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lundi 11 juillet 2016

Les 8 types d'empathie selon Daniel Batson






     L'empathie est la capacité de se mettre à la place de l'autre et de comprendre intimement ce qu'il ressent. L'empathie est essentielle dans les sociétés humaines pour communiquer et souder chaque membre de la communauté les uns aux autres. L'empathie est souvent décrite par les évolutionnistes comme la source de la morale et de l'altruisme. Pour autant, l'empathie ne conduit pas nécessairement à une conduite éthique remarquable et à l'altruisme désintéressé. Une personne manipulatrice peut avec l'empathie comprendre le désarroi d'une personne et utiliser cette compréhension de ses états mentaux pour mieux la contrôler. Il est donc important de comprendre ce phénomène de l'empathie et de comprendre quand l'empathie est un facteur propice à l'apparition de l'altruisme et la volonté de faire le bien autour de soi. Daniel Batson a découvert 8 types d'empathie. Je les expose tel que Matthieu Ricard les expose dans son ouvrage « Plaidoyer pour l'altruisme » (éditions NiL, Paris, 2013, pp. 56-60).

Ces 8 types d'empathie sont :
  • 1°) la connaissance de l'état intérieur de l'autre
  • 2°) l'imitation motrice et cérébrale
  • 3°) la résonance émotionnelle
  • 4°) se projeter intuitivement dans la situation de l'autre
  • 5°) se représenter le plus clairement possible les sentiments d'autrui
  • 6°) imaginer ce que nous ressentirions si nous étions à la place d'autrui
  • 7°) la détresse empathique
  • 8°) la sollicitude empathique


   1°) La connaissance de l'état intérieur d'une personne nous permet de comprendre ce que l'autre ressent grâce aux signes qu'il donne et qui indiquent cet état présent : grimace, pleurs, agitation.... Cette connaissance peut nous conduire à vouloir aider quelqu'un, mais pas nécessairement : on peut très bien croiser quelqu'un qui pleure dans la rue. On sait que cette personne est malheureuse, mais on peut très bien rester complètement indifférent au sort de cette personne.




   2°) L'imitation motrice et cérébrale est un comportement très courant. Quand nous regardons quelqu'un accomplir une action ou exprimer quelque chose, notre esprit tend à imiter ce que nous venons de voir, comme si nous accomplissions nous-mêmes l'action alors que nous restons immobile. Ce phénomène est en partie causé par les neurones-miroirs. Cette imitation motrice et cérébrale est essentielle dans les processus d'apprentissage : le bébé regarde les adultes autour de lui se déplacer debout et agiter les lèvres, ce qui lui donne envie de se mettre sur ses deux jambes et de commencer à babiller pour imiter les grands. Progressivement, l'enfant finira par parler et s'exprimer dans la langue de ses parents.

     Mais pour autant, cette imitation motrice et cérébrale peut être ambivalent du point de vue du développement de l'empathie et de l'altruisme : cette imitation peut contribuer créer de la contagion émotionnelle. Dans la contagion émotionnelle, on ressent ce que l'autre ressent, mais sans faire clairement la distinction entre soi-même et autrui. L'exemple typique est celui d'un bébé qui se à pleurer uniquement parce que le bébé d'à côté se met à pleurer aussi. La contagion émotionnelle est problématique du point de vue du développement de l'altruisme parce que quelqu'un qui est dans cet état risque de se refermer sur lui-même et mettre en place des stratégies d'évitement pour ne pas être confronté à la détresse de l'autre.

    En outre, cette imitation motrice et cérébrale se focalise sur les personnes que l'on considère les plus intéressantes ou les plus importantes à nos yeux. Nous scrutons frénétiquement les faits et gestes de notre footballeur préféré lors d'un match, mais rien ne dit que l'on imitera les personnes venant en aide aux autres comme une infirmière par exemple.



Robert Doisneau






     3°) La résonance émotionnelle nous permet de ressentir ce que l'autre ressent. Nous éprouvons de la joie devant les expressions de joie et de bonne humeur de nos camarades. Par exemple, quand des supporters exultent tous ensemble de joie quand leur équipe vient de marquer un goal. À l'inverse, on peut se sentir abattu quand on se retrouve en présence de personnes qui viennent de connaître une tragédie. Cette résonance émotionnelle est toujours une approximation : on ne vit jamais exactement la même expérience qu'une autre personne et on ne se met jamais totalement à sa place.

   Comme l'imitation motrice et cérébrale, la résonance émotionnelle peut conduire à la contagion émotionnelle plus qu'à l'empathie proprement dite. On peut se sentir accablé par un trop-plein d'émotions incontrôlables. Si quelqu'un est terrifié et que l'on est dans la résonance émotionnelle, on risque d'éprouver soi-même de la peur, de paniquer soi-même et de ne penser qu'à sa propre survie. Dans l'imitation, on imite les réactions de l'autre comme le bébé qui pleure quand il voit un autre bébé pleurer, sans être malheureux lui-même. Dans la résonance émotionnelle, on ressent l'émotion, on est triste de la tristesse d'autrui, même si on ne pleure pas nécessairement. Cela peut conduire à l'altruisme, mais pas dans tous les cas. On n'est parfois pas capable d'affronter en face la détresse d'autrui si on la ressent soi-même. On se replie alors sur soi-même. L'altruisme ne nécessite pas absolument d'éprouver tout ce que l'autre ressent : il faut juste être conscient de la douleur ou la tristesse d'autrui et vouloir y remédier.



