miviludes
nous dit (p. 111) : « les
saisines de la MIVILUDES montrent des pratiques diverses et parfois
éloignées de l’idée générale que l’on peut avoir de la
méthode et de ses objectifs) ou de promesses trompeuses (mise en
avant de bienfaits et de résultats pouvant relever de la publicité
mensongère) ». C'est
précisément ce que l'on vient de dire : la pleine conscience
est un terme qui regroupe tellement de pratiques disparates que cela
engendre forcément la tromperie, la publicité mensongère et les
promesses trompeuses. Quelqu'un qui souhaite pratiquer la méditation
du Bouddha et qui se retrouve dans un rituel chamanique ne peut être
que désorienté !
La
Miviludes met aussi le doigt sur des abus financiers (p.111) :
« Plusieurs signalements
font également état d’exigences financières disproportionnées
eu égard aux moyens économiques des personnes concernées, ainsi
qu’une certaine marginalisation et des changements importants dans
les trajectoires personnelles des pratiquants ».
on aurait aimé des précisions et des cas précis. Il y a des cas au
sein du bouddhisme traditionnel (je pense à l'affaire
Sogyal Rimpotché notamment), mais aussi dans le développement
personnel et le New Age. Malheureusement, la Miviludes ne s'étend
pas sur ce sujet sensible. Ce qui est pourtant sa fonction.
La
Miviludes termine sa liste des critiques en mettant les retraites
intensives de méditation et les personnes qui craquent
psychologiquement n(p. 111) : « Enfin,
s’ils sont peu nombreux, la MIVILUDES a reçu quelques signalements
circonstanciés de personnes très ébranlées et perturbées par
des retraites méditatives silencieuses ou d’épisodes consécutifs
dépressifs. S’agissant des mineurs, la MIVILUDES a réceptionné
des signalements, mentionnant un isolement excessif générateur
d’angoisse, des conditions matérielles trop rigoureuses et des
privations ». Une
retraite de méditation intensive peut effectivement être éprouvante
psychologiquement ; c'est pourquoi il vaut mieux y être préparé
par une pratique quotidienne de la méditation. Il vaut mieux prendre
son temps et y aller progressivement. Je sais que, malheureusement,
ce n'est pas une opinion partagée par tout le monde : je pense
notamment aux retraites vipassana où on pousse des gens qui n'ont
jamais médité de leur vie à faire 10 jours au rythme de 15 heures
par jour assis en lotus. Certains trouvent cela génial, mais on
parle peut-être moins de ceux qui moins bien vécu la chose !
Concernant,
la méditation pour les enfants, j'ai déjà exprimé par le passé
mon scepticisme (voir mon article « Si
tous les enfants de huit ans »). Pour faire bref, je pense
que la méditation est surtout un truc d'adultes et qu'il faut être
très vigilant et très souple dès lors qu'on parle de méditation
aux enfants, notamment à l'école. Je pense aussi qu'il faut ne pas
trop attendre de la méditation qui leur est destinée et, surtout,
ne pas être trop exigeant envers ces enfants. Néanmoins, quand la
Miviludes dit avoir « réceptionné
des signalements, mentionnant un isolement excessif générateur
d’angoisse, des conditions matérielles trop rigoureuses et des
privations »,
on ne sait pas très bien de quoi elle parle, certainement pas de
méditation pour les enfants pratiquées dans les écoles, mais
probablement de signalement de sectes comme OKC où les enfants
étaient séparés de leurs parents. Je trouve que ce flou entretenu
par la Miviludes est extrêmement criticable ! Cela permet en
parlant de faits liés de toute évidence à UNE secte en particulier
d'attaquer TOUS les pratiquants de la méditation de pleine
conscience. C'est assez méprisable comme procédé.
Ensuite,
tout l'argumentaire de la Miviludes va être de remettre en question
le bien-fondé des expériences qui accordent des bienfaits à la
méditation de pleine conscience : « Des
scientifiques s’emparent ainsi du sujet et cherchent à travailler
sur les effets mesurables de la pratique de la méditation de pleine
conscience. Toutefois, les études menées posent question notamment
en ce qui concerne l’indépendance des chercheurs, et par
conséquent l’objectivité des études. Par qui ou par quel
organisme sont-elles financées ? Sur les 2 000 publications traitant
de la méditation, combien d’entre elles sont rigoureusement
étayées et contrôlées ? »
Personnellement,
je me méfie de la volonté de tester scientifiquement la méditation.
