Ce
soir, je pense à cette formule du Bouddha :
« En
vérité,
La
haine ne s'apaise jamais par la haine,
La
haine s'apaise par l'amour.
Ceci
est une loi éternelle ».
J'y
pense parce qu'il y a quelques heures, les bureaux du journal
satyrique Charlie Hebdo ont été la cible d'une attaque terroriste
de fanatiques islamistes hurlant au nom d'Allah qu'ils avaient vengé
les caricatures du prophète Mohammed. Tuer un homme pour avoir fait
un dessin, commettre le mal et justifier le meurtre pour défendre
une certaine idée du sacrée, étrange idée ; ou plutôt idée
répugnante, méprisable. C'est malheureusement la situation dans
laquelle nous sommes où, aux yeux de fanatiques religieux, la vie
d'un homme a moins de poids qu'un dessin irrévérencieux.
"Il a tiré le premier" David Pope, Canberra Times, Australie |
Mais
je ne peux pas m'empêcher de penser à toutes les victimes du
fanatisme religieux aujourd'hui même, pas seulement à Paris, mais
partout dans le monde, et notamment les victimes inconnues et
oubliées de l’État Islamique en Irak et en Syrie : toutes
les femmes et les jeunes filles violées à multiples reprises parce
qu'elles ont le tort de ne pas être musulmanes, parfois même des
gamines de moins de dix ans vendues comme esclaves sexuelles à des
barbares sans foi, ni loi pour qui l'islam justifie la pédophilie et
la perversion totale des mœurs. Je pense à tous ceux qui sont
persécutés, chrétiens, yézidis et même des musulmans par le même
État Islamique. Je pense à tous ceux et toutes celles qui sont
décapités, lapidés, brûlés et crucifiés par on ne sait quelle
raison.
Bien
sûr, Cabu a bercé notre enfance ; on se rappelle de ses
dessins au Club Dorothée. Bien sûr, on lisait de temps en temps
Charlie Hebdo et on riait devant leurs caricatures. Alors on n'est
beaucoup plus touché par leur mort odieuse que par la mort de gens
dont on n'a jamais entendu parler et dont on serait bien en peine de
localiser sur une carte la ville où ils habitent. Quand on travaille
dans les médias, on a tout de suite accès au média et on touche
beaucoup plus de monde. On a ainsi beaucoup parlé des journalistes
américains ou britanniques décapités par les sbires de Daesh,
l’État Islamique. Très peu des citoyens ou des citoyennes
irakien(-nes) ou syrien(-nes) qui ont subi le même sort révoltant.
Je
pense à eux, autant aux journalistes de Charlie que des anonymes de
Mossoul ou de Kobané, que personne ne pleurera parce que toute leur
famille et tous leurs proches ont été massacrés sur ordre d'un
inhumanité sans nom.
Et
je pense aussi à cette stance du Bouddha :
« En
vérité,
La
haine ne s'apaise jamais par la haine,
La
haine s'apaise par l'amour.
Ceci
est une loi éternelle ».
Je
sais qu'il est tentant en ces moments de se laisser à la colère,
d'exprimer sa haine, les uns pour hurler contre l'islam et les
musulmans, les autres pour se réjouir de ce que des infidèles qui
ont bafoué la mémoire de leur prophète viennent à périr. Il faut
résister à cette haine ; et ce sont les moments où il est le
plus difficile de ne pas y céder. On risque de se trouver en étau
entre une part importante de musulmans qui soutiennent d'une manière
ou d'une autre les fanatiques ou alors sont plus prompts à condamner
les caricatures du prophète Mohammed que les exactions de Daesh
(viols en série, massacres, destruction de mosquée, d'église,
assassinats d'opposants, torture, lapidation, décapitation... ) et
de l'autre les racistes qui manifestent comme en Allemagne contre
l'islamisation de l'Europe. La haine des uns risque d'enflammer la
haine des autres, et vice-versa. Tout cela risque de se cristalliser
en violences, en propos haineux et en rhétorique fasciste. Et la
tension risque d'augmenter. Certains s'en réjouissent, attendant
fiévreusement le « clash des civilisations » qui
embraserait le monde occidental et le monde islamique.
