Question
au maître zen Shunryu Suzuki :
« Mais
quand vous méditez, vous allez à l'intérieur, n'est-ce pas? »
Shunryu
Suzuki :
« Non
pas à l'intérieur, ni à l'extérieur. Juste ouvert. »
Vassily Kandinsky, Mouvement, 1935. |
On
décrit souvent la méditation bouddhiste comme un art de cultiver
son intériorité. Méditer reviendrait alors à aller le
profondément à l'intérieur de soi-même. L'image est que nous
avons un corps avec son extérieur (la peau, l'apparence physique) et
son intérieur (le cœur et les organes, la sang et les artères, la
moelle et les os), et à l'intérieur de cet intérieur du corps se
trouverait notre âme, notre conscience, notre « Soi »,
une sorte de royaume mi-obscur, mi-lumineux à découvrir au plus
profond de soi-même. Mais cette vision, pourtant profondément
inscrite dans notre culture, n'a peut-être rien de vrai. La vérité
de notre conscience ne se trouve ni à l'intérieur, ni à
l'extérieur.
« Intérieur »
et « extérieur » sont avant tout des notions relatives.
Si je dis : « je suis à l'extérieur de la salle de
bain », « extérieur » se rapporte à un ailleurs
de la salle de bain, je suis peut-être toujours à l'intérieur de
la maison, dans le salon ou la cuisine par exemple. Je veux peut-être
dire que j'ai déjà pris mon bain et que je n'ai plus de raison de
me trouver à cet instant précis dans cette pièce de la maison. Si
je dis maintenant que je suis à l'extérieur de chez moi, dans la
rue par exemple, j'indique du même coup que je suis à l'intérieur
de la ville. Si je sors m'aérer dans les bois à l'extérieur de la
ville, je reste à l'intérieur du pays. « Intérieur »
et « extérieur » sont donc bien des concepts relatifs à
un repère géographique. De même quand j'invoque cette notion pour
décrire mon expérience, « intérieur » et « extérieur »
peuvent désigner des choses différentes selon le point de vue
précis que j'adopte dans l'instant présent : le corps peut à
un moment désigner une intériorité par rapport au monde extérieur
et désigner le moment d'après une extériorité dès lors que je
conçois mon corps séparé de mon esprit : « j'ai un
corps » implique un phénomène mental appelé « je »
qui possède un corps extérieur. Spinoza critiquait cette idée de
l'intériorité de l'esprit autonome par rapport à la réalité
physique du corps. « L'homme
n'est pas un empire dans un empire »,
disait-il. Pour lui, une réalité spirituelle indépendante et libre
dans sa volonté n'existait pas inscrite dans un corps, petite partie
d'un ensemble physique beaucoup plus vaste.
La
tendance à concevoir la conscience comme intériorité est elle-même
problématique, parce que la conscience peut être conscience du
monde, conscience des paysages que je vois, conscience des sons de
mon environnement, et l'imagination peut m'amener à me représenter
d'autres mondes. En quoi la conscience se cantonnerait-elle donc à
l'intériorité ? C'est pourquoi dans la méditation il vaut
mieux ne pas s'enfermer ni dans l'intériorité, ni dans
l'extériorité, mais bien s'en tenir de manière équanime à
l'ouvert. Rester ouvert face à tout ce qui se manifeste qui peut
être le signe d'une intériorité profonde ou au contraire des
sensations et des perceptions provenant des stimuli les plus banals
du monde physique, une goutte de pluie qui tombe du toit, le murmure
de la source, l'envers et l'endroit d'une feuille qui tombe ou la
fragilité d'une fleur...
C'est
ce processus d'attention sans jugement qui constitue la méditation
bouddhique. Il faut abandonner la tendance conceptuelle à toujours
coller des repères sur le réel, notamment ces notions d'intérieur
et d'extérieur qui sont des ressorts puissants vis-à-vis de la
dualité que nous entretenons avec le monde. L'idéal en méditation
est de laisser passer ces concepts sans s'y attacher et de contempler
la formidable ouverture silencieuse qu'est l'instant présent.
Shunryu Suzuki (1904-1971) |
À
tout seigneur, tout honneur (ou plutôt : à tout senseï, tout
honneur) : la citation de Shunryu Suzuki et sa photo proviennent
du site « Eveil et Philosophie » de José Le Roy :
J'invite
tout le monde à aller y lire le commentaire personnel de José Le
Roy.
Voir aussi à propos de Shunryu Suzuki:
- Esprit du débutant
Sur la perception des choses extérieures dans le Chan et le Zen, mais aussi dans les autres courants du Dharma, voir aussi:
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du Chan et du Zen ici: 禪
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Vassily Kandinsky, Ensemble multicolore, 1938. Musée National d'Art Moderne de Paris |
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