1ère partie - 2ème partie - 3ème partie - 4ème partie - 5ème partie - 6ème partie - 7ème partie
Philèbe
Philèbe
Le
dialogue commence de manière très étrange, on peut même carrément dire
déroutante, puisque il ne commence pas au commencement, mais alors que le
dialogue a depuis un certain temps été entamé, le temps suffisant pour que
Socrate réussisse à dégoûter Philèbe de continuer à discuter avec lui. Socrate
continue donc à débattre avec Protarque qui reprend à son compte les thèses de
Philèbe sur la question de savoir quel est la chose la plus précieuse : la
sagesse (phronésis) ou les plaisirs
de la vie. Socrate résume donc la conversation avec Philèbe au point où ils en
sont arrivés : « Philèbe
affirme donc qu’est bon pour tout ce qui vit, la jouissance, le plaisir, le
contentement et toutes les affections qui rentrent dans ce genre. Nous
prétendons, au contraire, que ce n’est pas cela et que la sagesse, l’intellect,
la mémoire et tout ce qui leur est apparenté, opinion droite et raisonnements
vrais, ont plus de prix et de valeur que le plaisir pour tous les êtres
capables d’y participer et sont, pour quiconque en sera susceptible, dans le
présent ou dans l’avenir, tout ce qu’il y a de plus avantageux. Ne sont-ce pas
là, Philèbe, nos déclarations de part et d’autre[1] ? »
A partir de ce moment, Philèbe boude dans son coin et n’intervient plus que
sporadiquement.
Mosaïque du sanctuaire d'Aphrodite à Paléa Paphos (Chypre) |
Socrate
souligne la diversité du plaisir que l’on retrouve dans toutes sortes
d’expériences très différentes : le sage peut connaître certains plaisirs
et l’insensé aussi, le tempérant peut goûter des plaisirs calmes tandis que
l’intempérant jouira de plaisirs excessifs. « Un homme a du plaisir quand il vit sans frein, mais le sage a du
plaisir dans la pratique même de la sagesse ; l’insensé à son tour a du
plaisir, si folles que soient les opinions et les espérances dont il est plein,
alors que l’homme sensé trouve sa jouissance dans sa modération même ; or
comment affirmer que ces deux sortes de plaisir sont semblables l’une à l’autre
si l’on ne veut passer à bon droit pour un insensé[2] ? »
Deux couleurs ont ceci de commun d’être des couleurs, mais tout oppose le blanc
au noir. S’ensuit tout un raisonnement sur l’un et le multiple qui débouche à
son tour sur une réflexion sur la limite et l’infinité. L’infini est l’apanage
de ce qui est sujet à des variations de plus et de moins et que l’on ne peut
déterminer quantitativement : « Tout
ce qui nous apparaît comme passant par le plus et le moins, comme susceptible
du violemment, du doucement, de l’excessivement et tous autres caractères
pareils, tout cela nous devons le ranger sous l’unité que constitue le genre de
l’infini[3] ».
La limite, par contre, relève de ce qui reçoit une certaine mesure :
« Tout ce qui n’admet pas ces
caractères et accepte plutôt tous leurs contraires, d’abord l’égal et
l’égalité, puis, après l’égal, le double et tout ce qui se comporte comme
nombre à nombre et mesure à mesure, ne ferons-nous pas bien de compter tout
cela dans la limite[4] ? »
Socrate
et Protarque se mettent ensuite d’accord pour reconnaître chacun que la
solution n’est pas un des deux termes, le plaisir ou la sagesse, mais un mixte
des deux. Des plaisirs sans conscience et sans mémoire nous rabaisserait à
l’état d’éponges ou de moules tandis que une vie de sagesse sans aucun plaisir
ne serait pas vivable. Comme ni le plaisir, ni la sagesse ne sont en soi le
Bien, la question devient dès lors, quel est dans cette vie le facteur le plus
important ?
Socrate
dénombre quatre genres. Les plaisirs sont établis comme du genre infini,
puisque les intempérants sont toujours insatiables et avides de nouveaux
plaisirs, tandis que la sagesse s’inscrit dans le genre de la limite. « Car c’est la déesse[5]
elle-même, mon cher Philèbe, qui, voyant comment la démesure et la perversité
universellement répandues ne souffrent aucune limitation des plaisirs et des
assouvissements, posa la loi et l’ordre, porteurs de la limite ;
correction que tu prétends destructrice et que, moi, j’appelle salutaire[6]. »
Le troisième genre, c’est le mixte entre plaisirs et sagesse. Le quatrième
genre, c’est la cause ou producteur des trois premiers genres.
Platon
se livre donc à une description des différents plaisirs et des différentes
sciences[7] ;
puis il réfléchit sur ce mélange idéal entre plaisirs et sagesse : « Quant au mélange à faire de la sagesse et du
plaisir, dire que nous voici comme des fabricants devant les matériaux à
travailler et brasser pour quelque production, et ce serait user d’une juste
comparaison[8] ». C’est donc
tout un art et un savoir-faire que de parvenir à réaliser la vie bonne et juste
grâce au sens des mesures et des proportions justes. « Nous voyons donc que la puissance du bien
s’est réfugiée dans la nature du beau, car la mesure et la proportion réalisent
partout la beauté et la vertu[9] ».
S’ensuit
donc au final cette hiérarchie de ce qui est nécessaire pour la vie bonne (66
a-c) :
-
1) la mesure, le mesuré.
-
2) la proportion, la beauté, la perfection,
l’efficacité.
-
3) l’intellect et la sagesse.
-
4) les possessions réservées à l’âme seule :
sciences, art, opinions droites.
-
5) les plaisirs (dont certains peuvent s’avérer
trompeurs et néfastes).
[1] Platon, « Philèbe », traduction d’Auguste Diès, Les Belles Lettres,
Paris, 1941, 11 b-c.
[2] Platon, ibid.,
12 c-d.
[3] Platon, ibid.,
24 e-25a.
[4] Platon, ibid.,
25 a-b.
[5]
Aphrodite. L’Aphrodite selon Socrate connaît la mesure dans les voluptés tandis que
l’Aphrodite selon Philèbe veut jouir
sans entrave.
[6] Platon, ibid., 26 b.
[7] La plus haute des sciences est
celle qui porte sur l’être véritable, immuable, qui demeure toujours dans le
même état, sans aucun mélange. Intellect et sagesse sont les noms de ces
sciences : « Les noms les plus
honorables ne sont-ils pas ceux d’intellect et de sagesse ? Oui. C’est
donc, appliqués aux pensées qui portent sur l’être véritable (on ontôs), qu’ils
auront leur sens exact et leur droit usage » (59 c-d).
[8] Platon,
ibid., 59 d-e.
[9]
Platon, ibid., 64 e.
1ère partie - 2ème partie - 3ème partie - 4ème partie - 5ème partie - 6ème partie - 7ème partie
Textes et essais sur la philosophie gréco-romaine ici.
1ère partie - 2ème partie - 3ème partie - 4ème partie - 5ème partie - 6ème partie - 7ème partie
Praxitèle, Aphrodite de Cnide, Glytothèque de Munich |
Textes et essais sur la philosophie gréco-romaine ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire