Méditer par temps de confinement
Ce
n'est pas un moment drôle à passer : tout est stressant, les
nouvelles sont anxiogènes, et le confinement qu'on nous impose est
pour le moins pénible ; et le fait qu'on nous rappelle que le
confinement imposé durant la guerre était beaucoup plus dur quand
les Allemands bombardaient nos villes ne nous est d'aucune
consolation en fait! Je me dis donc que c'est le moment idéal de
lâcher prise et de pratiquer la méditation. Et c'est aussi le
moment d'en parler !
Tout
d'abord, dans les textes anciens, le Buddha divise la méditation en
quatre catégories : 1°) l'attention au corps, 2°) l'attention
aux sensations, 3°) l'attention à l'esprit, 4°) l'attention aux
objets de l'esprit. Je vais reprendre cette structure classique pour
mon exposé en rappelant bien que cette division ne se suit pas
nécessairement dans l'ordre chronologique : on n'est pas
absolument obligé de toujours pratiquer l'attention au corps avant
l'attention aux sensations ou l'attention à l'esprit. Il est vrai
que dans la logique bouddhiste il est bon de revenir d'abord au corps
pour pouvoir se distancier du flux du mental qui ne s'arrête jamais.
Mais l'on pourrait très bien chercher à concentrer l'esprit en un
point avant de passer en revue tout notre corps. Le modèle proposé
ici ne doit être vécu comme un carcan ou une marche à suivre de
manière très carrée et très militaire !
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Commençons
donc par le corps. Il est bon de se rappeler qu'il y a là un corps.
Il se passe un corps, et souvent on y prête pas trop attention tant
que les organes fonctionnent bien. « La santé, c'est le
silence des organes » dit le proverbe (que l'on attribue
parfois à Paul Valéry). Et c'est là un silence qui ne nous invite
pas à nous soucier de ce corps. On est beaucoup plus préoccupé par
toutes sortes d'événements et d'agitations. Aujourd'hui, le mental
a beaucoup plus de choses à traiter : la peur de la contagion
qui vient, le virus, cet ennemi invisible, qui est peut-être tout
proche et qu'on redoute d'attraper. Il y a aussi toute la colère et
le ressentiment : colère d'être enfermé ou colère de voir
des inconscients qui ne respectent pas les mesures de confinement et
de distanciation. Il y a cette incompréhension que les stocks de
papier toilettes sont dévalisés. Il y a les nouvelles qui empirent
de jour en jour, et il y a les réseaux sociaux qui bourdonnent en
continu et qui contaminent notre humeur. Il y a les politiciens qui
racontent n'importe quoi. Il y a les disputes à la maison. Il y a
l'angoisse de savoir de quoi demain sera fait. Tout cela, c'est le
mental qui s'agite et fait proliférer les pensées de toutes
sortes : peur, angoisse, espoirs, désespoirs, colères,
ressentiments... Et on est à un moment dans cette crise où le
mental dispose d'un carburant quasiment illimité pour tourner à
plein régime et nous pourrir la vie.
Il
est donc sûrement judicieux de revenir à l'attention au corps.
Quand le mental s'égare dans les pensées et les émotions
perturbatrices, revenez doucement à l'attention au corps. Sentez ce
corps qui vit, qui respire, qui existe et qui se tient droit. Sentez
votre cœur qui bat. Sentez l'air qui entre dans les poumons et qui
en sort. Bien sûr, les pensées reviennent très vite. Revenez alors
à l'attention au corps. Les pensées réapparaîtront encore,
revenez à l'attention au corps. Le corps est là, juste là. Il ne
pose pas de jugement et il reste là dans l'ici et maintenant. Par
contraste, les pensées vont et viennent d'un sujet à l'autre, d'un
tracas à un autre, d'un trouble à un autre. Mais le corps est là,
immobile et dans le calme. En prenant conscience du corps, la
conscience peut se recentrer sur sa propre zone de calme. Voilà un
exercice à répéter encore et encore pour renforcer en nous cette
capacité à nous libérer du mental.
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Ensuite,
il y a les sensations, toutes les sensations. Les sensations issues
du corps et les sensations issues du mental. Et l'attention qu'on
peut porter aux sensations. Il s'agit de laisser passer ces
sensations sans poser de jugements, sans rechercher à retenir les
sensations agréables et sans rechercher non plus à repousser les
sensations désagréables. On observe cette succession incessante de
sensations comme on regarde les gouttes de pluie tomber vers le sol.
Le Bouddha compare les sensations à ces petites bulles d'eau sans
consistance qui se forment au sol lors d'une pluie abondante.
Elles
passent, apparaissent et disparaissent et on ne s'y accroche pas. On
ne considère plus les sensations comme des blocs, mais on les laisse
se décomposer en ces petits instants qui affleure dans l'instant
présent. Ce qui permet de développer une forme d'équanimité :
une façon de considérer de manière égale tant les sensations
plaisantes que les sensations déplaisantes, et surtout la manière
souveraine d'être en paix avec ces sensations.
