L'empathie
est la capacité de se mettre à la place de l'autre et de comprendre
intimement ce qu'il ressent. L'empathie est essentielle dans les
sociétés humaines pour communiquer et souder chaque membre de la
communauté les uns aux autres. L'empathie est souvent décrite par
les évolutionnistes comme la source de la morale et de l'altruisme.
Pour autant, l'empathie ne conduit pas nécessairement à une
conduite éthique remarquable et à l'altruisme désintéressé. Une
personne manipulatrice peut avec l'empathie comprendre le désarroi
d'une personne et utiliser cette compréhension de ses états mentaux
pour mieux la contrôler. Il est donc important de comprendre ce
phénomène de l'empathie et de comprendre quand l'empathie est un
facteur propice à l'apparition de l'altruisme et la volonté de
faire le bien autour de soi. Daniel Batson a découvert 8 types
d'empathie. Je les expose tel que Matthieu Ricard les expose dans son
ouvrage « Plaidoyer pour l'altruisme » (éditions
NiL, Paris, 2013, pp. 56-60).
Ces
8 types d'empathie sont :
- 1°) la connaissance de l'état intérieur de l'autre
- 2°) l'imitation motrice et cérébrale
- 3°) la résonance émotionnelle
- 4°) se projeter intuitivement dans la situation de l'autre
- 5°) se représenter le plus clairement possible les sentiments d'autrui
- 6°) imaginer ce que nous ressentirions si nous étions à la place d'autrui
- 7°) la détresse empathique
- 8°) la sollicitude empathique
1°)
La connaissance de l'état intérieur d'une personne
nous permet de comprendre ce que l'autre ressent grâce aux signes
qu'il donne et qui indiquent cet état présent : grimace,
pleurs, agitation.... Cette connaissance peut nous conduire à
vouloir aider quelqu'un, mais pas nécessairement : on peut très
bien croiser quelqu'un qui pleure dans la rue. On sait que cette
personne est malheureuse, mais on peut très bien rester complètement
indifférent au sort de cette personne.
2°)
L'imitation motrice et cérébrale est un comportement
très courant. Quand nous regardons quelqu'un accomplir une action ou
exprimer quelque chose, notre esprit tend à imiter ce que nous
venons de voir, comme si nous accomplissions nous-mêmes l'action
alors que nous restons immobile. Ce phénomène est en partie causé
par les neurones-miroirs. Cette imitation motrice et cérébrale est
essentielle dans les processus d'apprentissage : le bébé
regarde les adultes autour de lui se déplacer debout et agiter les
lèvres, ce qui lui donne envie de se mettre sur ses deux jambes et
de commencer à babiller pour imiter les grands. Progressivement,
l'enfant finira par parler et s'exprimer dans la langue de ses
parents.
Mais
pour autant, cette imitation motrice et cérébrale peut être
ambivalent du point de vue du développement de l'empathie et de
l'altruisme : cette imitation peut contribuer créer de la
contagion émotionnelle. Dans la contagion émotionnelle, on ressent
ce que l'autre ressent, mais sans faire clairement la distinction
entre soi-même et autrui. L'exemple typique est celui d'un bébé
qui se à pleurer uniquement parce que le bébé d'à côté se met à
pleurer aussi. La contagion émotionnelle est problématique du point
de vue du développement de l'altruisme parce que quelqu'un qui est
dans cet état risque de se refermer sur lui-même et mettre en place
des stratégies d'évitement pour ne pas être confronté à la
détresse de l'autre.
En
outre, cette imitation motrice et cérébrale se focalise sur les
personnes que l'on considère les plus intéressantes ou les plus
importantes à nos yeux. Nous scrutons frénétiquement les faits et
gestes de notre footballeur préféré lors d'un match, mais rien ne
dit que l'on imitera les personnes venant en aide aux autres comme
une infirmière par exemple.
Robert Doisneau |
3°)
La résonance émotionnelle nous permet de ressentir ce
que l'autre ressent. Nous éprouvons de la joie devant les
expressions de joie et de bonne humeur de nos camarades. Par exemple,
quand des supporters exultent tous ensemble de joie quand leur équipe
vient de marquer un goal. À
l'inverse, on peut se sentir abattu quand on se retrouve en présence
de personnes qui viennent de connaître une tragédie. Cette
résonance émotionnelle est toujours une approximation : on ne
vit jamais exactement la même expérience qu'une autre personne et
on ne se met jamais totalement à sa place.
Comme
l'imitation motrice et cérébrale, la résonance émotionnelle peut
conduire à la contagion émotionnelle plus qu'à l'empathie
proprement dite. On peut se sentir accablé par un trop-plein
d'émotions incontrôlables. Si quelqu'un est terrifié et que l'on
est dans la résonance émotionnelle, on risque d'éprouver soi-même
de la peur, de paniquer soi-même et de ne penser qu'à sa propre
survie. Dans l'imitation, on imite les réactions de l'autre comme le
bébé qui pleure quand il voit un autre bébé pleurer, sans être
malheureux lui-même. Dans la résonance émotionnelle, on ressent
l'émotion, on est triste de la tristesse d'autrui, même si on ne
pleure pas nécessairement. Cela peut conduire à l'altruisme, mais
pas dans tous les cas. On n'est parfois pas capable d'affronter en
face la détresse d'autrui si on la ressent soi-même. On se replie
alors sur soi-même. L'altruisme ne nécessite pas absolument
d'éprouver tout ce que l'autre ressent : il faut juste être
conscient de la douleur ou la tristesse d'autrui et vouloir y
remédier.