Non pas que je sois contre la science, j'ai au contraire le plus
grand intérêt pour la science. Mais je ne pense pas que la science
puisse expliquer tout ce qui se passe en méditation, et je ne pense
pas non plus qu'on devrait toujours s'en remettre à la science. Si
la méditation de pleine conscience guérit la dépression dans 70%
des cas, et alors ? Vous n'êtes pas 70% ! Vous êtes une
personne unique qui ne se réduit pas à une statistique, vous pouvez
très bien être dans les 70% sur qui la pleine conscience va
diminuer votre dépression, ou dans les 30% sur qui votre dépression
va continuer à vous pourrir la vie. Que vous soyez ou non guéri de
la dépression ne devrait pas être le critère central de votre
décision pour faire ou non de la méditation. Le critère, vous
devez aller le chercher dans votre expérience personnelle. Ce qui
est important, ce n'est pas la dépression elle-même, mais comment
vous allez vivre subjectivement cette dépression. (NB : Je
précise que j'ai inventé à titre d'exemple les « 70% »,
je ne connais pas les chiffres des études, et peu m'importe ici,
l'idée est de ne pas trop s'attacher aux statistiques des études
scientifiques, même favorables)
Est-ce
que selon vous la méditation vous semble justifiée ou non ?
Est-ce que cela vous apporte quelque chose ou non ? Vous ne
devriez pas vous en remettre totalement à la science, car la science
étudie des objets (avec le plus d'objectivité possible, les deux
mots sont liés). Or vous, vous êtes un sujet, pas un objet, la
méditation n'est pas comme un médicament dont on observe
l'efficacité sur un panel de cobayes. Dans la méditation, c'est
vous qui vous changez vous-mêmes, la logique n'est pas du tout la
même qu'un médicament avec ses substances actives.
Mais
j'en reviens à la charge de la Miviludes contre les études
scientifiques sur la méditation de pleine conscience (p. 113) :
« (Des
scientifiques)
mettent en évidence
plusieurs biais méthodologiques : absence d’essais
randomisés, échantillonnages restreints, non-respect des
protocoles en double-aveugle, et absence de groupes témoins ».
Ils mentionnent également des études retirées et des résultats
partiaux, mais aussi des résultats probants de Richard Davidson,
mais qu'ils tempèrent directement et remettent en question :
« Plus récemment,
en 2018, l’équipe de Richard Davidson, de l’université du
Wisconsin (Madison, États-Unis) et d’Antoine Lutz, du Centre de
recherche en neurosciences de Lyon (2018) montre, à partir de
l’observation du cerveau de 90 volontaires, que la méditation de
pleine conscience aiderait à apaiser la zone du cerveau responsable
de la peur et du stress, l’amygdale. Ces résultats sont cependant
à nuancer au regard des limites méthodologiques précédemment
citées »
(p. 114). Cette « nuance » s'opère de manière
totalement partiale, mais les rédacteurs de la Miviludes font mine
d'ignorer que la partialité ne va pas que dans un sens.
Personnellement,
je l'ai déjà dit, les études scientifiques, qu'elles soient
positives ou négatives, doivent être considérées avec suspicion
et esprit critique. Une étude qui met en lumière des effets
positifs de la méditation n'est pas une preuve absolue des bienfaits
de la méditation exactement comme une étude qui nierait ces
bienfaits ou les considérait comme négligeable n'est pas non plus
une preuve invalidant la méditation et la renvoyant à la
superstition. La science n'est pas et ne devrait pas être le
caractère essentiel pour vous décider de faire de la méditation ou
pas. C'est la conscience qui devrait être le juge principal pour
cela. Et encore une fois, je répète que je ne suis pas
anti-science, la science est une activité essentielle pour
comprendre objectivement le monde, mais cela ne devrait pas le guide
de chacun de vos gestes et chacune de vos pensées.