D'ordinaire,
les sensations dictent notre état d'esprit : beaucoup plus de
sensations agréables que de sensations désagréables dans la vie de
tous les jours font de nous des êtres heureux et épanouis, tandis
qu'un déséquilibre de la balance en faveur des sensations
déplaisantes nous rend malheureux et tristes. Pratiquer l'attention
aux sensations nous permet de rendre compte qu'on peut commencer à
se délivrer de ses sensations comme un contorsionniste se libère de
ses chaînes. Et qu'une grande joie et un grand bonheur résident
dans cette libération. On peut être joyeux et heureux
indépendamment des choses tristes ou heureuses qu'on expérimente.
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L'attention
dans l'esprit, ensuite, c'est être honnête avec soi-même :
dans quel état d'esprit est-ce que je suis ici et maintenant ?
Est-ce que je m'ennuie comme un rat dans ce confinement ? Est-ce
que je suis malheureux ? Est-ce que je me réjouis au contraire
de ne pas devoir aller au boulot ? Est-ce que mon esprit est en
mesure de se concentrer ou non ? Est-ce que mon esprit est vaste
et prêt à s'éveiller ? Ou au contraire renfermé sur des
petits problèmes ? Est-ce que je suis apaisé ou tracassé ?
Est-ce que je suis capable de me libérer de ma colère et de mon
ressentiment ? Ou au contraire est-ce que je suis capturé par
ces émotions négatives ? Est-ce que je suis attentif ? Ou
au contraire distrait et agité ? Est-ce que je vois clairement
les choses ? Ou contraire, dans la confusion et le doute ?
Il
faut observer l'esprit qui évolue d'instant en instant de manière
impartiale. Bien sûr, on préférerait un esprit lumineux, éveillé,
calme et paisible, serein, vaste, ouvert et intelligent plutôt qu'un
esprit troublé, traversé de conflits, sombre et désespéré. Mais
l'attention à l'esprit exige de nous que l'on regarde ses côtés
obscurs sans complaisance, mais sans non plus détourner le regard.
Et si l'agitation est trop forte, il faut alors revenir à
l'attention au corps. Le corps est comme un piquet auquel on peut
attacher l'attention beaucoup plus sûrement qu'avec l'esprit. Le
Bouddha comparait l'esprit à un signe enfermé dans une maison vide
qui saute en permanence d'une fenêtre à l'autre et est incapable de
rester deux secondes en place. Le corps au moins ne change pas
d'aspect d'une seconde à l'autre. C'est donc un repère essentiel
dans la méditation.
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Enfin,
il reste l'attention aux objets de l'esprit. Cela recouvre un domaine
très vaste puisque tout ce dont la conscience peut prendre
conscience fait partie de l'attention aux objets de l'esprit. Tout ce
qu'on peut percevoir avec les facultés sensorielles du corps :
les formes visibles, les sons, les odeurs, les saveurs, les choses
physiques touchées par le corps ou ressenties dans une partie du
corps, mais aussi tout ce que le mental peut appréhender comme
activité de l'esprit : les pensées, les raisonnements, les
émotions, les souvenirs, l'imagination, etc... Il y aurait beaucoup
de choses à en dire, mais comme je veux un article relativement
bref, je me contenterais d'un seul phénomène comme objet de notre
esprit : le confinement.
Le
confinement est un phénomène complexe fait d'un ensemble d'autres
choses : l'injonction faite par le gouvernement de rester chez
soi, le ressenti que l'on peut en avoir, l'ennui, la déprime,
l'abattement, la peur, la morosité, les murs de votre salon ou de
votre chambre, le lit, le divan, le téléviseur, l'ordinateur, la
radio, le bruit des voisins et les sirènes d'une ambulance au
loin... Il faut bien se rendre compte que tout cela est impermanent.
Tout comme les autres phénomènes, tout passe, tout finit par
disparaître. Le confinement se produit maintenant mais aura une fin.
Sachant cela, on peut commencer à lâcher prise et à cesser
d'agripper tous les affects négatifs autour du confinement.
Relâchons la pression. Il y a un confinement, mais ce confinement ne
confine pas notre esprit. Il n'atteint pas la liberté de notre
esprit. Il passe le temps qu'il faudra mais il passera. Il est même
une chance puisqu'il nous donne l'occasion de pratiquer la
méditation ! Et de lâcher prise.
Frédéric
Leblanc
Chez
moi, le 21 mars 2020.
Sur la méditation de manière générale :
Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir :
- En compagnie du souffle :
Julee Resuggan |
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Merci pour ce téléguidage bienvenu. Il me semble que ce "confinement" intensifie paradoxalement les relations entre nous tous, que ce soit par les réseaux ou dans la réalité des "reclus". Les notions d’interconnexion et d'impermanence sont en cette période intensément vécues par chacun…
RépondreSupprimerSP chignonperse.wixsite.com/monsite
Effectivement, les choses ne sont jamais figées dans un concept. Ce qui nous isole peut nous rapprocher. Ce qui nous confine peut nous ouvrir à l'infini, si l'on veut bien changer de point de vue sur la situation. On peut se sentir seul et pourtant très interconnecté, très interdépendant.
RépondreSupprimerPlein de bonnes choses !
FL