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Mais tout d’abord, attaquons-nous au concept de Nature comme « ordre naturel » qui justifie les inégalités et les injustices entre les êtres sensibles. On a en effet longtemps cru qu’il y avait un ordre intrinsèque dans la Nature : Dieu tout au-dessus, les anges, les hommes, les animaux, les plantes et les minéraux. Et cet ordre implique aussi des hiérarchies entre les animaux. Le lion, par exemple, est régulièrement dénommé « roi des animaux », en sa qualité de position haute dans la chaîne alimentaire. Pareillement, cette conception de la Nature a longtemps une hiérarchie entre les hommes : les Africains ont longtemps été vu comme des êtres inférieurs de par leur nature plus grossière et primitive, les Noirs étaient à mi-chemin entre l’humanité et l’animalité ; et cela a justifié le racisme, l’idée que certains hommes sont naturellement moins évolués que d’autres. Et cela a justifié les pires ségrégations à l’égard de la population africaine ainsi que les atrocités de l’esclavage.
Mais tout d’abord, attaquons-nous au concept de Nature comme « ordre naturel » qui justifie les inégalités et les injustices entre les êtres sensibles. On a en effet longtemps cru qu’il y avait un ordre intrinsèque dans la Nature : Dieu tout au-dessus, les anges, les hommes, les animaux, les plantes et les minéraux. Et cet ordre implique aussi des hiérarchies entre les animaux. Le lion, par exemple, est régulièrement dénommé « roi des animaux », en sa qualité de position haute dans la chaîne alimentaire. Pareillement, cette conception de la Nature a longtemps une hiérarchie entre les hommes : les Africains ont longtemps été vu comme des êtres inférieurs de par leur nature plus grossière et primitive, les Noirs étaient à mi-chemin entre l’humanité et l’animalité ; et cela a justifié le racisme, l’idée que certains hommes sont naturellement moins évolués que d’autres. Et cela a justifié les pires ségrégations à l’égard de la population africaine ainsi que les atrocités de l’esclavage.
Déjà durant l’Antiquité, Aristote
théorisait dans la Politique sur les
faits que certains hommes étaient par nature
des maîtres et d’autres étaient par
nature des esclaves. Bien sûr, Aristote voyait dans les Héllènes, les
Grecs, un peuple voué à la liberté et à la démocratie, tandis que les peuples
orientaux étaient voués à un pouvoir tyrannique, non pas en raison des
vicissitudes de l’Histoire, mais pour des raisons qui tenaient à la
constitution naturelle de ces différents peuples. Déjà à l’époque, certains
penseurs comme les cyniques et les sceptiques s’opposaient à Aristote, prônant
le cosmopolitisme, l’idée que tous les homme sur la Terre pouvait revendiquer
de partager une même Cité, un même État dans l’égalité de chaque culture. Mais
ces penseurs, bien qu’ayant rallié l’empereur Alexandre à leur cause, sont
restés marginaux dans l’Histoire de la philosophie, tandis qu’Aristote a
imprégné toute la philosophie antique ainsi que la philosophie médiévale tant
arabe qu’européenne, inscrivant dans la Nature un ordre hiérarchisant
strictement les êtres entre eux. Aristote a, en particulier, alimenté la pensée
sur la Nature de figures de la scolastique chrétiennes comme notamment Thomas
d’Aquin, qui justifie
Et c’est ainsi que les Occidentaux,
au tournant de la révolution moderne, armés de leurs canons et de leur fusils,
prêt à conquérir le monde entier, ont tout naturellement (si je puis dire)
justifier « rationnellement » la traite des Noirs afin de faire
tourner les colonies aux Amériques. C’est ainsi aussi que la société a
longtemps défendu le sexisme, l’idée d’une supériorité naturelle de l’homme sur
la femme, enfermant par là-même les femmes dans des tâches subalternes, une
situation de minorité comparable à celles des enfants ainsi que des rôles
stéréotypés comme ceux de la mère aimante et dévouée, la sainte toute à son
chapelet et à sa dévotion ou le rôle de la putain vivant dans la débauche et
livrant les hommes à la tentation.
