Sur
BFM TV hier, la ministre française du travail, Myriam El Khomri
était l'invitée du journaliste Jean-Jacques Bourdin. Au cours de
l'interview, alors qu'ils étaient en train de parler de la réforme
du code du travail, de sa simplification et du CDI, le journaliste a
tout d'un coup bifurqué et posé à brûle-pourpoint une question
sur le nombre de fois qu'un CDD peut être renouvelé. La ministre
s'est alors embourbé dans des bafouillages et autres hésitations
pour finir par avouer son ignorance sur ce point précis. La vidéo a
immédiatement le « buzz » comme on dit. Et j'ai pu
constaté que chacun allait de son commentaire haineux sur les
réseaux sociaux. C'est par rapport à ces commentaires de mépris
édictés par le beauf' moyen facebookien que je voudrais réagir.
Il
est facile en effet de se gausser de la ministre El Khomri en se
gaussant de son « incompétence » ou de son
« ignorance », mais ceux qui hurlent avec les loups
aujourd'hui auraient-ils fait mieux ? Ceux qui taxent la
ministre d'incompétente, qui lui demande de « se mettre au
travail » connaissaient-ils la réponse à la question de
Bourdin ? Auraient-ils été capables d'expliquer en long et en
large le code du travail français qui fait plus de 3000 pages quand
même ? Ce que je trouve sidérant, c'est la facilité avec
laquelle on sombre dans la vile démagogie : les politiciens qui
sont tous pourris, tous incompétents, tous ignorants, qui « ne
connaissent rien du quotidien des 5 millions de chômeurs en
France ». Ce sont les mêmes qui traitent les chômeurs de
fainéants, d'assistés et de profiteurs du système.
Sur
Facebook, tout le monde se croit super-intelligent, mais on ne se
rend pas compte de la manipulation grossière du « journaliste »
Bourdin et de sa chaîne BFM TV. Myriam El Khomri est tombée de
manière évidente dans un piège, mais cela le beauf' moyen
facebookien ne le voit pas, trop content de pouvoir défouler son
mépris en paroles injurieuse à l'égard de la ministre, du PS, du
gouvernement ou de la classe politique toute entière. Comme il est
facile de manipuler les masses ! Hier, on répandait sa haine et
sa frustration au bistrot du quotidien. Aujourd'hui, on se défoule
sur internet et les réseaux sociaux, guidés en cela par les gens
qui fabriquent au jour le jour notre consentement à un système
injuste.
Entendez-moi
bien : je ne suis pas a priori un supporter de la
ministre El Khomri, ni du parti socialiste français. Mais quand on
dit d'une personne qu'elle est incompétente, j'attends des preuves,
et des preuves nettement plus solides que celle de l'incapacité de
répondre à une question malveillante du présentateur Bourdin.
J'insiste sur le fait que Bourdin a clairement bifurqué du sujet
pour poser à l'improviste une question technique. Le tort de Myriam
El Khomri, ce n'est pas de ne pas connaître la réponse exacte (ou
plus exactement d'être imprécise sur la question). Bernard
Cazeneuve a bien fait de dire qu'une interview politique ne devrait
pas se résumer à un Trivial Poursuite où toute mauvaise réponse
est immédiatement sanctionnée. Si on regarde l'entièreté de
l'interview (ce que peu de gens et peu de journalistes ont fait), on
voit que Myriam El Khomri répond sans problème à Jean-Jacques
Bourdin et qu'elle connaît ses dossiers. Le tort de Myriam El
Khomri, c'est l'erreur de communication magistrale d'être tombée la
tête la première dans le piège de Bourdin. Probablement un manque
d'expérience. Un vieux briscard de la politique ne serait pas tombé
dans le panneau. Mais cela ne remet en question ni sa compétence, ni
son honnêteté.