       4°) Se projeter intuitivement dans la situation de l'autre implique une part d'imagination. Qu'est-ce que l'autre peut bien ressentir ? Qu'est-ce qu'il peut bien vivre ? Cette part d'imagination est évidemment hasardeuse. On peut imaginer que l'autre a une vie merveilleuse alors qu'il est fondamentalement déprimé et malheureux, et on peut imaginer la vie d'une autre personne comme une galère alors qu'il n'est pas si malheureux que ça. Donc, se projeter intuitivement dans la situation de l'autre peut amener à des erreurs, à surévaluer une situation ou à la sous-évaluer ; et elle n'implique pas nécessairement une démarche altruiste. Néanmoins, cette effort que les hommes font pour imaginer la situation des autres est quand même important pour dépasser sa propre situation personnelle. C'est une qualité que l'on retrouve beaucoup chez les écrivains et les réalisateurs de cinéma. En ce sens, cela peut aider à envisager une aide pour les autres.



       5°) Se représenter le plus clairement possible les sentiments d'autrui en fonction de ce que la personne dit, de ce qu'on connaît de la situation et de ce qu'on connaît de la personne, de ses buts dans la vie, de ses valeurs, de son tempérament... L'empathie s'y construit en collectant et en recoupant les informations sur la situation de l'autre. La démarche ne se situe plus à un niveau intuitif (comme dans l'empathie précédente), mais bien à un niveau plus intellectuel. Ce n'est pourtant pas une garantie d'objectivité sur l'autre : nos informations peuvent être inexactes, déformées ou incomplètes. Et par ailleurs, une personne malveillante peut utiliser ces connaissances pour vous manipuler et vous nuire. De manière plus générale, les publicitaires essayent de comprendre intellectuellement les réactions des gens pour pouvoir être efficace dans leurs campagnes de vente d'un produit, savoir quel ressort psychologique utiliser pour vous donner l'envie irrésistible d'acheter tel ou tel produit.



      6°) Imaginer ce que nous ressentirions si nous nous mettions à la place de l'autre est un degré supplémentaire dans l'empathie. On y essaye d'endosser la subjectivité de l'autre. Là encore, c'est un processus hasardeux : les goûts et les couleurs... Ce que l'un peut adorer, l'autre peut le détester. On n'est jamais sûr de pouvoir se mettre complètement à la place de l'autre. Néanmoins, il y a là un effort de compréhension du point de vue de l'autre qui mériterait d'être plus souvent accompli : par exemple, qu'est-ce que je vivrais si j'étais un réfugié ? Beaucoup de gens voient les migrants comme des envahisseurs en provenance des pays barbares... Mais il vaudrait la peine de se mettre ne serait-ce que quelques instants dans la peau de quelqu'un qui fuit la guerre, les massacres et qui se retrouve aux portes de la forteresse Europe devant des barbelés ou embarquant dans un frêle bateau pneumatique...



       7°) La détresse empathique est le fait d'être plongé dans la souffrance de l'autre. Dans cette forme d'empathie, on risque de détourner son regard plutôt que de vouloir aider. Et quand bien même on surmonterait sa propre détresse ou sa peur, on serait peut-être pas de la meilleure aide : si quelqu'un est paniqué lors d'une tempête sur un bateau et que voyant cette peur, vous cédez vous-mêmes à la panique. Vous ne serez sûrement la meilleure personne pour réconforter l'autre... La détresse empathique est contrée sur son propre ego. Comme le dit Matthieu Ricard : « En effet, il ne s'agit pas là d'une préoccupation pour l'autre, ni de se mettre à la place de l'autre, mais d'une anxiété personnelle déclenchée par l'autre ».




      8°) Dans la sollicitude empathique par contre, on prend conscience des besoins des autres et on éprouve le souhait sincère de les aider. C'est donc aux yeux de Daniel Batson l'empathie la plus propice à cultiver l'altruisme. Elle vise à trouver ce que les autres ont besoin et comment on peut agir en leur faveur. Cette empathie va droit au but. Elle ne s'encombre pas d'une identification à l'autre ou d'éprouver le vécu de l'autre avec toutes ses émotions, ce qui est une entreprise hasardeuse et qui ne conduit pas nécessairement à aider l'autre. Mais la sollicitude empathique essaye plutôt d'identifier clairement ce dont les personnes ont besoin et les meilleurs moyens pour aider les autres.



    Pour Daniel Batson, les empathies de type 1 à 6 peuvent contribuer à former une motivation altruiste, mais aucune d'elle n'est suffisante pour la créer et, en outre, elles ne sont pas non plus absolument nécessaires. La septième forme d'empathie, la détresse empathique, elle, va plutôt à l'encontre d'une motivation altruiste. Seule la sollicitude empathique est à la fois nécessaire et suffisante pour engendrer une réelle motivation altruiste, une réelle envie d'aider les autres.









Robert Doisneau, Leçon de vélo, 1961.








Voir aussi :



   Le psychologue Serge Tisseron critique le moine bouddhiste ‪‎Matthieu Ricard‬ sur la question de l'empathie. Celui-ci ne distingue pas suffisamment les différents types d'empathie. Et face à la détresse émotionnelle qui peut survenir à cause d'un trop-plein d'empathie, il oppose la compassion au sens bouddhiste du terme. Mais comment le bouddhisme‬ pense-t-il vraiment des notions telles que l'empathie, l'altruisme et la compassion ?



    Le bonheur est-il en nous ? Ou se trouve dans notre relation avec les autres ?



     Quel équilibre doit-on trouver entre soi-même et autrui ?

        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.



     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicitta? L'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 






Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.

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