Pages

dimanche 14 février 2016

Les animaux et la société des hommes




   Il y a quelques jours j'ai reçu une critique négative concernant un de mes articles intitulé « L’œuf et la poule ». Tout le sujet de l'article tournait autour d'un débat entre véganes qui peut se résumer en une question : « Si un végane recueille des poules dans son jardin, est-ce qu'il est mal de manger les œufs que la poule (sans qu'on ait évidemment exercé de contrainte sur la poule pour qu'elle ponde)? ». Certains véganes disent que non, d'autres comme moi qu'il n'y a pas de mal à en consommer, même si ce n'est pas une nécessité. Dans la mesure où on ne fait pas souffrir inutilement la poule et où on ne l'exploite pas non plus, il me semble qu'on peut manger ces quelques œufs sans commettre de faute morale. J'insiste sur le fait que c'est dans ce cas précis et sur le fait que ce cas précis est très marginal si l'on envisage la totalité de la production des œufs dans le monde.

   Dans l'article, je reprenais les arguments qui revenaient souvent contre la consommation de ces œufs. Un de ces arguments avancé par Gary Francione est que la domestication des animaux est par essence une mauvaise chose. Il y a de mauvaises choses dans la domestication des animaux, des abus de toutes sortes effectivement, mais cela ne veut pas dire qu'avoir des animaux chez soi est nécessairement une mauvaise chose. Un des arguments était que si la domestication est si mauvaise, pourquoi nos compagnons comme les chiens et les chats ne s'échappent pas dès qu'on leur en donne l'occasion. La plupart des maîtres permettent en effet à leur chat de partir en vadrouille dans les jardins des voisins. Et quand on promène son chien, on le lâche souvent pour qu'il aille courir et gambader librement dans un parc. S'ils étaient si malheureux de leur situation d'animal domestiqué, pourquoi ne s'échappent-ils pas vers la liberté et la vie au grand air ?





     Cet argument n'a pas plu à un lecteur (ou une lectrice) qui m'a écrit il y a deux ou trois jours : « Je tiens à répondre tout de même directement à votre argument, qui m'a choqué, disant que si les animaux de compagnie étaient si mal lotis ils n'avaient qu'à prendre la poudre d'escampette: c'est totalement stupide. C'est comme si vous passiez d'un mode de vie domestique à un mode de vie sauvage. A notre échelle d'êtres humains, c'est comme si on partait vivre dans une forêt reculée de toute civilisation. Les animaux de compagnie sont nés dans une espèce de prison et ils n'ont même pas conscience qu'une liberté existe. Ils ne survivraient pas en liberté ». Il me semble qu'au contraire ce que je dis est parfaitement cohérent, la liberté pour un animal, c'est la vie sauvage. Certains chats quittent leur foyer pour redevenir des chats sauvages. Mais peu le font. La plupart des chats restent à ronronner à la maison. En ce qui concerne les animaux humains, il y a aussi effectivement la possibilité de revenir à une vie sauvage, par exemple à allant vivre dans des bois reculés, loin de toute civilisation. Là-bas, il n'y aura plus de contrainte, plus d'horaire ou de règlement à respecter. On fait ce qu'on veut quand on le veut. La liberté, quoi ! Mais peu d'humains optent pour cette liberté. Pourquoi ?
  • Parce qu'on a peur de ne pas trouver de quoi manger pendant toutes les saisons de l'année.
  • Parce qu'on a peur de souffrir du froid.
  • Parce qu'on a peur de tomber malade ou de blesser et de ne pas disposer des moyens modernes de guérison dont disposent les médecins et les hôpitaux.
  • Parce qu'on a peur de perdre son petit confort et de la qualité de vie.
  • Parce qu'on a peur de perdre nos liens sociaux avec nos congénères humains.
  • Parce qu'on a peur d'être loin des gens qu'on aime : nos parents, nos enfants, nos amours, notre chien Rocky ou notre chat Charlie...
  • Parce qu'on a peur de s'ennuyer comme un rat mort au milieu de sa forêt où il n'y a pas grand-chose à faire le samedi soir.
  • Parce qu'on a peur de rater la dernière saison de « Games of Thrones » ou de « The Walking Dead »...
 
    On peut aussi renvoyer à l'histoire vraie de Christopher McCandless qui est allé vivre dans les bois au fin fond de l'Alaska. On lui a consacré une biographie intitulée « Into the wild » dont Sean Penn a fait un film. Son histoire est interpellante à bien des égards, mais toujours est-il qu'elle s'est très mal terminée pour le jeune homme. Mc Candless est mort de faim et dysenterie dans un paysage époustouflant. Preuve s'il est que la Nature peut être absolument impitoyable. C'est pourquoi les animaux humains se sont regroupés entre eux pour s'unir contre les rigueurs de la Nature. Et les autres animaux ne font pas autre chose quand ils restent sagement à la maison, bien au chaud, avec de la nourriture dans leur bol tous les jours. Nous, les humains et les animaux domestiques, nous troquons notre liberté totale contre la protection, la sûreté et la liberté relative que nous offre la civilisation. En fait, la liberté qu'offre la Nature est faite elle aussi de toutes sortes de contraintes : trouver de la nourriture, se protéger du chaud et de froid, se prémunir contre les intempéries, la neige et la glace. Et cette contrainte est finalement plus dure que la contrainte qu'il y a à vivre dans les sociétés des hommes !