Je
n'entends en fait personne m'expliquer en quoi ne pas connaître la
réponse à la question de Bourdin est un enjeu fondamental pour la
politique française. Y a-t-il un débat sur la question ? Y
a-t-il des revendications des travailleurs précaires qui sont
touchés par ces mesures ? Y a-t-il des propositions par les
syndicats ou par les organisations patronales pour augmenter ou
diminuer le nombre de fois où un contrat en CDD peut être
renouvelé ? Personne dans l'agitation médiatique autour du
cafouillage de Myriam El Khomri ne met en perspective cette question
qui me paraît quand même élémentaire ! Cela montre bien que
l'intervention de Jean-Jacques Bourdin ne visait pas l'utilité de
remonter le niveau du débat dans la politique française sur la
question de la réforme du code du travail, mais bien de créer le
buzz au dépens de la ministre du travail !
Il
faudrait donc interroger la réforme avancée par Myriam El Khomri en
elle-même, voir ce qui est positif ou négatif de manière
minutieuse. Mais c'est un sujet vraisemblablement ennuyeux qui
demanderait trop de travail aux journalistes français, eux qui
préfèrent jaser à longueur de journée sur un bref échange verbal
dans lequel Bourdin est sorti victorieux. Bourdin a peut-être
ridiculisé pour le coup la ministre et j'imagine qu'il doit savourer
sa passe d'armes, mais il n'a en rien montré l'inanité de la
réforme du du ode du travail. C'est cette réforme qu'il faudrait
questionner et pas les prouesses rhétoriques de Myriam El Khomri (ou
son manque de prouesse rhétorique). Je n'ai pas étudié le dossier,
mais comme cette réforme est téléguidée visiblement par Manuel
Valls et par Emmanuel Macron, on peut s'attendre à quelque chose qui
ait dans le sens du social-libéralisme. Est-ce une bonne chose pour
la France et les travailleurs de France ? Je l'ai l'impression
que non, mais je laisserai ici le débat en suspens. Je me
contenterai de pointer du doigt le fait que c'est par là que doit
s'orienter le débat et vers là aussi que la pédagogie des
journalistes devraient s'exercer : expliquer aux travailleurs
les enjeux sociaux, économiques et politiques à l’œuvre derrière
cette réforme.
Et
c'est cela qui est problématique dans le journalisme aujourd'hui, au
lieu de fournir des études détaillées et démonter les mécanismes
qui créent de l'injustice ou de l'inégalité dans le pays, on
préfère se gausser d'un bon mot d'un politique, rire de la
maladresse d'un autre, ricaner quand la réputation d'un autre est
salie pour une affaire qui n'a rien à voir avec la politique. Tout
n'est qu'un spectacle, une comédie où seule compte la qualité des
communicants qui sont derrière vous. Après, les véritables
problèmes du petit peuple, ça, on s'en fout. On prétend devant les
caméras que l'on n'a que ça en tête, mais tant les journalistes
que les politiques ne se préoccupent de rien d'autre que de ce show
politique permanent. Et ils auraient tort de ne pas s'y plier puisque
les citoyens sont avides à la télévision ou sur les réseaux
sociaux de ce spectacle où tout est résumé à un slogan, un bon
mot ou un cafouillage.
Il
me semble que la sagesse voudrait que, dans cette histoire, l'on en
se mette pas à crier avec les loups. Être un citoyen ou une
citoyenne exige que l'on relève le niveau du débat et qu'on fasse
effort pour comprendre les enjeux économiques, politiques, sociaux
ou écologiques qui se cachent derrière chaque réforme. Et si l'on
n'a pas fait cet effort, qu'on ne se mette pas à crier avec tout le
monde, parce qu'en l'occurrence n'est pas celui ou celle qu'on accuse
d'ignorance, mais bien nous-mêmes qui avons la bêtise de nous
croire supérieur à ces hommes ou femmes politiques, alors que nous
ne sommes que des moutons bêlants parmi d'autres dans le troupeau.
Frédéric Leblanc
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