Ceci
étant dit, qu'on trouve que la science soit pertinente ou non pour
avoir le dernier mot sur la méditation de pleine conscience, on peut
légitimement s'interroger sur la place qu'occupe les études
scientifiques dans le rapport de la Miviludes. S'il agissait de se
questionner sur le bien-fondé d'implémenter telle ou telle pratique
de la pleine conscience dans des unités de soin des hôpitaux
publics français, je pourrais encore le comprendre, même si c'est à
des médecins, des psychiatres ou à des psychologues de trancher sur
cette question. Mais ici, il s'agit uniquement de jeter le discrédit
en supposant que c'est un complot pour mieux répandre cette pratique
dans la population (p. 114) : « Dans
ce foisonnement d’études, il est alors possible de se demander si
les scientifiques s’emparent du sujet dans l’objectif de mesurer
précisément les effets de la méditation de pleine conscience sur
la santé ou si
cet intérêt scientifique croissant ne s’inscrit pas dans une
stratégie plus large de diffusion et de promotion de la méditation
de pleine conscience en Occident »
(p. 114). Ou encore le complot de toucher les royalties de la
méditation (pour une pratique qui, rappelons-le, dans son versant
bouddhiste, est vieille de plus de 2500 ans) : « Quels
intérêts économiques et quelles motivations se trouvent derrière
la volonté d’implanter la méditation dans tous les domaines de
la vie des citoyens, et ce dès l’enfance? A l’instar d’autres
pratiques, existera-t-il un copyright attaché à la « mindfulness »
qui bénéficierait financièrement à ses fondateurs ? »
(P. 115) C'est là où on se rend compte que le complotisme n'est pas
nécessairement là on le croit d'habitude....
Enfin,
la Miviludes mentionne des effets secondaires négatifs et des
contre-indications à la méditation de pleine conscience, notamment
pour les personnes souffrant de dépression, d’addictions, de
schizophrénie, de troubles bipolaires ou risque psychotique.
Effectivement, présenter à ces personnes la méditation comme un
médicament comme un remède n'est pas vraiment une chose
recommandée. Que cela aggrave les choses, je n'en suis pas certain
par contre (je parle bien entendu de méthodes sérieuses de pleine
conscience, pas du gloubi-boulga new-age où on peut raconter tout et
n'importe quoi).
Le
rapport mentionne aussi le témoignage d'une néphrologue de
l'hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris : « Dans
une phase où les symptômes de dépression sont trop intenses, un
programme qui consiste à retourner le projecteur vers soi-même et à
explorer ses émotions serait assimilable à une torture »
(p. 115) Je pense que cela est vrai, et pas seulement pour des
personnes dépressives, il suffit de traverser un moment de désespoir
dans la vie pour rendre l'attention à notre discours mental, au flot
intérieur de pensées particulièrement pénible car cela nous
confronte directement à la partie sombre de nous-mêmes. Et c'est
une épreuve particulièrement difficile. C'est pourquoi je réfute
fermement l'assimilation de la méditation à un « médicament ».
Cela n'a rien d'un médicament qui rendrait notre vie plus
confortable. La méditation est souvent une épreuve très dure à
vivre parce qu'elle nous confronte directement à l'existence qui est
souvent difficile. On n'y plane pas comme sur un petit nuage comme un
certain stéréotype de la méditation voudrait nous le faire
croire ! Pour moi, cela n'est pas une « contre-indication »
à la méditation, vocabulaire médicamenteux, mais bien quelque
chose dont les enseignants doivent prévenir ceux qui veulent se
lancer dans la méditation : « la méditation n'est pas
une pilule du bonheur. C'est une voie qui n'est pas facile tous les
jours. Vous aurez affaire à la peur, à l'angoisse, à la haine et
au ressentiment, à la culpabilité, à la tristesse et au désespoir
et toutes sortes d'émotions négatives ; tout cela fait partie
de votre esprit ! ». C'est comme un guide de montagnes qui
se doit de dire aux gens qu'ils guident : « oui, il y aura
des pentes ardues, des descentes glissantes, des ravins et des
escarpements dangereux ». Les pentes difficiles et les sentiers
étroits le long d'un ravin ne sont pas une contre-indication à la
pratique de la randonnée ! La méditation ne vous guérit pas
du désespoir, c'est juste un moyen d'aller au-delà du désespoir et
de vivre avec ce désespoir.
*****
En
conclusion, je réaffirme que ces quelques pages du rapport de la
Miviludes sont problématiques, qu'il s'agit d'une tentative
malveillante de discréditer l'entièreté de la pratique de la
méditation de pleine conscience comme irrationnelle et dangereuse.
Il m'aurait semblé préférable de faire la part des choses,
d'insister d'emblée sur les différentes conceptions qui sont
regroupées sous le vocable « pleine conscience » et de
préciser des problématiques spécifiques et les remèdes qui
peuvent être apportés pour améliorer la situation. Mais cela n'a
pas été fait dans ce rapport tant était forte la volonté de
jeter le discrédit sur un ensemble de personnes qui sont aussi des
citoyens.
Frédéric Leblanc,
le 5 novembre 2022
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