    La personne qui me critique dit que les animaux de compagnie ne savent pas ce qu'est la liberté. Il me semble au contraire que les animaux de compagnie ont une conscience très nette de ce qu'est la liberté et l'emprisonnement. Mettez votre chat dans la petite cage dont on se sert pour aller chez le vétérinaire et vous verrez qu'il n'aime pas vraiment cela. Tout comme vous d'ailleurs. Les chats aiment sortir du domicile pour goûter à la liberté de manière temporaire. Les animaux enfermés dans les cages dans les zoos ou dans les cirques ne sont pas heureux de leur situation. Les animaux ne sont bien sûr pas capables de mener une réflexion philosophique sur la liberté. Mais ils ont une compréhension intuitive de ce qu'est la liberté et de ce qu'est la privation de liberté. La vie en tant qu'animal domestique prive de certaines libertés, mais en permet d'autres, en plus d'accorder un certain confort et une certaine sécurité.

    Les chats peuvent souvent quitter le domicile de leur maître et ils ont donc la possibilité de ne pas revenir. Ils ont cette liberté-là, certains la prennent. Mais la plupart des chats ne la prennent pas par attachement à leur confort et à la chaleur du foyer, par attachement aussi à leurs maîtres. Au fond, les humains sont dotés de cet outil tellement utile qu'on appelle « des mains » et dont l'utilité principale est de caresser doucement le chat, en-dessous des oreilles, dans le creux du cou et sur le crâne notamment ! Les animaux de compagnie ont donc un intérêt évident à cohabiter avec l'homme. En cela, ce type de domesticité ne me pose pas de problèmes. Pourquoi les humains ne pourraient pas avoir des chiens, des chats ou des poules comme animal de compagnies du moment qu'ils les traitent bien ? Un monde végane ne serait pas exempt de ce type de domesticité : pourquoi faudrait-il rompre tous les liens que nous avons avec les animaux ? Notre relation aux animaux n'est pas motivée nécessairement par l'exploitation et la domination monstrueuse comme le pense Gary Francione.

    Tout autre chose évidemment est la domestication des animaux d'élevages comme les porcs et les moutons que l'on élève dans le seul but de les manger ou la domestication des animaux de traits comme les chevaux ou les bœufs qui est souvent une relation d'esclavage total, sans égard pour la subjectivité de l'animal. Cela évidemment, il faut le refuser. C'est une exploitation inacceptable. Mais je ne suis pas contre une relation plus juste avec les animaux. Ils doivent devenir des animaux de compagnie avec qui on coopère et avec qui on entretient une relation d 'amitié et de bienveillance.

    C'est plus facile avec les chiens et les chats, car depuis la préhistoire nous coopérons avec eux : les hommes se sont rendus compte qu'à la chasse ils pouvaient gagner à s'allier avec les loups, prédateurs redoutablement efficaces. Au lieu de rivaliser dans la chasse, hommes et loups pouvaient s'entraider et additionner leurs qualités respectives, l'organisation et les armes à distance pour les uns, l'odorat et l'endurance des autres. Certains loups ont accepté cette collaboration et sont devenus des chiens, les autres ont préservé leur liberté et sont restés des loups. Pareillement, les chats étaient d'intéressants petits félins qui chassaient les souris, les rats et autres rongeurs qui dévastaient les réserve de blé et de grain dans les premiers temps de l'agriculture. Les hommes ont compris très vite le parti qu'ils pouvaient avoir à laisser chez eux ces félins. De fait, la relation que les hommes dans beaucoup de culture ont avec le chien ou la chat est plus pacifiée qu'avec d'autres animaux qui subissent systématique soit l'esclavage, soit l'élevage et l'abattage, soit les deux. Cela ne veut évidemment pas dire que la situation est idéale pour eux : dans certaines cultures, asiatiques notamment, on mange les chiens, de manière générale, beaucoup d'animaux domestiques sont maltraités et/ou abandonnés... Il y a encore beaucoup de choses à faire pour leur bien-être. En outre, il vaut mieux ne pas acheter des animaux de compagnie (chien, chat, poule ou autres...), mais adopter des animaux abandonnés, parce que le commerce des bêtes est souvent très douteux sur le plan moral....



