Est-on foutu ?
Cette
semaine, je suis tombé, via les réseaux sociaux, sur une interview
de l'ancien parlementaire Yves Cochet qui nous explique
tranquillement que l'humanité va disparaître en 2050 des suites de
l'effondrement biologiques. Cela me rappelle qu'il y a un mois et
demi, dans une des écoles où je travaille, un géographe était
venu faire une conférence sur le réchauffement climatique. Son
message était qu'on allait droit vers la catastrophe. J'avais
l'impression qu'il se croyait très provocateur. Mais le problème
est qu'il ne l'était absolument pas : il se contentait
d'énoncer une idée que les jeunes partagent depuis longtemps.
De
manière générale, quand je pose la à mes élèves: « Est-ce
qu'on va vers l'effondrement ? Ou l'humanité va-t-elle trouver
les ressources morales, scientifiques ou technologiques pour y
échapper ? ». La réponse est en très grande majorité :
oui, la société va vers l'effondrement, et non, on n'y échappera
pas. Il y a quelques années, je parlais d'écologie à des jeunes de
douze ans à peu près, et ils m'ont répondu très agressivement que
cela ne servait à rien de parler d'écologie et de défense de
l'environnement puisqu'on est de toute façon foutu !
Je
pense donc que le catastrophisme ambiant, loin de susciter un
électrochoc salutaire dans la conscience des citoyens et des jeunes,
est le meilleur moyen de neutraliser tout changement de cap de la
société vers une transition écologique. On me rétorquera
certainement toutes ces manifestations de jeunes pour le climat ces
derniers temps. Mais je constate que l'enthousiasme ne s'est pas
propagé au point que les jeunes se soient investis en masse dans des
actions concrètes en faveur de la Nature. En fait, l'enthousiasme
était, me semble-t-il, surtout du à la perspective joyeuse
d'échapper à quelques ennuyeuses journées de cours... Je pense que
la catastrophisme mine les forces naissantes en les plongeant dans
l'aquoibonisme ambiant. Il y a quelques années, le philosophe
Jean-Pierre Dupuy, pour parer à ces effets regrettables du
catastrophisme, prônait un « catastrophisme éclairé ».
Pour lui, il faut avoir la conscience aiguë que la catastrophe est
inévitable, mais que la raison ne doit pas pour autant abdiquer
devant la peur, l'angoisse ou la terreur que peut susciter
l'imminence de cette catastrophe. Mais force est de constater que le
catastrophisme éclairé n'a jusqu'à présent pas éclairé
grand-monde...
En
fait, si les jeunes et les moins jeunes adhèrent si facilement au
récit catastrophiste, c'est simplement du à des prédispositions de
notre culture judéo-chrétienne : la fin du monde est une
angoisse fondamentale dans la religion chrétienne. Pendant
l'Antiquité et le Moyen-Âge, la
croyance était très forte que l'apocalypse viendrait vers l'an mil,
même si beaucoup d'érudits de l'époque contestaient ce
catastrophisme apocalyptique et y voyaient des prophéties qui
relevaient plus du délire et de la superstition qu'autre chose. Au
XIXème siècle, le millénarisme a connu un regain aux
États-Unis avec les mouvances évangélistes ou les témoins de
Jéhovah. On a en tête ces hommes-sandwich qui se promenaient dans
les rues des cités américaines avec sur leur pancarte : « The
end is near » ou « The end is nigh » (La fin est
proche)...
Malheureusement,
beaucoup d'écologistes depuis une cinquantaine d'années ont repris
ce schéma anxyogène de la fin proche : apocalypse nucléaire,
mutations chaotiques, nouvel âge glaciaire ou réchauffement
climatique infernal... Le succès de leur discours doit ce qu'il
réveille cette angoisse métaphysique de fin d'un monde tout en se
donnant des airs sérieux de science et d'esprit rationnel.
Alors
soyons clairs : il est très clair à mes yeux qu'il y a un
réchauffement climatique. Et pas seulement un réchauffement
climatique, mais aussi un effondrement de la biodiversité, une
pollution chimique et radioactive, une destruction des milieux
naturels, un épuisement des ressources naturelles : pétrole,
métaux, sable... La situation est très sombre, et l'heure est
grave. Cependant, personne ne connaît l'avenir. Il est toujours
incertain. Tous ceux qui se sont essayés ces derniers années au
petit jeu de faire des prophéties sur le futur se sont plantés :
que ce soient les adeptes de l'effondrement qui promettent les dix
plaies d’Égypte modernisées à l'ensemble de la planète, ou au
contraire, les optimistes béats qui se font l'oracle d'un futur où
la technologie viendrait résoudre tous nos problèmes. Entre la
catastrophe finale et le nouvel âge d'or, la probabilité va vers un
avenir où notre situation risque de se détériorer très nettement.
On vivra sur une Terre moins belle, moins agréable à vivre, plus
grise, plus terne, plus triste, avec moins diversité du vivant,
moins de couleurs chatoyantes. Nos enfants auront plus de cancer,
plus de problèmes, moins de bonheur. Mais cette humanité ne
disparaîtra pas. Elle sera certainement contrainte à des mesures
drastiques et déplaisantes comme le contrôle des naissances et les
rationnements, mais elle ne disparaîtra pas.