4°)
Se projeter intuitivement dans la situation de l'autre
implique une part d'imagination. Qu'est-ce que l'autre peut bien
ressentir ? Qu'est-ce qu'il peut bien vivre ? Cette part
d'imagination est évidemment hasardeuse. On peut imaginer que
l'autre a une vie merveilleuse alors qu'il est fondamentalement
déprimé et malheureux, et on peut imaginer la vie d'une autre
personne comme une galère alors qu'il n'est pas si malheureux que
ça. Donc, se projeter intuitivement dans la situation de l'autre
peut amener à des erreurs, à surévaluer une situation ou à la
sous-évaluer ; et elle n'implique pas nécessairement une
démarche altruiste. Néanmoins, cette effort que les hommes font
pour imaginer la situation des autres est quand même important pour
dépasser sa propre situation personnelle. C'est une qualité que
l'on retrouve beaucoup chez les écrivains et les réalisateurs de
cinéma. En ce sens, cela peut aider à envisager une aide pour les
autres.
5°)
Se représenter le plus clairement possible les sentiments
d'autrui en fonction de ce que la personne dit, de ce
qu'on connaît de la situation et de ce qu'on connaît de la
personne, de ses buts dans la vie, de ses valeurs, de son
tempérament... L'empathie s'y construit en collectant et en
recoupant les informations sur la situation de l'autre. La démarche
ne se situe plus à un niveau intuitif (comme dans l'empathie
précédente), mais bien à un niveau plus intellectuel. Ce n'est
pourtant pas une garantie d'objectivité sur l'autre : nos
informations peuvent être inexactes, déformées ou incomplètes. Et
par ailleurs, une personne malveillante peut utiliser ces
connaissances pour vous manipuler et vous nuire. De manière plus
générale, les publicitaires essayent de comprendre
intellectuellement les réactions des gens pour pouvoir être
efficace dans leurs campagnes de vente d'un produit, savoir quel
ressort psychologique utiliser pour vous donner l'envie irrésistible
d'acheter tel ou tel produit.
6°)
Imaginer ce que nous ressentirions si nous nous mettions à la
place de l'autre est un degré supplémentaire dans
l'empathie. On y essaye d'endosser la subjectivité de l'autre. Là
encore, c'est un processus hasardeux : les goûts et les
couleurs... Ce que l'un peut adorer, l'autre peut le détester. On
n'est jamais sûr de pouvoir se mettre complètement à la place de
l'autre. Néanmoins, il y a là un effort de compréhension du point
de vue de l'autre qui mériterait d'être plus souvent accompli :
par exemple, qu'est-ce que je vivrais si j'étais un réfugié ?
Beaucoup de gens voient les migrants comme des envahisseurs en
provenance des pays barbares... Mais il vaudrait la peine de se
mettre ne serait-ce que quelques instants dans la peau de quelqu'un
qui fuit la guerre, les massacres et qui se retrouve aux portes de la
forteresse Europe devant des barbelés ou embarquant dans un frêle
bateau pneumatique...
7°)
La détresse empathique est le fait d'être plongé
dans la souffrance de l'autre. Dans cette forme d'empathie, on risque
de détourner son regard plutôt que de vouloir aider. Et quand bien
même on surmonterait sa propre détresse ou sa peur, on serait
peut-être pas de la meilleure aide : si quelqu'un est paniqué
lors d'une tempête sur un bateau et que voyant cette peur, vous
cédez vous-mêmes à la panique. Vous ne serez sûrement la
meilleure personne pour réconforter l'autre... La détresse
empathique est contrée sur son propre ego. Comme le dit Matthieu
Ricard : « En effet, il ne s'agit pas là d'une
préoccupation pour l'autre, ni de se mettre à la place
de l'autre, mais d'une anxiété personnelle déclenchée par
l'autre ».
8°)
Dans la sollicitude empathique par contre, on prend
conscience des besoins des autres et on éprouve le souhait sincère
de les aider. C'est donc aux yeux de Daniel Batson l'empathie la plus
propice à cultiver l'altruisme. Elle vise à trouver ce que les
autres ont besoin et comment on peut agir en leur faveur. Cette
empathie va droit au but. Elle ne s'encombre pas d'une identification
à l'autre ou d'éprouver le vécu de l'autre avec toutes ses
émotions, ce qui est une entreprise hasardeuse et qui ne conduit pas
nécessairement à aider l'autre. Mais la sollicitude empathique
essaye plutôt d'identifier clairement ce dont les personnes ont
besoin et les meilleurs moyens pour aider les autres.
Pour
Daniel Batson, les empathies de type 1 à 6 peuvent contribuer à
former une motivation altruiste, mais aucune d'elle n'est suffisante
pour la créer et, en outre, elles ne sont pas non plus absolument
nécessaires. La septième forme d'empathie, la détresse empathique,
elle, va plutôt à l'encontre d'une motivation altruiste. Seule la
sollicitude empathique est à la fois nécessaire et suffisante pour
engendrer une réelle motivation altruiste, une réelle envie d'aider
les autres.
Robert Doisneau, Leçon de vélo, 1961. |
Voir aussi :
Le psychologue Serge Tisseron critique le moine bouddhiste Matthieu Ricard sur la question de l'empathie. Celui-ci ne distingue pas suffisamment les différents types d'empathie. Et face à la détresse émotionnelle qui peut survenir à cause d'un trop-plein d'empathie, il oppose la compassion au sens bouddhiste du terme. Mais comment le bouddhisme pense-t-il vraiment des notions telles que l'empathie, l'altruisme et la compassion ?
Le bonheur est-il en nous ? Ou se trouve dans notre relation avec les autres ?
- Hillel : la relation aux autres
Quel équilibre doit-on trouver entre soi-même et autrui ?
On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.
Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicitta? L'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle).
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
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