Et c’est ainsi aussi que les hommes se sont démarqués des autres espèces conscientes dans le règne de la Nature, se
réservant une place à part dans le jardin de la Création. C’est là la caution
idéologique du spécisme : le fait de hiérarchiser les espèces animales et
de cautionner l’exploitation et les traitements violents et inhumains à l’égard
de certaines d’entre elles.
Que dire de cette idée hiérarchisante de la Nature telle
qu’Aristote et Thomas d’Aristote et Thomas d’Aquin ont, entre autres, pu la
propager ? Il faut évidemment la condamner. Cela ne sert qu’à cautionner des injustices au travers d’un
droit naturel qui autoriserait la classe dominante à soumettre l’Africain, la
Femme ou le Bétail pour sa propre jouissance. Mais la pensée moderne a craquelé
progressivement cet héritage aristotélicien. Au XVIème siècle, Michel de Montaigne a remis en doute ce
droit naturel. Est-ce que le droit naturel de monter le cheval par
exemple ? Est-ce que cela ne serait pas le cheval qui aurait au contraire
le droit naturel de monter l’homme ? Au XVIIème siècle,
Galilée, observe le soleil grâce à son télescope et se rend compte que le
soleil est couvert de tâches. Ce n’est donc un astre parfait, et la théorie
aristotélicienne s’effondre, qui voyait une hiérarchie entre d’un côté le monde
parfait des astres et des étoiles évoluant dans ce qu’il appelait « l’harmonie
des sphères » et de l’autre, le monde sublunaire, c’est-à-dire le monde
en-dessous de la lune, notre bas-monde à nous, fait d’imperfections, de
maladies, de désordres, de misères et de folies. Galilée découvre un monde
homogène où tous les corps sont régis par les mêmes lois de la Nature. Cette
découverte va être le coup d’envoi de la révolution scientifique ; mais
ses répercussions philosophiques vont amplement dépasser le cadre de la
physique.
Au XVIIIème
siècle, la Révolution française va proclamer tous les citoyens français libres
et égaux. Il n’y avait plus d’un côté les Nobles d’un côté avec un sang
aristocratiques, un « sang bleu » qui les rend par nature plus dignes
ou plus honorables que les autres et qui confèrent à ces aristocrates les privilèges
que cela suppose ; et les roturiers de l’autre côté, bourgeois ou paysans,
vivant de leur labeur et exploités par les seigneurs. Non, juste des citoyens
libres et égaux entre eux comme le proclame la Déclaration des droits de l’Homme
et du Citoyen de 1791. Le XIXème
voit se mener le combat pour l’abolition de l’esclavage. La race blanche n’est
plus fondée à dominer et à briser la dignité des autres races humaines. On
vient à l’idée que tous les hommes sont par nature égaux entre eux en droit et
en dignité, comme le proclame la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
de 1948.
Bien sûr, cela n’a pas été sans peine, sans turbulences
profondes dans l’Histoire dont témoignent la Guerre de Sécession aux USA, la
Seconde Guerre Mondiale et l’Apartheid en Afrique du Sud. L’esclavage aboli, la
ségrégation et la colonisation se sont longtemps maintenus en invoquant des
différences naturelles ou, plus subtilement, des différences entre les
civilisations qui ne seraient pas « égales » entre elles. Mais le
XXème a vu pour une grande part cette ségrégation disparaître, le mouvement des
droits civiques de Martin Luther King par exemple, et les nations européennes
perdre le gros de leurs colonies.
De manière générale, l’idée d’un ordre naturel hiérarchisant
les êtres humains entre eux a été graduellement renversée par l’esprit des
Lumières et l’idéologie humaniste et progressiste. Mais qu’en est-il alors des
animaux ? Seront-ils toujours voués par leur nature inférieure à un sort
misérable qui les condamne à être chassés, pêchés, élevés dans les conditions
atroces des élevages industriels, employés à tort et à travers dans les
expériences scientifiques les moins recommandables, jetés en pâture comme un vulgaire
jouet sans âme dans les arènes de la corrida ?