     Néanmoins, il me semble que l'on peut raisonnablement envisager une relation avec les animaux de compagnie qui soit juste et qui apporte des bienfaits tant aux animaux qu'aux animaux. Et si d'autres animaux comme les poules deviennent eux aussi des animaux de compagnie que l'on va aimer et protéger de notre mieux, je n'y vois rien à redire. Je pense que Gary Francione se trompe lourdement quand il avance que la domestication est systématiquement un mal. Les animaux peuvent cesser d'être des machines à produire de la chair, des œufs ou qui sont exploités pour leur force physique pour devenir des compagnons qui ont pleinement leur place dans la société des hommes.














Lire l'article "L’œuf et la poule" ici.


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.

2 commentaires:

  1. Bien d'accord.
    La Nature (la culture aussi dans une certaine mesure en fait, les deux entretenant évidemment des liens plus étroits que les oppositions factices ne le laissent penser), c'est d'abord et surtout un monde de prédation avant que d'être un monde de liberté. La liberté, c'est magnifique dans l'idée, mais combien d'humains seraient-ils prêts à vivre à l'état sauvage ? Vivre libre, sous-entendu à l'état sauvage, pour être heureux est pour une large part une construction conceptuelle confinant au mythe et à l'idéalisation d'un état, aussi bien pour les animaux non-humains que pour les humains. Vivre à l'état sauvage, c'est surtout vivre dans la peur à chaque instant de se faire bouffer et dans la nécessité de bouffer les autres (pour les omni- ou carni-vores en tous cas), en tous les cas une lutte pour la survie. Bref, c'est une vision très idéalisée et liée à notre époque de la liberté que l'on a comme une sorte d'état idéal franc de toutes entraves alors que c'est justement tout le contraire dans la Nature. La Nature n'est pas pour autant le mal absolu, on y trouve d'autres choses que la prédation heureusement, mais ce n'est certainement pas l'état idéal décrit par certains.
    Quant à la domestication, ce n'est pas un mal en soi en ce sens qu'elle a dû apparaître de manière opportuniste (corrigez-moi si je me trompe), des animaux (non-humains) et des humains s'approchant par intérêt, comme il existe des symbioses dans le règne animal. C'est seulement après que l'exploitation peut commencer, ou non, mais la domestication n'est manifestement pas une exploitation en soi. Je pensais à des associations opportunistes entre humains et animaux comme c'est le cas chez cette peuplade indienne, me semble-t-il, qui cohabite avec des crocodiles où les crocodiles laissent les humains tranquilles -les enfants jouent même avec eux- moyennant le fait que les humains les alimentent (c'est là le gros hic éthique évidemment car ils les alimentent avec des poulets mais il existe d'autres cas de cohabitations sans ce problème auxquels je ne pense pas là) ce qui me semble constituer un début de domestication, ou d'apprivoisement disons.

    Je n'encourage pas du tout pour autant la possession d'animaux domestiques aujourd'hui en ce sens que cela alimente nécessairement le commerce, la reproduction lucrative des animaux domestiques et donc leur exploitation. Néanmoins, si jamais quelqu'un recueille une malheureuse poule qu'il a éventuellement sauvée d'un abattoir, je ne vois absolument rien d'immoral à manger le œufs qu'elle pond sauf à suivre religieusement des préceptes prédéfinis dans une hypothétique sainte bible végane qui n'existe pas, sans discernement aucun, bien qu'il soit également possible de laisser ces oeufs à la nature (l'un dans l'autre, peu importe qui les mange, sauf que ces oeufs seront en effet peut-être plus utiles à des animaux sauvages en quête de pitance). Par ailleurs, la question est bien dérisoire compte-tenu de l'extrême marginalité du cas, les vegans n'achetant pas des poules quoi qu'il en soit mais pouvant hérités d'une poule par hasard. Idem pour les autres animaux d'ailleurs, je ne vois pas en quoi recueillir des chats, chiens, oiseaux fortuitement, les héberger et les nourrir constitue une exploitation en soi, je ne comprends la domesticité comme exploitation que si elle alimente le commerce mais je m'oppose nettement à cette croyance en une pureté et liberté absolues de l'état sauvage qui, au contraire, est avant tout contrainte - ou alors liberté mais de se faire bouffer (quel gâchis de vie dans ce monde punaise, combien de survivants parmi les êtres qui sont nés ?).
    Voilà, vous aurez compris que je m'élève nettement contre le mythe d'une nature idéalisée, essentialisée, où la liberté serait le maître mot. La liberté provient d'abord d'une condition minimale de sécurité.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour votre message. Je pense effectivement qu'il vaut mieux recueillir des animaux abandonnés dans les refuges plutôt que de contribuer à un commerce qui a beaucoup d'aspects sombres.
      Par ailleurs, j'aime bien votre dernière phrase : "La liberté provient d'abord d'une condition minimale de sécurité", qui pousse à la réflexion.
      Enfin, je pense effectivement que la relation entre les humains, les chiens et les chats a été d'abord une association opportuniste à la différence des porcs (sangliers) et des poules où cela a d'emblée été une exploitation.
      Quant à domestiquer un crocodile chez moi, j'hésiterai, surtout que je n'ai que des croquettes véganes à lui offrir. :-)

      Supprimer