Il
faut se battre non pas contre une catastrophe finale qui n'arrivera
pas, mais contre la détérioration réelle de nos conditions de vie.
La catastrophe nous rend fataliste, spectateur passif de notre
déchéance ; et elle attise nos comportements irrationnels de
fuite ou de déni. La question de notre qualité de vie nous rend par
contre responsable. Contre cette érosion de la qualité de notre
cadre de vie, on devrait avoir l'obsession de chercher et de trouver
des solutions rationnelles. Ces solutions sont diverses : il n'y
a pas juste une méthode pour retrouver le chemin d'une meilleure
harmonie avec la Nature vivante. Il y a une éthique au jour le jour
à avoir : consommer moins, voyager moins, se chauffer moins,
adopter une alimentation moins gourmande en ressources et en énergie,
plus respectueuse du monde vivant. C'est la piste de la simplicité
volontaire. Tout cela accompagné d'une éthique de la conséquence
de nos gestes : quand on voit tout ce qu'on jette dans les
égouts et qui va à la mer : cigarettes, plastiques, etc...
Il
y a aussi toutes sortes de comportements plus verts qui, petit à
petit, deviennent des habitudes, mais trop lentement et trop
imparfaitement. Je pense, par exemple, au tri des déchets qui est
encore beaucoup trop timoré. Il devrait y avoir plus de poubelles
qu'aujourd'hui : déchets organiques végétaux, déchets
organiques animaux, objets technologiques. La récupération et la
réparation devrait être une habitude beaucoup plus ancrée. De même
que le compostage qui devrait être appris à l'école. Qu'on
apprenne ainsi que dans la Nature, rien ne se jette, mais tout se
transforme. Et à quel point les vers de terre sont d'une importance
vitale pour nous.
Il
y a évidemment tout ce qui relève des technologies moins polluantes
ou émettrices de gaz à effet de serre : énergies
renouvelables, produits moins vorace en électricité ou en
carburant... Les technologies de captation du CO2 peuvent
être elle aussi un espoir à défaut de réduire la cadence des
émissions de gaz à effet. On peut penser à l'amélioration des
techniques de recyclage ainsi qu'à des produits qui pourraient être
entièrement recyclé au lieu du gâchis invraisemblable qui a cours
dans nos sociétés de consommation avec ses montagnes de déchets
technologiques envoyés en Afrique ou en Asie. On pourrait se dire
que si on n'est pas ingénieur et qu'on ne travaille pas dans le
développement et recherche, on n'a pas un grand rôle à jouer
là-dedans, juste attendre les nouvelles innovations technologiques
qui va dans le sens de la planète. Mais je me dis qu'on peut
s'intéresser à ces sujets, développer notre compréhension
scientifique du monde et notre curiosité envers ces sujets afin de
créer un bain de culture où les idées pourront fleurir et émerger
plus facilement. Plus il y a des gens à s'intéresser à ces
questions scientifiques et technologiques, plus vite il y aura des
découvertes et des avancées fondamentales.
Enfin,
il y a la dimension politique. Quels choix de société va-t-on
faire ? Va-t-on lutter efficacement contre la déforestation ?
Va-t-on réduire les émissions de carbone ? Comment inciter les
industries et les gens à avoir un meilleur impact sur
l'environnement ? Là encore, on pourrait se dire que cela
dépend des politiciens, et pas de nous. Mais on peut faire l'effort
d'essayer de comprendre les enjeux et les luttes en faveur de
l'environnement. Ce ne sont pas toujours des questions simples. Il
faut souvent se frotter à une énorme complexité. Je pense par
exemple au nucléaire qui est une menace sur nos vies à tout moment
si un accident se produit comme à Tchernobyl ou Fukushima, mais qui
est un cauchemar à long terme pour des milliers de générations
futures puisqu'il faut gérer des déchets excessivement dangereux
sur des centaines de milliers d'années. Mais si on supprime les
centrales nucléaires, par quoi va-t-on remplacer cette source
abondante d'électricité ? Par l'éolien. Il faut savoir qu'il
faut 3000 grandes éoliennes pour produire la même quantité
d'électricité qu'une centrale, si il y a du vent... Par des
centrales au charbon comme en Allemagne ? Bonjour, les émissions
de gaz à effet de serre...
En-dehors
de cette complexité, il faut aussi endurer des résistances énormes
des lobbys pétroliers, nucléaires ou chimiques qui freinent toute
avancée en matière d'environnement avec le soutien de politiciens
climato-sceptiques. Et pour l'instant, l'heure n'est pas à
l'optimisme avec Trump aux USA ou Bolsonaro au Brésil qui être prêt
à brûler encore les forêts d'Amazonie pour que cela profite à
ses industriels et au producteurs de soja... C'est quelque chose de
très déprimant et de très démobilisant que cette inertie des
pouvoirs publics face à la crise écologique. Face à cela, il y a
une dimension de persévérance qu'il est important de développer,
surtout par rapport aux jeunes qui manifestent dans les rues, mais
pourraient être extrêmement déçus de ne voir aucun changement
significatif se dégager dans un avenir proche. Ce combat sera une
lutte de longue haleine où parfois on avancera (jamais assez vite),
parfois on reculera. Seule la persévérance changera donc les
choses.
Alessio Albi - Nature Boy |
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Bonjour,
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https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ
Cordialement