De fait non. Yves Bonnardel et David Olivier ont raison
d’insister sur le fait que les animaux, même s’ils n’ont pas les capacités
mentales d’un être humain, doivent bénéficier d’une considération égale
vis-à-vis de la souffrance qu’ils peuvent ressentir. Que l’on se rappelle cette
citation célèbre de Jeremy Bentham : « Autrefois, et j'ai peine à dire qu'en de nombreux endroits
cela ne fait pas encore partie du passé, la majeure partie des
espèces, rangée sous la dénomination d’esclaves, étaient traitées par la loi
exactement sur le même pied que, aujourd’hui encore, en Angleterre par exemple,
les races inférieures d’animaux. Le jour viendra peut-être où il sera possible
au reste de la création animale d’acquérir ces droits qui n'auraient jamais pu
lui être refusés sinon par la main de la tyrannie. Les Français ont déjà
découvert que la noirceur de la peau n'est nullement une raison pour laquelle
un être humain devrait être abandonné sans recours au caprice d'un tourmenteur.
Il est possible qu’on reconnaisse un jour que le nombre de jambes, la pilosité
de la peau, ou la terminaison de l’os sacrum,
sont des raisons tout aussi insuffisantes d’abandonner un être sensible au
même destin. Quel autre [critère] devrait tracer la ligne
infranchissable ? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la faculté de
discourir ? Mais un cheval ou un chien adulte est, au-delà de toute
comparaison, un animal plus raisonnable, mais aussi plus susceptible de
relations sociales qu’un nourrisson d’un jour ou d’une semaine, ou même
d'un mois. Mais supposons que la situation ait été différente, qu’en
résulterait-il ? La question n'est pas "peuvent-ils raisonner ?", ni
"peuvent-ils parler ?", mais "peuvent-ils souffrir ?"[1] ».
L’idée de la Nature comme ordre hiérarchique qui justifie
l’exploitation et l’injustice est effectivement insupportable ; mais elle
va tomber pour le règne animal comme pour l’esclavage des personnes de race
noire sous l’effet du progrès des sciences et de l’éthique. Je ne prendrai
qu’un seul élément qui me semble témoigner de manière évidente de ce progrès.
Les biologistes évolutionnistes ont présenté et symbolisé l’évolution des
espèces dans l’Histoire naturelle comme la croissance d’un arbre où à la cime de
l’arbre se trouverait l’Homme. Ainsi cette figure dans l’ouvrage d’Ernst
Haeckel « L’évolution de l’Homme » (1869) :
L’Homme occupe le sommet non plus de la Création, mais de
l’évolution naturelle des espèces. Aujourd’hui pourtant, cette représentation
tend à être dépassée. L’image que prend le dessus est plutôt celle d’un buisson
sphérique où aucune espèce n’est au-dessus, car l’évolution des espèces n’a
spécifiquement été faite pour l’avènement de l’Homme. Toutes les espèces actuelles
sont au sommet de leur évolution, et Homo
Sapiens Sapiens n’est qu’une parmi des millions d’espèces vivantes sur
Terre. Ainsi cette image tirée du documentaire « Espèce d’espèces » [2]:
Ou cette classification du vivant où les animaux figurant en
rose sont une sous-catégorie des eucaryotes (source : Wikipedia: Arbre
phylogénétique)
Il n’est pas question ici
d’antispécisme, de redorer le blason des autres espèces vivantes pour des
raisons éthiques, mais simplement d’une évolution des scientifiques dans le
concept de Nature qui se sont défaits progressivement de la conception ancienne
où la Terre a été créée par Dieu pour l’Homme à une conception où l’évolution
naturelle avance sans but où des espèces émergent et où d’autres disparaissent,
dont une parmi tant d’autres est Homo
Sapiens Sapiens, sans que celui-ci ait un statut ontologique privilégié
dans ce chaos qu’est l’évolution des espèces.
Une discipline scientifique comme
l’éthologie a singulièrement mis à mal les délimitations entre l’Homme et l’animal
en attribuant aux animaux des comportements qui étaient considérés du seul
domaine des êtres humains : le rire sensé être « le propre de
l’homme », le sens de la justice, l’empathie, la bienveillance à l’égard
d’autrui, voire d’autres individus appartenant à d’autres espèces, tout cela,
on le retrouve aussi dans le règne
animal.
Photo de David Lazar |
[1] Jeremy Bentham, Introduction aux
principes de morale et de législation, Vrin, 2011, p. 324-325.
[2] « Espèce d’espèces », documentaire de Denis Van Waerebeke,
produit par Ex Nihilo, CNRS Images, NHK, France 5, le Muséum national
d'histoire naturelle et Arte France, 2008.
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