Penser l’homme et l’animal au sein de la
Nature
Yves Bonnardel et David Olivier sont
deux penseurs importants dans la cause de la libération animale et la mouvance
antispéciste. Tous les deux ont été les chevilles ouvrières des Cahiers Antispécistes qui est la revue
en pointe concernant la réflexion philosophique et politique tournant autour de
la question animale. Dans le cadre de cette réflexion engagée pour faire
avancer l’antispécisme, David Olivier et Yves Bonnardel en sont venus à
attaquer ce qu’ils appellent « l’idée de Nature ». Selon eux, cette
idée de Nature est un obstacle au progrès de l’idée antispéciste en ce qu’elle
implique nécessairement un ordre hiérarchique au sein de la Nature. Et cet
ordre justifie forcément l’inégalité et l’injustice ainsi que des relations de
domination et de soumission entre les êtres sensibles et conscients qui évoluent
au sein de cette Nature. Cela fait longtemps qu’un ami antispéciste m’a demandé
de me pencher sur cette question et sur ce traitement de l’idée de Nature chez
David Olivier et Yves Bonnardel, ce à quoi je vais m’atteler maintenant.
Je pense qu’il faut bien comprendre que le mot
« Nature » est très riche de sens et qu’il peut désigner des choses
assez différentes selon le sens particulier que l’on va donner à ce mot. Tout
d’abord, on peut parler de la Nature comme étant l’univers physique et matériel
tout autour de nous. Au XVIIème
siècle, quand Baruch Spinoza parle de la Nature, il la définit comme l’ensemble
de tout ce qui existe. Toujours au XVIIème
siècle, Galilée et Isaac Newton était considéré comme des « philosophes de
la Natures », non pas qu’ils vivaient
comme des bons sauvages dans la forêt amazonienne, mais parce que leurs
recherches portaient sur l’étude de la Nature (le terme « scientifique »
n’apparaissant qu’au XIXème
siècle) : la Nature étant le monde physique composé d’astres, de planètes,
de comètes et de satellites divers. La Nature peut aussi évoquer le monde
vivant qui nous entoure : les forêts, les fleurs, les animaux, les
écosystèmes terrestres et marins. Cette conception tant à s’opposer alors au
monde artificiel des hommes : les villes, les usines, les routes, les
voitures et les engins de toutes sortes.
Le mot « nature » peut aussi se retrouver dans une
expression comme la nature d’une
chose : la nature de l’Homme, la véritable nature de quelqu’un, la nature
de la lumière ou que sais-je encore… Le mot « nature » est ici
quasiment synonyme de « essence » : parler de la Nature de
l’Homme revient à se demander quel est l’homme au plus profond de lui-même.
Est-il bon ? est-il mauvais ? Il est vrai qu’en général cette
acception du mot « naturel » renvoie à un ordre naturel
extérieur : si l’Homme est bon par nature comme le pense Jean-Jacques
Rousseau ou s’il est mauvais comme le pense Thomas Hobbes, c’est parce que la
Nature (ou Dieu qui est le Créateur de la Nature, la Nature naturante comme le
disent les philosophes) l’a façonné comme cela.
Ayant préalablement insisté sur cette polysémie du mot
« Nature », j’en reviens à la critique de l’idée de Nature. Dans la
pensée de Bonnardel et Olivier, il me semble que deux choses distinctes sont
critiquées :
· d’une part, l’idée de
Nature comme impliquant un ordre naturel inégalitaire ;
· et d’autre part, la
Nature vivante dont les écologistes veulent la conservation et la préservation.
Et plus particulièrement au sein des écologistes, le courant
de l’écologie profonde qui pose problème aux antispécistes : l’écologie
profonde mettant la Nature sur un piédestal, elle accepte comme naturelle la
chasse puisque la prédation fait partie de manière inhérente de la Nature.
Voire cette prédation est même utile comme processus darwinien de limitation
des membres d’une espèce ; la prédation contribue à l’équilibre des
écosystèmes. Les écologistes profonds ne refuseront donc pas la chasse pour peu
qu’il s’agisse d’un acte respectueux de la Nature et de la bête chassée. Ils ne
cautionneront pas la chasse gratuite ou sportive qui contribue à mettre en
péril des espèces menacées, mais accepteront une chasse en vue de la survie.
Par ailleurs, les écologistes acceptent également l’élevage pour peu qu’ils
soient respectueux de l’environnement et des animaux. Ils condamneront
l’élevage industriel comme une des pires aberrations modernes. Les écologistes
militeront en faveur de la limitation de la consommation de la viande, car la
production de la viande implique des émissions colossales de gaz à effet de
serre dans l’atmosphère, qui contribuent au réchauffement climatique. La
production de la viande est responsable pour une grande partie de la
destruction de la forêt amazonienne en vue de produire du soja et du maïs qui
vont nourrir le bétail européen, de la pollution de l’eau et des sols…. Donc
les écologistes soutiendront en général des campagnes comme le « Jeudi Veggie » lancée par
l’association végétarienne belge EVA, mais seront néanmoins partisans d’un
élevage familial proche de la Nature et des bêtes, où, par exemple, celles-ci peuvent
gambader dans les prairies. Les écologistes refusent donc le végétarisme strict
et, à plus forte raison, le véganisme qui est le noyau central de l’éthique
antispéciste.
C’est à ce titre aussi que
s’opère le rejet de « l’idée de Nature » par Bonnardel et
Olivier : conférer un statut privilégié à la Nature revient à accepter la
violence intrinsèque de la Nature, à accepter comme le poète anglais Alfred
Tennison : la Nature rouge de ses crocs et de ses griffes (Nature, red with teeth and claws). Et
donc refuser d’en finir une fois pour toute avec l’exploitation à l’encontre
des animaux. C’est donc cela qu’il faudra discuter aussi : faut-il
accorder un statut privilégié à la Nature ou pas ?
Lire la suite : 2ème partie
Lire la suite : 2ème partie
1ère partie - 2ème partie - 3ème partie - 4ème partie - 5ème partie - 6ème partie - 7ème partie
Sur les définitions philosophiques du mot Nature, voir ici.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici..
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerOn y trouve un sens à toutes choses , qu'elles soient biens , non envers et contres les maux du monde , mais qu'elles soient biens parmi les maux du monde...
RépondreSupprimer