La notion
de sagesse
chez les philosophes grecs.
Introduction.
Avant
l’apparition de Socrate et de ses grands disciples, le terme « sophia » a surtout une connotation
de « savoir-faire », le sage,
le « sophos », est celui
qui est habile dans tel ou tel art. Ainsi
sophia s’applique dans le métier du charpentier au savoir-faire dans la
construction, mais elle touche également dans l’art de la lyre le savoir-faire
musical. Néanmoins, dans un monde imprégné du religieux, ces savoir-faire ne
sont jamais étrangers au concours et à l’inspiration des dieux. Ainsi Homère
dans l’Iliade attribue le talent du charpentier à Athéna « qui s’y connaît
en toute sophia » et la
virtuosité du joueur de lyre à Hermès[1].
La révélation des secrets de fabrication ainsi que la compétence dans des
domaines que l’on tiendrait aujourd’hui pour complètement profanes relève de la
bienveillance et de la grâce divine. L’inspiration poétique ou lyrique tient
aussi de cette sophia qui accorde à
l’aède inspiré une puissance visionnaire qui transforme les cœurs et les
conduit à une réalité cosmique supérieure en leur faisant voir « ce qui
est, ce qui fut et ce qui sera ». On voit là en filigrane un thème
important de la philosophie grecque : élever son âme vers les cieux divins
non plus par des élans lyriques, mais par des exercices de contemplation.
La sophia est aussi l’habileté dans les
relations avec autrui. C’est également l’art de donner de bonnes lois et une
bonne constitution à une Cité, ainsi les sept Sages d’Athènes qui ont bâti la
démocratie athénienne. Cette acceptation de la sagesse se retrouve encore de
nos jours dans ce qu’on appelle un « conseil des sages » pour statuer
sur des questions de bioéthique par exemple. On pense par là à une assemblée de
spécialistes en biologie, en manipulation génétique, en recherche
pharmaceutique auxquels vient éventuellement s’ajouter l’un ou l’autre
philosophe ou juriste, dont on apprécie les compétences mais aussi une certaine
qualité de sérieux et de respectabilité, qui s’est dessinée au cours de la
carrière dudit « sage ». Cette conception de la sophia doit se comprendre dans le projet d’autonomie grecque et le
passage du mythos au logos que les physiciens comme Thalès où
le sage est expert dans les domaines de la connaissance de la nature. A sa
suite, Parménide, Héraclite ou Empédocle enseignent une sophia en tant que connaissance qui s’oppose aux opinions de la foule
ignorante de ce qui est réellement.
Cette attitude de
ramener la sophia dans la sphère
profane culmine chez les sophistes pour qui la sophia est un savoir-faire dans
la vie politique avec tout ce que cela comporte de rhétorique et de culture
générale. Ce n’est même plus une connaissance qui s’oppose à la doxa, c’est
l’habilité même à naviguer dans la doxa. Comme disait l’épitaphe de
Thrasymaque : « Mon métier,
c’est la sophia[2]. » Dans un
monde où le profane prend ses distances du sacré, Socrate va réagir à
l’encontre de cette laïcisation de la sagesse en lui donnant un sens plus
restreint et en lui refusant ce statut de savoir-faire (les dieux se retirent
du savoir-faire du charpentier et de la réussite sociale ou politique) et en la
redressant dans un sens plus éthique et plus sacré, et aussi plus mystérieux,
plus étranger au destin des simples mortels. Cette conception n’est nulle part
mieux exprimée que dans Le Banquet de
Platon.
Voir la suite ici : "Le Banquet" de Platon
[1] Pierre Hadot, « Qu’est-ce que la philosophie antique ? »,
(La notion de sophia), pp. 39-45, Gallimard, Paris, 1995.
[2] Pierre Hadot, ibid., p. 45.
1ère partie - 2ème partie - 3ème partie - 4ème partie - 5ème partie - 6ème partie - 7ème partie
Textes et essais sur la philosophie gréco-romaine ici.
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