Je
pense pour ma part qu'il y a suffisamment de violence dans ce monde,
suffisamment de bêtise, suffisamment d'ignorance et suffisamment
d'intolérance. Voilà pourquoi il faut faire l'effort de se détacher
de la haine, de sa propre haine. A l'heure où les cœurs crient
« vengeance », il faut faire effort pour apaiser notre
conscience et ne pas sombrer dans les amalgames haineux. Non, tous
les musulmans ne sont pas des barbares sanguinaires ; mais non,
Daesh, l’État islamique n'est pas seulement une invention de la
CIA ou des Illuminatis comme certains médias musulmans aiment à en
propager l'idée pour ne pas se confronter à sa propre
responsabilité qui est de prendre parti contre les agissements de
l’État Islamique. On trouve sur les réseaux sociaux islamiques
trop de vidéos conspirationnistes : j'étais tombé par exemple
sur un vidéo où James Foley, journaliste américain décapité par
Daesh, était décrit comme un agent sioniste toujours en vie. Une
manière de nier les exactions de l’État Islamique et de ne pas se
confronter à cette part de plus en plus sombre de l'islam. Une part
minoritaire certes, il faut s'en rappeler, mais une part qui n'est
pas non plus négligeable et qui n'est pas extérieure à l'islam.
Tant
que les musulmans nieront cette part de violence au cœur de l'islam
qui se trouve aussi dans le texte coranique, cette part de violence
ne pourra être vaincue. Ainsi la sourate dite de l'épée - 9 :
5 - par exemple qui appelle à passer les infidèles par le fil de
l'épée : Puis, lorsque les mois sacrés seront écoulés,
tuez les idolâtres où que vous les trouviez. Faites-les captifs,
assiégez-les, tendez-leur des embuscades. On trouve bien sûr
des injonctions totalement contraires au sein du même Coran qui
appelle à la paix et à la tolérance. Ainsi la fameuse formule :
« Nulle contrainte en religion » (2 : 256).
Tout dépend de comment les musulmans interpréteront le texte
coranique, les hadiths ou tous les textes de la tradition du droit
islamique. Vont-ils les lire dans le sens de la tolérance et de la
compréhension ou dans le sens de la violence, de la barbarie et du
fanatisme ?
******
Toujours
est-il que face à cette bêtise, face à cette haine, face à ce
fanatisme, l'esprit critique est une bonne chose. Une bonne chose à
préserver pour démonter les discours de haine et de racisme, d'où
qu'ils viennent. C'est cet esprit critique qui a été attaqué ce
matin à Paris : la liberté de critiquer et de polémiquer
contre les pouvoirs politiques et les religions. C'est ce qu'a fait
le journal Charlie Hebdo avec ses nombreuses caricatures qui ne me
plaisaient pas toujours, qui parfois étaient injustes. J'ai souvent
trouvé Charlie Hebdo très vulgaire et injurieux. Je me souviens
d'une discussion avec un ami à propos du Dharma, la Voie du Bouddha
à une terrasse ensoleillée d'un café il y a de cela plus de dix
ans maintenant. Je parlais des bienfaits et de la quiétude que l'on
peut ressentir en pratiquant la méditation bouddhique. Un homme
était assis à la table d'à côté qui était en train de lire le
Charlie Hebdo et , écoutant notre conversation, m'avait tendu le
Charlie Hebdo avec un sourire dédaigneux et méprisant : se
trouvait là une caricature obscène du dalaï-lama, caricature qui
déformait jusqu'à l'absurdité certains de ses propos. Le message
était en gros que « tous les bouddhistes, le dalaï-lama en
tête, étaient de la merde ». Comme le dalaï-lama adhère à
la loi du karma, tous les bouddhistes méprisent les pauvres. Ce qui
est évidemment complètement faux et sans fondement. On a déjà vu
plus subtil et plus bienveillant comme raisonnement ! Je trouve
personnellement que, contrairement à Charlie Hebdo, on gagne à
respecter même les gens avec qui on est en désaccord. Mais c'est
aussi la liberté de la presse de dire des choses qui ne plaisent
pas. Même si ces critiques sont fondées sur des allégations et des
suppositions fausses. Il ne m'est pas venu à l'esprit de brûler les
locaux de Charlie Hebdo pour la cause ! Accepter des critiques
que l'on estime injuste est le prix à payer pour défendre la
liberté d'expression qui est un rempart puissant contre la barbarie
et l'intolérance.
Comme
le dit le Bouddha, il faut abandonner la haine car la haine alimente
de manière infernale la haine. Et il faut emplir son cœur de
bienveillance à l'égard de tous les êtres sensibles. C'est là un
moteur puissant pour faire évoluer la situation dans le sens du
bien, pour convaincre le raciste d'abandonner son dégoût de l'autre
et du jeune désœuvré de la banlieue lyonnaise ou bruxelloise, qui
rêve de mener le jihad en Irak ou en Syrie d'abandonner son projet
destructeur. Bien sûr, je ne suis pas naïf au point de croire que
je vais tout changer le monde à moi tout seul ; mais si la
bienveillance se répand au détriment de la haine dans la société,
alors les choses changeront dans un sens positif.
Je
crois qu'il va falloir penser à une réconciliation profonde au
Moyen-Orient. La guerre civile en Syrie fait rage depuis trop
longtemps. Les grandes puissances ont chacune leurs favoris, les
rebelles pour les Occidentaux et la ligue arabe, les partisans de
Bachar El-Assad pour les Russes et les Chinois. Tout cela fait le jeu
de la barbarie de l’État Islamique. Qui sera l'homme qui pourra
inspirer la paix et la réconciliation en Syrie ? Il n'est pas
seulement question des Syriens et des Syriennes qui vivent une
tragédie depuis quatre ans, mais aussi de partout dans le monde,
puisque des Français, des Belges et d'autres Européens vont
combattre en Syrie et apprennent à faire la guerre, à tuer sans
état d'âme et à détruire, comme ce fut le cas ce matin dans les
rues de Paris. Ce qui se passe en Syrie et en Irak nous concerne
aussi...
Pareillement,
il faudra retrouver le chemin de la paix en Israël/Palestine, quel
que soit ce chemin. Il faudra réconcilier les points de vue que l'on
dit irréconciliables et œuvrer à désamorcer la haine, les
ressentiments et l'instinct de vengeance.
Bien
sûr, on peut se sentir impuissant à changer la configuration
actuelle des relations géostratégiques complexes de ce monde cruel
et violent. Mais à notre modeste échelle, on peut répandre la
bienveillance, la joie, la compassion et l'équanimité. Il ne faut
pas toujours tout attendre des gouvernements et des puissants de ce
monde qui se préoccupent d'abord de leur business et de leurs puits
de pétrole. Mais si les individus se connectent entre eux, ils
peuvent changer la dynamique des choses.
Ce
soir, il me prend de rêver à la paix et qu'elle se répande dans le
monde. Salam, shalom, shânti... Comme le disait Lennon :
certains diront que je suis un rêveur, mais je sais que je ne suis
pas le seul. « You may say I'm a dreamer. But I'm not
the only one ».
Oeuvre de Vhils, Rio de Janeiro, Brésil |
Je pense comme vous.....merci
RépondreSupprimerJe viens de découvrir ce post par Tartiplume sur G+.
RépondreSupprimerJoli, même si j'aurais préféré que l'occasion de vous découvrir soit autre.